Eclairage - Académie de Lille

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Eclairage - Académie de Lille
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Des lectures et des écritures
La littérature de jeunesse en langues étrangères
Qu’est devenu le « storytelling » à l’ère du Cadre européen commun de
référence pour les langues ?
Véronique Lemoine,
conseillère pédagogique départementale langues vivantes étrangères
Depuis l’entrée des langues vivantes à l’école élémentaire (de l’initiation des années
90 à l’enseignement des années 2000) et l’introduction de la notion de « littérature
jeunesse », les histoires en langues étrangères se sont fait une place de choix dans
les programmations de séquences en classe.
Quel enseignant n’a jamais feuilleté le célébrissime « Storytelling handbook for Primary
teachers » de Gail Ellis ?
De nombreuses cohortes d’élèves ont certainement rencontré les ouvrages d’Eric Carle et
partagé les aventures de l’incontournable petite chenille dans
« The very hungry caterpillar ». Mais aussi dans la sphère des
recommandations1 les formateurs langues ont produit divers
outils pédagogiques pour mettre en place, en classe, des
activités autour d’un album.
Si les termes lire ou raconter peuvent faire l’objet d’une précision
importante, les enseignants de classes élémentaires ont
essentiellement fait entrer les livres en langues étrangères dans leurs classes afin que les
élèves s’imprègnent d’histoires issues du pays dont ils apprennent la langue, mais aussi qu’ils
participent activement à la découverte de la langue par un support riche qui fait sens pour eux.
Comment orienter ses choix ?
Ainsi les enseignants choisissent un album dont le contenu en termes de savoirs peut entrer
en articulation avec les programmes officiels : les élèves vont pouvoir enrichir leurs
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A l’Inspection Académique du Nord de nombreux albums jeunesse ont été didactisés par le groupe d’animateurs formateurs
langues allemand et anglais en 2000 et 2002 et mis à disposition des circonscriptions du département. Voir les ressources sur
le site www.ac-lille.fr/ia59 > Espace pédagogique > Ressources pédagogiques > Langues vivantes
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connaissances d’un lexique axé sur un thème spécifique et s’entraîner à certaines structures
linguistiques.
Pour illustrer ces propos, l’enseignant choisit par
exemple « Dear zoo » de Rod Cambell pour amener le
corpus des animaux sauvages, mais aussi un éventail
d’adjectifs qualificatifs et des formules répétitives (« he
was too…, I sent him back »).
Pour familiariser les élèves avec l’heure, le choix se porte
sur « What’s the time, Mr Wolf ? ».
Très en vogue, les albums d’Anthony Browne que les
enseignants exploitent aussi en interdisciplinarité ou
comment établir des passerelles entre les langues
étrangères et les autres disciplines de l’école élémentaire.
En effet, il est fréquent que l’enseignant qui propose «
Willy the dreamer » aux élèves, fasse du lien avec les arts
visuels. Ainsi le travail linguistique s’articule avec le
développement d’une attitude de curiosité pour les
productions artistiques des pays du monde.
Force est de constater que les vingt dernières années ont
fait une large place aux albums en classe de langue. Le
contenu linguistique est alors un terrain favorable à la
mise en place d’interactions entre le maître et les élèves
voire entre les élèves eux-mêmes. Des jeux de questionsréponses en binômes, de reprise de formulations avec le
remplacement d’un mot par un autre, la pratique de jeux
emblématiques de l’enseignement des langues (bingo,
maze, memory game) entourent en général cette entrée
dans la littérature jeunesse en langues étrangères et
s’organisent autour de cette approche. L’un des buts
évident de cette pratique en pédagogie des langues est
que les élèves acquièrent des connaissances linguistiques
et culturelles par le biais d’un support familier, mobilisateur
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et intéressant. On est bien ici dans une pratique scolaire de simulation où l’élève apprend à
mémoriser du lexique et des formulations, les réinvestit dans diverses activités ludiques et
apprend des éléments parcellaires de la culture du pays dont il apprend la langue.
Que devient cette activité phare de l’enseignement des langues à
l’école élémentaire qui a été largement portée par l’approche
communicative ?
Il suffit de parcourir les nombreux sites internet institutionnels pour noter que la pratique
littéraire perdure et reste d’actualité en 2011. Cette pratique se trouve d’ailleurs enrichie de
nouvelles conceptions telles que le « drama », ou le retour des activités « multi
sensorielles », où parfois le support livre devient secondaire, voire inexistant. Une entrée
différente dans les histoires qui prône une « autre conception de l’apprentissage [qui permet]
le développement de la créativité, du sens critique et l’interprétation de rôles seul et en
équipes » (Aden, Lovelace, 2004 : 19).
Mais peut-on penser que telle activité autour des histoires est enseignable dans une
perspective actionnelle2 où le rapport classe-monde, scolaire-extrascolaire est une
préoccupation explicite ?
