accès à la ressource

Transcription

accès à la ressource
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
Comment favoriser un sentiment de mieux-être à l’école pour tous ?
Être et bien-être, telle est
la question
Au collège Joachim-du-Bellay, dans le Maine-et-Loire,
pour répondre à un climat scolaire ressenti comme
dégradé, toute une équipe s’engage autour d’un
projet d’envergure, visant l’instauration d’un mieuxêtre pour tous et d’une parole respectueuse pour
chacun. Quel diagnostic poser ? Quelles réponses
apporter ? Comment un établissement scolaire
peut-il s’emparer de la question du bien-être ?
Collège Joachim-du-Bellay, Cholet [49]
Article rédigé par C. Lacôte-Coquereau à partir d’échanges avec avec T. Gilbert, principal adjoint, V. Halbert, CPE, A. Ouvrard,
professeure de français
L
e collège Joachim-du-Bellay, qui relève de l’éducation prioritaire depuis 1989, accueille 472
élèves dont soixante-quatre en Segpa (Section de
l’enseignement général et professionnel adapté).
Deux tiers des effectifs sont situés en Zone urbaine sensible, à la périphérie de Cholet. En 2011-12, avec 815
retenues, 115 exclusions de cours, 48 exclusions temporaires, le climat scolaire est jugé dégradé par l’ensemble
des acteurs du collège. Des périodes de tensions mettent
en lumière la difficulté à nouer un dialogue de confiance
avec les familles, tandis que les personnels et les élèves
relatent des intimidations récurrentes, parfois même
du harcèlement. Nouvellement arrivé, Thomas Gilbert,
principal adjoint, propose au Comité d’éducation à la
santé et à la citoyenneté (CESC) une réflexion approfondie autour du vivre-ensemble. Avant tout, il s’agit de
rechercher l’amélioration du climat scolaire pour tous,
de “Favoriser les environnements pédagogiques positifs et soucieux du bien-être des élèves” (recommandation du rapport de février 2012 de l’OCDE pour le
système éducatif français). Le climat scolaire se définit par la qualité de vie ressentie par les membres de
la communauté. L’équipe éducative souhaite diminuer
le nombre d’incidents liés à des situations d’intimidation ou de harcèlement entre élèves. Parallèlement, le
projet du collège intitulé “Bien-être, être bien” vise le
développement des compétences des professionnels de
l’établissement, pour la gestion et l’amélioration du climat en classe. Soucieux d’établir un diagnostic objectif
avant de planifier les actions d’un plan de prévention, le
CESC organise, fin juin 2012, une vaste enquête contenant quarante-huit items sur le thème du climat scolaire.
Plus de quatre cents élèves, cent quarante-deux parents
(près de vingt pour cent) et trente membres du personnel
(dont dix-neuf enseignants) répondent au questionnaire.
Une enquête de terrain
1
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
Pour réaliser l’enquête, l’équipe s’appuie sur le
modèle canadien de la “trousse d’évaluation de l’intimidation entre élèves en milieu scolaire”. Cette trousse
offre une méthode standardisée, ainsi que des outils,
pour mesurer la nature et la prévalence des relations
problématiques entre enfants du même âge en milieu
scolaire. Après l’adaptation du questionnaire à un
contexte de collège français, il est proposé en relecture
aux différents partenaires de l’école. Tous les membres
du CESC prennent part à sa mise en œuvre ; les parents
sont pleinement associés. Les éducateurs de prévention
du quartier, en lien avec des traducteurs du Cada (Centre
d’accueil des demandeurs d’asile), interviennent pour
aider les familles allophones, leur expliquer le contenu
et la démarche. Une lecture en amont est proposée aux
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
enseignants. Le questionnaire final est validé après sa
présentation au conseil d’administration. Les nombreux
items concernent les sentiments de sécurité, d’injustice,
l’intimidation entre élèves, la qualité ressentie de l’écoute
des adultes, l’appartenance au groupe-classe… La CPE,
Virginie Halbert, et l’infirmière, Édith Chouquet, ont
largement participé à l’élaboration du questionnaire.
Lors de sa diffusion en classe, aux côtés de l’enseignant,
elles lisent à voix haute chaque intitulé : “Dans ton collège, as-tu peur d’être ridiculisé ? Que penses-tu que
l’on puisse faire pour réduire l’intimidation ?…”. Elles
reformulent chaque question, expliquent les modalités
de réponse, afin de permettre une compréhension optimale du document, et ce, devant les vingt et une classes.
