Homélie du Jeudi Saint 2016. De la Parole de Dieu qui vient d`être

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Homélie du Jeudi Saint 2016. De la Parole de Dieu qui vient d`être
Homélie du Jeudi Saint 2016.
De la Parole de Dieu qui vient d’être proclamée je voudrais, ce soir, retenir deux éléments qui
peuvent nous aider à entrer dans la compréhension du mystère de la fête que nous célébrons : celle de
l’institution de l’eucharistie et du sacerdoce ministériel. Le premier élément c’est la « mémoire » et le second
l’ «exemple » dont nous parle l’évangile.
« Ce jour sera pour vous un mémorial » nous dit le livre de L’Exode. Ce jour, c’est le quatorzième jour
du mois de nisan. Le premier mois de l’année pour Israël. Pour nous chrétiens, qui entendons ce précepte,
le 14 nisan c’est le jour de la mort de Jésus. Et nous savons que l’Agneau véritable, dont le sang nous sauve
de la mort, c’est lui. Nous comprenons pourquoi la Pâque de Dieu est un passage qui nous fait échapper
à la mort puisqu’en sa Pâque personnelle il a entraîné l’humanité au-delà de la mort et que, avec lui, nous
vivons déjà notre Pâque personnelle en attendant la Pâque de toute l’humanité, au dernier jour. C’est
l’institution de l’Eucharistie qui nous fait entrer dans ces Pâques successives. C’est pourquoi Paul nous
transmet le double commandement de Jésus, prononcé sur le pain rompu et sur la coupe : « Faites cela en
mémoire de moi». Ainsi, nous comprenons que faire mémoire ce n’est pas évoquer le passé puisqu’en Exode,
le mémorial qui commémore la délivrance d’Israël était déjà tourné vers la Pâque de Jésus et puisqu’il s’agit
de revivre son Dernier Repas « jusqu’à ce qu’il vienne ».
Pour la tradition biblique, la mémoire n’est pas d’abord celle de l’homme mais celle de Dieu. Dieu
n’oublie pas son peuple, Dieu n’oublie pas l’humanité. Dieu se souvient de ses promesses. Dieu nous
prend dans sa mémoire. Or, en Dieu, il n’y a ni passé ni futur, mais seulement le présent. Faire mémoire
en Dieu c’est donc, en rappelant les bienfaits du passé et en constatant la fidélité de Dieu à ses promesses,
entrer dans le présent de Dieu. Du coup, c’est vivre au présent les merveilles que Dieu a accomplies
autrefois et c’est accueillir par avance, en en goûtant déjà les fruits, l’accomplissement des promesses pour
l’avenir. L’Eucharistie est mémoire parce qu’elle est le moment privilégié où nous sommes accueillis dans
la mémoire de Dieu, c’est-à-dire en Dieu-même.
Au cœur de la mémoire, il y a le sacrifice et le repas. Les Hébreux sacrifient un agneau mâle parfait,
renonçant ainsi à être maîtres de l’avenir du troupeau et confiants dans la capacité de Dieu à faire prospérer
le troupeau mais, surtout, à les sauver de la mort en les libérant de l’esclavage. C’est pourquoi ils peuvent
entrer dans la communion d’un repas, partagé dans l’urgence de prendre la route de la liberté retrouvée,
pour s’en remettre à la conduite de Dieu.
Dans son Dernier Repas, Jésus anticipe sa Passion, « la nuit où il était livré ». Le mot qu’emploie Paul,
ici, c’est le même qu’il emploie pour nous dire qu’il nous transmet ce qu’il a reçu du Seigneur. En grec les
deux mots (livré, transmis) sont le même verbe. Ce verbe, nous le retrouverons dans l’évangile de ce soir
pour désigner la trahison de Judas et il sera un fil de trame dans le récit de la Passion que nous méditerons
demain. Mais si Jésus est livré, si Judas a dans son cœur le désir de le livrer, si demain les autorités livreront
Jésus à Pilate qui le livrera à son tour aux grands prêtres, c’est d’abord parce que, librement, Jésus a choisi
de livrer sa vie : « Ma vie personne ne la prend, c’est moi qui la donne ».
Le sacrifice n’est pas dans la violence que lui imposent les hommes mais dans l’offrande libre de
sa vie. Comme le dit saint Augustin : « Le sacrifice véritable, c’est toute œuvre qui nous unit à Dieu dans une
communion sainte : toute œuvre, donc, accomplie en vue de ce bien ultime par quoi nous pouvons être heureux ». Et Augustin
ajoute : « De ce fait, l’homme lui-même, consacré par le nom de Dieu et voué à Dieu, en tant qu’il meurt au monde afin de
vivre en Dieu constitue un sacrifice ».
