La profession doit tenir compte des nouvelles attentes
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La profession doit tenir compte des nouvelles attentes
Dossier | Quand le vin innove La profession doit tenir compte des nouvelles attentes Depuis quelques années, de nouveaux types de vin ont été commercialisés par les viticulteurs. Ces nouvelles gammes de vins légers en alcool, des vins aromatisés, naturels ont pour vocation d’attirer de nouveaux consommateurs, d’initier la jeune génération, les 20-40 ans, aux subtilités du vin. Les vins bio ou naturels ont la cote. Des régions remettent d’anciens cépages au goût du jour, d’autres se tournent à nouveau vers la vigne. De nouveaux packaging arrivent sur les marchés. Des bouchons toujours plus « techniques », etc… L’Innovation est le nerf de la gare, dans un secteur qui possède malgré tout une image très traditionnelle. Petit tour d’horizon et témoignages. Dossier réalisé avec la participation de Juliette Coste, Thierry Joly, Audrey Monségu et Claire Nioncel. « E n préambule, je tiens à souligner que les nouvelles tendances ne se décrètent pas, mais qu’elles sont directement liées aux attentes des consommateurs. La filière viticole est très diversifiée, avec une diversité de produits liée à la diversité des bassins de production, et chacun de ces bassins de production est attentif à répondre à ces attentes. On observe aujourd’hui plusieurs tendances dans la demande, comme celle de vins plus légers, plus fruités et plus “marketés”, via le développement du procédé de désalcoolisation des vins qui permet d’obtenir des produits à moindre teneur en alcool mais cependant toujours fruités. Un second élément est ce qui a trait à la dynamique sur le vin rosé. Avec le débat qui a eu lieu avec la Commission européenne, et le combat gagné de respecter ce produit, la nouvelle tendance observée est la consommation du vin rosé tout au long de l’année, avec une demande d’approvisionnement significative. A côté de cela il y a des modes, tels que le développement de vins aromatisés comme le rosé pamplemousse. Il y a les consommateurs traditionnels de vin en tant que fleuron de notre pays, qui recherchent des millésimes et des appellations spécifiques, et les consommateurs qui recherchent d’autres types de produits, qui se développent et pour lesquels on ne peut pas passer à côté. Ces effets de mode, il faut aussi les aborder sous un angle économique : les vignes plantées aujourd’hui produiront pendant les vingt prochaines années. On peut aller sur les tendances, et il est primordial pour la filière d’être réactive, mais avec la contrainte que la vigne est une culture pérenne. Ensuite il y a d’autres éléments en termes de tendances, notamment sur le marketing, avec par exemple le développement de la consommation de vin au verre, ou bien du “doggy bag” pour ramener la bouteille de vin entamée au restaurant chez soi. Au-delà du marketing, ces nouvelles tendances relèvent d’une consommation 10 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 responsable de vin, en accord avec les attentes sociétales. La filière vitivinicole doit prendre en compte ces nouvelles attentes, et elle le fait déjà, pour répondre à la diversité de ces nouvelles tendances de consommation. » Q Jérôme Despey, président du Conseil spécialisé vin de FranceAgriMer Quand le vin innove | Dossier Q InterLoire Casser l’image traditionnelle L’interprofession des vins du Val de Loire, a lancé début septembre sa nouvelle campagne de communication qui donne la parole à chacune de ses cinquante appellations sous le slogan collectif « tous les vins sont dans sa nature ». Et chaque appellation décline sa propre identité ! L a nouveauté de la campagne InterLoire réside dans le champ d’expression réservé à chacune des AOC. Chacune d’entre elle a peaufiné son propre slogan, au plus près de son identité et des promesses faites au consommateur. Ainsi, les codes traditionnels et conservateurs de la communication dans le monde du vin sont cassés. C’est dans ce sens qu’a travaillé l’agence de com’ Les gros mots. Cinquante slogans déclinés comme « Son charme se révèle quand ses larmes commencent à couler », « Sa robe brillante s’invite à tous les mariages », « Il est rond, un peu enveloppé mais quel beau corps »... Tous les vins sont dans sa nature Autour de cette signature fédératrice, l’objectif est bien de mettre en avant la diversité des appellations des vins de Loire. « Pour la valoriser, nous sommes partis sur une communication quasi pop’ qui joue la couleur et la jubilation mais également la pédagogie », expliquent les protagonistes. Le film de la nouvelle campagne a été publié sur la page Facebook de l’interprofession https://www.facebook.com/VinsdeLoire. Un film convivial et très simple, qui place l’humain au centre de la communication puisque des vignerons et des négociants se succèdent à l’image jusqu’à se retrou- ver tous ensemble devant le Château de Saumur. Q INTERLOIRE InterLoire rassemble 4 000 viticulteurs, 15 coopératives, 60 maisons de négoce réparties dans les pays nantais, angevin, saumurois, tourangeau. Le troisième vignoble français en appellations produit une récolte de deux millions d’hectolitres et commercialise 270 millions de bouteilles par an. L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 11 Dossier | Quand le vin innove Q Bernard Farges, Président de la CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées) Il faut éduquer les jeunes au vin Viticulteur dans le Bordelais, Bernard Farges fait le point sur les vins d’Appellations d’Origine Protégées. Il rappelle que ce concept est aujourd’hui repris dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, et qu’il est un vrai atout pour l’UE. D.R. lisation des négociants et des viticulteurs. Une attention plus forte est portée à l’élevage et la qualité s’est améliorée. Autre point positif, le fait que les AOP bénéficient désormais d’aides de l’UE a permis des investissements sur l’outil de production, la commercialisation et de créer une dynamique sur l’Asie et l’Europe du Nord. L’Information Agricole – Quelle est la situation au sein des AOP ? Bernard Farges Q La situation globale est satisfaisante. L’accroissement des volumes exportés, la réduction des rendements et de petites récoltes font qu’il n’y a pratiquement plus de stocks. Le marché est donc plus sain, plus cohérent, et il y a moins d’anarchie sur les