Confiance et bien-être au travail : rétablir l`un pour améliorer l`autre

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Confiance et bien-être au travail : rétablir l`un pour améliorer l`autre
Santé-Sécurité
Confiance et bien-être au travail : rétablir l'un pour
améliorer l'autre
Laurent Karsenty,
ergonome de formation, gérant du cabinet ErgoManagement
Laurent Karsenty, gérant du cabinet conseil ErgoManagement fonde ses interventions en
entreprise sur la notion de confiance. Pour lui, la confiance est au coeur des relations de travail.
C'est un facteur incontournable à la fois de la performance de l'entreprise et du bien-être des
travailleurs. Et c'est aussi un facteur protecteur primordial des risques psychosociaux.
Vous avez choisi d'aborder les problèmes de management et de gestion des relations dans
l'entreprise par le prisme de la confiance, pourquoi ?
Laurent Karsenty : pour comprendre pourquoi, il faut tout d'abord définir ce que l'on entend par
confiance. Ainsi, l'on peut dire que la confiance c'est : "l'assurance que l'on a vis-à-vis des autres dont
on dépend pour croire que les choses vont bien se passer". Et le travail est un lieu particulièrement
riche en interdépendance. Entre collègues, entre cadres et employés, entre direction et salariés ainsi
qu'avec l'extérieur entre clients et fournisseurs etc. Dès lors qu'on est dépendant d'autres personnes
et que l'atteinte de l'objectif n'est pas certaine, il faut faire confiance pour s'engager, pour travailler.
Un certain nombre de maux du travail actuels proviennent d'une perte de confiance réciproque entre
les différents acteurs, c'est pourquoi j'ai décidé de m'attacher à cet aspect des choses.
Il est assez rare, en France, d'aborder le bien-être au travail par la notion de confiance, est-ce une
"idée nouvelle" ?
L.K. : En France, c'est effectivement assez peu répandu - même si cette notion de confiance est
travaillée depuis les années 1980, elle n'est pas devenue un axe de travail à part entière pour
l'amélioration du fonctionnement des organisations. Mais le thème est loin d'être une "idée
nouvelle". Aux Etats-Unis, on compte plus de 40 ans d'études sur la confiance en milieu de travail.
Aussi, il y a largement de quoi se documenter sur le sujet pour la personne qui veut s'y intéresser. Les
choses changent toutefois. Par exemple, le RESACT Midi-Pyrénées en collaboration avec l'Institut
Confiances récemment créé ont organisé en 2012 à Toulouse une journée sur le thème de « La
Confiance au travail » qui a réuni des dirigeants, des représentants du personnel, des chercheurs, des
ergonomes et des médecins du travail concernés par ce sujet.
Comment liez-vous confiance et bien-être au travail ?
L.K. : il y a bien sûr le lien évident que tout le monde peut faire. La méfiance, engendre la crainte et la
peur et pousse à la rupture des relations alors que la confiance apporte la sérénité et favorise le
sentiment de bien-être. Mais plusieurs études ont montré que ce lien a des impacts spécifiques qui
ont été évalués. Ainsi quand la confiance règne (et cette confiance peut être analysée à plusieurs
niveaux : personnelle, interpersonnelle ou organisationnelle - on parle alors d'un climat de confiance)
on observe une diminution du stress, une baisse du turn-over (ou au moins de la volonté de quitter
l'entreprise) et de l'absentéisme et des indicateurs de satisfaction et d'engagement au travail plus
élevé. D'autre part, la performance des entreprises augmentent nettement (les indicateurs financiers
montrent par exemple des bénéfices avant impôts multiplié par 4 - voir ici). Ces résultats s'expliquent
par le fait que la confiance facilite tous les processus de coordination entre les différents acteurs de
l'entreprise (voir encadré).
Pourquoi la performance est améliorée ?
