« Ceci est mon corps. Ceci est mon sang, le sang de l`Alliance versé

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« Ceci est mon corps. Ceci est mon sang, le sang de l`Alliance versé
« Ceci est mon corps. Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance versé
pour la multitude. Faites ceci en mémoire de moi » Ces paroles
prononcées par Jésus au cours de son dernier repas et que nous
réentendons à chaque messe ont une intensité, une puissance à nulle
autres pareilles ; elles sont de ces paroles qui, probablement, dans
toute l’histoire de l’humanité, ont eu et continuent à avoir le plus
d’impact, de puissance de transformation des cœurs et du cours de
l’histoire des hommes. Pas uniquement parce qu’elles ont une valeur
de testament, qu’elles ont été prononcées par l’une des figures les plus
importantes de l’histoire des hommes juste avant sa fin aussi tragique
qu’injuste. Mais parce que, comme croyants, nous y reconnaissons des
paroles créatrices, de la même trempe que la parole créatrice des
origines. Dieu dit et cela fût, dans la Genèse ; que la lumière soit et la
lumière fut, et Dieu vit que cela était très bon. Jésus, le Verbe de Dieu,
la Parole créatrice de Dieu dit : « Ceci est mon corps » et son corps,
livré, est là, présent, offert. Et nous savons que cela est bon, très bon
même, car absolument immérité, un corps donné, un sang versé par
pure grâce, une vie donnée par amour pour les pécheurs que nous
sommes. C’est la puissance, créatrice et recréatrice, de cette parole
que nous fêtons aujourd’hui dans la fête du saint Sacrement du Corps
et du Sang du Christ. Cette fête est liée à l’intuition d’une mystique de
la fin du Moyen Age, sainte Julienne du Mont Cornillon qui, une nuit,
a eu une vision, Philippe de Champaigne nous en a laissé une toile
admirable, la vision d’une lune à laquelle il manquait comme un
quartier ou plutôt une tranche, comme une part qui manque à une
galette. Et sainte Julienne d’interpréter cette vision comme la
révélation que, dans le cycle admirable des fêtes de l’année liturgique,
il manquait une fête, et que cette fête devait être consacrée au mystère
de la Présence de Jésus dans le Saint Sacrement de l’Eucharistie. C’est
l’origine de la fête d’aujourd’hui qui, dans la tradition de l’église
latine a pris une ampleur, une solennité extraordinaire : la Fête Dieu,
maintenant connue sous le nom de fête du saint Sacrement du Corps et
du Sang du Christ. Nous fêtons donc le don de la présence
eucharistique du corps et du sang du Christ dans le pain et le vin
consacrés. Cette irruption du monde définitif, métamorphosé, c’est le
sens originaire de la transfiguration, ressuscité dans la matière la plus
humble, la plus limitée, un peu de pain, un peu de vin.
Le pape Benoit XVI, dans une belle homélie prononcée lors de la
veillée des JMJ de Cologne, avait pris l’image de la fission nucléaire
pour dire quelque chose de l’inouï de la puissance de Dieu qui
s’emparait, qui agissait, qui transformait le cœur de la matière
eucharistique. Oui, à chacune de nos eucharisties, c’est le monde de
Dieu, le monde transformé par la puissance de résurrection qui a
arraché le cadavre de Jésus du tombeau qui fait irruption au cœur de la
matière, de la pauvre matière dont nos pauvres corps sont composés,
c’est le temps de Dieu qui fracture le temps, notre temps marqué par la
dégradation et le vieillissement, comme si le monde définitif, libéré de
la corruption, de la souffrance, du mal faisait irruption dans notre
pauvre monde comme gage et comme ferment du monde nouveau,
définitif. A chaque fois que nous communions, c’est comme si nous
nous réinoculions la vie même de Dieu ; à chaque fois que nous
communions, nous avons déjà part au monde définitif, tel que Dieu le
veut, tel que Dieu nous le prépare. C’est pourquoi avec les Pères, nous
pouvons dire que nous sommes déjà ressuscités, parce que la vie
même du ressuscité se mêle à notre vie, que son sang coule en nos
veines.....Mystère inouï de ce que la tradition appelle la Présence
réelle de Jésus Christ dans l’Eucharistie et qui est un joyau que les
églises catholique et orthodoxe ont conservé, intact, incandescent au
cœur de leur vie de foi, et qu’elles n’ont jamais cessé de célébrer
depuis le soir de Pâques ! Et qui façonne, qui forme, qui informe la vie
chrétienne qui est fondamentalement une vie eucharistique.
Car en effet la vie chrétienne a une forme fondamentalement
eucharistique, c’est-à-dire que l’eucharistie n’est pas une parenthèse,
certes sublime, dans la vie des chrétiens mais qu’elle est ce que le
Concile Vatican II qualifiait de source et sommet de la vie chrétienne.