prix. Par ailleurs, le changement des procédures de contrôle initié en 2008 est désormais digéré par la filière et porte ses fruits. Désormais susceptibles de toucher tout le monde, les contrôles sont plus pertinents, plus proches de la commercialisation qu’auparavant et ont engendré une responsabi- I. A. – Où en est le bio ? B. F. Q Le bio a connu une forte progression en volume et en nombre de vignobles en conversion mais 2012 et 2013 ont été pour les producteurs des années difficiles en terme de maîtrise des maladies et on a vu des producteurs faire machine arrière. Par ailleurs, on a constaté dans certaines régions un tassement de l’écart de prix entre le bio et le non-bio. Je pense donc que nous sommes à un palier mais cela peut repartir car le bio est un produit marketing fort, une vraie réussite. Mais le marché doit mûrir. I. A. – Comment se traduit pour les AOP le succès des vins rosés, effervescents, naturels et aromatisés ? B. F. Q Le succès des rosés et des crémants est dû à l’évolution qualitative de ces produits et cela permet de toucher de nouveaux consommateurs. Pour le rosé c’est un marché très français, très marqué par les jeunes et les femmes, et si la Provence est leader il y a de beaux challengers avec le Val-de-Loire, Bordeaux et la vallée du Rhône. Quant aux crémants, du fait de leur progression, ils font désormais clairement 12 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 partie de l’offre de régions comme l’Alsace et la Bourgogne. En ce qui concerne les vins naturels, cela ne représente pas grand-chose pour nous, mais c’est un outil de communication intéressant pour ceux qui en font car c’est le moyen de raconter une histoire. Les vins aromatisés, enfin, ne nous concernent guère car ils sont pour la quasi-totalité produits avec des vins qui ne sont pas des AOP. I. A. – Quels sont à votre avis les enjeux des années à venir ? B. F. Q Jusqu’en 2008, il semblait que la seule dynamique de développement serait sur les vins de cépages et les marques. Mais on voit aujourd’hui que cela peut aussi se faire par les indications géographiques comme les AOP et ce concept, d’ailleurs repris dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, est un vrai atout pour l’UE. Nous attendons donc des institutions européennes qu’elles le protègent et le défendent lors des négociations commerciales. En France, il faut que les gouvernements en place et à venir réalisent que les postures et les positions émanant souvent du ministère de la Santé nuisent à notre filière qui est le 2e poste exportateur de notre pays et emploie 500 000 personnes. Nous sommes d’accord avec la lutte contre l’alcoolisme mais dire que le vin est nocif dès le 1er verre est une aberration. Nous demandons aussi au gouvernement d’être attentif aux évolutions ayant trait à la fiscalité et à la communication. Nous avons besoin de communiquer et d’éduquer les jeunes consommateurs au vin. Quand le vin innove | Dossier Q Bouteilles Le packaging sort de ses gonds D eux tendances coexistent actuellement dans l’univers du packaging du vin, explique JeanClaude Goudrias, directeur des ventes de Vidrala, fabricant de bouteilles en verre. La première concerne le passage aux bouteilles allégées en verre par bon nombre d’opérateurs. La seconde, c’est le recours à des flacons élégants, originaux en verre lourd. » Les producteurs y voient, en effet, le moyen de différencier leurs gammes du reste des offres. Laurent Mallet, directeur des ventes monde chez Saver Glass renchérit : « La demande pour des modèles en rupture croît, depuis quelques années. » D’après lui, elle correspond au besoin de se démarquer, tout en rehaussant la valeur perçue du contenu. Elle répond en outre aux attentes de marchés export en plein essor, comme la Chine très sensible à l’esthétisme de l’habillage. Achat d’impulsion Les verriers adaptent leur collection en conséquence. Saver Glass a ainsi créé des formes cossues à partir des standards du marché, la bordelaise, la bourguignonne et la champenoise. Au salon de l’Emballage à Villepinte, en novembre dernier, il a dévoilé quelques-uns de ces exemplaires : Constance Superbia, une bordelaise conique aux épaules charnues, et Maxima, une bourgogne au col fin et allongé, Geisha et Essencia Wine, deux créations proches des flacons de parfum. Verallia (SaintGobain) s’illustre, également, dans ce registre. Le fabricant a récemment lancé la gamme « Rosés Irrésistibles » : 9 modèles à l’architecture « décalée », en 75 cl en teinte extra-blanc. « C’est une couleur qui supporte très bien l’originalité », assure Emilie Paillard Brunet, chef de marché vins de l’entreprise. Elodie Dieudonné du Domaine de Cantarelle en AOC Coteaux Varois a adopté le modèle Naerobi du verrier, une bouteille ornée sur le bas de sept anneaux de verre, pour y présenter son rosé Osé d’Elodie. « Nous l’avons testé au caveau, explique la jeune femme. Nous avons reconstitué le rayon d’un supermarché avec différentes bouteilles de rosés dont la nôtre. Elle a remporté l’adhésion de nos clients, car elle attire le regard. » Les femmes en particulier l’ont appréciée. Car en plus de conférer à leurs hôtes un positionnement huppé, ces bouteilles audacieuses favorisent « l’achat d’impulsion », remarque-t-on chez Verallia. En début d’année, Gérard Bertrand, le propriétaire du domaine de L’Hospitalet dans le Languedoc, a sorti Côte des Roses, une bouteille dont le fond représente un bouquet de roses. Renfermant un AOC Languedoc dans les trois couleurs, elle est partie comme des petits pains lors de la Saint-Valentin. Sa genèse illustre une autre tendance du secteur. C’est une étudiante de l’école Boulle de Paris qui l’a dessinée, dans le cadre du 1er concours de design packaging verre organisé par Verallia. Elle a remporté le premier prix décerné par un jury de professionnels dans lequel se trouvait Gérard Bertrand. Séduit par le projet, il a décidé de l’éditer avec l’aide du verrier. En Italie, le verrier Bruni Glass coordonne depuis plusieurs années D.R. « des concours de ce type. Il en ressort des créations inédites, très prisées de ces clients. A Sancerre, la Maison Joseph Mellot a mis en compétition les étudiants de l’école supérieure des Arts et des Techniques de Paris pour la réalisation de la bouteille de son 500e anniversaire. Le flacon primé reproduit la carte topographique du vignoble de Sancerre sous forme de sérigraphie. L’entreprise en a