Pinar Selek, une sociologue turque aux côtés des Arméniens

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Pinar Selek, une sociologue turque aux côtés des Arméniens
Date : 16/22 AVRIL 15
Page de l'article : p.24-25
Journaliste : Corine Chabaud
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire
OJD : 104111
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LE CHOIX DE LA VIE
Pinar Selek, une sociologue turque
aux côtés des Arméniens
militant pour la reconnaissance du génocide des Arméniens, elle a été harcelée
et contrainte à l'exil. Réfugiée en France, elle fait part de son combat dans un livre récent.
E
lle est sociologue comme d'autres sont médecins.
Son but ? « Analyser les blessures d'une société pour
les guérir. » Pas étonnant que Pinar Selek scrute
à présent le drame arménien en Turquie. Le destin des
descendants des rescapés du génocide qui, « considérés
comme des ennemis de l'intérieur, doivent constamment
prouver leur fidélité à l'État turc ». En février, elle apublié
Parce qu'ils sont arméniens chez Liana Levi, un court
récit personnel et autocritique. La sociologue y revisite
ses souvenirs de Stambouliote, hier élève au lycée français d'Istanbul. Adolescente férue de poésie et de littérature, elle a « commencé à comprendre qu'être arménien
en Turquie revenait à être réduit au silence, à devenir
invisible pour être toléré » : triste sort réserve aux« rebuts
de l'épée », les rescapés qui se sont terrés, notamment
à Istanbul. Face à une Turquie championne de l'endoctrinement ct du négationnisme, Pinar Selek réclame
la fin du tabou mais aussi «justice et réparations »
pour le crime. Et sa voix turque à forte résonance est
précieuse pour les Arméniens.
contemporain qui a osé revendiquer une place pour
la poignée d'Arméniens qui demeurent en Turquie
(à peine 70000). Le fondateur de la revue bilingue
Agos (en turc et en arménien), a été assassine en
2007 à Istanbul, après avoir été condamné pour
« insulte à l'identité turque ». Elle qui croit tant aux
luttes sociales, elles encourage, a apprécié les manifestations qui ont suivi cet assassinat : 100 ooo personnes défilant dans les rues d'Istanbul aux cris de
« nous sommes tous arméniens, nous sommes tous
Hrant Dink ». Un tournant majeur dans la société.
Plus tard, la création d'associations autour d'Agos
lui a mis du baume au cœur.
La sociologue approuve les commémorations
autour du génocide. Mais elle souhaite davantage :
des réparations turques. Attentive aux mouvements
de la diaspora, elle s'étonne que les Arméniens de
France aient tant attendu avant de publier des
ouvrages sur le génocide. Dire, écrire, réclamer, est
à ses yeux vital et salutaire. L'écriture a été sa bouée
quand, opposante persécutée, elle a dû s'exiler. À
Berlin, la conteuse à la plume sensible a rédigé son
premier roman, la Maison du Bosphore. « Exilée
contre mon gré, j'ai cru devenir folle. Ce livre m'a
sauvée », dit-elle à présent. Sa mère est décédée en
2002 et le reste de sa famille « lui manque toujours
beaucoup », de son père Alp, à sa sœur, économiste
devenue avocate pour la défendre, aux côtés de
centaines d'autres avocats. Appuyée par un comité
de soutien dynamique, Pinar Selek est elle-même
Féministe, antimilitariste, toujours du côté des
exclus, elle a elle-même subi le harcèlement judiciaire et la douleur de l'exil. « Le déracinement, c'est
une grande violence », confie-t-elle lors d'une rencontre à Paris, près des bureaux de son éditeur.
Pinar Selek, 43 ans, chaleureuse et directe, est un
parangon de femme engagée, toujours prête à
défendre les démunis et les minorités. À se lever
pour les libertés. En 2011, la sociologue, petite-fille
d'un intellectuel communiste, fondateur du Parti
ouvrier turc, et fille d'un célèbre avocat
des droits de l'homme, a fui la Turquie
ELLE S'ETONNE QUE LES ARMENIENS
pour la France. Elle y a obtenu le statut
de réfugiée politique en 2013. Accusée à
DE FRANCE AIENT TANT ATTENDU
tort de terrorisme, elle avait plus jeune
AVANT DE PUBLIER SUR LE GÉNOCIDE.
passé deux ans en prison dans son pays
et subi la torture. On l'accuse d'avoir perpétré un attentat qui avait fait sept morts
au bazar des épices, à Istanbul, en 1998. « De la restée très active. En France, où elle a « un amouscience-fiction », dit-elle. Les autorités turques lui reux », elle est chercheuse invitée à l'université.
reprochaient surtout d'avoir étudié le conflit kurde Elle a écrit deux thèses et enseigne à l'université,
et côtoyé des rebelles du PKK. Condamnée à la pri- de Strasbourg à Lyon - où elle chante dans une
son à vie, elle a été acquittée quatre fois. Mais fin chorale de chants révolutionnaires - et bientôt à
2014, le procureur a fait appel : aujourd'hui, elle est Nice. En lutte contre « la Turquie qui réprime ». Mais
en osmose avec « la Turquie qui résiste ». En ce
suspendue au jugement de la Cour suprême.
printemps, elle participe à des colloques sur le
Courageuse, Pinar Selek brave les interdits. Et génocide arménien. La page noire de l'histoire
elle célèbre ses frères de rébellion qui défient le turque qu'il convient de mettre au grand jour. 9
CORINE CHABAUD
régime turc. Il en va ainsi de Hrant Dink, héros
Tous droits réservés à l'éditeur
LIANALEVI 9778863400503
Date : 16/22 AVRIL 15
Page de l'article : p.24-25
Journaliste : Corine Chabaud
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire
OJD : 104111
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D'Istanbul à Paris,
un exil
1971 Naissance à Istanbul,
en octobre, dans une famille
militante de gauche
1998 La sociologue accusée
à tort de terrorisme
est arrêtée et torturée
2010 Exilée à Berlin
20tl Acquittée pour
la troisième Fois, comme
en 2006 et 2008
2013 Obtient le statut
de réfugiée politique
en France , elle y publie
son premier roman
2014 Le procureur fait appel
de son acquittement
2015 Publie Parce qu ils sont
arméniens (Liana Levi)
Tous droits réservés à l'éditeur
LIANALEVI 9778863400503

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