Du genre face à l`impératif d`égalité. Version intégrale

Transcription

Du genre face à l`impératif d`égalité. Version intégrale
Misbao AÏLA
Président de l’Association “Aujourd’École-France”,
Chercheur en Éducation et Sociologie
Du genre face à l’impératif d’égalité des sexes:
entre phallocratie paternaliste et revendications féministes
Espace de Philosophie et de Recherche sur l’Immigration et le Social
(ESPRISOCIAL - FRANCE)
http://www.esprisocial.org/documents
LILLE (FRANCE)
FRANCE
22 août 2014
20 septembre 2014
1
PLAN
I. INTRODUCTION
II. GENRE, INTÉGRATION PROFESSIONNELLE ET DÉVELOPPEMENT :
ENTRE DÉFINITIONS LIMINAIRES ET QUESTIONS QUI DIVISENT ...
III. FÉMINISME ET INTÉGRATION PROFESSIONNELLE À LA LUMIÈRE DES
IMPACTS OU CONDITIONNEMENTS FACTUELS
1. Conditionnements historico-cognitifs et socio-économiques
a) Effets de la Révolution française et du droit
b) Effets des savoirs et de l’environnement économique du travail
IV. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
V. PERSPECTIVES SOCIOLOGIQUE ET PSYCHANALYTIQUE
1. D’un point de vue sociologique
a) “Paradoxe passion / obstacles” ou correspondance paritaire “motivation / entraves”
b) Division biologico-sexuelle et mixité de l’espace de production sociale
2. D’un point de vue de la psychanalyse :
Conditionnements inconscients du genre humain
a) Effets d’un malaise dans la culture
b) Effets du complexe d’Œdipe
VI. CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
2
Résumé de l’article
Cet article ne tend à rien de moindre – puisqu’il s’agit de l’épreuve existentielle du genre –
qu’à rendre compte de l’urgence de l’égalité des sexes dans l’actuelle société phallocratique
postindustrielle, où la puissance masculine et la gent rivale féminine s’affrontent, par le
truchement d’une sorte de déséquilibre de terreur, dans leur véritable sphère : celle de la
mixité sociale ou conjugale et du salariat, où des conditionnements psychiques et sociaux
affectent le genre, où qu’il se trouve et quoi qu’il fasse de son corps. L’homme et plus
sévèrement la femme, c’est-à-dire à un degré disproportionné, mais tous les deux sans
exception, sont ainsi généralement tributaires de leurs combats du vivre-ensemble, et
notamment de complexes ou refoulements qui, sans forcément entamer leur libre arbitre, ne
sont guère isolés de leur personnalité individuelle réelle ou profonde. En réalité ils sont tous
les deux conditionnés par eux-mêmes, étant individuellement ou mutuellement prisonniers de
leurs propres pulsions de vie (Éros) ou de mort (Thanatos) qui semblent les amener, au sein
de notre civilisation de conflits, à se livrer réciproquement des guerres offensives ou
défensives et à justifier leur malaise par les abus de l’un ou les faiblesses de l’autre ; situation
œdipienne de malentendus ou d’ambitions contrariées, qui suscite par ailleurs des débats
philosophiques et scientifiques sur leur besoin de liberté, de justice ou particulièrement
d’égalité pour le développement et la paix sociale.
Mots clés : Phallocratie versus “clitocratie”, égalité, conditionnements, conflits.
3
I. INTRODUCTION
Le XVIIIième siècle, marqué par la révolution industrielle, a projeté l’Occident dans une
nouvelle conscience de lui-même (Simiand : 1906). Conscience organisationnelle puisée non
seulement dans les modes capitalistes de production (Marx : 1872, 1894), mais aussi dans les
représentations mythiques au sein desquelles le phallus, longtemps magnifié (Freud : 1929,
1912), tombe de son piédestal et se retrouve contraint de négocier sa “puissance” avec le
sexe dit “faible”. Bien que cette dégringolade masculine s’assimile, peu ou prou, à
l’ébranlement du patriarcat, elle ne traduit pas pour autant que la libération de la femme soit
déjà un terrain conquis (Storti : 1988) ni dénué d’intérêt pour l’analyse des conflits qui ont
cours dans les espaces conventionnels et/ou professionnels.
