Quelques débats qui ont marqué le mouvement des femmes

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Quelques débats qui ont marqué le mouvement des femmes
Quelques débats qui ont marqué le mouvement
des femmes et le féminisme.
Micheline Dumont, Historienne
Le 27 mai 2011
De nombreux débats sont survenus au cours des décennies, entre les féministes, car il n’y
a pas qu’un seul féminisme.
Il faut avoir le courage d’examiner ces débats en face. Au-delà de la peur de se disputer,
de la tentation de faire l’autruche, de la difficulté de concilier théorie et pratique, il faut
examiner lucidement la situation; il faut faire le pont entre les différentes générations de
féministes, et notamment avec les jeunes féministes RebELLEs.
Quand on veut changer le monde, il faut accepter de se disputer un peu.
Les années 1970
L’émergence du féminisme radical en 1969, avec l’apparition du Front de Libération des
Femmes (FLF), groupe de jeunes féministes, vient bouleverser la scène jusqu’alors
dominée par la FFQ. Celles qui se disent radicales (elles vont à la racine des problèmes,
dénoncent le patriarcat et le capitalisme) s’opposent alors aux militantes réformistes de
la FFQ. Leurs analyses réciproques de la «condition des femmes» sont contrastées. Les
radicales parlent d’oppression. Les réformistes parlent de discrimination. Les radicales
veulent révolutionner la société. Les réformistes veulent améliorer la société. Les
radicales considèrent la famille, le mariage, la maternité comme les institutions clefs du
patriarcat. Les réformistes souhaitent plutôt les transformer pour permettre aux femmes
d’assurer leur autonomie tout en protégeant les liens familiaux ou du moins, les aménager
autrement. De cette différence naissent des opinions divergentes sur :
L’avortement (Plusieurs femmes, notamment au sein de l’AFÉAS, s’y opposent
et le débat à la FFQ est très difficile).
La violence (complètement ignorée dans le Rapport Bird). La FFQ ne s’y
intéresse qu’en 1979 en en faisant le thème de son congrès.
Le salaire au travail ménager (la majorité des groupes de femmes s’y opposent
farouchement alors que les femmes retenues à la maison y sont favorables). La
question semble avoir sombré dans l’oubli, mais sa pertinence reste entière,
quarante ans plus tard.
La critique de la féminité : les jeunes féministes remettent en question les diktats
de la mode (maquillage, bigoudis, talons haut, rasage, etc) Ce n’est certes pas une
position majoritaire parmi les féministes réformistes.
La politique d’ensemble, mise en place par le Conseil du Statut de la femme en
1978. Les Groupes de femmes restent très critiques.
Le débat hétérosexualité/lesbianisme sur le difficile questionnement que les
lesbiennes posent relativement à la «contrainte à l'hétérosexualité». Lesbiennes et
hétérosexuelles s’opposent dans plusieurs groupes de femmes et contribuent à
faire éclater le groupe.
La non mixité : quelques féministes voudraient collaborer avec les hommes;
d’autres exigent la non-mixité.
Ces deux dernières questions continuent de susciter des positions divergentes et ont un
impact certain sur le fonctionnement des groupes de femmes.
Au moment du référendum sur la souveraineté de 1980, on retrouve des féministes dans
les deux camps. Le Camp du «Non» limite exclusivement ses analyses à la question
constitutionnelle et rassemble surtout des femmes venues de la FFQ. Le Camp du «Oui»
associe l’autonomie des femmes à l’autonomie du Québec. L’idéal d’apolitisme à la FFQ
ne tient plus guère la route. Les jeunes féministes, au contraire, ont toujours proclamé
clairement leurs choix politiques : «Pas de libération des femmes sans libération du
Québec. Pas de libération du Québec sans libération des femmes».
Les années 1980
Plusieurs éléments nouveaux se mettent en place. À partir de 1980, c’est tout le
féminisme qui est présenté comme «radical» par les medias.
On assiste aussi à l’émergence du masculinisme qui accuse les féministes d’être
responsables des problèmes que vivent les hommes.
On parle de plus en plus de post-féminisme et de nombreuses femmes proclament leur
antiféminisme.
Durant les années 1980, les principaux services destinés aux femmes se mettent en place
et se structurent en regroupements. Un grand nombre de féministes deviennent des
salariées.