Pour faciliter la liberté de réponse et la concentration,
le questionnaire reste anonyme et les élèves bénéficient
d’une table individuelle. Associées à l’enseignant présent, l’infirmière et la CPE restent la totalité de l’heure.
Elles répondent aux nombreuses questions des élèves,
certains curieux, d’autres intrigués : “Qu’est-ce qu’on va
en faire après ? Nous, on est en troisième, on quitte le
collège dans un mois, on n’est pas concernés ?”. C’est
justement l’occasion de les valoriser en leur expliquant
à quel point leur expérience peut servir. De fait, aucun
élève ne refuse de remplir le questionnaire et tous s’y
appliquent longuement. Sans doute la formulation avec
le pronom personnel tu favorise-t-elle le dialogue (voir
ci-dessous), en instaurant un contexte de proximité.
Enfin, les adultes récupèrent les questionnaires. La
dernière page, détachable, peut être immédiatement
déposée dans une boîte amenée pour l’occasion par tout
élève qui souhaite solliciter l’aide urgente d’un adulte ;
sur l’ensemble du collège, vingt adolescents se sont ainsi
exprimés et ont bénéficié d’un suivi individualisé.
revanche, le restaurant scolaire, le foyer, le CDI sont
identifiés comme des lieux sécurisants. Ici, on peut
noter l’écart entre la perception des élèves et celle des
adultes (parents y compris) : ceux-ci pensaient, à tort,
que c’était sur le chemin de l’école que se produisaient le
plus d’agressions. Thomas Gilbert, le principal adjoint,
rappelle sa volonté de ne pas amalgamer le sentiment
d’insécurité et l’insécurité réelle. Quelle réalité au-delà
des rumeurs entendues ici et là ? L’enjeu du questionnaire consiste justement à rechercher des indicateurs
objectifs pour sortir des stéréotypes, des clichés, des
impressions : obtenir une vraie photographie de l’établissement, à un moment donné. Une autre information
intéressante ressort de l’enquête : trente pour cent des
mises à l’écart du groupe ont pour origine l’apparence
corporelle (poids, taille). Enfin, plus d’un élève sur deux
n’ose pas signaler un harcèlement s’il en est victime. À
partir de ces données, trois axes prioritaires sont mis en
place : une réflexion autour des lieux d’intimidation, un
travail sur le respect du corps, une formation autour de
la communication non violente.
Une réorganisation des espaces
Suite aux informations recueillies via le questionnaire, l’équipe du collège amorce une réflexion autour
des lieux d’intimidation évoqués. L’un des endroits les
plus cités concerne les couloirs (évoqué dans trente-six
pour cent des questionnaires). Chaque adulte de la communauté éducative prend à cœur de faire enlever les cartables au milieu du passage, ou d’éviter le regroupement
des élèves devant les portes, pour faciliter la circulation.
Enseignant ou pas, chacun peut intervenir en cas d’incivilité constatée. Il a fallu interroger la cohérence et
l’implication éducatives de tous les adultes. Ces règles
communes, ces gestes qui peuvent sembler évidents,
avaient en effet pu se diluer au fil du temps ; lorsque
les tensions dans la salle de classe se multipliaient,
elles pouvaient capter pleinement l’attention des professeurs, au détriment de ces quelques minutes entre
chaque cours. Or, l’énervement dans les couloirs, les
intimidations quelques minutes avant le cours, affectent
la capacité d’écoute et la concentration des élèves, d’où
l’intérêt de ce temps de réflexion collectif, suscité par les
résultats du questionnaire. Autre lieu, la cour d’école est
Des résultats qui interrogent les
représentations
En septembre, les données recueillies sont diffusées
par l’équipe de direction lors de la réunion de prérentrée.
Les besoins majeurs exprimés concernent l’écoute des
adolescents, le sentiment de justice, la gestion des violences. Trois quarts des élèves se disent témoins d’intimidations, verbales ou physiques, dans des lieux ciblés :
couloirs, vestiaires de sport, cour d’école, toilettes. En
Formulation
Eencercle une réponse par question :
5. Je ma sens en sécurité au collège
NON
non
un peu
oui
OUI
6. Je me sens en sécurité sur le trajet du collège
NON
non
un peu
oui
OUI
7. Je me sens en sécurité dans ma commune ou mon quartier
NON
non
un peu
oui
OUI
2
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
À quel point te sens-tu en sécurité (confortable, détendu(e), sans crainte que quelque chose de mal puisse
t’arriver) ?