l’exclusivité. Encore un autre moyen de se démarquer et de faire parler de son vin. Les coupures de presse sur cette initiative foisonnent sur son site Internet. Q LES TENDANCES DES ANNÉES À VENIR Lors du salon Vinitech à Bordeaux, en novembre dernier, Verallia, le second producteur de l’emballage en verre pour les boissons, a fait découvrir les tendances émergentes. Parmi elles, la sérigraphie avec des encres thermosensibles dont le décor change en fonction de la température. Il apparaît ou disparaît en fonction de cette dernière. A suivre, également les encres odorantes également basée sur la sérigraphie avec des microcapsules de parfum. Elles libèrent l’arôme du vin, par exemple, dès lors qu’on les frotte. Tout aussi innovant, l’effet Saticoat obtenu par pulvérisation d’émail sur la bouteille. Il devient phosphorescent sous l’atténuation de la lumière. L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 13 D.R. Les bouteilles de vin s’émancipent des codes traditionnels. Un phénomène qui répond à la nécessité de se différencier, de monter en gamme ou de favoriser l’achat d’impulsion. Les verriers vont jusqu’à créer des concours d’étudiants pour proposer des flacons exclusifs. Dossier | Quand le vin innove Q Clientèle jeune et urbaine Le naturel a le vent en poupe Présentés comme une alternative aux vins dits technologiques et meilleurs pour la santé, les vins naturels ont conquis une clientèle urbaine et branchée. Très hétérogène au début, leur qualité s’est améliorée et ils devraient s’enraciner dans le paysage viticole. S’ il est une catégorie de vins qui est actuellement en vogue, c’est bien les vins naturels. C’est-à-dire des vins issus de vignes cultivées en bio ou en bio-dynamie, vinifiés avec des levures indigènes, peu ou pas filtrés et sans ou avec peu de sulfites. Les pratiques varient toutefois d’un vigneron à l’autre car il n’existe aucune réglementation en la matière, tout au plus une charte rédigée par l’Association des Vins Naturels. Il existe donc parfois de grandes différences de qualité d’un producteur à l’autre et il est indéniable que certains tentent de valoriser de mauvais vins sous couvert de cette philosophie. Le vin naturel est de ce fait un sujet de polémiques. Pour preuve, les propos sans nuance du critique Michel Bettane qui, en début d’année, jugeait dans une revue italienne « les rouges puent et les blancs sont d’emblée plus ou moins oxydatifs ». Une prise de position qui lui a valu une volée de bois verts de la part des défenseurs de ces vins, dont de nombreux blogeurs, car leur renommée s’est en grande partie faite via internet et les réseaux sociaux, courtcircuitant ainsi les prescripteurs traditionnels. D’où une clientèle majoritairement jeune, et citadine. « Lorsqu’on voit le nombre de bars à vins spécialisés sur ce créneau qui ouvrent et les nouveaux consommateurs qui disent que c’est çà le vin, il y a de quoi être inquiet », affirme Jean-Louis Denois, vigneron près de Limoux, lui-même adepte des méthodes naturelles mais qui ne veut pas de cette mention sur ses bouteilles. « De bons commencent à apparaître, mais je ne veux pas être assimilé à ces vins car certains sont D.R. Sujet de polémique Jean-Louis Denois est adepte des méthodes naturelles troubles, ont une mauvaise odeur, des goûts de lie ». Une position que partage Benoît Braujou, du domaine Fons Sanatis dans l’Hérault bien qu’il fasse lui aussi des vins avec un minimum d’ajouts d’intrants. « Dans les vins naturels, il y a un peu de tout, du très bon et du mauvais. Il ne faut pas faire n’importe quoi. Un vin doit être propre, surtout quand il est vendu 20 €, et il ne faut pas dire que c’est normal quand il y a du gaz, une odeur de réduit ou beaucoup de dépôt ». mateurs en quête de nouveaux goûts et ceux qui rejettent certains aspects de la certification bio comme l’autorisation des traitements au cuivre dans les vignes. Par ailleurs, ce n’est que depuis peu qu’elle englobe la vinification et les normes retenues, jugées a minima par beaucoup, ne sont pas de nature à reconquérir cette clientèle. « Elle ne freine pas beaucoup sur les sulfites, c’est dommage, il faut avancer sur leur limitation pour se mettre à l’abri d’une éventuelle crise alimentaire », Il y a du très bon et du mauvais Ces vins sont-ils un effet de mode et voués à disparaître comme le pronostiquent certains ? C’est peu probable car des cavistes traditionnels commencent à s’y intéresser, notant un accroissement de leur qualité. De plus, ils ont su séduire les consom- 14 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 estime Jean-Louis Denois qui utilise des levures connues pour stabiliser ses vins. « Je suis pour le vin naturel, mais avec technique et sécurité comme le préconise Arnaud Immelé, pas pour le principe du laisser-faire ». Q Quand le vin innove | Dossier Q Innovations Un bouchon très technique Les bouchonniers se livrent, actuellement, à une bataille sur le terrain de l’innovation technologique. Les trois leaders dans leur domaine respectif ont présenté des nouveautés majeures en 2013. D.R. Amorim entend bien lui barrer la route. « Notre solution conserve le pop à l’ouverture auquel le consommateur se dit très attaché », indique Antonio Amorim, PDG de l’entreprise éponyme. « De plus son coût équivaut à celui d’un système de bouchage comparable. » Elle est actuellement testée par une douzaine de metteurs en marché. D.R. Nouvelle gamme de joints La capsule à vis s’était, toutefois, préparée à riposter. En février dernier, Amcor Flexible, le fabricant de la Stelvin, a lancé une gamme de quatre nouveaux joints présentant des niveaux différents de perméabilité à l’oxygène. « Jusqu’alors nous ne proposions que deux joints aux vinificateurs, indique Philippe Exertier, responsable commercial distribution marché vins Europe. Notre nouvelle gamme constitue une véritable révolution, elle n’avait pas évolué depuis les années 90. » Baptisée Stelvin Inside, elle a été créée par les services R&D français du groupe et a également nécessité quatre ans de recherche. Elle permet de boucher des vins à consommation rapide, 1 à 3 ans, et des vins de garde 5 à 7 ans. Mieux, les joints sont exempts de chlore, sécurité alimentaire oblige. Ils ont fait l’objet d’essais concluants au Château Margaux et chez Advini, le négociant languedocien. « Nous sommes en mesure de couvrir les différents segments de vin du marché à l’instar du liège », ajoute