Après que les problèmes de la violence (violence domestique, viol, harcèlement sexuel,
viol conjugal, santé des femmes, pornographie) sont devenus une préoccupation
collective, dès la fin des années 1970, de nouvelles divergences s’expriment.
Plusieurs féministes refusent de participer à un «Colloque sur la violence»,
(1980) lequel, selon elles, donne trop la parole aux personnes qui font fonctionner
les institutions (intervenant-e-s de la justice, des services sociaux, de la police) et
pas assez à celle qui subissent la violence.
Les maisons d’hébergement se divisent en deux groupes (le «Regroupement» et
la «Fédération»,) qui ont des pratiques, des analyses, des procédures, des
politiques d’accueil différentes.
Des femmes féministes (journalistes, femmes politiques, femmes d’affaires)
estiment que le féminisme victimise les femmes aux prises avec la violence et les
empêche de se prendre en main.
Des différences s’expriment entre les féministes universitaires et les féministesterrain pour les analyses, les solutions, les pratiques.
Certes, dans l’ensemble des aspects socio-politiques de la réalité des femmes, plusieurs
revendications sont soutenues par l’ensemble des féministes : le congé de maternité; les
garderies; l’égalité salariale et, plus tard, l’équité salariale; la conciliation travail-famille
(ou famille-travail, c’est selon); le nouveau Code de la famille; les régimes de retraite; la
politique familiale; le paiement automatique des pensions alimentaires : on déplore la
lenteur de la mise en place du système; la pratique des sages-femmes et la
démédicalisation de l’accouchement.
Mais d’autres questions ne suscitent pas l’unanimité :
La loi sur le patrimoine familial en 1989
L’aide sociale aux femmes monoparentales : des féministes estiment qu’elles
doivent entrer sur le marché du travail.
La médiation obligatoire pour les divorces et les séparations. Le CSF exprime de
vives réticences en 1997.
La maternité assistée (fertilisation in vitro, etc) La maternité est-elle un droit
absolu pour les femmes? Les réponses ne sont pas unanimes.
Le tournant du siècle
Enfin, depuis la fin du XXe siècle, de nouveaux débats se profilent :
La pornographie : il faut être contre la censure et plutôt s’approprier la pornographie pour
imposer nos propres fantasmes pensent certaines féministes.
La prostitution, qui se nomme de plus en plus le travail de sexe, est vue comme
une aliénation par les unes et comme un travail par les autres. L’adhésion de
Stella (le regroupement des travailleuses du sexe) à la FFQ pose ouvertement des
divergences profondes sur la question de la décriminalisation de la prostitution.
L’intégration des femmes immigrantes (notamment en 1990, au moment de la
célébration du cinquantième anniversaire du droit de vote, présidée par Lise
Payette) pose certains problèmes. Les femmes immigrantes cherchent souvent à
obtenir leurs propres services : de plus en plus l’analyse féministe doit se
conjuguer avec le phénomène du racisme. Depuis le débat sur les
accommodements raisonnables, deux positions se font face : les tenantes de la
laïcité (le CSF notamment) s’opposent clairement au port du voile dans la
fonction publique et para-publique. Face à elles, les tenantes de la laïcité ouverte
(la FFQ notamment) tiennent à respecter les positions des femmes qui se disent à
la fois musulmanes et féministes.
L’hyper sexualisation des adolescentes : réussite du féminisme disent quelques
unes : les jeunes filles s’assument. Échec du féminisme disent les autres.
La présence des lesbiennes dans le mouvement des femmes demeure
problématique: trop importante pour les unes, pas assez visible pour les autres.
Comme le disent les jeunes féministes radicales du XXIe siècle, «Le corps des femmes
est encore un champ de bataille».
On doit réaliser que les intérêts des femmes qui s’affirment et profitent des gains du
féminisme et les intérêts de celles qui sont aux prises avec les effets souvent conjugués
du sexisme, du racisme et de l’exploitation économique ne sont pas superposables.
Est-il possible de parler pour toutes les femmes?
Enfin, y a-t-il un lieu pour de très jeunes féministes qui ne sont pas touchées par les
questionnements de l’identité sexuelle et les problématiques «queer»? Faut-il admettre les
hommes dans les luttes féministes?
Ce rapide panorama exigerait de longues explications, beaucoup de nuances et bien des
distinctions théoriques. Mais on ne m’a accordé que dix minutes.

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