Dans ces espaces où les valeurs morales se frottent aux enjeux économiques (Meyer-Bisch:
2003), la mobilité sociale ne peut s’effectuer que sur la base des niveaux de qualification
(Maurin : 2007), et le développement intégral qu’en fonction du capital de confiance (MeyerBisch : 2003). L’intégration socioprofessionnelle devient d’emblée un impératif pour un gain
de confiance, d’affirmation de soi ou d’accès au statut d’adulte (Bidart, Mounier, Pellissier et
al. : 2002). La phallocratie patriarcale a ainsi désormais, en face d’elle, une “clitocratie”
défensive dont les discours de revendications, à tous égards féministes, n’auraient eu que des
chances de heurter l’opinion des “mâles” il y a encore quelques décennies. Et cependant, en
ce XXIième siècle de progrès structurels et juridiques en faveur de l’humain (Meyer-Bisch :
2003), malgré les métamorphoses progressistes d’un féminisme éclairé par des analyses
historiques et scientiques (Toupin : 2003, 1998 ; Dumont : 2005, 1997), les “mâles” ne lisent
pas toujours Simone de Beauvoir sans quelques grimaces d’inconséquences ou
d’incompréhension (Storti : 1988).
Ces grimaces préventives, que subit le féminisme à travers les temps et les lieux,
n’amortissent guère, en effet, le choc social que suscite le projet de libération totale des
femmes (cf. Badinter : 2010 ; Storti : 1988). Ce projet se fait plutôt sans cesse cumulateur de
conflits (Fassin : 2006), mais aussi de savoirs théoriques et techniques qui, au-delà des
angoisses dissuasives d’un tel engagement (Storti : 1988), éclairent a posteriori le droit
d’accès des femmes aux “métiers d’hommes” (Vivier : 2010). Sous des formes de
contraintes et mutations socio-économiques variables et contradictoires, et bien que leur
présence soit de plus en plus accrue sur le marché du travail (Mainguené : 2011), les femmes
apparaissent dans certains espaces de métiers, notamment dans certains postes de direction
(cf. Amboulé-Abath : 2007), comme noyées dans une masse d’hommes ; et ceci presque
autant que l’inverse dans d’autres espaces professionnels (Vivier : 2010).
Pourtant lorsque les revendications féministes se muent en malentendus et s’imposent à la
réflexion (Badinter : 2010 ; Dumont : 2005, 1997; Storti : 1988; Maruani : 1985),
infléchissant le regard des chercheur.e.s sur les enjeux économiques et politiques de genre au
sein des entreprises ou des sociétés (Westerveld : 2009), et que de toute part l’on s’interroge
encore sur la place du féminisme dans le monde (Toupin : 1998), il devient évident que
l’opposition des sexes (Radimska : 2003) ne peut escamoter l’urgence de la reconnaissance
du rôle économique majeur de la femme (Westerveld : 2009), ni celle de son impact
important sur le développement, dans la mesure où des analyses situationnelles pourraient en
éclairer bien des aspects.
Ainsi lorsque l’on clame ou réclame que femmes et hommes aient tous équitablement le droit
d’assouvir leur besoin de vivre de leur travail (Westerveld : 2009) [celui de leurs mains ou de
4
leurs jambes et/ou de leur cerveau], l’hypothèse n’est pas moins plausible, du reste, que les
impératifs économiques de développement, ainsi que leurs effets sur les rapports
complémentaires et/ou rivalitaires de genre, en dégommant socialement pour ainsi dire le
dualisme bio-logique (homme/femme), complexifient la thèse idéale de l’égalité des sexes et
confinent le féminisme dans un ésotérisme défensif perçu comme un combat d’harmonie des
contraires.
Il importe d’éluder cette hypothèse à la lumière d’une revendication féministe moderne :
l’égalitarisation statutaire (celle des salaires par exemple) entre femmes et hommes. Tant
cette revendication semble témoigner d’une floraison de conflits relatifs au genre.
II. GENRE, INTÉGRATION PROFESSIONNELLE ET DÉVELOPPEMENT :
ENTRE DÉFINITIONS LIMINAIRES ET QUESTIONS QUI DIVISENT ...
Il n’est pas vain, pour la clarté épistémique de la présente étude, d’énoncer succinctement les
éléments fondamentaux d’une définition de concepts ou termes de genre, de développement,
ou d’intégration professionnelle.
