Testament : quoi faire avec le mouton noir de la famille

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Testament : quoi faire avec le mouton noir de la famille
La boîte àoutils
Me Johanne Pratte
Testament : quoi faire avec le mouton noir de la famille Q
uand vient le temps de rédiger leur
testament, certaines personnes
ont de la difficulté à préciser leurs
intentions. Elles ne savent par où commencer et se demandent, entre autres, comment
traiter leur mouton noir, l’enfant rebelle,
bref, celui qui leur donne du fil à retordre.
Il faudrait d’abord définir ce que l’on
entend par « mouton noir ». Est-ce une
personne mineure, un adulte frivole et
irresponsable, quelqu’un de vulnérable,
c’est-à-dire de qui l’on pourrait facilement abuser, ou encore une personne qui
souffre d’une dépendance à la drogue, aux
jeux, ou autre ? Dans ces différents cas,
la fiducie ou l’administration prolongée
semble tout indiquée.
La présente chronique n’est pas appropriée pour que j’élabore de façon exhaustive
sur ces deux mécanismes. Sachez cependant qu’il s’agit en fait de mettre en place
l’un ou l’autre afin de limiter ou encadrer
de façon permanente ou temporaire la
possibilité qu’a la personne de dépenser les
sommes dont elle héritera, tout en tenant
compte de la gravité du problème. Dans un
cas comme dans l’autre, le fiduciaire et le
liquidateur auront des indications précises
quant à la façon dont les sommes seront
utilisées, et à quelle fréquence elles devront
être remises à l’héritier. Ils auront aussi la
possibilité de prendre certaines décisions
discrétionnaires en fonction de leur propre
évaluation de la situation.
Mais là n’est pas l’unique scénario
envisageable. Peut-être le mouton noir
est-il une personne qui complique toujours tout, qui conteste toujours tout,
celle que l’on qualifie parfois de « fauteur
de troubles », bref, celle par qui tous les
problèmes arrivent. Dans ce cas, certains
vous diront : élimine-la complètement du
portrait, déshérite-la ! Attention, la solution est peut-être un peu trop draconienne,
n’est-on pas en train de prendre un canon
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pour tuer une mouche ? Sans compter qu’il
peut s’agir de notre enfant, pour lequel on
a toujours de l’affection.
Et si l’on envisageait la question sous
un autre angle ? Car le problème ne se
trouve peut-être pas uniquement lié à la
personne que l’on a identifiée comme étant
notre mouton noir. Peut-être qu’il s’agit
de conflits qui sont déjà présents parmi
les héritiers ou de situations que l’on sait
d’avance explosives, ou qui comportent
de nombreuses zones grises, laissant ainsi
place à des contestations. Dans ce cas, il
faudra faire montre de courage et régler
cette situation conflictuelle en amont.
Facile à dire, pensez-vous. Je sais, mais
si on réalise un examen attentif de la
situation et que l’on identifie ces conflits
potentiels, alors il sera plus facile d’être
davantage explicite dans notre testament.
Le problème est parfois en lien avec
des biens que l’on laisse – meubles, bijoux,
fourrures, voitures, objets de collection
– qui, de par leur nature, font l’envie de
plusieurs héritiers ou représentent une
Janvier 2014
valeur sentimentale. Ne vaudrait-il pas
mieux dans ce cas les attribuer à des
personnes en particulier (legs particulier) ? Peut-être les a-t-on déjà promis à
quelqu’un ? Alors pourquoi ne pas établir
les choses clairement ?
Et que fait-on de l’argent que vous avez
donné ou prêté à l’un de vos héritiers de
votre vivant ? Certains voudront prétendre
qu’il s’agit d’un don, d’autres d’un prêt. Là
encore, vous aurez tout avantage à clarifier
votre position : est-ce une part d’héritage
reçue d’avance ou est-ce une somme remboursable à la succession ? Vous pourriez
par exemple faire rédiger de votre vivant
des billets reconnaissant ces prêts ou des
quittances en attestant le remboursement.
