La voix et le phénomène
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La voix et le phénomène
INTRODUCTION Les Recherches logiques (1900-1901) ont ouvert un chemin dans lequel, on le sait, toute la phénoménologie s’est enfoncée. Jusqu’à la (1928), aucun déplacement fondamental, aucune remise en question décisive. Des remaniements, certes, et un puissant travail d‘explicitation : Idées... I et Logique formelle et logique transcendantafe déploient sans rupture les concepts de sens intentionnel ou noématique, la différence entre les deux strates de l’analytique au sens fort (morphologie pure des jugements et logique de la conséquence) et lèvent la limitation déduaiviste ou nomologique affectant jusqu’ici le concept de science en général (I). Dans la Krisis et les textes annexes, en particulier dans l’Or&im riC fa géométrie, les prémisses conceptuelles des Recherches sont encore à l’œuvre, notamment quand elles concernent tous les problèmes de la signification et du langage en générai. Dans ce domaine plus qu’ailleurs, une lecture patiente ferait apparaître dans les Recherches la structure germinale de toute la pensée husseriienne. A chaque page se laisse lire la nécessité ou la pratique implicite - des réductions éidétiques et phénoménologiques, la présence repérable de tout ce à quoi elles donneront accès. Or la première des Recherches (Ausdruck und Bedeutung) ( 2 ) 4e édition - ( I ) Logique fo*mcüe et logigwe tramcenüankrlc, 8 35 b, tr. Suzanne B A C E E L A ~ , Presses Universitaires de France, p. 137. (1) A l’exception de quelques ouvertures ou antidpations indispensables, le présent essai analyse la doctrine de la signification telle qu’elle se constitue deS la première des Recherches logiques. Pour en mieux suivre l’itinéraire difndie et tor- 2 LA VOIX ET L E PHÉNOMÈNE s’ouvre par un chapitre consacré à des a distinctions essentielles )) qui commandent rigoureusement toutes les analyses ultérieures. Et la cohérence de ce chapitre doit tout à une distinction proposée dès le premier paragraphe : le mot a signe )) (Zeicben) aurait un (( double sens D (ein Doppefsinn). Le signe (( signe )) peut signifier a expression )) (Amdmck) ou << indice B (Aqeicben). Depuis quelle question recevrons-nous et lirons-nous cette distinction dont l’enjeu paraît ainsi très lourd ? Avant de proposer cette distinction purement (( phénoménologique )) entre les deux sens du mot a signe », ou plutôt avant de la reconnaître, de la relever dans ce qui veut être une simple description, Husserl procède à une sorte de réduction phénoménologique avant la lettre : il met hors circuit tout savoir constitué, il insiste sur la nécessaire absence de présuppositions (Voraslssekpng.rfo~gkeif), qu’elles viennent de la métaphysique, de la psychologie ou des sciences de la nature. Le point de départ dans le a Faktum )) de la langue n’est pas une présupposition pourvu qu’on soit attentif à la contingence de l’exemple. Les analyses ainsi conduites gardent leur a sens )) et leur a valeur épistémologique )) - leur valeur dans l’ordre de la théorie de la connaissance (er~nn~~sfbeoretiscben Werf) - qu’il existe ou non des langues, que des êtres tels que les hommes s’en servent effectivement ou non, que des hommes ou une nature existent réellement ou seulement (( dans l’imagination et sur le mode de la possibilité ». La forme la plus générale de notre question est ainsi prescrite : est-ce que la nécessité phénoménologique, la rigueur et la subtilité de tueux, nous nous sommes généraiement abstenu des comparaisons, rapprochements ou oppositions qui semblaient ia ou lg s’imposer entre la phénoménologie husserlienne et d’autres théoriesl classiques ou modernes, de la signification. Chaque fois que nous débordons le texte des Recherches logiques I , c’est pour indiquer le principe d’une interprétation générale de la penSee de Husserl et pour esquisser cette l&um systhatique que now espkons tenter un jour. INTRODUCTION 3 l’analyse husseriienne, les exigences auxquelles elle répond et auxquelles nous devons d’abord faire droit, ne dissimulent pas néanmoins une présupposition métaphysique ? Ne cachent-elles pas une adhérence dogmatique ou spéculative qui, certes, ne retiendrait pas la critique phénoménologique hors d’elle-même, ne serait pas un résidu de naïveté inaperçue, mais constituerait la phénoménologie en son dedans, dans son projet critique et dans la valeur institutrice de ses propres prémisses : précisément dans ce qu’elle reconnaîtra bientôt comme la source et le garant de toute valeur, le a principe des principes », à savoir l’évidence donatrice originaire, le présent ou la présence du sens à une intuition pleine et originaire. En d’autres termes, nous ne nous demanderons pas si tel ou tel héritage métaphysique a pu, ici ou là, limiter la vigilance d’un phénoménologue, mais si la forme pbénoménologipe de cette vigilance n’est pas déjà commandée par la métaphysique elle-même. Dans les quelques lignes évoquées à l’instant, la méfiance à l’égard de la présupposition métaphysique se donnait déjà comme la condition d’une authentique «.théorie de la connaissance », comme si le projet d’une théorie de la connaissance, même lorsqu’il s’est affranchi par la a critique P de tel ou tel système spéculatif, n’appartenait pas d’entrée de jeu à l’histoire de la métaphysique. L’idée de la connaissance et de la théorie de la connaissance n’est-elle pas en soi métaphysique ? I1 s’agirait donc, sur l’exemple privilégié du concept de signe, de voir s’annoncer la critique phénoménologique de la métaphysique comme moment à l’intérieur de l’assurance métaphysique. Mieux : de commencer à vérifier que la ressource de la critique phénoménologique est le projet métaphysique lui-même, dans son achèvement historique et dans la pureté seulement restaurée de son origine. Nous avons tenté de suivre ailleurs ( I ) le mouvement par ( I ) La PhénomLnolopie et la cMture de la dtaphysique, i n EIIOXEL, Athènes, févr. 1966.