Stress, maladie d`Alzheimer et psychothérapie
Transcription
Stress, maladie d`Alzheimer et psychothérapie
Stress, maladie d’Alzheimer et psychothérapie F. MOULIN (1), I. CANTEGREIL-KALLEN, J. DE ROTROU, E. WEINISCH, F. BATOUCHE, A. RICHARD, A.S. RIGAUD INTRODUCTION Le patient atteint de maladie d’Alzheimer est, tout au long de sa maladie, confronté à des situations de stress potentiellement important. Ces épisodes de stress lorsqu’ils se renouvellent trop souvent peuvent entraîner un état de stress chronique dont on sait les effets délétères sur l’état cognitif du patient mais aussi sur son entourage proche, en particulier sur son aidant naturel. De ce fait, ce stress doit être pris en considération et traité. Selon Kolbell (5), « le stress désigne un état de déséquilibre physiologique et psychologique qui résulte d’une perception subjective d’un individu de ne pas disposer des ressources internes suffisantes pour faire face à la demande ». Au cours de la maladie d’Alzheimer et du fait de ses troubles cognitifs, le patient risque de se trouver dans des situations génératrices de stress. C’est par exemple au moment de l’annonce du diagnostic qui peut faire émerger, parfois assez brutalement, des sentiments et des émotions envahissants tels que la honte, la peur du rejet et de l’échec ou la crainte de n’être plus pris au sérieux (4). C’est aussi la peur de l’avenir avec en toile de fond le spectre de la dépendance. À des stades plus évolués, le stress peut être déclenché par un sentiment d’incompréhension du monde environnant. De même, le vacillement de l’identité est source de stress et d’angoisse majeurs. Le stress entraîne des conséquences nombreuses qui sont d’autant plus dommageables pour le patient qu’il s’installe durablement. En premier lieu il affecte son assise narcissique dont témoignent à la fois la perte de confiance en ses capacités et la baisse de l’estime de soi. Il entraîne de l’anxiété, parfois de l’angoisse puis éventuellement si rien n’est fait de la dépression. L’évitement des situations difficiles et le repli sur soi en sont des conséquences directes. En second lieu, il peut affecter l’environnement proche, en particulier l’aidant naturel dont le fardeau et l’épui- sement augmentent. D’un point de vue relationnel, l’impact des troubles cognitifs et émotionnels peut être à l’origine de conflits qui renvoient douloureusement le patient à ses incapacités. En outre, en retour, des réponses inadaptées de la famille ou des aidants peuvent produire l’apparition de troubles du comportement voire une majoration des troubles cognitifs. Prendre en compte et gérer le stress constitue donc une priorité pour le patient mais aussi pour sa famille. Dans cette tâche, le soutien psychologique occupe une place prépondérante en ce qu’il va permettre un espace de parole où pourront s’exprimer les préoccupations, les craintes et les angoisses suscitées par la maladie. En outre, pour que la maladie prenne sens, il faut Laboratoire de Neuropsychologie, CHU, Avenue de la Côte de Nacre pouvoir aider le patient à l’inscrire dans le décours de sa vie. Malgré tout, il est avéré que la prise en charge psychologique de la maladie ne pourra qu’être différenciée selon le stade de la maladie et selon les ressources langagières du patient. Alors qu’à des stades débutants à modérément sévères de la maladie, les prises en charge par la parole, individuelles ou en groupe, sont à privilégier, lorsque la maladie s’aggrave et que le langage se désarticule, les thérapies non verbales prennent le relais. Ce sont les thérapies psychocorporelles qui privilégient la sensorialité telles que la relaxation, les massages, la balnéothérapie. Ce sont aussi l’art-thérapie, la musicothérapie, le travail sur les couleurs, le toucher ou le goût. Ici, l’objectif est la recherche du bien-être et le renforcement de l’identité. Certains auteurs (6, 2) insistent sur l’intérêt du travail en groupe par la dynamique qu’elle produit. Nous nous attacherons ici particulièrement à la psychothérapie de soutien qui concerne donc des patients ayant conservé des capacités langagières suffisantes pour qu’un travail de ce type puisse être envisagé. (1) Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris. S 1158 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1158-9, cahier 4 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1158-9, cahier 4 OBJECTIFS Au-delà des objectifs généraux des psychothérapies de soutien, les objectifs poursuivis dans le cadre de la maladie d’Alzheimer varient en fonction de la problématique actuelle. Toutefois, dans tous les cas, il s’agit d’accompagner et de soutenir le patient dans les périodes difficiles. Au début de la maladie, c’est au moment de l’annonce du diagnostic qui est parfois vécue comme une déflagration psychique suivie de sidération puis d’angoisse. Il faut alors