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
énoncée dans trente-trois pour cent des réponses. Auparavant, les assistants d’éducation se trouvaient souvent
monopolisés par la distribution de papiers administratifs
aux élèves au moment de la récréation. Désormais, deux
assistants circulent dans la cour pour anticiper du regard
les petits conflits latents, les bousculades ou les élèves
isolés. Où se place-t-on dans la cour ? Quel est le rôle de
chacun ? Ces questions sont rediscutées en équipe, avec
la CPE. Plutôt que de rester à l’intérieur d’un groupe de
collégiens, les assistants se positionnent désormais un
peu à l’écart, pour bénéficier d’une vision plus large. Se
partageant visuellement la cour, ils se regardent régulièrement l’un l’autre, et communiquent du regard. Tel
élève semble-t-il régulièrement en retrait ? En ce cas,
on noue le dialogue. Des inimitiés commencent ? On
d’éducation auprès des élèves de quatrième, l’atelier
“Estime de soi” se compose de deux séances de deux
heures, en classe entière. Installés en demi-cercle, les
élèves écoutent les consignes initiales : on s’écoute, on
se respecte, on ne se moque pas, on a le droit de se tromper, on a le droit de ne pas savoir. La première étape du
travail introspectif commence par une question : “Par
quel prénom ou surnom aimerais-je que l’on m’appelle ?
“Chacun inscrit son souhait sur un miroir, double de
soi-même, et le montre au groupe. Ensuite, il s’agit de
se définir en portrait chinois : “Si j’étais un lieu, un animal, un objet, un personnage” sur une ardoise effaçable
au fil de la réflexion. Puis, on se métamorphose en un
sentiment : lequel ? Au bout de vingt minutes de cette
présentation personnelle, c’est le moment de la description par l’autre : “Tu es…, tu as…, tu peux… tu sais…”.
Définir les qualités de son voisin n’est pas une mince
affaire, mais tous, y compris les adultes pour donner
l’exemple, se mettent en situation. Rédigés sur feuilles
de format A4, les portraits mettent en lumière les capacités de son partenaire : “Tu es compréhensif, tu as
une bonne forme physique, tu sais écouter les autres”.
L’ensemble des qualificatifs est relié par des adhésifs,
telle une guirlande, et celle-ci est accrochée au tableau,
devant la classe. À l’issue de l’activité, chaque élève se
découvre à travers une kyrielle de qualités, physiques
ou morales. L’infirmière et la CPE, en partenariat avec
l’enseignant, garantissent la liberté de parole et la qualité d’écoute en rappelant, au besoin, les consignes du
départ. Du terme de “guirlande”, vers son cousin étymologique “enguirlander”, elles rappellent qu’il n’y a qu’un
préfixe, un basculement de regard : “Tu es étrange”,
péjoratif et excluant, peut devenir “Tu as des idées originales” (comme indiqué sur la guirlande), positivement
connoté. Cette réflexion sur les mots en amène une autre
sur les différences des uns et des autres. Enfin, sur une
dernière feuille, les élèves inscrivent et entourent leur
prénom de dix qualités, parmi un large panel proposé
sur des étiquettes. Une élève ose ainsi s’approprier des
On a le droit de se
tromper, on a le droit
de ne pas savoir.
intervient pour désamorcer le conflit, donner des mots à
la place des maux. Concernant les vestiaires et salle de
sport, un échange s’instaure avec la mairie, responsable
de ces bâtiments. Un réaménagement de la salle d’étude
est organisé : les couloirs entre les rangées de tables sont
élargis, de telle sorte que l’assistant d’éducation présent
puisse se déplacer facilement auprès de l’élève, assurant
proximité et confidentialité du dialogue. Chacun peut
aussi circuler sans buter la table, la trousse ou le cartable du voisin. Pour aller plus loin, le principal adjoint
propose la création de deux petites salles de travail
annexes, vitrées, ouvertes à quatre élèves maximum, qui
souhaitent travailler et discuter librement autour d’une
grande table, sans gêner les autres. C’est l’idéal pour
les exposés de groupe ou les travaux collaboratifs. On
s’inscrit en amont et on récupère la clef auprès de la vie
scolaire. On travaille ensuite en autonomie. D’ailleurs,
ces deux salles sont régulièrement prises d’assaut ! Petit
à petit, au fil des mois, on redéfinit, modestement mais
consciemment, les espaces.