Philippe Exertier. L’autre grande annonce provient du géant mondial du bouchon synthétique, Nomacorc. Au mois d’avril, il a présenté sa dernière nouveauté, le premier bouchon plastique à empreinte carbone neutre. Après deux ans de recherche le Select bio a vu le jour à Liège en Belgique, où se trouve l’équipe de chercheurs du groupe. Particularité, il est fabriqué à partir de polymères de plantes dérivées de la canne à sucre, contrairement à l’offre existante dont les polymères proviennent du pétrole. Cette matière première végétale entre à 60 % dans sa composition, le reste provenant du pétrole. Il reste malgré tout neutre pour l’environnement. Une tonne de canne à sucre capture 3 kg de CO2, lors de son cycle de vie. La matière première arrive donc avec un bilan carbone négatif dans l’usine de fabrication, qui fonctionne avec des énergies renouvelables. Avec ce bouchon, Nomarcorc se montre aussi vertueux que le liège pour l’environnement. Il reste en outre abordable, 15 % de plus qu’un synthétique classique entre 100 et 150 €/le mille. Q L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 15 D.R. T rois innovations majeures ont marqué l’univers du bouchage en 2013. En juin dernier à Vinexpo, Amorim et O-I, les leaders mondiaux de leurs secteurs respectifs, le bouchon de liège et la bouteille de verre, ont présenté leur concept révolutionnaire : Hélix. « La plus grande avancée dans le domaine du packaging depuis le début du siècle », s’enhardissent les deux protagonistes. De quoi s’agit-il ? D’un bouchon de liège rainuré qui se twiste à l’intérieur du col d’une bouteille dont le goulot est fileté. Résultat, plus besoin de tire-bouchon pour ôter l’obturateur de son orifice ! « Le bouchon interagit avec le pas de vis incrusté à l’intérieur de la bouteille », explique Benoît Villaret, directeur des ventes France chez O-I. Les départements R&D des deux entreprises ont travaillé main dans la main pendant 4 ans pour parvenir à cette solution qui leur a coûté la bagatelle d’environ 5 millions d’euros. Elle s’adresse au marché des vins dits « popular premium », vendus au consommateur entre 5 et 10 euros. Il représente quelque 5 milliards de cols, dont une partie utilise la capsule à vis, laquelle enregistre une croissance exponentielle. Elle a gagné quelques 500 millions de cols par an au cours des cinq dernières années, pour boucher près de 4,5 milliards de bouteilles dans le monde, à l’heure actuelle. Son ascension en fait une rivale dangereuse pour les fabricants de bouchon de liège. Avec Hélix, Dossier | Quand le vin innove Q Sucess story L’alliance vin-sirop fait mouche En trois ans, les vins aromatisés se sont fait une place de choix sur les linéaires. Un nouveau débouché pour les vins de cépages ou de pays mais pas forcément un moyen d’amener de nouveaux consommateurs au vin. D.R. L a success story du moment dans l’univers viticole est celle des vins aromatisés. Inexistant avant 2011, ce marché symbolisé par le rosé pamplemousse a vu ses ventes bondir de 125 % entre mars 2012 et mars 2013 et devrait atteindre 16,5 millions de litres cette année rien que pour la France. Une réussite qui surprend même au sein du groupe Castel, le premier à s’être positionné sur ce créneau en 2011 avec la marque Very Pamp. « Nous pensions que ce serait un produit saisonnier or nous en vendons toute l’année, qu’il se boirait en apéritif uniquement or il est consommé tout au long du repas, qu’il serait majoritairement bu par les femmes or les hommes en consomment presque autant, que la clientèle serait jeune or les 30-45 ans en achètent également ». Du coup, d’autres fabricants s’y sont mis, tels la Compagnie Vinicole de Bourgogne avec sa gamme Arômes et Vin, le groupe Marie Brizard avec Fruits & Wine et le groupe Antésite avec la marque Noirot. Leclerc, Carrefour, Casino ont également lancé des vins aromatisés sous leurs marques de distributeurs. Même des vignerons s’y essaient, tel le Château Poulvère, à Montbazillac, près de Bergerac, qui les commercialise sous une marque spécifique Twenty Wine. « Je n’y croyais guère, mais ma fille m’a convaincu et depuis le lancement en mai 2012 nous avons vendu 25 000 bouteilles, soit 10 % de notre production, essentiellement sur le Sud-Ouest où nous avions déjà des commerciaux », explique Francis Borderie, le propriétaire du domaine. Avec des bouteilles dont le prix va de 6,90 € à 7,50 € et un produit élaboré avec du vin de l’AOC Bergerac, il est pourtant bien plus cher que la concurrence dont les produits se trouvent entre 2,50 et 4 €. « Nous avons voulu faire des vins aromatisés de qualité, nous utilisons de vrais sirops de fruits de la maison Morin, et les consommateurs nous disent qu’ils font la différence avec les autres ». Le prix généralement inférieur à un apéritif classique est indéniablement une des clefs de la réussite de ces vins. Ainsi que le côté convivial qu’ils véhiculent et leur goût sucré qui leur permet de toucher des gens qui ne consomment habituellement pas de vin. En particulier parmi les femmes et les jeunes qui sont clairement la cible prioritaire des fabricants. Le marché a également été dopé par l’élargissement de la gamme des produits. Au rosé pamplemousse d’origine, sont venus s’ajouter de nouveaux mélanges tels du rosé citron, du blanc pêche, du blanc pomme verte, du blanc au chocolat blanc, du rouge grenade, du rouge griotte, ... Au printemps dernier, le négociant bordelais Haussmann a même fait le buzz en lançant un rouge cola baptisé Rouge Sucette. Ces vins aromatisés amèneront-ils au vin de nouveaux consommateurs comme l’affirment certains ? Rien n’est moins sûr. En attendant c’est un débouché non négligeable pour les vins de cépages et de pays. Mais attention, le prix est primordial pour les fabricants et les vins espagnols et chiliens sont en embuscade. Q LE ROUGE COLA, GAMME SUCETTE Du vin rouge associé à du cola. Négociant dans la région bordelaise, Haussmann Famille a présenté au dernier salon Vinexpo, en juin dernier, une nouvelle recette de boisson aromatisée à base de vin. Négociants travaillant avec des propriétaires de vignobles bordelais, Haussmann Famille a fait beaucoup parler de son « rouge cola ». Du vin rouge mélangé au fameux cola. Une nouvelle référence qui complète la gamme « Sucette » lancée par ces professionnels en avril. La société de préciser : « Il se boit très frais. La balance est parfaite entre l’amertume du vin