CR Conf Hezbollah SC_CF_121213 - ANAJ
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15 décembre 2013 Chers amis, Le Comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN est heureux de vous proposer le compterendu de sa conférence sur le thème « le Hezbollah ou la stratégie de l’instabilité », autour de M. Olivier Hubac, chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et du Commandant Marc-Antoine Brillant, chargé de l’exploitation du retour d’expérience des opérations extérieures au Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (CDEF). Pour approfondir le sujet, le Comité Moyen-Orient vous recommande la lecture du livre intitulé « Israël contre le Hezbollah, Chronique d’une défaite annoncée 12 juillet – 14 août 2006 » co-écrit par Marc-Antoine Brillant (l’un de nos deux conférenciers) et le Colonel Michel Goya, et préfacé par M. Joseph Maïla. Je vous souhaite, au nom du comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN, d’excellentes lectures et de très belles fêtes de fin d’année, Gaëlle Znaty Responsable du Comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN Séminaire Grandes Ecoles – 2013 [email protected] -1- 15 décembre 2013 -2- 15 décembre 2013 Compte-rendu de conférence : Le Hezbollah ou la stratégie de l’instabilité Cet article vous est proposé par le comité Moyen-Orient dans le cadre de la conférence du 13 juin 2013 sur le thème : « le Hezbollah ou la stratégie de l’instabilité » autour de Monsieur Olivier HUBAC, chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et du Commandant Marc-Antoine BRILLANT, chargé de l’exploitation du retour d’expérience des opérations extérieures au CDEF. L’article s’articule en deux parties : la première, introduite par Olivier HUBAC, tend à préciser le contexte politique et régional dans lequel est né et s’est développé le Hezbollah, première organisation politico-militaire chiite du Moyen-Orient. La seconde, développée par le Commandant Marc-Antoine BRILLANT, rend compte de l’appareil sécuritaire et militaire du Hezbollah. CONTEXTE POLITIQUE ET REGIONAL – Olivier HUBAC Les grandes étapes de l’évolution du Hezbollah : 1982 - 1989 Face à la guérilla livrée par les Palestiniens durant les années 1960 depuis le Sud-Liban à majorité chiite, le Mouvement des dépossédés est créé dans un contexte de repli identitaire dont l'objectif est l'émancipation des chiites du Liban. Une branche militaire Amal - voit le jour alors que commence la guerre civile du Liban. La branche islamique d’Amal fusionnera, après l’invasion israélienne de juin 1982, avec d’autres factions islamiques dissidentes, donnant ainsi naissance au Hezbollah. L’organisation sera formée et entraînée par les Gardiens de la Révolution (Pasdarans) sous l’œil bienveillant de la Syrie. Ainsi, le Hezbollah se structure sur le modèle des Pasdarans (milice, soutien social, activités culturelles, activités économiques). Politiquement, l’organisation poursuit le double objectif de faire une révolution islamique au Liban et de lutter contre Israël (d’où son soutien à l’Organisation de Libération de la Palestine – OLP), par une présence tant politique que militaire, associée à une action terroriste visant principalement les occidentaux à Beyrouth. 1990 - 2000 A la sortie de la guerre, la zone d’action du Hezbollah se voit étendue de la banlieue sud de Beyrouth au sud du pays. La zone est sous emprise israélienne, notamment par l’entremise de l’Armée du Liban Sud (ALS). La lutte contre Israël permet au Hezbollah de fonder sa légitimité jusqu’à l’opération Raisins de la colère1, qui se solde par un échec en L’opération Raisins de la colère est une opération militaire de l’armée israélienne d’avril 1996 au Sud Liban, répondant aux tirs de roquettes du Hezbollah initiés au début des années 1990. 1 -3- 15 décembre 2013 1996. Tsahal, l’armée israélienne, finit par se retirer unilatéralement du Liban en mai 2000. 2001 – 2006 Le Hezbollah finit d’asseoir son autorité sur la région libérée et poursuit les tirs de roquettes contre Israël. Sa progression politique est notamment marquée par l’élection de plusieurs députés au parlement libanais et son accession au gouvernement, malgré la responsabilité imputée au mouvement, par la communauté internationale de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, en février 2005. La guerre de 2006 redore l’image du Hezbollah dans le monde arabe, mais continue de diviser la société libanaise sur le rôle déstabilisateur du mouvement. 