Ruptures du tendon quadricipital

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Ruptures du tendon quadricipital
Ruptures du tendon quadricipital
F. Rémy, F. Gougeon, M.-J. Debroucker, G. Wavreille et Ch. Fontaine
L’appareil extenseur du genou est une entité fonctionnelle et anatomique
constituée par le muscle quadriceps fémoral, le tendon quadricipital, la patella
intégrée dans le plan fibreux prépatellaire et le ligament patellaire (tendon rotulien) qui se termine sur la tubérosité du tibia.
Les ruptures du muscle quadriceps fémoral doivent être scindées en différentes formes cliniques en fonction de la topographie de la lésion musculaire.
Trois types de lésions doivent être différenciés :
– l’avulsion de l’insertion proximale du muscle droit fémoral de la cuisse ;
– la rupture du muscle quadriceps fémoral en plein corps musculaire ;
– la rupture du tendon quadricipital.
Nous ne traiterons ici que de cette dernière forme.
Rappel anatomique
Le muscle quadriceps fémoral constitue la loge antéro-latérale de la cuisse. Il
est constitué de quatre muscles. Le plan profond est représenté par le muscle
vaste intermédiaire (m. crural). Le plan intermédiaire est représenté par les
muscles vaste latéral (m. vaste externe) et vaste médial (m. vaste interne). Le
plan superficiel est formé par le muscle droit fémoral (m. droit de la cuisse).
Étiopathogénie et anatomie pathologique
Affection rare parmi les lésions traumatiques du système extenseur du genou,
les lésions du tendon quadricipital viennent après les fractures de la patella et
les ruptures du ligament patellaire.
Il s’agit d’une affection touchant le sujet sportif plus âgé, dans la plupart
des cas après 40 ans (8, 11). La pathologie traumatique et masculine domine
l’affection. Les sports les plus souvent évoqués sont non seulement le football (lésion quadricipitale du côté du shoot), mais aussi le ski (chute genou
en flexion forcée) et le parachutisme (réception d’un saut). Le mécanisme est
le plus souvent indirect (contraction brutale de l’appareil extenseur pour éviter
la chute) et plus rarement direct à la suite d’un accident de la voie publique.
Deux types de lésions anatomiques ont été observés :
– la rupture du tendon quadricipital au bord supérieur de la patella ;
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– le décalottement quadricipital bien défini par Trillat (13). Cette lésion
survient chez l’adulte jeune ; elle correspond à un arrachement du capuchon
ostéo-périosté comprenant le tendon extenseur et le surtout fibreux prépatellaire.
On reconnaît un certain nombre de facteurs prédisposant à cette lésion
musculaire, non seulement liés à la pratique du sport (entraînement insuffisant, musculation mal adaptée, échauffement et étirement déficients), mais
aussi dus à l’inobservance des règles hygiéno-diététiques (sommeil insuffisant,
mauvaise diététique, dopage par produits anabolisants, foyer infectieux chronique). Un facteur anatomique constitutionnel ou acquis doit également être
mentionné : la rétraction ou la raideur musculaire du quadriceps, facteur
important de dysfonctionnement musculaire à l’effort (1, 4).
En dehors de l’étiologie traumatique, des circonstances favorisantes notamment chirurgicales ont pu être retrouvées dans les lésions du tendon quadricipital : le prélèvement d’un greffon de fascia lata pour une ligamentoplastie
du ligament croisé antérieur selon Mac Intosh (11), des antécédents de section
du rétinaculum patellaire latéral sous arthroscopie dans le traitement d’une
instabilité fémoro-patellaire (2), ou encore une mobilisation de genou sous
anesthésie générale pour raideur sur prothèse totale de genou.
Dans d’autres cas, une pathologie préexistante est retrouvée : le diabète, la
polyarthrite rhumatoïde, les maladies nécessitant des traitements au long cours
par corticothérapie (9, 14), ou encore une hyperparathyroïdie. Ces maladies
métaboliques ont été incriminées dans les ruptures spontanées et bilatérales
du muscle quadriceps (5, 6).