et le sucre du cola ». Car la seule limite du vin aromatisé n’est que l’imagination des producteurs, qui travaillent main dans la main avec des laboratoires spécialisés dans les arômes. Haussmann Famille a d’abord innové en créant un rosé sucette fruit de la passion, avant de l’adapter à un vin blanc. Le rosé n’est pas la seule couleur à se prêter au mélange. Techniquement, toutes les couleurs sont susceptibles d’être associées à un arôme. Le rosé sucette fruit de la passion n’atteint que 9°C. L’entreprise bordelaise explique que le produit qui est complètement différent de ce qu’elle fait en parallèle. Et les réflexions sont d’ores et déjà entamées pour développer la prochaine référence de la gamme « Sucette »... DÉFINITION : VIN AROMATISÉ OU BOISSON AROMATISÉE À BASE DE VIN ? Une boisson aromatisée à base de vin, titrant moins de 14,5 % volume, doit contenir au moins 50 % de vin mais pas d’alcool ajouté, tandis qu’un vin aromatisé est une boisson élaborée avec au moins 75 % de vin et « mutée » à l’alcool pour lui permettre de titrer au moins 14,5 % vol. Les deux catégories de produits ont une aromatisation naturelle, principalement à base d’herbes aromatiques, d’écorces, de racines, d’épices ou de fruits. 16 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 Quand le vin innove | Dossier Q Pierre Pages, spécialiste du vin En quête de vins à identité forte L’information Agricole – Quelles ont été les principales évolutions du marché français au cours des dernières années ? Pierre Pages Q Les consommateurs s’orientent de plus en plus vers les produits de qualité véhiculant une identité forte liée au vigneron, au terroir ou au type de vins. Ce qui explique en partie le succès des vins naturels et biodynamiques qui leur donnent en outre le sentiment d’appartenir à une tribu. Ils sont également moins fidèles qu’avant et cherchent des découvertes. Sauf avec le champagne pour lequel il y a une fidélisation assez forte, les gens s’approprient la marque, disent « viens goûter mon champagne ». Pour ce qui est du bio, ce n’est plus un positionnement fort. Il y a chez les consommateurs un puissant sentiment de bio arnaque du fait qu’il faut payer plus cher. Enfin, il y a bien sûr eu la montée en puissance des rosés dont la demande s’est envolée. I. A. – Comment voyez-vous l’avenir ? P. P. Q Je pense que la demande en vins du Languedoc va exploser si leurs prix suivent une évolution raisonnable. La qualité est déjà là, mais il reste un travail de fond à faire sur l’image de ces vins auprès des consommateurs et cela prend du temps. Par contre, les rosés pourraient perdre en attractivité car leurs prix ont souvent augmenté. Quant aux vins naturels je pense qu’ils sont déjà à leur apogée et que la demande va se stabiliser, voire décroître d’ici une dizaine d’années. Il s’agit d’une mode très bobo. I. A. – La demande est-elle identique sur les autres marchés ? P. P. Q La France et l’Europe sont des marchés de consommateurs avertis qui recherchent un terroir, des vins ayant de la fraîcheur et de la complexité. Les pays nouveaux consommateurs n’en sont pas Thierry Joly Titulaire d’un master de l’OIV, ancien caviste, organisateur de cours de dégustation pour Français et étrangers, Pierre Pages nous livre son opinion sur les évolutions des marchés français et internationaux. encore là, c’est la marque qui prédomine. Ils recherchent en outre des vins ronds avec une expression puissante, peu d’acidité et des arômes explosifs faciles à identifier. I. A. – Les vins produits en France sontils adaptés à la demande ? P. P. Q Oui en ce qui concerne la France et l’Europe. Par contre, sur les nouveaux marchés, nos AOP ne conviennent pas à une consommation quotidienne. Mais ce serait une erreur de vouloir les adapter à ces marchés comme cela a été fait avec la parkérisation, ce dont beaucoup reviennent. D’autant que nous avons des sociétés qui font très bien cela avec des vins de cépages distribués sous des marques. I. A. – Les vins étrangers peuvent-ils percer sur le marché français ? P. P. Q Beaucoup sont susceptibles de plaire aux Français mais les distribuer relève du défi car le marché hexagonal est très nationaliste, régionaliste même, et 90 % du vin vendu est français. Un caviste spécialisé en vins étrangers peut réussir car le client fait la démarche de se déplacer. Par contre, dans les supermarchés, les clients vont vers des valeurs refuges, vers ce qu’ils connaissent. I. A. – Quel avenir voyez-vous pour les vins aromatisés et les vins allégés en alcool ? P. P. Q Les premiers sont certes en plein boom mais je ne suis pas persuadé qu’ils seront encore en vogue dans 5 ans. En revanche, ils peuvent être des clefs d’entrée sur l’Asie ou l’Amérique du Sud car les nouveaux consommateurs commencent toujours par des vins sucrés pour aller ensuite vers des vins plus secs. En ce qui concerne les seconds, je n’y crois guère car les gens se disent que le vin a été trafiqué pour réduire l’alcool. De plus, je ne suis pas sûr que le degré d’alcool soit le premier souci du consommateur. L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 17 Dossier | Quand le vin innove Q Tradition Le retour des anciens vignobles A travers toute la France, associations et particuliers relancent la culture de la vigne dans des régions où elle a disparu à cause du phylloxéra, des guerres ou pour raisons économiques. Les difficultés d’obtention des droits de plantation freinent toutefois ce renouveau. D.R. L e dernier-né des vignobles français se trouve sur la côte basque et ressuscite une tradition viticole interrompue au cours du 20e siècle. Cette renaissance est l’œuvre d’Emmanuel Poirmeur, jeune œnologue qui a fondé le domaine Egiategia et planté 2 ha de chardonnay sur la corniche près de Saint-Jean-de-Luz. « Après analyse des sols, des climats et étude des vins pouvant être produits pour se marier avec la cuisine locale car je vise un débouché de proximité », explique-t-il. A partir de colombard et d’ugni blanc achetés, il élabore aussi un perlant blanc en partie vinifié dans des cuves immergées dans l’océan, à 15 m de profondeur. Un procédé qu’il a breveté en 2007. « La stabilité de la température, l’agitation et les changements de pression amènent les levures à produire des arômes qu’elles ne font pas sur terre », assure-t-il. Autre création récente, le vignoble d’Haillicourt, dans le Pas-de-Calais, qui a vu le jour en 2009 à l’initiative