Diane Lavallée-S`allier pour l`égalité

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Diane Lavallée-S`allier pour l`égalité
DISCOURS DE MADAME DIANE LAVALLÉE,
PRÉSIDENTE « S’ALLIER POUR L’ÉGALITÉ » À L’OCCASION DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES 2004 DEVANT LES MEMBRES DE L’AFEAS DE MONTMAGNY Montmagny, 5 mars 2004 Bonsoir!
C’est un immense plaisir de souligner la Journée internationale des femmes et de partager avec
vous, les femmes et les hommes de la région de Montmagny, quelques réflexions sur le thème
S’allier pour l’égalité.
D’abord un bref rappel pour se mettre dans l’ambiance. D’où nous vient cette Journée? Les
premières Journées internationales des femmes ont été créées au début du 20e siècle pour
réclamer le droit de vote pour les femmes. Puis le mouvement a pris de l’ampleur quand, en
1975, les Nations Unies en ont fait une Journée internationale qui a été fixée au 8 mars de chaque
année.
Commençons par nous féliciter, nous les femmes du Québec. Nous avons réalisé des progrès
spectaculaires depuis l’obtention du droit de vote en 1940.
Certains exemples font image et nous rappellent le chemin parcouru en quelques décennies :
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La Loi 16 met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées; les femmes sont dorénavant
des personnes!
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L’état de grossesse s’ajoute aux motifs de discrimination interdits par la Charte des droits et
libertés de la personne.
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La violence conjugale devient un acte criminel.
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La consécration du mariage comme une association économique entre les époux et
l’instauration du patrimoine familial partageable sont adoptées.
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L’introduction de congés de maternité et de paternité.
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La Loi sur l’équité salariale reconnaît la valeur économique du travail des femmes.
Sans doute ce n’est pas pour rien que les hommes du monde entier ont hésité (le mot est faible!)
avant de donner aux femmes le droit de vote. Ils se doutaient bien que nous allions nous en servir
et pas seulement qu’une fois tous les 4 ans! Cette victoire a marqué le premier pas de ce qui allait
s’avérer une longue marche vers l’égalité à l’intérieur de laquelle l’Afeas a été l’un de ses
éléments les plus dynamiques.
En créant le Conseil du statut de la femme, en 1973, le Québec prenait les devants sur la scène
internationale en se dotant d’un organisme et de moyens pour s’attaquer aux inégalités entre les
femmes et les hommes. Conjugué à la force du mouvement des femmes et à l’apport des
chercheuses féministes, il aura permis aux Québécoises des avancées spectaculaires, indéniables,
qui font aujourd’hui l’envie de bien des femmes dans le monde. L’énumération de cette longue
liste n’est pas mon propos ce soir.
Je veux plutôt partager à haute voix certaines réflexions car, vous vous en doutez, le travail n’est
pas pour autant terminé. En 2004, il faut continuer à se situer à l’avant-garde et tenter d’entrevoir
l’avenir avec une vision qui nous portera toujours plus loin sur le chemin de l’égalité entre les
femmes et les hommes.
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Soyons claires sur une constatation évidente. Même si l’égalité de droits entre les femmes et les
hommes est chose faite, et malgré des succès indéniables dont peut se vanter la société
québécoise, les femmes vivent encore des situations d’inégalité, elles aussi indéniables. Ces
quelques données le démontrent.
Sur le plan du travail et du revenu, les femmes sont celles qui font les frais du travail à temps
partiel : c’est le lot de 26 % des travailleuses, comparativement à 10 % des hommes; 60 % des
personnes qui gagnent le salaire minimum sont des femmes; 65 % des femmes ont des revenus
de moins de 20 000 $ par année, ce qui est le cas que de 42 % des hommes.
Elles sont encore en grand nombre victimes de violence : 85 % des victimes de violence sont des
femmes dont 41 % sont des jeunes femmes de 12 à 29 ans.
D’autres signes témoignent aussi du déficit démocratique : moins du tiers des députés sont des
femmes (30,4 %); un tiers sont ministres (32 %). Au niveau municipal, le bilan est encore plus
faible : seulement 10 % des mairies sont dirigées par des femmes et elles ne sont que 24 % parmi
les conseillers municipaux.
Par contre, les femmes sont surreprésentées encore de nos jours dans la sphère du travail non
rémunéré, appelé le travail invisible. Bien que ce travail soit essentiel au fonctionnement de la
société, il n’est comptabilisé dans le PNB d’aucun pays, d’où son nom de travail invisible.
D’autres observations récentes sont aussi préoccupantes.
Lorsque les femmes investissent des professions traditionnellement masculines d’un certain
prestige, on soulève aussitôt la crainte de voir la profession se dévaloriser. On accusera ainsi les
pharmaciennes d’être responsables de la pénurie de professionnels du médicament, les femmes
vétérinaires, de ne s’intéresser qu’aux animaux de compagnie au détriment des animaux de ferme
et, aux femmes notaires, de s’isoler dans leur pratique… et j’en passe.
