Externalisation de la fonction comptable face au
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Externalisation de la fonction comptable face au
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références COMPTABILITÉ Externalisation de la fonction comptable face au risque de dépendance Selon les données les plus récentes du baromètre Outsourcing d’Ernst&Young, 77 % des entreprises européennes ont recours au processus dit d’externalisation des services et plus spécifiquement des services comptables. Pour les entreprises françaises, la comptabilité serait la deuxième fonction qui pourrait être externalisée dans les deux années à venir. L’externalisation de la fonction comptable consiste à confier à un prestataire externe une partie ou la totalité de ses activités comptables qui étaient jusqu’alors réalisées en interne. L’adoption de cette nouvelle forme organisationnelle est une réponse aux faiblesses d’une organisation établie. Les raisons qui ont souvent été avancées comme explications de la stratégie d’externalisation de la fonction comptable sont relatives à la taille du service qui mobilise des ressources importantes et les détourne des enjeux stratégiques, aux marges de manœuvres financières induites par une potentielle réduction des coûts et à la recherche d’une amélioration de la qualité des prestations en recourant à des cabinets d’expertise comptable. En parallèle, l’amélioration des outils informatiques et le développement des outils internet ont joué un rôle non négligeable dans le développement de ce marché spécifique de l’externalisation de la fonction comptable en facilitant le processus de transfert des données comptables et financières entre l’entreprise et le prestataire et la consultation en ligne des données. Résumé de l’article Le risque de dépendance est souvent considéré comme le frein le plus important à l’externalisation de la fonction comptable. Cependant, le développement d’une dépendance réciproque peut devenir une solution et conduire à une relation partenariale. et Hubert TONDEUR, Professeur des Universités, CNAM/INTEC, Expert-comptable, Cabinet Alliance-Experts 1. Le risque de dépendance suite à l’externalisation de la fonction Comptabilité La dépendance est la conséquence de la perte de savoir-faire, de contrôle ou de maîtrise de la fonction, de la sécurité et de la confidentialité des informations comptables. En signant le contrat d’externalisation et/ou en transférant le personnel et le matériel chez le prestataire, l’entreprise crée le premier niveau de dépendance vis-à-vis de son prestataire. Celle-ci peut évoluer jusqu’à l’irréversibilité. L’entreprise externalisatrice peut être sous contrainte du prestataire et ne plus Figure 1 : L’évolution du risque de dépendance Abstract The risk of dependence is often considered the most important brake on outsourcing accounting. However, the development of mutual dependence can become a solution and lead to a partnership relationship. 24 Par HUYNH Thi Ngoc Van, ATER, IUT GEA, Université Lille 1 Le souci de réduire les coûts et d’alléger l’organisation de l’entreprise fait de l’externalisation l’une des solutions attractives. Elle permet aux entreprises de recentrer leurs ressources financières et managériales sur des activités créatrices de valeur. Au-delà des avantages incontournables de l’externalisation aux niveaux stratégique, financier, organisationnel et opérationnel, celle-ci cache des dangers non négligeables qui surviennent souvent pendant le déroulement du contrat : une dépendance qui peut évoluer jusqu’à l’irréversibilité, un risque social, des coûts cachés… Parmi ces inconvénients, la dépendance est souvent évoquée comme le risque le plus important pouvant entraîner de lourdes conséquences financières pour l’entreprise externalisatrice. // N°443 Mai 2011 // Revue Française de Comptabilité Degré de dépendance + Je dois faire ce qu’exige le prestataire Risque de hold-up Je ne peux pas changer le prestataire Risque de dépendance Je ne peux contrôler l’activité externalisée mais je peux toujours changer le prestatire Je perds mes ressources en les transférant à un prestatire Risque de perte de contrôle Risque de perte du savoir-faire Temps COMPTABILITÉ pouvoir en changer. Cette évolution est illustrée dans la figure 1. L’externalisation de la fonction comptable ne se limite pas exclusivement à l’acquisition de services mais à l’adoption d’un processus de travail en commun. Ce processus conduit l’entreprise à externaliser ses moyens de travail et son personnel spécifique chez le prestataire. L’entreprise externalisatrice perd le contrôle physique et juridique de ce qui était sa force de production comptable. La maîtrise sur le processus de production des services peut, au fil du remplacement des outils ou des personnels, s’atténuer, voire disparaître. Or la matière première traitée dans un processus comptable est une matière spécifique qui nécessite une bonne connaissance de la source d’approvisionnement – l’entreprise. Car, in fine, les états comptables et financiers qui ressortent de processus sont censés produire une image de l’entreprise externalisatrice aux différentes parties prenantes. L’enjeu économique, social voire politique des états financiers exige une vigilance de la part de l’entreprise externalisatrice. ter ce risque de dépendance. Tout processus d’externalisation est coordonné par un comité de pilotage qui ne doit pas se confondre avec la situation d’un donneur d’ordres à un sous-traitant. La comptabilité repose sur une technicité et des procédures fortement réglementées qui devraient être aussi maîtrisées par l’entreprise externalisatrice. Cette dernière sous-traite