d’Olivier Pucek, enfant du pays parti en Charente. Aidé d’un vigneron de ce département, Henri Jammet, il a planté 30 ares de chardonnay sur le versant sud d’un terril, un sol qui se réchauffe très vite et est en outre très drainant. « Le projet a été très bien accueilli localement et est soutenu par la mairie », souligne Olivier Pucek qui a fait les premières vendanges en octobre. Mais ce n’est pas le seul vignoble du Nord-Pas-de-Calais. Il en existe une demidouzaine d’autres, toujours de petites tailles. On en trouve aussi quelques-uns en Picardie ainsi qu’en Ile-de-France où il y a environ 12 ha de vignes. La plupart ont été plantés à partir des années 90-95 avec comme motivation l’amour du vin et la volonté de faire revivre des vignobles disparus. Même chose en Bretagne. « Nous comptons une centaine de vignerons amateurs pour une vingtaine de vignobles répartis dans les quatre départements, les deux plus importants étant le coteau du Braden à Quimper et Saint-Suliac, près de Saint-Malo », révèle Jean-Michel Kerboeuf, vice-président de l’Association des Vignerons Bretons. Il en existe également un près de Falaise, en Normandie, le domaine Les Arpents du Soleil, créé en 1995. « Dans le lieu le moins pluvieux et le plus chaud de la région et où les sols sont similaires à ceux de la Bourgogne », assure Gérard Samson. A la tête de 5 ha, il produit 25 000 bouteilles par an. « J’ai eu une autorisation de plantation à titre d’expérimentation qui donnait alors droit à la commercialisation », explique-t-il. Par contre, les vignobles précédemment cités ne peuvent pas vendre, à l’exception de celui de Suresnes, près de Paris, car ils n’ont qu’une autorisation de plantation à titre culturel. « C’est une aberration car les 18 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 restaurants locaux sont prêts à jouer le jeu. Pendant ce temps, Anglais et Belges plantent à tour de bras », tempête Olivier Pucek. « C’est ainsi car l’Ile-de-France n’est pas considérée comme zone viticole alors que ce fut le 1er vignoble de France et que nous avons de bons terroirs », renchérit Pierre Facon, conseiller général à NeuillyPlaisance où il a créé un vignoble en 1995 et produit le seul crémant de la région. Il est également secrétaire de l’Association des Vignerons Franciliens Réunis qui milite pour la création d’une IGP « Vin de Paris – Ile-de-France ». La vente étant interdite, la plupart de ces vignobles septentrionaux sont associatifs ou communaux, les vins étant distribués aux membres en échange de leur cotisation ou mis aux enchères au profit d’œuvres caritatives. Malgré cela, Daniel Lorcy, le maire de l’île d’Arz, dans le Morbihan, entend relancer la viticulture sur sa commune et Yan Picarda ainsi créer de l’emploi. « Des terrains ont été acquis et 50 pieds de plusieurs cépages vont être plantés au printemps prochain pour déterminer les variétés les plus adaptées », explique-t-il. Cela pourrait s’inscrire dans le cadre d’un projet plus vaste comprenant également des plantations sur l’île d’Hur et à Sarzeau, sur la presqu’île de Rhuys. Les vignobles recréés ailleurs en France n’ont pas ce problème. Cependant, l’acquisition des droits de plantation a pour tous été l’étape la plus compliquée. « Heureusement que nous avions Chirac pour nous soutenir à nos débuts en 2003 » se souvient Michel Breuil, le président de la SCA Coteaux du Saillant-Vézère, en Corrèze. Une coopérative dont les 20 membres totalisent 20 ha implantés sur une faille schisteuse et qui produit 57 000 bouteilles par an dont 80 % de blancs. Avec à la clef 4 emplois permanents, le recours régulier à des salariés temporaires et l’accueil de près de 100 groupes par an. Un sacré coup de pouce pour l’économie locale. Près de Limoges, une association a en 1995 initié la plantation de vignes pour relancer la production du rosé de Verneuil-surVienne jadis réputé. « Avec l’appui du maire, pour éviter que la ville ne devienne une cité dortoir », précise Jean-Claude Lacan, son président. Encépagé en gamay et pinot noir, le vignoble de 5,5 ha est exploité par un ancien éleveur laitier qui s’est reconverti. Thierry Joly Quand le vin innove | Dossier En 2002, Sylvain Lafond, lui, a relancé le vignoble de Menoux, près d’Argenton-surCreuse, dans l’Indre, où il produit du rouge et du rosé. Dans le Lot, sept agriculteurs font depuis 2003 revivre le vignoble de Rocamadour et cultivent 8 ha de vignes, produisant des rouges et un rosé vendus sous l’IGP Vin de Pays du Lot. Près de Gourdon, Christian Roch a en 1997 planté 1 ha et réhabilité une vieille vigne pour produire un vin passerillé qu’il appelle vin de grenier. Un vin paillé est élaboré de manière similaire à Branceilles, en Corrèze, où le vignoble relancé en 1987 couvre maintenant 30 ha donnant égale- ment du rouge et du rosé. Plus original, en 1995, un vignoble disparu depuis un siècle a resurgi dans les dunes de Capbreton sur la côte landaise, où Nicolas Tison, du Domaine Les Dunes de la Pointe a planté 5 ha de chenin, cabernet franc, cabernet sauvignon et tannat pour produire des vins rouges, rosés et blancs. Dans l’Ariège, c’est en 1998 que quatre amis ont relancé la culture de la vigne en plantant syrah, merlot, cabernet sauvignon et pinot noir. Reconnaissance du travail fourni, ils ont cet automne obtenu la création d’une IGP. Un petit vignoble a également été recréé par des amateurs à Treigny, dans le sud de l’Yonne. Mais dans l’Est de l’Hexagone, la renaissance la plus notable est celle des coteaux du Giers, entre Lyon et Saint-Etienne. Initiée par une association à partir de la fin des années 80, elle a conduit à un vignoble qui s’étend aujourd’hui sur plus de 30 ha. Il faut aussi signaler le vignoble mosellan qui n’a certes jamais disparu mais s’était rétréci à 4 ha en bordure du Luxembourg et de l’Allemagne. Depuis le milieu des années 90, avec l’appui des Pouvoirs publics, il a reconquis des terres au sud de Metz et près de Château-Salins. Comptant désormais 64 ha, il a obtenu une AOP en 2010 et une route des vins y a même été inaugurée en 2013. Q L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 19 Dossier | Quand le vin innove Diversification des cépages De nombreux cépages abandonnés après le phylloxéra pour des raisons techniques ou économiques font leur réapparition. Recherche d’une identité locale, volonté de se distinguer commercialement et intérêt technique explique cette évolution