L’égalité et l’autonomie des femmes ne sont pas choses accomplies. Au contraire, les conditions
de vie se dégradent sur certains aspects, notamment sur le plan économique pour un grand
nombre d’entre elles. On sait, en effet, que malgré une performance scolaire globalement
supérieure, les femmes s’en tirent moins bien que les hommes sur le marché du travail. Les
écarts de salaire persistent, quel que soit le niveau d’études atteint.
Cet écart s’est même creusé depuis 1995. Chez les diplômés universitaires, alors que les femmes
gagnaient 75,9 % du salaire des hommes, en 2002, le ratio n’était plus que de 69,8 %.
On sait aussi que le marché du travail réserve un meilleur sort aux décrocheurs qu’aux
décrocheuses parce que les emplois non spécialisés traditionnellement occupés par les hommes
sont plus nombreux et s’accompagnent de bien meilleures conditions de travail que ceux
qu’occuperont les filles.
Et que dire du partage des tâches? Si les progrès sont réels, ils avancent à pas de tortue. Les
femmes, avec un conjoint et des enfants de moins de 25 ans, consacrent en moyenne
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12,25 heures de plus par semaine que les hommes dans leur situation aux travaux domestiques :
repas, vaisselle, entretien. De plus, les trois quarts des gens qui aident un autre adulte en perte
d’autonomie, les trois quarts de ceux qu’on appelle des proches aidants, sont en réalité des
proches AIDANTES.
Il reste donc, comme on le voit, d’autres progrès à réaliser pour en arriver à une égalité plus
profonde entre les deux sexes. L’égalité de droits n’a pas tout réglé; comment agir maintenant si
l’on veut dépasser ces plafonds et ces murs de verre?
Quelles sont les stratégies les plus porteuses qui pourront agir efficacement sur les résistances,
sur les inégalités dues à la maternité, sur le retard important des femmes dans la sphère publique,
en particulier dans les champs du pouvoir économique et politique?
Le mouvement féministe a participé à édifier une société plus démocratique, plus solidaire et
plus égalitaire. Il s’est acharné à briser le carcan des stéréotypes pour que les femmes, comme les
hommes, puissent accéder à l’éducation et au travail.
Les hommes, pour leur part, vivent aujourd’hui avec des compagnes autonomes, capables
d’assumer une part financière de la famille, les déchargeant du rôle tout aussi sclérosé de mari et
père pourvoyeur; l’affaiblissement de ce stéréotype leur a permis de se rapprocher de leurs
enfants et de réinventer de nouvelles relations familiales.
Le défi est de poursuivre la quête d’égalité dans un monde de plus en plus mondialisé. Plusieurs
acquis sociaux devront résister à de fortes pressions. Je pense au système universel de santé, à
l’équité salariale, au retrait préventif de la femme enceinte et bien d’autres. Tout ce qui risque
d’affaiblir l’État nous inquiète.
Notre courte histoire nous apprend en effet que d’importants progrès n’auraient pu se concrétiser
sans une intervention de l’État.
Il me semble également essentiel de maintenir un organisme public dont la mission est de veiller
à la poursuite de l’égalité, de conseiller le gouvernement sur les meilleurs moyens d’y arriver, de
participer aux grands débats de société et de prendre une part active aux changements qui
transforment notre société.
Pour y arriver, il faut avoir de l’audace comme nous a invitées à le faire la ministre des
Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Mme Michelle Courchesne, lors de sa conférence
de presse le 26 février dernier. À cette occasion, elle a officiellement demandé au Conseil, en
raison de son expertise, de lui fournir un avis sur un concept de l’égalité à partir duquel seront
suggérées les orientations de la nouvelle politique gouvernementale.
La ministre a insisté sur l’importance de rechercher une participation plus engagée et des
alliances plus soutenues avec l’ensemble des acteurs de la société québécoise : les institutions
publiques et la société civile, notamment les milieux des affaires et le mouvement des femmes.
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Depuis la 4e Conférence mondiale sur les femmes, tenue à Beijing en 1995, plusieurs pays et
grandes organisations internationales ont privilégié l’approche de l’égalité pour faire progresser
la situation des femmes. Je pense notamment à la Suède, à la Norvège, au Conseil de l’Europe,
au Canada, à l’ONU, à l’UNESCO, pour ne nommer que ceux-ci. Un des objectifs de cette
approche est de faire en sorte que non seulement les femmes soient porteuses de cet objectif
d’égalité, mais également les hommes de même que l’ensemble des institutions démocratiques
de nos sociétés. Ce choix appelle de nouvelles façons de faire que nous devrons inventer
ensemble, hommes et femmes, partisans de l’égalité.