Quelle pratique du « storytelling » ?
Cette pratique du « storytelling » s’accommode-t-elle de la notion de tâche ?
Partant du principe qu’il existe de nombreuses définitions de la notion de tâche, on peut,
dans le cadre scolaire s’accorder à parler d’une tâche pédagogique que les élèves vont
devoir accomplir dans le cadre de l’enseignement-apprentissage. Ce qui sous-tend la
planification d’étapes intermédiaires pour parvenir à un résultat. Pour situer cette tâche dans
une perspective actionnelle l’enseignant veillera à une articulation pertinente entre une tâche
d’apprentissage en classe et une action hors de la classe, dans le monde. Si la
préoccupation de l’enseignement des langues a toujours été de faire du lien avec la vie en
société, celle-ci est encore plus forte aujourd’hui, dans un contexte marqué par l’enjeu à
former des citoyens européens.
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Voir aussi : Bulletin départemental du Nord n°106 - La perspective actionnelle : l’approche par les tâches
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Ainsi dans les pratiques de « storytelling » quelle place accorder aux valeurs humanistes, au
développement de savoir-faire, de savoir être et de savoir apprendre alors que la tendance
passée a surtout permis de développer des connaissances linguistiques et culturelles, au
risque parfois de véhiculer des idées figées, parcellaires voire stéréotypées ?
La question se fait pressante et les enseignants sont interpellés dans des ouvrages
généraux qui permettent la réflexion. Par exemple, Blaise Bonneville3 offre un éclairage sur
les clichés et les idées caricaturales qui abondent sur le Royaume-Uni. Alors comment les
enseignants forment-ils, sensibilisent-ils les élèves à l’Autre par le biais d’un album jeunesse
en langue étrangère ? La question est vaste et complexe car il n’existe pas de boîtes à outils
toutes faites mais plutôt des axes de réflexion qui peuvent aider l’enseignant à s’y retrouver
dans sa pratique du « storytelling » dans un enseignement qu’il voudrait de type actionnel,
en prise avec le monde extérieur.
Tout d’abord, si le « storytelling » dans une approche communicative a surtout donné au
maître le rôle de celui qui sait et a favorisé ensuite le travail par deux, il est souhaitable de
proposer des activités collaboratives où les élèves auront à travailler ensemble autour d’un
album.
Le maître peut ensuite se questionner sur le destinataire des activités produites par les
élèves : les parents, la classe uniquement, une autre classe de l’école, des correspondants,
un partenaire extérieur ? L’album choisi permet-il la mise en place d’un débat en classe,
notamment en langue française ? L’album choisi donne-t-il l’occasion aux élèves d’exprimer
des émotions différentes et de les faire connaître, de les partager ? L’enseignant dans la
préparation des étapes de découverte de l’album a l’occasion de prévoir des activités qui
mettent en œuvre l’usage des nouvelles technologies avec une recherche d’informations par
les élèves avec une sélection et une communication de celles-ci. Dans un rôle de
mobilisateur l’enseignant peut proposer aux élèves plusieurs livres, et
ceux-ci auront à faire un choix par groupes. Le choix, une fois opéré pourra
être expliqué aux autres groupes de la classe : qui sont les personnages,
ce que les élèves aiment particulièrement : aspects linguistiques (les mots
qui riment dans « One mole digging a hole » de Julia Donaldson),
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BONNEVILLE Blaise (2010), Aujourd’hui, le Royaume-Uni, Scéren, Questions Ouvertes
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illustrations (dessins fantastiques comme dans « Witch, witch come to my party » d’Arden
Druce) thème abordé (le regard porté sur son père comme dans « My Dad » d’Anthony
Browne), livre qu’ils connaissent en français (« Goldilocks and the three bears »),
l’accompagnement du texte par un CD audio (« Hooray for fish ! » de Lucy Cousins, « Hippo
has a hat » de Nick Sharratt).
En conclusion
Utiliser aujourd’hui un album jeunesse en langues étrangères dépasse la seule transmission
de savoirs linguistiques et culturels, mais interpelle aussi l’enseignant quant à la question du
développement des compétences de l’élève en tant que futur citoyen qui va se construire
avec et par les autres dans des échanges critiques et en mouvement.
Bibliographie
ADEN Joëlle, LOVELACE Kester (2004), 3, 2, 1… Action ! Le drama
pour apprendre l’anglais au cycle 3, Scéren, CRDP Académie de
Créteil
DEYRICH M.-C. (2007) Enseigner les langues à l’école, Ellipses
ELLIS Gail, BREWSTER Jean (1991), The storytelling handbook for
primary teachers, Penguin
ELLIS Gail, BREWSTER Jean (2002), Tell it again, The New
Storytelling Handbook for Primary Teachers, Penguin
Bulletin départemental du Nord n°106 : Le cadre européen
commun de référence pour les langues
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