Clinique
Le tableau fonctionnel est bruyant, associant une douleur aiguë, syncopale,
de siège suprapatellaire, entraînant la chute du sujet. La sensation de claquement ou de déchirure est habituelle. Il s’ensuit une impotence fonctionnelle
immédiate en raison de la perte d’extension active qui rend le genou très
instable (3).
À l’examen, on note une dépression suprapatellaire transversale, très sensible, visible essentiellement dans les premières heures suivant l’accident.
Rapidement l’œdème masque la solution de continuité. La palpation retrouve
une fluctuation suprapatellaire et un choc patellaire lié à l’hémarthrose,
constante. La perte d’extension active de la jambe sur la cuisse permet d’affirmer le diagnostic.
Le bilan radiographique standard systématique permet d’écarter le diagnostic de fracture de la patella. Le cliché de profil confirme l’existence d’une
patella basse et basculée dans le plan sagittal. Ce bilan radiographique devrait
être comparatif. En cas de décalottement quadricipital, la radiographie de profil
visualise l’existence d’un liseré dense suprapatellaire correspondant à un arrachement ostéo-périosté avec parfois patella infera lorsque la lésion s’étend aux
retinaculums.
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L’échographie suprapatellaire et surtout l’IRM confirment le diagnostic avec
certitude. Rarement réalisée dans la forme typique et à la phase aiguë, l’IRM
est un examen déterminant dans le diagnostic des formes anciennes.
Il s’agit parfois d’un diagnostic rétrospectif chez un patient dont l’impotence fonctionnelle initiale était relative avec une simple gêne à la marche.
L’examen met en évidence un flexum actif et un déficit d’extension active du
genou. L’IRM confirme le diagnostic.
L’évolution en l’absence de traitement se fait vers la cicatrisation en rétraction, laissant persister une dépression et une tuméfaction contractile à la partie
inférieure de la cuisse.
Traitement des ruptures récentes
Le traitement de la rupture récente du tendon quadricipital est uniquement
chirurgical. Différentes techniques de sutures directes ont été décrites (10, 12).
La technique que nous utilisons comporte une suture directe du tendon et
une protection de cette suture par un laçage biologique (tendon du muscle
semi-tendineux). L’intervention est terminée par une immobilisation sélective
de la flexion.
Voies d’abord (fig. 1)
La voie d’abord est si possible médiane antérieure. S’il existe déjà une voie
d’abord antérieure, il faut la reprendre mais bien veiller à réaliser le décollement dans le plan subfascial (sous-aponévrotique), ce qui est difficile, surtout
si la rupture est ancienne. La voie d’abord sera prolongée 8 cm environ audessus du bord supérieur de la patella vers le haut, et jusqu’au bord inférieur
de la patella vers le bas. L’incision du fascia (aponévrose) ouvre habituellement l’articulation et permet l’évacuation de l’épanchement.
Fig. 1 – La voie d’abord. Les structures anatomiques sont
montrées dans leur position normale.
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Exploration (fig. 2)
La rupture de l’appareil extenseur au-dessus de la patella libère habituellement
un lambeau médian comprenant le muscle vaste intermédiaire et le muscle droit
de la cuisse dont les limites latérales se prolongent plus ou moins au travers des
muscles vastes de chaque côté. Il est nécessaire de retrouver les limites exactes
de la déchirure, non seulement en avant au contact du bord supérieur de la
patella, mais également latéralement. Le plus souvent les berges latérales de la
déchirure sont fixées par des adhérences au muscle voisin. Il est nécessaire de
libérer ces adhérences pour permettre au lambeau médian de revenir au contact
du bord supérieur de la patella. Il faudra exciser soigneusement, mais de façon
économique, les berges du lambeau de chaque côté, mais surtout au niveau de
son bord inférieur. Parfois l’arrachement s’est fait en emportant avec le lambeau
proximal une cuticule osseuse, réalisant un véritable décalottement de la base
(pôle supérieur) de la patella. Dans ce cas il faut aviver le fragment osseux à la
curette en le conservant au maximum car il fournit un excellent point d’appui
aux fils de suture. Le bord supérieur de la patella doit également être nettoyé.
