Homélie du 2ème dimanche de carême (B)

Transcription

Homélie du 2ème dimanche de carême (B)
L'épreuve de Dieu
Père Grégoire Cieutat - Homélie du 2ème dimanche de carême 2012 – année B
Les textes des trois lectures de ce 2ème dimanche de carême sont parmi les plus
beaux textes de la Bible. Et de quoi parlent-ils ? Ils nous parlent d'amour bien entendu.
Mais d'un amour à la mesure de Dieu qui se conjugue avec un mot que nous n'aimons
pas trop entendre tant il a été déformé de son sens original. Il s'agit du sacrifice. Dieu
nous parle aujourd'hui de l'amour de sacrifice ou plutôt du sacrifice de l'amour. Et
justement lorsque l'homme parvient à conjuguer ces deux mots dans sa propre vie,
dans sa propre chair, il participe à la communion divine dont la communion
eucharistique est déjà l'anticipation. Lorsqu'il vit le sacrifice de l'amour ou l'amour du
sacrifice, l'homme est restauré dans sa condition originelle, bonne, très bonne, voulue
par Dieu. Ainsi il vit déjà dans le Royaume de Dieu.
Étudions donc ces textes d'un peu plus près pour justement éviter les
malentendus si courant sur le sens du sacrifice. Nous commençons avec le sacrifice
d'Abraham à première vue terrible et brutale. "Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il lui
dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! ». Dieu dit : « Prends ton fils, ton
fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l'offriras en
sacrifice sur la montagne que je t'indiquerai. »" Notons l'insistance du texte qui
souligne avec insistance la dimension tragique du sacrifice que Dieu demande à
Abraham: "prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac."
Pourquoi Dieu met-il ainsi son serviteur Abraham à l'épreuve ? N'est-ce pas une
question que nous avons déjà pu nous poser lorsque dans nos vies nous avions à
traverser des moments tragiques ? Pour y répondre, commençons par nous poser un
autre question. Dieu a-t-il besoin du sacrifice d'Abraham ? La réponse est aussi claire
que l'eau de roche. Elle nous est donnée par la parole de Dieu elle-même dans le livre
des psaumes et le 1er livre de Samuel: "Samuel dit : " Yahvé se plaît-il aux
holocaustes et aux sacrifices comme dans l'obéissance à la parole de Yahvé ? Oui,
l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité, plus que la graisse des béliers."
Voilà donc une première clé d'interprétation très importante pour comprendre le
sacrifice d'amour que Dieu nous demande. Dieu n'a pas besoin de nos sacrifices. Il
nous met à l'épreuve pour que nous soyons en mesure de recevoir ses bénédictions. Il
l'explicite d'ailleurs aussi fortement à la conclusion de l'épreuve d'Abraham; "Puisque
tu m'as obéi, toutes les nations de la terre s'adresseront l'une à l'autre la bénédiction par
le nom de ta descendance." L'épreuve de Dieu apparaît donc bien comme le remède à
la désobéissance originelle d'Adam et d’Ève au jardin d’Éden qui avait entraîné
l'humanité et le monde entier dans la malédiction et la mort.
Ceci nous donne une seconde clé d'interprétation du sacrifice de l'amour.
L'épreuve de ce sacrifice consiste à révéler les mensonges enfouis dans le cœur de
l'homme. Mensonges enfouis qui séparent l'homme de Dieu, puisque Dieu est Vérité.
Dans le cas d'Abraham qu'elle était donc le mensonge enfoui qui nécessitait l'épreuve
du sacrifice de son fils qu'il aimait tant ? Eh bien, justement le mensonge d'Abraham
consistait en ce qu'il n'aimait pas si bien son fils. C'est-à-dire qu'il n'aimait pas son fils
comme Dieu l'aime et il n'y a que l'amour de Dieu qui peut donner la vie, la vraie vie,
la vie éternelle et non passagère. Abraham aimait son fils comme on aime un bien utile
pour soi et non pas de manière gratuite et inconditionnelle comme Dieu aime. L'amour
d'Abraham était un amour étouffant, l'amour d'un père qui projette ses propres désirs
sur son fils. Ce qu'il n'a pas pu lui-même accomplir. Voilà pourquoi Dieu lui demande
de sacrifier son fils non pas pour le tuer physiquement mais pour le laisser partir et
suivre de lui-même son chemin de foi avec Dieu, son véritable père. Le texte biblique
confirmer clairement cette interprétation traditionnelle chez les rabbins et les pères de
l’Église lorsque immédiatement après la conclusion heureuse de ce sacrifice, il est
écrit : « Abraham revint vers ses serviteurs et ils se mirent en route ensemble pour
Bersabée. » Abraham redescend seul de la montagne. Son fils a pris une autre route.
En ce sens le sacrifice demandait à Abraham est le modèle du sacrifice que Dieu
demande à tous les parents pour que leurs enfants puissent être vraiment libres.
Mais Isaac n'a pas suivi parfaitement le chemin de Dieu pour que les promesses
de bénédictions trouvent en lui leurs plénitudes et restaurer le monde entier dans la
communion de paix et d'amour avec Dieu. Isaac n'était que la préfiguration du fils
unique, du bien aimé du Père qui lui-même enverra prendre chair dans le sein d'une
vierge à Nazareth. Ainsi il l'offrira en sacrifice parfait d'amour sur la croix pour la
rédemption de tout le genre humain. Ce qui précise la deuxième lecture de la lettre de
Paul aux Romains : « Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n'a pas
refusé son propre Fils, il l'a livré pour nous tous : comment pourrait-il avec lui ne pas
nous donner tout ? »
Et nous comprenons alors que s'il est nécessaire de passer par la mort, une mort
intérieure à l'attachement pour son fils dans le cas d'Abraham et une mort réelle pour
Jésus, le sacrifice d'amour finit toujours par triompher de la mort et redonne la vraie
vie, la plénitude de vie. Il en est ainsi car précisément c'est un sacrifice d'amour, d'un
amour vrai et inconditionnel, d'un amour qui pardonne et qui ressuscite. Bref il s'agit
de l'unique amour de Dieu. Voilà comment Paul conclut par ses mots glorieux : « Qui
pourra condamner ? puisque Jésus Christ est mort ; plus encore : il est ressuscité, il est
à la droite de Dieu, et il intercède pour nous. »
Conclusion que les apôtres dans l'évangile n'ont pas compris car ils n'étaient pas
encore passer par la mort. Ils se demandaient en effet entre eux ce que voulait dire :
« ressusciter d'entre les morts ». Saint Paul lui l'avait compris en écrivant sa lettre aux
Romains car il avait déjà laisser le sacrifice d'amour de Jésus traverser sa propre chair.
Il en témoigne dans sa lettre aux Galates écrits avant celle aux Romains : « En effet,
par la Loi je suis mort à la Loi afin de vivre à Dieu : je suis crucifié avec le Christ ; et
ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je
la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi. » Puissions-nous
donc nous aussi nous unir en vérité à la mort du Christ pour vivre avec lui dès
aujourd'hui.