Apparence
Après les résultats de l’enquête, l’un des champs
investi concerne la sensibilisation au respect du corps et
à la tolérance. Un tiers des collégiens estime avoir déjà
été tenu à l’écart d’un groupe, du fait de son apparence
physique ou de ses vêtements (voir ci-contre). Animé
par l’infirmière scolaire et la conseillère principale
3
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
Au-delà des apparences
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
appris. Pour les garçons, “Il ne faut pas faire n’importe
quoi avec les relations, il faut être prêt mentalement et
physiquement”. Pour les filles, “Il faut se respecter et
l’on peut prendre son temps”. Des deux côtés, on a pris
le temps de s’exprimer librement et de réfléchir.
adjectifs valorisants : sensible, patiente, originale, généreuse, adroite… Affichées dans le hall du collège, les
productions participent à l’estime de soi.
Prévenir les conduites sexistes
En prolongement de l’atelier “Estime de soi”,
une formation à la vie affective et à la prévention des
conduites sexistes est coanimée par C. Leclaire, enseignante de SVT, l’infirmière et l’assistante sociale du collège, ainsi que par une sage-femme du centre hospitalier
de Cholet. Durant trois heures, garçons et filles, séparés, réfléchissent au respect de leur corps et de celui de
l’autre. Chaque groupe de collégiens est successivement
encadré par deux adultes, interlocuteurs multiples pour
répondre aux questions des adolescents. Le premier atelier d’une heure a pour objectif de réfléchir au sens des
relations amoureuses, et de lister les moyens de contraception. Les élèves sont disposés en cercle, sans table,
de façon à faciliter le regard et la communication entre
tous. Le second atelier, de même durée, se présente sous
forme ludique. Un élève tire une carte et lit la question au
groupe : “D’accord ? Pas d’accord ?”. Les thèmes principaux concernent le respect, la différence, la puberté,
l’identité sexuelle… Les adultes sont là pour rappeler
les consignes d’écoute, de tolérance vis-à-vis des propos
de chacun. Ensuite, l’enseignante énonce plusieurs scénarii possibles, à jouer en saynètes, par groupe de trois
élèves, sous forme d’improvisation : “Votre petit ami
vous suggère une relation amoureuse dont vous n’avez
pas envie…”. En fin de séance, les élèves expriment par
écrit, de façon anonyme, leur ressenti et ce qu’ils ont
Communiquer sans s’agresser
4
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
“Se parler sans s’agresser”, tel est l’objectif majeur
de toute l’équipe. Selon Virginie Halbert, CPE, il faut
réussir à verbaliser, plutôt que s’exprimer par des gestes
violents. La verbalisation, la mise en mots, permet souvent la libération d’un mal-être, lorsque celui-ci peut
être exprimé, entendu, écouté. C’est l’un des enjeux de la
médiation par les pairs : “La médiation est un processus
qui permet, lors d’un conflit, l’intervention de personnes
extérieures, formées pour dépasser le rapport de force et
trouver une solution sans perdant ni gagnant” 1. Une formation Agir pour le climat scolaire, menée par l’Aoreven, est proposée, dans un premier temps aux adultes
volontaires de la communauté éducative puis, dans un
second temps, aux élèves. Il s’agit de former des adultes
référents pour que ceux-ci accompagnent ensuite le dispositif et les élèves médiateurs. Fédérer jeunes et adultes
autour d’un projet commun, tel est l’un des objectifs.
Cette action, reconnue par le ministère de l’Éducation
nationale, s’adresse aux collèges et lycées qui souhaitent
instaurer la parole comme mode alternatif de résolution des conflits mineurs (bousculade, gestes déplacés,
insultes…). C’est aussi l’apprentissage de la citoyenneté,
du dialogue respectueux en société. Lorsque vient le
tour des élèves volontaires, on leur propose la rédaction
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
d’une lettre de motivation pour argumenter leur candidature, tant les postulants sont nombreux ! “Je souhaite
être médiateur, car je veux être utile aux autres, responsable”. S’ensuit un entretien oral de quinze minutes
devant les deux des dix-sept adultes préalablement
formés à l’échange. Les heureux élus bénéficient ainsi
d’une formation de deux jours, avec jeux de rôle autour
des discriminations, des préjugés, et visant la formulation langagière non violente. “On donne des outils de
communication non violente aux adolescents pour obtenir un effet boomerang auprès de leurs pairs.”