Réparation
La remise en contact du lambeau musculo-tendineux et du pôle supérieur
de la patella est réalisée par une rangée de point en « U » réalisés au travers
du pôle supérieur de la patella et prenant en masse le tendon terminal
commun du vaste intermédiaire et du droit de la cuisse. Quatre ou cinq
points de fils résorbable de calibre 2 sont habituellement nécessaires. Les
tunnels transosseux sont disposés de façon à ce qu’un tunnel donne passage
aux fils de deux points voisins, sauf naturellement aux extrémités. Ce mode
de fixation nous est apparu plus solide que l’utilisation d’ancres, même de
forte dimension (fig. 3).
Fig. 2 – L’exploration. Aspect et
position habituelle de la rupture.
Fig. 3 – Réparation. La suture du
tendon par points en « U ».
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La protection de cette suture est réalisée par un cadrage que nous effectuons
à l’aide d’un transplant libre de tendon du muscle semi-tendineux. Ce tendon
est prélevé par une courte contre-incision horizontale pratiquée sur la face médiale
du tibia, et en utilisant un stripper à tendon. Cette technique permet le prélèvement de plus de 20 cm de tendon. Un tunnel transosseux est ensuite réalisé
dans le pôle supérieur de la patella, parallèlement au bord supérieur de celle-ci
et à environ 15 mm de celui-ci, en utilisant une mèche de calibre 6 ou 8. Le
tendon du muscle semi-tendineux est ensuite passé dans ce tunnel puis faufilé
dans le lambeau tendino-musculaire, 2 à 3 cm au-dessus de la rupture. Ce faufilage est réalisé soit en utilisant une alêne de gros calibre, soit en utilisant un
passe-fil et en agrandissant à chaque passage les orifices à la pince (fig. 4).
Les points en « U » sont serrés en premier de façon à appliquer la zone de
déchirure sur le bord supérieur de la patella. Le cadrage est ensuite serré et
fixé en suturant ensemble les deux brins sous tension modérée. La réparation
est complétée en refermant par des points en « X » les déchirures musculaires
de part et d’autre du lambeau et, si cela est possible, par une rangée de points
simples antérieurs améliorant l’affrontement (fig. 5).
Fig. 4 – Réparation. Passage du semi
tendineux pour assurer la protection
biologique de la suture.
Fig. 5 – Réparation. Aspect en fin
d’intervention.
Immobilisation (fig. 6)
La flexion du genou est ensuite testée pour déterminer l’angle maximal de flexion
pouvant être atteint sans signe de tension excessif de la suture. La fermeture se
fait sur drainage aspiratif. Un plâtre est mis en place les jours suivants.
L’immobilisation fait appel à un appareil, décrit par l’un d’entre nous (CF). Nous
réalisons un appareil cruro-pédieux en flexion à l’angle déterminé en fin d’intervention et la valve antérieure de ce plâtre est ouverte du genou au pied, et
enlevée. Cet appareil permet ainsi une mobilisation passive entre l’extension complète et l’angle de flexion déterminé, mais évite au patient comme au kinésithérapeute de mettre en danger la suture par une flexion excessive. La rééducation
est ainsi commencée dès les premiers jours. Le plâtre est laissé en place 45 jours.
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Fig. 6 – Immobilisation. L’angle de
flexion a été déterminé en cours d’intervention.
Traitement des ruptures anciennes
La prise en charge des ruptures anciennes du tendon quadricipital est difficile. Des techniques d’allongement du quadriceps sont nécessaires, comme la
plastie en « V-Y » de Codivilla ou la plastie de Mac Laughlin (7).
Conclusion
Les ruptures du muscle quadriceps fémoral se rencontrent essentiellement chez
le sportif. Elles revêtent plusieurs formes cliniques en fonction du niveau anatomique de la lésion. Le diagnostic doit être fait précocement pour optimiser
la prise en charge en milieu orthopédique.
Références
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11. Segal P, Miraucourt T, Dehoux E (1990) Ruptures de l’appareil extenseur chez le sportif.
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12. Siwek CW, Rao JP (1981) Ruptures of the extensor mechanism of the knee joint. J Bone
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13. Trillat A, Dejour H, Jouvinroux P (1968) Décalottement ostéopériosté du tendon quadricipital chez l’adolescent. Rev Chir Orthop 54: 294
14. Walker LG, Glick H (1989) Bilateral spontaneous quadriceps tendon ruptures. A case report
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