Le repas, c’est l’acte par lequel nous entrons en communion et, ici, en communion avec Dieu luimême. Le moment où nous anticipons la promesse faite dans l’Apocalypse : «Voici que je me tiens à la porte et
je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi ».
Repas lié au sacrifice, et qui est l’actualisation du Royaume accompli. Le sacrifice, le don de Jésus à son
Père en acceptation du don que le Père nous a fait du Fils (car le Corps du Fils est : « pour nous », pour
nous incorporer à lui), scelle l’alliance avec Dieu par l’Esprit Saint que nous recevons dans le repas sacré.
C’est une Alliance non pas nouvelle, mais neuve.
Or si, par le repas eucharistique nous sommes incorporés au Christ et donc établis en Dieu, c’est
pour que nous soyons présence agissante du Christ en ce monde. C’est pourquoi il convient, par
l’eucharistie et grâce à elle, de dénoncer (c’est un des sens du verbe en grec) la mort du Seigneur en
proclamant sa venue que nous attendons et que nous actualisons déjà par notre vie. Aussi, Jésus tient-il à
nous donner l’exemple de ce qu’il faut faire. C’est le lavement des pieds qui, comme l’eucharistie, doit être
fait selon son exemple. Le service du frère n’est pas une annexe facultative du culte chrétien. Il est
constitutif du culte chrétien. Si ce soir le lavement des pieds est le pivot visible de la liturgie qui nous fait
passer de la messe des catéchumènes à la messe des fidèles, le commandement du service du frère est
indissociable de chaque eucharistie. C’est en ce sens que nous devons comprendre ce que saint Augustin,
poursuivant sa réflexion sur le sacrifice, nous dit dans la Cité de Dieu : « « Dès lors que les authentiques sacrifices
sont les œuvres de miséricorde, envers nous, envers le prochain, que nous accomplissons pour Dieu, les œuvres de miséricordes
n’ont d’autre fin que de nous affranchir du malheur et, ainsi, de nous rendre heureux. Et cela ne saurait se faire que grâce
à ce bien dont il nous est dit : Pour moi le bien c’est d’être uni à Dieu. Soyons-en sûrs, c’est ainsi que cette cité,
tout entière rachetée - je veux dire le rassemblement et la communauté des saints - est offerte à Dieu en sacrifice universel par
le ministère du grand prêtre qui, prenant la forme d’un esclave, est allé jusqu’à s’offrir lui-même pour nous dans sa
passion, pour que d’une telle tête nous devenions le corps ». Le lavement des pieds est donc le signe de notre vocation
eucharistique qui s’accomplit dans le service de nos frères et singulièrement des plus pauvres.
Ce mystère de l’Eucharistie : mémoire, sacrifice, repas, service du frère, le Christ le confie ce soirlà, ce soir donc, à douze hommes qui devront se faire serviteurs pour leurs frères. Par leur ministère, leurs
frères, et eux avec eux, seront incorporés au Christ offert, au Christ livré, au Christ serviteur. Ce sont de
pauvres hommes. L’un a déjà vendu le Seigneur. Tous les autres, sauf un, vont s’enfuir. Le chef, après
quelques rodomontades, se dégonflera lamentablement devant la concierge et reniera son Maître. Des
hommes pécheurs, incapables de porter le trésor qui leur est confié. Un jour, Paul dira cela : « ce trésor nous
le portons dans des vases d’argile ; ainsi on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de
nous ». Hélas, nous, vos serviteurs dans la succession apostolique, sommes rarement à la hauteur. Nous
pouvons être obstacle à la foi des simples et notre péché peut faire écran à la lumineuse promesse que
nous devons proclamer. Priez donc pour vos évêques et pour vos prêtres. Priez pour moi.
Quand nous quitterons l’Assemblée, nous retrouverons ce monde inachevé, où la grâce et le péché
s’affrontent. Mais nous aurons les arrhes de l’avenir. La mémoire fondera notre espérance puisque par elle
nous aurons atteint l’accomplissement heureux de l’histoire, inséparable du sacrifice qui nous unit à Dieu
et du repas qui nourrit notre marche vers Celui qui vient, elle nous poussera à être « pour les autres » à
l’exemple du Seigneur et ainsi sera accompli ce que nous célébrons ce soir.
« Tel est le sacrifice des chrétiens : tout nombreux que nous sommes, nous ne formons dans le
Christ qu’un seul Corps - connu des fidèles - que chaque jour renouvelle l’Eglise, se découvrant offerte dans cela qu’elle
offre ».
+ Alain Planet
Cathédrale St-Michel. Carcassonne

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