Recette
Sur quatorze médiations l’an
passé, aucune altercation
ne s’est reproduite
entre les médiés.
Parlons ensemble
Au collège, un local a été spécifiquement alloué à
cet usage : la salle de médiation. Durant leurs heures
de formation, les élèves volontaires médiateurs ont
été invités à créer des affiches illustrées et une charte
décrivant les règles de fonctionnement de ces médiations. Ainsi, en guise de préambule, sur la porte de la
salle de médiation, plusieurs affiches d’élèves rappellent
les règles fixées : “Sans perdant ni gagnant, confidentialité, neutralité, compréhension, solution, clefs de la
médiation…”. Avec les adultes engagés dans le projet,
on a défini et réfléchi au sens de ces mots. D’autres
affiches illustrent aussi la salle. La recette du sourire
et de l’écoute (voir ci-contre), concoctée par les adultes
formés à la médiation (enseignants, agents de service,
assistants d’éducation…) établit avec humour les ingrédients d’une médiation réussie, avec respect et convivialité. Quant à elle, la charte des élèves stipule les points
suivants : le médiateur respecte le secret de ce qui est dit
en médiation, il ne prend pas partie pour l’un ou l’autre
des élèves, il permet, à partir du dialogue, de trouver
une solution. Concrètement, voici le principe. Après
un conflit, on propose une médiation aux collégiens en
opposition. Ceux-ci s’inscrivent alors sur le planning
des permanences des médiations de la semaine, déposé
à la vie scolaire. Les créneaux proposés sont ceux des
temps de récréations. La date de médiation et le nom
des élèves en conflit sont alors diffusés par courriel aux
médiateurs du jour concerné. En effet, chaque médiateur, (élève ou adulte) s’engage à assurer au moins un
jour de permanence par semaine, pour garantir un suivi
et une répartition équitable. Le jour venu, c’est l’élève
médiateur qui va conduire l’échange, en suivant la
fiche-protocole. “Nous allons vous écouter l’un après
l’autre, essayer de comprendre votre problème, et vous
allez essayer de trouver une solution. Qu’est-ce qui s’est
passé ? Quels sont les faits ? Qu’as-tu ressenti ? Et maintenant ? Qu’es-tu prêt à faire pour que cela s’arrange ?”.
Souvent, les élèves en conflit proposent des excuses, on
se serre la main et cela suffit à éteindre le sentiment
d’agressivité. L’adulte référent est présent pour rappeler
le cadre de la médiation, mais il reste toujours en dehors
de la salle, afin de ne pas influencer les débats. Une fois
par trimestre, élèves et adultes médiateurs se retrouvent
lors d’une réunion pour analyser les résultats et les éventuelles difficultés rencontrées. Sur quatorze médiations
l’an passé, aucune altercation ne s’est reproduite entre
les médiés, et une seule fois l’adulte a été sollicité.
Consécutivement à cette formation de médiateurs,
Thomas Gilbert souhaite prolonger la réflexion des uns
et des autres par la lecture d’ouvrages dédiés au sujet.