Il n’y a pas de vie chrétienne authentique sans eucharistie,
l’eucharistie rayonne comme un foyer ardent qui éclaire, qui
réchauffe, qui féconde toute notre vie chrétienne, et vers qui tout,
absolument tout doit refluer.
Mais pour que cela ne reste pas que des mots, aussi sublimes soientils, je vous propose une petite « boite à outils » spirituelle. Une sorte
de trépied. Vous savez qu’un trépied est stable mais que si on lui
coupe ou raccourcit un des pieds il devient au mieux bancal ou ne
tient plus du tout. Il me semble que c’est un peu la même chose pour
notre foi, notre vie eucharistique. Il nous faut tenir ensemble trois
appuis pour que notre foi eucharistique tienne, et tienne droit : la
présence, le sacrifice et l’Eglise.
La présence, nous en avons parlé, c’est l’objet de la fête
d’aujourd’hui.
Le sacrifice, un gros mot que nous n’aimons guère mais qu’on ne
peut pas évacuer ou mettre entre parenthèses quand on parle
d’eucharistie, les textes de ce jour sont là si besoin était pour nous le
rappeler avec vigueur. Le sacrifice, c’est le sacrifice, unique du Christ.
Quand nous communions au corps et au sang du Christ, c’est à un
corps livré et à un sang versé que nous communions, livré et versé par
amour, c’est-à-dire que nous entrons dans le mouvement de don de
soi, c’est ce que signifie le sacrifice, qui a été celui de toute la vie de
Jésus et qui est comme scellé, qui culmine dans son sacrifice sur la
Croix. Ainsi en communiant, dimanche après dimanche, nous sommes
peu à peu façonnés par le style de vie qui a été, qui est celui de Jésus,
et nous entrons peu à peu dans le mouvement fondamental de don de
soi qui a été celui de toute sa vie ; c’est ainsi que l’Eucharistie nous
façonne intérieurement et fait refluer l’égoïsme, pour nous introduire
dans ce que les théologiens appellent une vie pour, une vie toute
orientée vers les autres
L’Eglise. Vous connaissez tous le chant : « Devenez ce que vous
recevez, devenez le corps du Christ », en fait du saint Augustin mis en
musique. Saint Augustin faisait remarquer qu’à la différence des
autres aliments quand nous mangeons le corps du Christ, ce que nous
mangeons n’est pas transformé en nous mais c’est nous qui sommes
transformés en et par ce que nous mangeons, c’est-à-dire le corps du
Christ. Quand dans quelques instants je vais vous présenter le corps du
Christ et que vous direz Amen, cet Amen, c’est-à-dire, je crois, c’est
du solide, dit certes votre foi en la présence réelle, je crois que le
Christ est vraiment, réellement présent, mais aussi je crois que je suis
appelé, jour après jour, eucharistie après eucharistie à devenir moimême de plus en plus membre de ce corps du Christ, ce grand corps
dont le Christ est la tête et dont tous les baptisés, qu’ils soient encore
vivants ou déjà morts avec le Christ, sont les membres.
Présence, sacrifice, corps, ces trois facettes du grand mystère de
l’Eucharistie n’en épuisent pas la richesse mais elles peuvent nous
aider à faire le point et éventuellement à rééquilibrer notre foi
eucharistique ? Croyons-nous vraiment à la présence de Jésus
ressuscité dans l’Eucharistie, de sorte que nos communions sont de
vraies rencontres, dans un cœur à cœur très proche, avec le
Ressuscité ? Entrons-nous à chaque messe, à chaque communion dans
le mouvement de don de soi qui est le mouvement fondamental de
l’existence de Jésus ? De sorte que, eucharistie après eucharistie, les
replis égoïstes, les réflexes de fermeture cèdent peu à peu à la liberté
d’une vie donnée, par amour. Avons-nous une vraie conscience qu’en
communiant, nous communions en même temps au corps ecclésial du
Christ que nous contribuons à construire, qu’en communiant, nous
construisons l’Eglise ? De sorte que nos communions nous obligent en
quelque sorte, nous obligent à être des hommes et des femmes de
communion, d’unité, de paix. Que nous ne pouvons pas prétendre
construire le corps du Christ par nos pratiques si, en même temps nous
le déchirons par des actes contraires à la communion et à l’unité ?
Seigneur Jésus, par la grâce de ton corps livré, de ton sang versé,
ranime l’ardeur de notre foi en ta présence eucharistique, affermis
nous dans une dynamique de vie de plus en plus ouverte, de plus en
plus donnée, de plus en plus eucharistique, fais de nous des hommes et
des femmes d’unité, de communion. Amen !