2007 à nos jours L’échec de la formation d’un gouvernement d’union nationale plonge le Liban dans une grave crise politique atteignant son paroxysme en mai 2008. Le Hezbollah entame alors une « normalisation » de son mouvement politique et rédige la nouvelle charte de 2009. Le contexte religieux et idéologique propre au chiisme permet de comprendre l’organisation du Hezbollah. L’Islam se divise en deux grands courants : le sunnisme (tendance majoritaire représentant environ 85% de la population musulmane) et le chiisme (représentant 12% environ de la population musulmane)2. Le chiisme, né au VIIe siècle à la suite des luttes théologiques, est moins enclin à reconnaître le bien-fondé des califats. Les Chiites ont toujours été une source régulière d’opposition politique tout au long de l’histoire. Ces derniers sont particulièrement présents en Iran, Etat dans lequel un régime théocratique est en place depuis 1979, en Irak, au Liban, au Pakistan, au Yémen, en Syrie ou encore en Afghanistan. Les fondements idéologiques du Hezbollah : Le texte fondateur de février 1985 s’inspire de la révolution iranienne de 1979 afin d’intégrer les sources de références de l’Islam que sont : le Coran, la Sunna3 ainsi que les lois et fatwas4 promulguées par le juriste-théologien Rouhollah Khomeyni. Prenant acte de l’évolution de l’équation libanaise, la Charte de 2009 minore la revendication d’un régime islamique et ne fait presque plus mention du juriste-théologien. Au contraire, la charte insiste sur la notion de « citoyen » en lui reconnaissant un droit d’appartenance confessionnel pluriel. Plus généralement, le discours opère un glissement de l’appel à la révolution à celui de la résistance, malgré le fait que tous les critères d’une guerre révolutionnaire soient réunis au regard de l’action du Hezbollah au Liban. Il convient donc de ne pas occulter sa dimension islamo-révolutionnaire, car le centre de gravité du 2 Un dernier courant, le kharidjisme, correspond les 3% restants « La voie » ou « tradition du prophète » 4 Avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique 3 -4- 15 décembre 2013 Hezbollah est constitué par la population chiite libanaise, bien plus que ses branches civiles et militaires. L’organisation du Hezbollah : Depuis 1992, la direction politique est aux mains d’Hassan Nasrallah, Secrétaire général. Il est secondé par Naim Qassem. Les décisions sont prises par consensus (plus rarement par vote) d’un conseil consultatif de sept membres. L’Iran influe sur ce conseil notamment grâce aux liens étroits qu’il entretient avec plusieurs de ses membres. Le Conseil exécutif s’occupe de la politique sociale (éducation, aides, culture…). Quant au Conseil politique, il gère tant les relations entre le Hezbollah, les partis libanais et les autres groupes confessionnels (musulmans, mais aussi chrétiens) que le volet diplomatique du mouvement. Le financement du Hezbollah : Il provient de cinq sources principales. Des fonds d’origine étatique, lui proviennent de son principal créancier, l’Iran, qui lui verse chaque année plusieurs dizaines de millions de dollars, en numéraire et en nature. Ces transferts s’opèrent via les Pasdarans, les ambassades et un essaim d’ONG. Ils transitent également par des fonds d’origine caritative, grâce au contrôle d’ONG qui sont chargées, notamment, de collecter des fonds dans les quartiers chiites libanais et à l’étranger. A cela s’ajoutent les bénéfices des sociétés commerciales qui sont réalloués à leur cause et qui servent le cas échant à des opérations de blanchiment. Enfin, par l’intermédiaire de ses députés, le Hezbollah a réussi à faire financer certains de ses projets d’infrastructure (écoles, dispensaires, etc.) par le gouvernement et les fonds d’origine criminelle (trafic de drogues et contrebande), ce qui correspond à une captation de dépenses publiques. Toutefois, le Hezbollah s’inscrit dans un contexte régional structurant et clivant. Le Liban est le fruit d’un brassage de civilisations et de cultures qui ont cohabité durant des siècles pacifiquement. Longtemps déchiré par une guerre civile qui a exacerbé des tensions communautaires résultant davantage de facteurs socio-économiques que de clivages théologiques et religieux, le Liban reste une jeune et fragile démocratie non islamique. Une nation bousculée de l’intérieur et de l’extérieur, en quête de son unité