Via le CDI (Centre de documentation et d’information)
et l’ENT (Espace numérique de travail), il constitue un
fonds documentaire 2, à destination des enseignants,
sur la gestion des conflits dans la classe, la réussite
5
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
Contre l’incivilité, documentons-nous
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
des élèves à besoins particuliers, etc. Il met à profit le
porte-document de l’ENT pour diffuser et stocker des
documents-outils réalisés sous forme de fiches-actions :
gestion des incidents en classe, “les dix variables
influant l’obéissance de l’élève” (Édige Royer 3, universitaire québécois). Selon le principal adjoint, il faut
développer la capacité à gérer les conflits pour améliorer le climat de classe. En instaurant un climat de bienêtre, on contribue aussi à faciliter les apprentissages des
élèves. Les enseignants, sensibilisés à ces questions,
essaient de pratiquer l’écoute active : donner à l’élève
tout le temps nécessaire pour qu’il puisse donner sa
version des faits, utiliser des reformulations, le regarder pour lui indiquer qu’il est écouté, l’appeler par son
prénom lors d’une requête individualisée… Un kit est
proposé au professeur principal afin qu’il puisse animer
des heures de vie de classe sur des thèmes liés à la violence : comment aborder le thème de la violence, discuter autour d’une histoire, différencier la Loi de la loi du
silence ? À cet égard, l’exposition “Question de Justice :
13/18” est prêtée pour deux semaines au collège. Elle
est visitée par les enseignants d’histoire-géographie et
éducation civique avec leur classe, avant l’intervention
ponctuelle de deux heures, coanimée par une éducatrice de la Prévention judiciaire de la jeunesse et les
éducateurs de la Prévention spécialisée présents sur le
quartier. Les élèves sélectionnent des questions de droit
lors de la visite de l’exposition. Ils essaient ensuite, avec
l’aide de l’éducatrice PJJ et des enseignants, de trouver
des réponses dans le Livre de la Loi, mini-code pénal,
sous forme de gros livre rouge relié. La réponse de droit,
trouvée ou non, est ensuite le point de départ d’échanges
et d’apports notionnels, d’interrogations de la part des
adultes auprès des jeunes sur leur positionnement ou les
choix qu’ils feraient dans les situations évoquées. C’est
aussi l’occasion d’entretiens individuels, pour les élèves
qui le souhaitent, à l’issue de l’activité.
et des discussions avec les collègues investis dans le
CESC, elle dégage les points de rencontres envisageables entre cette priorité de l’établissement, les compétences du socle et le programme de français. Pour la
première séance, il s’agit d’identifier les protagonistes
d’une situation de harcèlement, à partir de répliques
littéraires (voir ci-dessous). Trois objectifs sont visés :
travailler sur l’intention et l’adresse dans la lecture à
voix haute, développer l’empathie, comprendre l’intérêt
du respect mutuel en acceptant les différences. Que se
passe-t-il quand une parole vous est personnellement
adressée ? Pour faire réfléchir la classe à cet axe, Anne
Faire réfléchir aux causes
et conséquences possibles
du harcèlement à l’école.
Ouvrard installe la moitié des élèves en demi-cercle, en
posture de repli : assis au sol, genoux remontés, yeux
fermés pour se concentrer sur la réplique qui va leur
être soufflée. Les autres élèves viennent chuchoter à
l’oreille d’un camarade une phrase qui leur a été confiée
(répliques d’intimidateurs ou de victimes) : “Toute
la classe savait et personne n’a rien dit”, par exemple,
ou “Elle devait avoir honte de s’afficher avec moi…”
La ponctuation (exclamative, suspensive…), les types
de phrase et les intonations, en accord avec le regard,
sont répétées plusieurs fois, avec l’aide de l’enseignante,
pour s’identifier le plus possible à la situation imaginée.
Alors s’ensuit un temps d’expression libre sur les émotions ressenties : colère, anxiété, étonnement, empathie,
pitié… Les phrases sélectionnées par l’enseignante sont
extraites de plusieurs romans destinés au public adolescent (voir ci-dessous). Ces répliques, courts extraits,
ont semblé une porte d’entrée intéressante pour susciter
Lire entre les lignes
En français, la professeure, Anne Ouvrard, souhaite
donner une place majeure aux thématiques du harcèlement scolaire et de l’estime de soi, quel que soit le niveau
des classes. Au fil des lectures du fonds documentaire
Romans
Séries en lien avec le projet climat scolaire
6
surpoids - différence - estime de soi
harcèlement scolaire
climat scolaire
jeux dangereux - violence - harcèlement
rumeur - réputation - estime de soi
harcèlement - estime de soi
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
Sélection orientée plutôt 6e -5e
• Mickaël Ollivier, La vie, en gros, Gallimard, folio junior, 2009
• Guy Jimenes, Harcèlement, OsKar éditions, 2011
• Hélène Vignal, Passer au rouge, Rouergue éditions, coll. DoAdo, 2006
Sélection orientée plutôt 4e -3e
• Sarah Zarr, Une fille comme ça, Thierry Magnier 2008
• Martine Pouchain, Johnny, Sarbacane, 2010
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
l’envie d’en savoir plus sur l’histoire, et de lire l’ouvrage
dans sa totalité. Pour autant, se contenter de recommander des romans pour la jeunesse ne suffit pas pour que
les élèves les plus éloignés des livres s’y attellent. Or,
ceux-ci ont un réel besoin de ce passage initiatique afin
d’accéder ensuite à la lecture d’œuvres classiques. Aussi,
pour permettre à chaque élève de devenir, chez lui, un
lecteur autonome, le collège a-t-il acheté de six à douze
exemplaires des ouvrages retenus. Chacun aborde les
problématiques du climat scolaire, du harcèlement, des
rumeurs, de la différence, des réseaux sociaux et de l’estime de soi. Le CDI et les médiathèques alentours ont
également complété ce fonds. Chaque élève s’engage,
sur la séquence, à parcourir au moins un roman, de longueur et de niveau de difficulté variés.