Le “genre” traduit “les différences socialement signifiantes entre femmes et hommes (celles
qui posent problème socialement)” (Schiess : 2010), mais il fait aussi juridiquement écho à
leur égalité, même si, comme le mentionne la Conférence internationale du Caire sur la
population et le développement, la pauvreté confère aux femmes “un statut très inférieur”
dans le monde (Nations Unies : 1995). L’on peut d’ores et déjà estimer que les revendications
d’émancipation sociale des femmes, qui sont aux antipodes de leur antique statut de
“créatures faibles”, seraient expressives d’une nécessité de faire droit à la féminité : féminité
encore bafouée (Storti : 1988), ou plutôt tenue en laisse par le patriarcat supérioriste. Mais
par quelle involution la féminité, qui est source de vie, serait-elle “inférieure” ou exclue d’un
processus d’intégration professionnelle ou de développement des peuples dont elle est
symboliquement la mère ?
L’intégration professionnelle se définit, en effet, en quelque sorte comme étant une forme de
socialisation permettant aux individus et aux groupes de se trouver une place, une fonction ou
un rôle dans leur environnement physique, culturel ou social, etc. Cette définition sommaire,
d’inspiration durkheimienne, implique le phénomène des échanges ou de la
production/circulation des biens, et renvoie à des conditionnements socio-écomiques
générateurs de conflits (Jeanneaux : 2006). Bref, il s’agit à la fois de relations humaines
interpersonnelles (Paradis : 2007), et d’échanges impersonnels fondés sur des valeurs
monétaires (Blau : 1964).
Or, dans le tourbillon du “paradoxe passion / obstacles” qui semble opposer les “sexes” dans
leur processus de pleine intégration à la vie professionnelle (Amboulé-Abath : 2007)1, les
femmes “engagées” (féministes militantes) n’ont pas l’air d’avoir totalement foi en
l’establishment phallocrate qui gère institutionnellement les rapports de force entre les
partenaires sociaux. Cette phallocratie, semble-t-il, les scandalise par ses mégastructures
fixistes et ses promesses non encore tenues d’égalitarisation des sexes ou des salaires
(Fougeyrollas-Schwebel : 1995).
1
Cf. Anastasie Amboulé-Abath, L’expérience au travail des femmes dirigeantes des structures sportives au
Québec : le paradoxe passion / obstacles, Thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 2007.
5
En effet, depuis Simone de Beauvoir, et même au-delà de son envergure de féministe ou
femme de lettres, en passant par des publications signées par de nombreuses têtes bienpensantes, les fruits réels de la lutte pour l’égalité des sexes en France et dans le monde sont
encore nettement inférieurs aux fleurs des promesses politiques (Fougeyrollas-Schwebel :
1995 ; Storti : 1988). Serait-il alors nécessaire de continuer à prendre mesure de la condition
féminine, ou possible d’éviter que le féminisme fasse figure d’un “mouvement”
d’ébahissement plutôt que d’épanouissement, d’écartèlement plutôt que de rapprochement ?
Ainsi sans opposer de façon biologique le masculin et le féminin (Fougeyrollas-Schwebel:
1995), il n’en faut certainement pas s’endormir sur les insultes ou préjugés que l’on colle
généralement aux revendications féministes par rapport à la société moderne (Storti : 1988).
L’on constate formellement une certaine conception humano-juridique qui consiste à
stratifier la confrontation sociale en trois camps dialectiquement opposés : les phallocrates
(“mâles dominants”) d’un côté, de l’autre les “clitocrates” (féminocrates ou femmes savantes
et revendicatrices d’égalité des droits), et au milieu des deux camps celles et ceux qui
n’auraient précisément aucun pouvoir de résister à la loi des hommes triomphalistes. Il faut
bien noter que les féministes (masculins et féminins) sont généralement ahuris d’entendre des
“triomphalistes” tenir des propos injurieux à l’égard des femmes, et même indignés de les
voir adopter des attitudes qui clouent au pilori les revendications des femmes lésées (Storti :
1988). Les hommes seraient-ils alors perçus, par les féministes, comme incapables de se
préoccuper sagement de leur propre condition masculine, et donc encore moins de la
condition féminine ?