en soulageant la souffrance aider le patient à accepter sa maladie et à comprendre ses troubles. Il faudra aussi l’accompagner dans le travail de deuil de la fonction perdue et l’aider lorsque c’est encore possible à relancer les investissements psychiques. Ceci contribuera à lutter contre l’apathie et le désintérêt dont on sait qu’ils apparaissent assez rapidement dans la maladie et qu’ils sont particulièrement mal tolérés par l’entourage. Lorsque la maladie est plus avancée, d’autres objectifs se surajoutent. C’est par exemple la conservation des capacités de communication, notamment verbales et des capacités d’initiation et de maintien d’une relation interpersonnelle. Lorsque la pensée devient plus troublée il s’agira plutôt de maintenir les liens au niveau de la pensée (7) et de renforcer l’identité qui vacille progressivement avec l’avancée de la maladie. Certains objectifs cognitifs peuvent être poursuivis dans le même temps en aidant le patient, lorsque c’est encore possible, à limiter l’impact de ses troubles au quotidien. En l’occurrence, la mise en place et le suivi d’un carnet mémoire sont parfois tout à fait appropriés. MÉTHODES Pour réaliser ce travail, diverses méthodes peuvent être utilisées exclusivement ou conjointement selon le patient et sa problématique ou l’approche du thérapeute. Notons avant d’en décrire quelques-unes que dans les pays anglo-saxons, il existe un large consensus pour affirmer que les thérapeutes, les patients et leurs familles doivent chacun être reconnus comme des experts (3). Dans notre pratique nous adhérons à ce postulat de base car en mettant chacun à la même hauteur, il permet de d’engager plus rapidement et plus aisément un processus thérapeutique actif. En premier lieu, nous citerons les méthodes qui s’appuient sur la mise au jour des caractéristiques intrapsychiques des patients. Au niveau inconscient, ce sont les mécanismes de défense, à un niveau plus conscient, ce sont les processus de coping. L’exploration de ces mécanismes et processus peut permettre d’une part de les utiliser pour résoudre la crise et développer de nouveaux champs d’investissement psychique, d’autre part en les Stress, maladie d’Alzheimer et psychothérapie explicitant et en les réutilisant, de permettre l’acceptation de la maladie. Butler (1) propose par la méthode de « life review » de solliciter des souvenirs anciens afin de faire émerger des émotions qui seront utilisées pour avancer vers l’acceptation de la maladie et l’inscrire dans la vie présente. Ici, la prise en charge ne peut être qu’individuelle et conduite par un psychologue qui saura gérer les retours de souvenirs éventuellement traumatiques. Au plan narcissique, un travail en groupe peut être efficace pour améliorer la confiance en soi et l’estime de soi. Enfin, il est fondamental d’aider le patient à rechercher des supports d’aide qui contribueront à lutter contre le sentiment d’isolement. Un travail de Midori-Hanna (3) a montré que pour éviter l’isolement un patient doit disposer de deux personnes auxquelles il peut demander de l’aide en toute confiance. En outre, il faudra l’aider à développer sa confiance dans les autres, son entourage direct ou les soignants, dans le but d’améliorer sa compliance aux soins et surtout d’accepter l’aide de l’entourage, parfois vécue comme intrusive ou signe de disqualification. CONCLUSION Ainsi, la prise en considération de la souffrance du patient et de ses préoccupations autour de la maladie et de l’avenir est primordiale car d’une part, elle permet l’amélioration de la compliance aux soins et d’autre part, elle peut aider activement le patient à reconstruire une image de lui-même plus stable et plus positive. Pour cela, il nous semble toutefois nécessaire de promouvoir la complémentarité des approches afin de répondre aux besoins du patient à un moment donné de la façon la plus pragmatique et la plus efficace. Par ailleurs, un travail d’évaluation des techniques psychothérapiques devrait pouvoir s’engager afin de proposer aux patients les méthodes les plus efficaces. Références 1. BUTLER RN. The life review : an interpretation of reminiscence in the aged. Psychiatry 1963 ; 26 : 65-76. 2. CHARAZAC P. Psychopathologie du sujet âgé. Paris : Dunod, 1998. 3. HARGRAVE TD, MIDORI-HANNA S. The aging family. New visions in theory, practice and reality. New-York : Brunner-Marel, 1997. 4. HUSBAND HJ. Disclosure of diagnosis in dementia : an opportunity for intervention ? Int J Geriatr Psychiatry 2000 ; 15 : 544-7. 5. KOLBELL. In : Murphy LR, Hurell JJ, Sauter SL, Keita GP, eds. When relaxation is not enough. Job Stress Interventions. Washington DC, APA, 1995. 6. MEMIN C. Les groupes de conversation. Gérontologie 1991 ; 78 : 10-3. 7. PÉRUCHON, THOMÉ-RENAULT A. Destins ultimes de la pulsion de mort : figures de la vieillesse. Paris : Dunod, 1992. S 1159