c’est permettre de décloisonner les sources conflictuelles
et essayer de trouver des solutions communes. Pour elle,
la force de ce projet tient à la multiplicité des acteurs
endogènes et exogènes engagés vers un même objectif.
Au sein du collège, le projet a pu s’appuyer sur un noyau
d’enseignants habitués à pratiquer la pédagogie différenciée pour un public scolaire très hétérogène. Il s’est
développé en lien avec les élèves, bien sûr, mais aussi
les parents, divers personnels de l’établissement, et un
fort réseau de partenaires professionnels. À cet égard, le
pôle de développement social de la ville de Cholet a instauré, à destination des quartiers en Zone urbaine sensible, une réunion mensuelle qui réunit tous les acteurs
du territoire : actualités, groupes de travail à thème
(aide à la parentalité, aide à la scolarisation, accueils de
loisirs pour enfants…). Les échanges informels entre
professionnels ainsi que les partenariats y sont facilités.
Ainsi, les éducateurs de prévention (ASEA prévention
49), le centre socioculturel du quartier, k’léïdoscope,
l’AFODIL (cours d’alphabétisation pour les étrangers
immigrants), les traducteurs de CADA, les éducateurs
de la PJJ, les membres de l’aide sociale à l’enfance et
à l’adolescence (ASEA), sont devenus des partenaires
incontournables de l’action du collège.
L’intimidation, des causes aux
conséquences
Un projet partenarial
Pour la CPE, il n’existe effectivement pas de clivage
entre les disciplines scolaires et le contexte des incivilités : échanger des pratiques au-delà de sa discipline,
7
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
Lors d’une autre séance autour des outils de la
langue (liens logiques), l’enseignante amène ses élèves
à réfléchir aux causes et conséquences possibles du harcèlement à l’école. À partir du livre lu à la maison, les
élèves doivent alors rédiger une quatrième de couverture en employant au moins deux propositions subordonnées circonstancielles de cause, et deux propositions
subordonnées circonstancielles de conséquence. Les
écrits sont ensuite coévalués par les élèves ayant lu le
même roman : le synopsis est-il clair, attractif, comprend-on la source du conflit, en perçoit-on le dénouement possible ? Puis, à l’oral, un rapporteur des lecteurs
d’un même roman présente les conséquences du harcèlement, de l’intimidation, de la rumeur, de la crainte
du jugement sur la vie du personnage principal. De la
fiction à la réalité, il n’y a qu’un pas, et les collégiens
établissent le parallèle entre la situation romanesque et
celle des potentielles victimes d’intimidation au collège.
Lorsque l’on recueille le témoignage de l’enseignante,
à la fin de cette séquence, certes, toutes les difficultés
relationnelles entre les élèves ne se sont pas effacées…
Il n’y a pas eu de changement miraculeux d’ambiance
dans les classes ! Ceci dit, du fait de la synergie des
actions autour du projet initié par le CESC, on peut
constater qu’une partie des élèves dispose peu à peu
d’un meilleur bagage pour analyser les petits conflits.
Le vocabulaire mobilisé pour raconter est plus précis.
L’amélioration du lexique des émotions tend également
à les inciter à verbaliser leurs besoins. Les collégiens
ainsi sensibilisés savent identifier les sources et situations de harcèlement, connaissent la gravité de celles-ci
et, le cas échéant, savent qui alerter.