"La performance de l'entreprise s'améliore quand les relations de
confiance sont solides car elles jouent directement sur ce que l'on appelle
les coûts de transaction, c'est-à-dire tous les processus nécessaires pour
organiser et contrôler le travail. Ainsi, on observe que les communications
sont plus fréquentes, plus riches, que les informations sont plus
complètes et opportunes, qu'il y a moins d'erreurs d'interprétation, plus
de critiques constructives. En outre, les efforts de contrôle ou de
coordination qui sont les marqueurs d'un manque de confiance
diminuent sensiblement. Dans le même temps, ce climat favorise aussi
l'innovation, les différents acteurs osent dire ce qu'ils pensent, osent
critiquer, douter et donc font plus facilement face à des problèmes
complexes."
Comment mesure-t-on la confiance au travail ?
L.K : Aujourd'hui on mesure la confiance au travail avec le même genre d'outils et de méthodes que
pour le risques psychosociaux - RPS), c'est-à-dire à partir de questionnaires ou d'entretiens. Ces outils
visent à évaluer les 3 grands facteurs qui fondent la confiance : les compétences, l'intégrité /
fiabilité (cohérence entre principe, valeurs et actions) et la bienveillance (souci de l'autre). Les
questionnaires permettent par exemple de sonder la confiance dans une entreprise dans ses
différentes composantes (verticales et horizontales) et d'en tirer une cartographie des relations de
confiance. Cependant, il est généralement nécessaire d'effectuer des entretiens et des analyses qui
permettront de comprendre l'état des relations dans une entreprise. Pour cela, on va s'attacher à
identifier des événements qui ont entrainé une baisse de confiance et l'on va confronter les
interprétations données à ces événements. En complément, on va analyser ce qui dans les modes de
management, l'organisation du travail et la structuration informelle des collectifs peut nourrir la
défiance ou la méfiance.
Comment la confiance se perd-elle ?
L.K. : En explorant les raisons de la perte de confiance, on trouve souvent une attente déçue sans
explication acceptable. Cette attente peut être tout autant issue d'un engagement explicite que d'un
accord tacite. Et c'est souvent l'interprétation différente d'un même événement qui est source de la
méfiance. Quand il n'y a pas sens partagé, le groupe se disloque. Pour restaurer la confiance, il faut
alors s'appuyer sur ce qui reste en commun, ce qui est encore partagé. On constate par exemple que
la valeur sécurité est souvent un bon levier d'action.
Comment peut-on restaurer la confiance ?
L.K. : La confiance peut être restaurée sur la base d'un travail actif des différentes parties. Bien sûr
elle ne se décrète pas et doit se construire ou plus exactement se co-construire. Le principe de base
est de recréer un engagement réciproque. Bien souvent, il est nécessaire d'amorcer le travail avec un
facilitateur, car les parties n'arrivent plus à se parler normalement. Mais celui-ci doit se retirer le plus
rapidement possible pour laisser la relation directe se recréer. Le diagnostic permet de hiérarchiser
les thèmes autour desquels la confiance peut être reconstruite. On veille à choisir des objectifs à
faibles enjeux dans un premier temps, pour que chacun retrouve confiance progressivement. Un plan
d'action commun concrétise les engagements réciproques de chacun et l'on insiste surt la nécessité
d'appliquer un suivi bienveillant de ce plan d'action (essayer de comprendre quand cela ne
fonctionne pas et ne pas sanctionner). Parfois, il est aussi nécessaire d'envisager du coaching pour
certains dirigeants et/ou cadres.
La méfiance, facteur primordial dans l'émergence des RPS
"Cela m'a toujours étonné de voir que la notion de confiance n'apparaît
pas ou peu dans l'étude des RPS. Pourtant, elle me semble primordiale
dans leur émergence. De la confiance en soi à la confiance
interpersonnelle, la confiance permet d'éviter la dévalorisation de soi,
l'isolement, le travail dans la crainte et certaines formes de conflictualité
relationnelle. C'est pour moi aujourd'hui dans l'entreprise une approche
complémentaire de celle des RPS et dont d'ailleurs les modalités de
restauration s'appuient sur les mêmes actions que pour les RPS : révision
des pratiques managériales, réalignement de l'organisation du travail et
des conditions de travail avec, d'un côté, les objectifs à atteindre et, de
l'autre, les ressources disponibles, redéfinition des règles du travail
d'équipe...
Par Sophie Hoguin

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