En effet, comme des marxistes2 qui récusent radicalement l’eschatologie messianique, il est
des esprits inquiets qui semblent convaincus que le fait, pour la gent féminine, de rivaliser
d’intelligence avec “l’homme-dieu”, ou d’assumer des responsabilités en fauteuil de
Bonaparte, ne servirait qu’à doter la femme d’un phallus encombrant pour enfin l’aliéner
totalement, ou la rendre définitivement étrangère à elle-même. Cloîtrer la femme pour la
féconder, la dorloter pour l’exploiter, ou la “plébisciter” pour enfin la bafouer, tout cela
semble un circuit vicieux dans lequel pérégrine le destin des “poules soumises” aux ordres
des “coqs conquérants”. S’agit-il d’un mythe ou d’une réalité ayant des formes
scientifiquement saisissables par la raison sociologique et/ou psychanalytique ?
La subordination de la femme qu’on constatait dans les sociétés archaïques a toutefois servi
de limon à la lutte pour son accession à une notoriété sociale, éthique et même historique.
Mais est-il toujours possible, en cette époque postindustrielle, de substituer à un humanisme
de référence masculine, dont la phallocratie détient encore exclusivement le sceau de
l’ordonnance, un humanisme sartro-beauvoirien qui ferait de la femme et de l’homme des
collaborateurs égaux ou producteurs de richesses à égalité ? Autrement dit, l’émancipation
féminine serait-elle alors finalement relative par rapport aux impératifs de développement ?
Mais encore faut-il d’abord se demander ce qu’est le développement.
2
Selon le marxisme ou le matérialisme scientifique, l’être humain (homme ou femme), en tant que corps, chair
et os ou matière, est une unité qui fait substance commune avec la pensée. L’individu vit matériellement dans la
nature et ne peut donc se réaliser que par son travail, c’est-à-dire par les tâches qu’il accomplit. Devenant ainsi
ce qu’il fait, il a vocation à s’achever au-delà du travail qu’il accomplit par sa sueur ; ce qu’il produit
substantiellement avec son corps se révèle en effet la seule chose qui compte dans l’optique du matérialisme.
Toutefois le marxisme ne dit pas si la condition féminine échapperait à cette progression dialectique assignée à
l’homme ; ce qui n’empêche nullement d’interroger la fertilité (ou plutôt la rentabilité) de la sueur de bravoure
féminine dans le matérialisme historique.
6
Pierre de Charentenay (1991, p. 29) définissait, en effet, un nouveau type de développement
par un critère, celui des productions industrielles locales par la méthode d’empruntsremboursements. “Cette méthode”, précisait-il, “demande d’emprunter beaucoup de capital
pour financer les investissements industriels. Le développement est réussi si la production
permet de rembourser les emprunts”. Mais le développement ainsi compris, où
l’industrialisation se coiffe d’un rôle de progrès économique, ne peut scientifiquement
échapper aux aspirations professionnelles des femmes : puisque, de toute façon, on ne peut
pas ignorer que ce sont elles qui, avant tout, accouchent des têtes et des bras qui font tourner
l’industrie. Cette réalité préfigure, scientifiquement, la violence symbolique et physique de la
lutte intellectuelle actuelle des femmes, et donc le degré plus culminant de conscience
révolutionnaire auquel pourraient atteindre les revendications féministes dans un futur bien
proche.
Or ce ne sont toutefois pas les sciences, même humaines ou sociales, qui, de toute manière,
peuvent résoudre la question de l’égalité des sexes dans les entreprises ou les sociétés.
D’autant que ces sciences ne sont d’ailleurs pas créées pour cela, et que leur rôle se limite à la
compréhension et à l’explication des phénomènes rationnellement saisissables, comme
l’entendait Max Weber (1922) il y a déjà presque un siècle. Mais il faut bien constater que la
science, c’est aussi un gagne-pain pour des professionnels féminins ou masculins, étroitement
dépendants des normes et intérêts de l’ordre établi (l’État ou la bureaucratie technocrate). Des
groupes de pression tous-azimuts peuvent ainsi se former ou se forment au gré des calculs
industriels ; calculs d’intérêts que ces groupes sont d’ailleurs toujours prêts à défendre, avec
notamment des violences militaires inconséquentes ou convictions idéologiques “à la
Toussaints”.
Ainsi le développement par l’industrialisation (Charentenay : 1991), qui invite la Science et
le “Bon Dieu” dans la gestion de ses projets, en faisant appel aux grands investissements au
profit supposé des deux sexes traditionnels, ne peut suffire, par l’apport exclusif des hommes,
à relever les défis de gros emprunts à rembourser ; même s’il n’est pas absolument indéniable
que Dieu (ou la Religion) intervienne idéologiquement dans les productions humaines. D’où
la question complexe : si la femme, qui travaille gratuitement déjà par fonction génésique (ou
nature maternelle), a vocation (à plus d’un titre que l’homme) à participer dûment à la
méthode industrielle d’emprunts-remboursements, au nom de quels sacro-saints principes sa
rémunération devrait-elle se faire inférieure à celle de l’homme ?