échanger
observer, positionner, diagnostiquer
Les éducateurs de prévention viennent de manière
informelle au collège rencontrer l’équipe de direction
ou la CPE. C’est l’occasion d’un échange sur des situations individuelles, dans une démarche de veille, et
pour répondre aux mieux aux besoins des élèves et de
leur famille. Ces rencontres donnent parfois lieu à des
accompagnements de parcours individualisés par les
éducateurs de prévention pour prévenir des conduites à
risques chez certains adolescents. Durant les vacances
scolaires, à l’école ouverte, les animateurs de la fédération française de Kinball sont intervenus, en lien avec
les enseignants d’EPS, pour présenter ce jeu collaboratif. À chaque session, des équipes de trois élèves ont
appris à jouer de pair, bras levés et réunis autour de ce
drôle de ballon d’un mètre vingt-deux de diamètre, à
déplacer en hauteur. Pour lancer une attaque et gagner
le point, les trois joueurs doivent tenir en même temps
le ballon : on ne réussit donc qu’ensemble, et non de
manière individuelle…
l’infirmerie en 2011-2012, cent soixante-quinze entretiens de relation d’aide ont été sollicités. En 2013-2014,
après le lancement du projet, cent vingt entretiens sont
comptabilisés. Par ailleurs, on note une baisse de quinze
pour cent des situations de mal-être signalées à l’infirmerie. En 2011-2012, aucun enseignant n’abordait explicitement les phénomènes d’intimidation pendant les
cours. En 2013-2014, cinq enseignants les intègrent de
manière régulière en menant des actions dans la durée.
Concernant la pédagogie, des pratiques donnant plus de
place à l’autonomie de l’élève (travail en groupes, autoévaluations…) ont été favorisées. Toutefois, l’implication
reste inégale et semble parfois soumise à l’appréhension
d’une certaine perte d’autorité, au sein de la classe. Quoi
qu’il en soit, le projet a permis de réfléchir aux notions
du bien-être en classe, de la bienveillance, de la sécurisation, au changement de regard entre pairs. Quatorze
enseignants volontaires ont été formés à la médiation.
On observe également une diminution de l’absentéisme
scolaire. Parallèlement, le nombre de participants aux
réunions du CESC a triplé (de dix personnes en septembre 2011 à trente-six personnes en septembre 2013),
traduisant un intérêt autour du projet de climat scolaire.
Du côté des élèves, la participation aux activités extra
ou périscolaires proposées par le collège (accompagnement éducatif, école ouverte) s’est accrue. Lauréat d’une
subvention de la part de la Fondation de France, ce plan
d’action innovant a également reçu le soutien de la Délégation ministérielle pour la prévention et la lutte contre
les violences à l’école. Bien entendu, tout cela reste
fragile et l’équipe souhaite aller plus loin en sollicitant
une formation de bassin à la gestion des conflits. Les
enseignants, parfois démunis, souhaiteraient un meilleur accompagnement en termes d’analyse de pratique,
pour répondre à leurs questionnements et difficultés au
sein de la classe. Thomas Gilbert envisage également
la création d’un conseil de la vie collégienne, afin de
rendre les élèves encore plus investis dans la vie de l’établissement, acteurs citoyens au cœur du projet : “Bienêtre, Être bien à l’école”. o
Prolongations…
Quels constats aujourd’hui ? En l’attente d’un prochain questionnaire-bilan en cours d’élaboration, voici
déjà quelques indicateurs récoltés. Pour l’accueil à
1. Définition de l’Aroéven (Association régionale des œuvres éducatives et de vacances de l’Éducation nationale), brochure disponible “La
médiation par les pairs”.
3. Travaux d’Égide ROYER : Égide Royer a fondé, en 1994, le Comité
québécois pour les jeunes en difficulté de comportement (CQJDC), et a
été le représentant canadien au comité exécutif du Council for Children
with Behavior Disorders (CCBD, États-Unis) de 1996 à 1998.
8
2015–2016
www.pedagogie.ac-nantes.fr
2. Quelques éléments du fonds documentaire : Harcèlements à l’école,
de Nicole CATHELINE. Albin Michel, 2008. Gérer les conflits au collège et au lycée, de Laurent LE BARS. Vers des centres de connaissances et de culture, ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse
et de la vie associative – collection Vademecum, mai 2012. Aider les
élèves en difficulté, de Sandrine MAURY. La sanction en éducation,
de Eirick PRAIRAT. PUF, Que sais-je ?, 5e édition 2011. Les dix commandements contre la violence à l’école, de Éric DEBARDIEUX, Odile
Jacob, 2008.

Documents pareils