Mais on n’enclenche pas un débat sans faire de vagues. La perspective du changement annoncé
par la ministre a fait couler beaucoup d’encre et soulevé plusieurs réactions. Selon que l’on soit
d’une génération ou d’une autre, à l’intérieur ou à l’extérieur du mouvement des femmes, les
opinions divergent passablement. Des représentantes du mouvement des femmes, de syndicats,
des universitaires féministes ont exprimé des inquiétudes et ont réclamé le statu quo.
Par contre, des jeunes femmes, tout aussi féministes, – et d’autres moins jeunes –, ont plaidé
pour des stratégies plus inclusives et un élargissement des alliances avec des hommes qui
partagent les mêmes objectifs d’égalité et de justice sociale.
D’ailleurs, depuis 10 ans, plusieurs pays ont amorcé des réflexions sur ce que pourrait être le rôle
des hommes et des garçons dans la promotion et l’avancement de l’égalité entre les sexes.
Actuellement, c’est même l’un des deux sujets débattus par la Commission de la condition de la
femme de l’ONU dans le cadre de sa 48e session annuelle.
Il fallait s’y attendre. Soulever la question des hommes dans une perspective d’égalité peut faire
sourciller, d’autant plus qu’au Québec et ailleurs dans le monde, des groupes d’hommes accusent
les féministes de plusieurs des maux sociaux et réclament l’attention des pouvoirs publics et des
médias. Il faut rester vigilantes face à des discours qui pourraient masquer une volonté de
maintenir des inégalités ou des pouvoirs et privilèges associés à une autre époque.
Mais au-delà de cette nécessaire vigilance, des questions réelles se posent. Par exemple,
comment faire diminuer la violence faite aux femmes sans changer les mentalités des hommes
qui se croient encore justifiés d’agir ainsi sur leur conjointe?
Comment faire en sorte que les hommes se sentent concernés par les tâches domestiques, les
soins aux enfants et aux proches? Comment inciter des directions d’entreprises et d’organisations
de toutes sortes, souvent dominées par des hommes, d’instaurer des pratiques d’emploi
équitables, des mesures de lutte contre la discrimination, des processus décisionnels incluant les
femmes et des mesures de conciliation travail-famille autant pour les femmes que pour les
hommes?
Qui plus est, démontrent plusieurs travaux de recherche sur la question, les hommes tireront
vraisemblablement profit des profonds changements sociaux et culturels qui sont associés à
l’égalité des sexes.
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L’assouplissement des stéréotypes liés à la masculinité ne contribuerait-il pas à améliorer leur
niveau de bien-être psychologique, à prévenir le décrochage, à renouer avec leur rôle de père?
Ce changement ne favoriserait-il pas un investissement plus grand des hommes dans les
professions en lien avec le soin aux personnes et à l’éducation des jeunes enfants?
En cette Journée internationale des femmes, il est permis de rêver et d’imaginer les
caractéristiques d’une véritable société égalitaire :
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Une société où les écarts salariaux entre les femmes et les hommes ont disparu.
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Une société où il serait tout aussi naturel d’être ambassadrice, qu’éducateur en garderie et
professeur au primaire.
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Une société où la violence n’est plus une option, où le viol n’existe pas.
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Une société dans laquelle les frontières du féminin et du masculin ont été abolies.
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Une société où, sans distinction, les hommes comme les femmes partagent l’éducation et les
soins aux enfants.
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Une société où la valeur, les talents et le potentiel d’une personne ne sont plus tributaires de
son sexe.
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Une société où les filles pourront rugir comme des « lions » sans être taxées d’hystériques,
pratiquer les sports et les activités physiques de leur choix sans être qualifiées de garçons
manqués.
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Une société où les garçons pourront danser le ballet, faire de la couture ou la cuisine, être des
pères aimants et sensibles sans être perçus comme des efféminés ou présentés comme des
héros.
Pour atteindre cet idéal d’égalité entre les femmes et les hommes du Québec, je crois que, sans
naïveté et sans compromis sur l’atteinte de notre objectif, il est impératif, qu’ensemble, on revoit
et on repense nos stratégies, notamment en élargissant nos alliances avec l’ensemble des acteurs
de la société qui partagent nos idéaux.
En ce 8 mars, où nous célébrons les victoires et la ténacité des femmes, je nous souhaite, femmes
et hommes de toutes les générations, de consolider nos acquis en misant sur la solidarité et
l’audace pour être capable d’avancer encore sur le chemin de l’égalité. Je suis convaincue que les
gens de la région de Montmagny, tout comme l’Afeas, sauront prendre part aux débats que nous
enclencherons sous peu et qui invitent à l’innovation afin de S’allier pour l’égalité.
Une excellente fin de soirée à chacune et à chacun.
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