La résidence familiale peut, elle aussi,
faire l’envie de deux ou plusieurs de vos
héritiers, alors qu’un seul se trouve en
mesure d’en supporter les charges. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ce cas, l’attribuer
directement à l’un d’eux et compenser les
autres par une somme d’argent, ou encore
déterminer à quel prix (ou quel sera le
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mécanisme pour l’établir) la maison sera
vendue à l’héritier intéressé, ou tout simplement accorder à votre liquidateur le pouvoir
de vendre cette résidence ?
Ce qui nous amène inévitablement au
liquidateur et à son rôle. Cette ou ces personnes seront chargées de mener à bien la
liquidation de votre succession et de distribuer les biens. La solution réside peut-être
dans le choix de la personne qui saura
contrôler ou neutraliser le mouton noir.
Qui choisir ? Sachez tout d’abord qu’être
liquidateur n’est pas un droit d’aînesse,
c’est-à-dire que cette tâche de revient pas
automatiquement à l’aîné de la famille.
Choisir un liquidateur qui profitera de
ce pouvoir pour régler tous ses conflits
avec les autres ou démontrer sa supériorité
amènera inévitablement les autres héritiers
à se braquer et à ne pas coopérer. D’un au
tre côté, quelqu’un qui est trop conciliant et
qui tente à tout prix de plaire à tous n’arrivera jamais à se positionner et à prendre
les décisions qui lui reviennent, amenant
ainsi d’autres problèmes.
Dans un cas comme dans l’autre, on se
retrouvera en présence d’un règlement de
succession qui n’en finit plus et qui fera en
sorte que la relation entre les héritiers sera
brisée à jamais. Il faut donc voir à choisir
quelqu’un qui aura les qualités nécessaires
pour mener à terme cette opération, en
tenant compte de votre situation personnelle. Peut-être la solution réside-t-elle
dans le choix d’une personne qui n’est pas
l’un des héritiers ou qui est un liquidateur
professionnel, à vous d’évaluer. Le succès
de cette opération se situe non seulement
dans un choix éclairé, mais aussi dans les
outils que vous fournirez au liquidateur,
ainsi que dans les pouvoirs que vous lui
accorderez. On peut penser par exemple
au droit de vendre les biens pour ensuite
partager l’argent entre les héritiers.
Finalement, la solution sera peut-être
de déshériter complètement votre mouton noir. Il faut savoir qu’au Québec nous
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avons, encore à ce jour, l’entière liberté de
tester, c’est-à-dire que nous avons toute
liberté pour désigner les personnes que
nous voulons compter parmi nos héritiers. Sinon, vous pouvez insérer toutes
les conditions que vous désirez et auxquelles l’héritier sera soumis, en étant
limité dans ce domaine par l’ordre public,
les bonnes mœurs, les droits et libertés
d’une personne.
Et pourquoi pas le meilleur des deux
mondes, vous demandez-vous ? Par
exemple : « Je lègue mes biens à mes enfants
en parts égales, cependant si l’un d’entre
eux conteste mon testament, il sera automatiquement éliminé de ma succession,
c’est-à-dire déshérité ! » Cette option peut
paraître alléchante, mais je ne crois pas
qu’elle puisse régler tous les problèmes.
On peut causer bien des soucis au liquidateur et aux autres héritiers sans pour
autant contester le testament… Nous voilà
revenus à la case départ. De plus, a-t-on
vraiment le droit d’empêcher quelqu’un de
contester un testament s’il croit ou est en
mesure de prouver que le testateur n’était
pas apte au moment où il a rédigé son
testament, ou encore qu’il faisait l’objet de
captation ? C’est là une tout autre question
sur laquelle on pourrait s’attarder dans une
prochaine chronique.
En résumé, bien évaluer les problèmes
ou situations que l’on anticipe lors de notre
décès, déterminer clairement comment
on aimerait que les choses soient faites
et s’adjoindre l’aide d’un notaire pour la
rédaction de notre testament : tout cela
peut finalement nous amener à trouver
les solutions appropriées et parfois à nous
apercevoir que notre fameux mouton noir
est en fait un simple agneau. Qui sait ?…
On a tous le droit de rêver. janvier 2014
Johanne Pratte, notaire, conseillère
principale, Fiducie et service-conseil,
Trust Banque Nationale inc.
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