qui aujourd’hui encore, pâtit surtout de sa position en périphérie du conflit israélopalestinien. Le Sud-Liban a été envahi par Israël et cette zone reste sous surveillance de l’ONU depuis 1978. À des degrés divers, le Liban subit une forte ingérence syrienne dans ses affaires intérieures (politique, militaire mais aussi économique). Régime dictatorial de type baasiste, la Syrie est dirigée par la communauté chiite alaouite qui bénéficie du soutien actif de l’Iran et de la Russie, ainsi que de la Chine dans une moindre mesure. À partir de 1976, la Syrie s’implante au Liban et maintient, après le retrait du gros de ses troupes au cours de la décennie 2000, une influence importante. Elle apporte un soutien considérable au Hezbollah. -5- 15 décembre 2013 Depuis plusieurs années, le régime est fortement fragilisé, et la crise prend une tournure internationale, voyant s’opposer l’axe Syrie-Iran-Russie contre l’Occident et les pays du Golfe. La révolution syrienne sort donc le Hezbollah de sa réserve pour lui venir massivement en aide, au risque de rompre l’esprit de la charte de 2009 et de briser l’aura dont il jouissait depuis 2006. PRESENTATION DE L’APPAREIL SECURITAIRE ET MILITAIRE DU HEZBOLLAH – CDT Marc-Antoine BRILLANT Une photo prise en 2008 à Marun-al-Ras, à la frontière libano-israélienne permet de mettre en évidence les quatre capacités fondamentales du Hezbollah. Une capacité militaire réelle. Cette aptitude se décompose en trois catégories. Stratégique : en effet, le Hezbollah dispose d’un arsenal de roquettes d’une portée supérieure à 200 km, suffisante pour frapper Tel-Aviv et donc exercer une pression forte sur la population. -6- 15 décembre 2013 Tactique : en 2006, le Hezbollah a montré une aptitude certaine dans la lutte anti-char. Près de 24 chars Merkava ont été touchés par des missiles antichars. Cette vocation est d’autant plus importante qu’Israël dispose de plusieurs divisions blindées. Paramilitaire : cette branche combattante se divise en deux avec, d’un côté l’appareil sécuritaire qui assure la contre-ingérence et la protection des leaders et de l’autre côté, la force militaire reposant tant sur des professionnels que des réservistes. La partie active est petite mais assure un haut niveau de professionnalisme. La partie réserve est plus volumineuse, elle recrute dès le plus jeune âge par l’intermédiaire des camps scouts al-Mahdi. En 2006, la partie active était estimée entre 3 et 4 000 hommes et la partie réserve entre 10 et 12 000 hommes. Aujourd’hui, plus de 4 000 hommes sont déployés en Syrie. Si le Hezbollah peut se permettre d’envoyer tant d’hommes en Syrie, on peut conclure qu’il lui en reste encore beaucoup au Liban. Leur nombre se serait donc accru, depuis 2006. Le Hezbollah a aussi la particularité de posséder une véritable structure de renseignement, se matérialisant notamment par des équipes de recherche dans la profondeur (caches enterrées et techniques utilisées par les forces spéciales). La capacité de mobilisation. Un maillage d’associations de jeunes recouvre littéralement tout le sud du Liban. Cellesci surveillent en scooter toutes les patrouilles militaires de la FINUL. Cette surveillance permanente des moindres faits et gestes permet d’alerter le Hezbollah sur toute tentative d’action des casques bleus et impose de facto de vraies contraintes sur la liberté d’action. La capacité de propagande. La politique de communication est très importante au sein du Hezbollah. Les télévisions, radios et sites internet ont été particulièrement mis à l’honneur par Hassan Nasrallah depuis 1992. Ils permettent de faire pression sur l’opinion publique en diffusant des images et en manipulant certaines photos. La capacité de réactivité. Elle se traduit par une aptitude à intervenir sur n’importe quel site sur court préavis. Elle est quasi immédiate. Celle-ci repose sur les associations de jeunes citées plus haut mais aussi sur le réseau de réservistes très bien implanté dans les villages et réactif sur un simple appel. Fort de ces quatre capacités, le Hezbollah a su adapter ses actions au contexte national pour être un véritable mouvement révolutionnaire. Ainsi, sa zone d’action s’est déplacée depuis 1982. Entre 1982 et 1986, le mouvement veut marquer les esprits, pour cela il opère en zone urbaine, à Beyrouth et multiplie les attentats. Quand Israël se retire en 1986, ses actions terroristes se révèlent moins pertinentes car