récente. ’ Thierry Joly D ici peu, il ne suffira plus de pouvoir citer des cépages comme le pinot noir, le merlot, le chardonnay ou le grenache pour faire figure de connaisseur en matière de vin. Un peu partout en France, un nombre croissant de vignerons remet en effet à l’honneur des cépages qui étaient tombés dans l’oubli et qui pour certains ont failli disparaître. Un intérêt qui remonte au début des années 80 avec des pionniers comme Michel Grisard, en Savoie, à l’origine de la réhabilitation de la mondeuse. Dans les années 90, les vignerons d’Ardèche se sont, eux, intéressés au chatus dont ils ont obtenu le reclassement en cépage recommandé. Poulsard, dans le Jura, et Pineau d’Aunis, dans la vallée du Loir, ont également fait l’objet de plus de considération et retrouvé les faveurs des viticulteurs. Un mouvement qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Des centres d’ampélographie régionaux ont vu le jour à l’initiative de vignerons passionnés, soucieux de préserver le patrimoine végétal et de renouer des racines locales qui retrouvent des variétés oubliées en parcourant les vignes familiales et celles en friche. Depuis trois ans se tient aussi chaque automne une Rencontre des Cépages Modestes. « En 1982, j’étais seul à prêcher pour ces cépages, mais aujourd’hui il y a des milliers de vignerons de toute la France qui s’y intéressent et cela commence même à bouger un petit peu au sein des coopératives », affirme Robert Plageoles, un autre pionnier. Avec son fils Bernard, ils ne cultivent pratiquement plus que d’anciens cépages (mauzac noir, verdanel, prunelard, ondenc, …) sur leur domaine du gaillacois. « Nous sommes en train de nous réveiller, mais restons encore très en retard sur ce Christian Roche sujet comparé à la Suisse ou au Val d’Aoste. De plus, nous devons faire vite afin de bien rappeler que ce sont nos cépages car ils intéressent les producteurs du Nouveau Monde et ils ont l’esprit ouvert », estime Nicolas Gonin, vigneron en Isère et vice-président du Centre d’Ampélographie Alpine, qui cultive persan, mècle et verdesse. « Cela permet de faire des vins avec un goût différent et d’avoir moins à se battre sur le prix. Ils sont en outre faciles à vendre chez nous comme à l’export car les gens qui ont tout dégusté veulent de nouvelles choses à des prix abordables », ajoute-t-il. « C’est un atout commercial indéniable. Les gens en sont friands car ils en ont marre des cépages courants et cela marche partout, peut-être encore mieux à l’export », confirme Bernard Plageoles. « Mais attention, produire du bon vin avec 20 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 ces cépages demande du temps, il nous a fallu 20 ans pour les retrouver, les étudier, identifier leurs qualités gustatives et en tirer le meilleur parti », ajoute Robert Plageoles. « Le chatus est un cépage unique, qui est propre à notre département et qui nous permet de nous distinguer, mais il faut expliquer aux clients ce qu’il est. Un marché ne se fait ni vite ni tout seul », tempère André Mercier, président du groupe coopératif UVICA – Vignerons Ardéchois. Cet engouement pour les anciens cépages est particulièrement sensible dans le sudouest où grenache gris, carignan blanc, rybeyrenc, fer servadou, abouriou, jurançon noir et bien d’autres ont ainsi fait leur réapparition ici et là. Benoît Braujou, du domaine Font-Sanatis, dans l’Hérault, a lui choisi de réhabiliter l’aramon assimilé à la production de masse de vin table. « On a forcé les languedociens à le planter pour abreuver les troupes, puis à l’arracher pour sa piètre qualité. J’ai voulu montrer qu’on pouvait en tirer un bon vin en réduisant le rendement ». Mais on le retrouve dans toute la France, même dans l’appellation champagne. Des vignerons y ont replanté pinot blanc et gris, arbanne, petit meslier et la maison Duval-Leroy fait une cuvée spéciale avec ce dernier cépage. Seuls le Bordelais et la Bourgogne font exception car la liste des cépages autorisés y est réduite et produire en dehors de l’AOC serait trop dommageable en terme de prix. « Mais beaucoup de grands chefs et sommeliers ne se préoccupent pas de l’appellation, ils regardent la typicité et la qualité », précise Robert Plageoles. Reste que ces cépages sont plus coûteux à planter car pas éligibles aux primes, ce qui est un frein. Cependant, ils ne permettent pas uniquement de se distinguer commercialement. Ils peuvent en outre avoir des avantages qualitatifs et techniques. « Utiliser des cépages locaux plus tardifs m’a clairement permis d’améliorer la qualité de mes vins car ils mûrissent plus lentement et donnent ainsi des vins ayant plus de complexité, plus d’acidité, plus de tannins », assure Nicolas Gonin. « Avec le réchauffement climatique, nous aurons besoin de cépages qui apportent fraîcheur et acidité. Mieux vaut des variétés anciennes que des créations de laboratoire sur lesquelles nous devrons payer des royalties », déclare Frédéric Dorthe, vigneron de l’appellation Côtes du Rhône en Ardèche méridionale. Dans la même région, Raphaël Pommier, du domaine Notre-Dame-de-Coussignac, a d’ores et déjà incorporé 10 % de counoise Thierry Joly Quand le vin innove | Dossier Raphaël Pommier incorpore de la counoise dans une de ses cuvées dans l’une de ses cuvées. « J’ai pu en planter grâce à quelques pieds retrouvés dans les vignes de mes grands-parents ». Ceci étant, pour Lilian Berillon, pépiniériste du Vaucluse proposant des cépages peu courants, il ne faut pas perdre de vue que « certains ont été abandonnés à juste titre ». Il estime par ailleurs qu’il faudrait aussi s’intéresser aux variétés pré-clonales des cépages dits internationaux. « Cela pourrait par exemple être une voie à explorer pour lutter contre le dépérissement de la syrah car quelques-unes n’ont pas ce problème génétique ». Q LES DERNIERS-NÉS Quelques cépages modernes ont eux aussi fait leur apparition dans les vignobles. C’est le cas de deux variétés que l’on rencontre désormais dans les vignes du sud-est, le caladoc, né en 1958 d’un croisement de grenache et de malbec, et le marsellan obtenu en 1961 par croisement du grenache et du cabernet sauvignon. « Le premier a de belles qualités aromatiques et gustatives. Le second donne des rouges très typés », affirme Patrick Michel, président du syndicat des Vignerons d’Arles chez qui ces cépages représentent chacun ¼ de l’encépagement. Créé en 1970 en Suisse par