la partie opérationnelle mais elle doit s’assurer de l’image que traduisent les états comptables financiers que le prestataire produira en son nom. La traduction comptable, comme nous le savons, est loin d’être objective. Elle est imprégnée de la façon dont les faits économiques et les transactions sont interprétés, ici en l’occurrence par le prestataire de services. Dans l’environnement instable actuel et en raison des évolutions technologiques et réglementaires, la présence d’une clause de réversibilité ne semble pas suffisante pour couvrir ce risque. C’est la raison pour laquelle la meilleure façon de prévoir le risque de dépendance, selon nous, consiste à développer une stratégie de dépendance réciproque. La théorie de l’agence (Jensen et Meckling 1976) fournit un cadre d’analyse approprié en termes de partage de pouvoir et de conflit d’intérêts. D’un côté, le prestataire (agent) veut renforcer le degré de dépendance, de l’autre côté, le client (principal) essaie de le diminuer. Pour être en position de force, le prestataire pourrait développer une stratégie d’enracinement ayant pour but de rendre ses prestations incontrôlables par le client. Cette stratégie se traduit par l’investissement dans les actifs physiques (machines, logiciels spécifiques…) ou humains (formation, compétences spécifiques) pendant le déroulement du contrat. L’entreprise risque de perdre le contrôle de son opération d’externalisation et de subir les exigences du prestataire. Celui-ci peut profiter de cette situation pour augmenter les prix, rogner sur la qualité ou réduire son degré d’engagement. « De tels comportements permettraient au prestataire de s’approprier la quasirente du client. Cette situation est qualifiée de hold-up » (Quélin 1997). 2. La dépendance réciproque comme antidote au risque de dépendance La dépendance vis-à-vis du prestataire, la concentration du marché des prestations, la capacité de réorganisation et le coût de réintégration sont les principales raisons de l’irréversibilité du contrat d’externalisation. Cependant, les entreprises peuvent anticiper et adopter des mesures afin d’évi- La dépendance réciproque, décrite comme une caractéristique majeure de la relation inter organisationnelle, est la conséquence de la volonté de deux ou de plusieurs parties de coopérer pour atteindre un même objectif. Il s’agit d’une approche active qui regarde la gestion de la relation entre l’entreprise et le prestataire moins comme un ajustement mutuel que comme une relation gagnant-gagnant et évolutive. Cette approche se manifeste sous plusieurs aspects : • la dépendance réciproque par une prise de risque des deux côtés : Du côté de l’entreprise, « nous n’avions plus de logiciels, plus de personnel, nous étions complètement dépendants du prestataire », explique le directeur financier d’un groupe de distribution. Il ajoute : « du côté du prestataire, non seulement il s’est engagé sur un contrat de 6 ans, mais, de plus, il a osé prendre des risques en lançant des investissements humains et matériels importants » ; • la dépendance réciproque par une flexibilité de deux côtés : « Il s’agit de la dépendance réciproque pour équilibrer la balance. Il fallait que la relation soit intelligente des deux côtés. Il y avait un contrat d’un côté et une flexibilité de l’autre. Pour que le projet soit réussi, il fallait fonction- ner avec un contrat non rigide qui pouvait s’adapter à l’augmentation et à la diminution des activités de l’entreprise. Pendant toute la durée du contrat, nous avons réussi à le faire évoluer ». • la dépendance réciproque par une gestion interne : « Ce n’est pas parce qu’on externalise qu’il n’y a pas de gestion en interne. Ceci est extrêmement important pour garder l’équilibre. L’externalisation implique que l’on gère en interne les interfaces et que l’on suive l’évolution de la fonction externalisée ». En effet, la meilleure stratégie pour gérer sa propre dépendance est de « rendre d’autres acteurs de l’environnement dépendants de l’organisation » (Hatch 1997). L’interdépendance permet à l’entreprise de garder le contrôle des évolutions de la fonction comptable en maintenant une bonne connaissance technique et en exigeant du prestataire une recherche constante d’amélioration de sa compétitivité. Conclusion Une interdépendance stratégique renforce la relation entre les deux entreprises et facilite l’intégration. Leur avenir est lié à certaines actions et aux investissements communs. Argyres et Liebeskind (1999) évoquent « l’inséparabilité de gouvernance » qui décrit la situation dans laquelle il y a une interdépendance dans les décisions. Une prise de risque partagée entre l’entreprise et le prestataire au travers d’investissements mutuels et d’un contrat de longue durée permet de fixer la relation dans le moyen/ long terme et de développer une relation partenariale. À travers la construction progressive de l’interaction, les parties développent des valeurs communes, à tel point que le prestataire peut être considéré comme faisant partie de l’entreprise. Bibliographie • Argyres N.S., Liebeskind J.P., 1999, “Contractual commitments, bargaining power, and governance inseparability: incorporating history into transaction cost theory”, Academy of Management Review, n° 24, vol. 1, pp. 49-63. • Hatch M.J., 1997, Organization Theory, Oxford University Press. • Jensen M. et Meckling W., 1976, “Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs, and ownership structure”, Journal of Financial Economics, n° 3, pp. 305-360. • Quélin B., 1997, “L’outsourcing : Une approche par la théorie des coûts de transaction“, Réseaux, n° 84. Revue Française de Comptabilité // N°443 Mai 2011 // 25