le territoire à couvrir est trop vaste. Le -7- 15 décembre 2013 Hezbollah se transforme alors en mouvement de guérilla. De 1982 à 2000, le Hezbollah s’appuie sur la population chiite et profite de l’élargissement de la zone pour frapper en plusieurs points simultanément. Il utilise alors des engins explosifs improvisés, des attentats à la voiture piégée et des embuscades. Les six années qui suivent, de 2000 à 2006, marquent le retrait d’Israël du Liban. Le Hezbollah peut donc s’organiser en une véritable force paramilitaire : camps d’entraînement, réseau de bunkers enterrés, installation de dispositifs de lancement de roquettes et valorisation de points d’appui défensif en ville. Les membres du Hezbollah deviennent des professionnels du combat rapproché en zone urbaine. Ils préparent patiemment la guerre de 2006. Celle-ci est un gain stratégique pour le Hezbollah qui récupère une aura à l’échelle internationale. Il sort « victorieux » de la guerre. En effet, certains observateurs évoquent ainsi le raisonnement suivant : « Israël n’a pas gagné, donc elle a perdu. Le Hezbollah n’a pas perdu, donc il a gagné ». Après 2006 et jusqu’en 2013, le Hezbollah s’appuie sur la capitalisation des gains de 2006 et, à force de pression sur le gouvernement, finit par être reconnu comme pouvant combattre aux côtés de l’armée libanaise. Au-delà d’une capacité d’action certaine, le Hezbollah s’illustre dans ses prouesses militaires. Durant la guerre de 2006, sa branche militaire s’est structurée et s’est montrée particulièrement apte à contrer les forces blindées de l’armée israélienne. Elle a su opérer en zone urbaine où les dégâts collatéraux sont forcément présents, marquant ainsi davantage les esprits, notamment les médias internationaux. En effet, les pays occidentaux sont particulièrement sensibles à ce genre de destruction. Le Hezbollah a donc démontré une vraie réflexion pertinente quant aux attendus en cas de guerre avec Israël. Israël s’est, quant à lui, illustré par son tropisme du « tout aérien ». Face à un ennemi asymétrique, enterré et dilué dans la population, la force aérienne s’en trouve démunie. Les forces terrestres ont été délaissées, faute de doctrine d’emploi en combat de haute intensité, avec les échecs que l’on connaît (Bint Jbeil, Wadi Saluqi). Aujourd’hui la stratégie du Hezbollah consiste en un rachat des terres appartenant aux chrétiens afin d’y construire des habitations chiites. En effet, localisées dans le Sud Liban, ces terres font face à la frontière avec Israël. L’érection de nouvelles zones urbanisées compliquera certainement la tâche aux divisions blindées israéliennes en cas d’offensive terrestre. Par ces actions, le Hezbollah apparaît donc comme un acteur durable et crédible dans la sous-région. Son image d’organisation terroriste qui commet des attentats suicides a disparu pour laisser place à une image davantage militaire et sociale. Il n’a pas eu besoin de déposer les armes et sa branche militaire a été acceptée (toute précaution d’usage prise) comme force à part entière de l’armée libanaise. -8- 15 décembre 2013 Enfin, qu’en est-il des événements en Syrie ? Pour comprendre les modes d’action du Hezbollah, il faut se replonger dans l’analyse de la guerre de 2006. En effet, en 2006, le Hezbollah s’est avéré très efficace pour bloquer un ennemi dans des zones connues et valorisées. Il a agi en défensive. En Syrie, c’est différent : il ne connaît pas le territoire et agit en offensive. De plus, il doit se coordonner avec l’armée syrienne qui possède une aviation militaire. C’est donc un défi pour le Hezbollah qui doit s’adapter à de nouveaux paramètres. En conclusion à l’ensemble des propos, le Hezbollah a mené sur le terrain une stratégie militaire d’approche globale en apportant des solutions diversifiées. Il a su capitaliser le gain militaire. En effet, il a assis sa gouvernance en remportant des sièges de députés et en obtenant des portefeuilles ministériels. Il s’est illustré d’un point de vue sécuritaire et a gagné la reconnaissance de sa branche armée. Enfin, il a participé au développement économique du Liban en reconstruisant des quartiers grâce à l’apport financier de l’Iran et du Qatar. Compte-rendu réalisé par Domitille POIRIER auditeur-jeune de la 80ème session IHEDN, Limoges, 2013 et Tristan BAZIN auditeur-jeune de la 78ème IHEDN, Brest, 2013 membres du comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN -9-