croisement du gamay et du Reichenstein, le gamaret commence à intéresser les vignerons du Beaujolais car il donne des vins colorés même à fort rendement et résiste bien au botrytis. Il n’est pour l’heure pas autorisé pour l’AOC, mais une réflexion est en cours sur le sujet. Quant à Christian Roch, installé près de Gourdon, il a choisi d’élaborer son vin passerillé blanc à partir de liliorila, obtenu en 1956 par croisement entre le baroque blanc et le chardonnay. « Pour ses qualités organoleptiques et pour marquer ma différence ». L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 21 Dossier | Quand le vin innove Q Vins effervescents Des petites bulles qui montent Les ventes de vins effervescents sont en hausse. Cependant, la crise pèse sur les ventes de champagne en Europe et en France. Moins onéreux, les crémants tirent leur épingle du jeu. mauvais champagne ». De fait beaucoup de consommateurs n’hésitent plus à les servir à la place du champagne et le crémant représente désormais 24 % de la production de vin alsacienne. Heureusement pour le champagne, ses ventes continuent à croître hors de l’UE, tant sur des marchés traditionnels comme le Japon et les Etats-Unis que sur des nouveaux acheteurs comme l’Australie, qui jouit d’une bonne santé économique, la Russie et la Chine. Des pays qui sont en outre un débouché pour les bouteilles haut de gamme. Conséquence, en valeur les ventes de champagne se maintiennent autour de 4,4 milliards d’euros. Mais, 90 % des exportations sont faites par les grandes maisons. Plus exposés à la morosité européenne, les vignerons indé- 22 | L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 pendants regardent vers l’œnotourisme car ils sont nombreux à affirmer : « Quand les touristes français viennent dans la région, ils sont surpris de voir qu’ils peuvent trouver de bons champagnes à un prix très raisonnable ». Cette année le VITEFF comprenait ainsi pour la première fois un espace conseil pour ceux désireux de s’engager sur cette voie. Comme dans les deux précédentes éditions, il proposait aussi des ateliers apprenant à marier les champagnes avec des cuisines étrangères ou avec des mets inhabituels afin de donner aux vignerons plus d’arguments de vente. Le packaging est un autre axe à explorer pour séduire le consommateur. Le succès du champagne Tsarine, du groupe Lanson, doit ainsi beaucoup à sa bouteille aux lignes torsadées. Q Thierry Joly A lors que la production mondiale de vin baisse depuis plusieurs années, celle de vin effervescent ne cesse de croître et représente désormais 7,7 % du total. Elle s’internationalise également et le dernier VITEFF (Vini-viticulture, Techniques et Effervescents) a accueilli 10 % de visiteurs étrangers venant d’environ 25 pays du monde entier. Des producteurs traditionnels de vins comme le Chili, les USA ou l’Italie, mais aussi des nouveaux venus sur ce créneau comme le Brésil ou l’Ouzbékistan. Organisé tous les deux ans à Epernay, ce salon regroupait 440 exposants dont 60 % originaires de la région. « Le champagne c’est 4,4 milliards d’euros de ventes par an mais aussi un millier d’entreprises annexes en amont et en aval qui réalisent un CA d’un milliard d’euros », souligne Aymeric Tansini, directeur du Développement Economique au sein de la Communauté de Communes Epernay Pays de Champagne. Premier producteur mondial avec 640 millions de cols, dont la moitié de champagne, la France est également le premier exportateur en valeur, mais,en volume, elle doit se contenter de la troisième place derrière l’Italie et l’Espagne. Notre part de marché qui était de 33 % en 2001 s’est ainsi réduite à 19 %. Malgré sa notoriété mondiale, le champagne a vu ses ventes s’effriter de 4,4 % en 2012 et cette tendance s’est confirmée sur les huit premiers mois de 2013. Vu comme une boisson destinée aux grandes occasions, il subit les effets de la crise en Europe et en France. Moins chers, désormais d’une excellente qualité, les crémants d’Alsace, de Bourgogne et de Loire en profitent et l’on entend de plus en plus souvent : « Mieux vaut un bon crémant qu’un Quand le vin innove | Dossier Le vin dans tous ses états La carte de France des cépages et des grands crus Merlot, cabernet-sauvignon, cabernet franc, pinot, syrah (en noirs) et chardonnay, sauvignon (en blancs)… On trouve plus de 6 000 variétés ou cépages de «vitis vinifera» (l'espèce de vigne cultivée pour le vin et les raisins de table). ALSACE Se ine R Reims Château-Thierry Châte âte erryy Pinot Noir, Blanc et Gris, Muscat, Riesling, Sylvaner, Gewurztraminer, Chasselas... Strasbourg EST Epe na Epernay CHAMPAGNE Chardonnay, Pinot Noir, Pinot Meunier… B rBar-sur-Aube b Orléans ns s Loi re Auxerre A Angers Poitti Poitiers La Rochelle occhelle o ch Cabernet franc, Melon, Chenin, Gamay, Sauvignon... Mâcon n BUGEY BU B Y Roanne o e C er ntClermontFe ran FFerrand SUD-OUEST Bo ordeaux aux ux Mauzac, Sauvignon, Jurançon blanc, Sémillon, Cabernet franc et sauvignon, Malbec, Syrat, Gamay… SAVOIE AV L Lyon L LYONNAIS VALLÉE DU RHÔNE Va Valence D Die Viognier, Marsanne, Clairette Syrah, Grenache, Carignan, Cabernet Franc, Sauvignon… PROVENCE Clairette, Ugni Blanc, Sémillon, Grenache, Syrah, Cinsault, Carignan… Ni Nice Nîîmes Nîmes ne ron Ga S SUD-OUEST BEAUJOLAIS EAUJO AU O Rhône BORDELAIS JURA U Ugni blanc, Colombard, Folle blanche Ang Angoulê goulême lêm lême Sauvignon, Sémillon, Merlot, Cabernet Franc et Sauvigon, Malbec… Moulins ulin COGNAC Sa aintes aint tte Pinot Noir, Blanc et Gris, Gamay, Chardonnay, Aligoté... Beaune ne e Nevers VALLÉE DE LA LOIRE BOURGOGNE Dijon on Tours Tours urs Nan Nantes Nant antes tes Co C olmar Gu G Gue ue ebwiller Montpellier Mo M ontpell o ntpe er Toulouse Mars Ma rsei eilllllle ei eille e Carcassonne C a nne ne e Narb Na rb rbonne Pe P erpignan LANGUEDOC ROUSSILLON Toul To ulon lon n CORSE Muscat, Vermentino, Sciaccarellu… Ugni blanc, Carignan, Grenache, Syrah, Merlot, Clairette, Muscat Cabernet, Cinsault... Business (2012) La France est le mondial de vin 1 er producteur Production total, en millions d'hectolitres France Italie Espagne États-Unis 41,4 40 30,3 20,5 17 % du vin produit dans le monde est français 1 er La France est le consommateur mondial de vin : 50 L/ an / habitant 30 % des vins français sont exportés, ce qui représente 7,83 milliards d'€ en 2012 (commerce mondial : 25,29 milliards d'€) Source: OIV L’Information Agricole - N° 872 Novembre 2013 | 23