Une conceptualisation socio-économique du genre amène en effet à voir l’humain, ou plutôt
le corps, comme un objet de consommation (Baudrillard : 1970), ainsi que d’affrontement des
ambitions matérielles qui réduisent publiquement l’éthique ou la justice sociale à une peau de
chagrin, à telle enseigne que le féminisme (ou son mouvement de libération) s’authentifie, à
haute voix, dans un contentieux économique des corps industrialisés ou travailleurs de la
globalisation à tout prix. Le processus d’une telle authentification semble donner lieu à des
abus de langage auxquels se livrent certains hommes lorsqu’ils se sentent “menacés” par les
revendications et/ou les prestations concurrentielles des femmes (Storti : 1988). Qu’en est-il
alors dans le concret professionnel de ces femmes qui, bon gré mal gré, font face à diverses
entraves au sein des dispositifs de production sociologiquement construits sur des privilèges
masculins ?
En effet si, malheureusement, la grande richesse des thèses publiées par des chercheur.e.s
semble loin de suffire à mettre les femmes à l’abri des querelles ou tensions qui les opposent
aux hommes au sein des entreprises, la politique du silence ne saurait nourrir non plus un
7
dialogue social susceptible d’apprivoiser le “monstre furieux” que représente, pour certaines
femmes, le patriarcat dominationniste. Pourtant persuadées que les “mâles” ne doivent pas
s’arroger le droit d’un monopole du commandement, les femmes hésitent heureusement,
semble-t-il, à s’entraîner, à la “Jackie Chan”, pour faire exploser le ventre des phallocrates
abusifs et “trop repus”, ou plier en quatre les chefs paternalistes de l’aristocratie industrielle.
Aussi les plus intellectuels des féministes (femmes et hommes) considèrent-ils qu’il est
moins téméraire d’organiser des “savants colloques sur papiers glissants”, que de lancer un
mouvement d’insurrection ou de contre-attaque à l’endroit des commandos antiféministes.
Cette supputation repose-t-elle sur des faits sociaux objectivement analysables ?
C’est moins subversif, certes, de saluer la pertinence des thèses ou antithèses féministes dans
les bibliothèques silencieuses des facultés, que d’aller troubler le sommeil d’or des riches
patrons avec des bruits de casseroles révolutionnaires. Mais ce n’est pas seulement, nous
semble-t-il, en faisant du yoga en “Piscine à l’Eau Saine de Ségosphère” (Écologie oblige
conséquemment pour la VIE), ni en égrenant des principes logico-universitaires féministes
dans des salles moins qu’à moitié motivées, que la Science et la Politique feraient un pas de
géant sur l’éthique sociale ou l’égalité des sexes dans l’insertion professionnelle. Il s’en faut
davantage ! D’autant que “les objectifs et les contraintes se redéfinissent et se transforment
sans cesse” et que “la logique des actes est loin d’être unimodale et ne se comprend qu’en
fonction de jeux relationnels très diversifiés” (Ferréol & Deubel : 1993, p. 106). Loin, en
effet, de n’avoir d’impact que sur le phénomène de genre dans les entreprises, la logique de
l’insertion professionnelle n’aliène-t-elle pas l’entière civilisation technicienne devenue
glauque, impuissante à surmonter ses propres contradictions ?
Voilà, esquissée en quelques questions, l’inépuisable problématique de l’insertion
professionnelle féminine. Problématique colossale, complexe et conflictuelle qui fait
scientifiquement débat autour de l’ambiguïté des conceptions liminaires susmentionnées.
Qui donc pavoiserait d’en avoir pu trancher le nœud gordien ?
III. FÉMINISME ET INTÉGRATION PROFESSIONNELLE À LA LUMIÈRE DES
IMPACTS OU CONDITIONNEMENTS FACTUELS
L’intérêt des sciences sociales pour le genre et les qualifications professionnelles est bien
récent (Marry : 2003). C’est, en réalité, à partir d’un tel intérêt que des débats relatifs aux
conflits d’intégration professionnelle des femmes se font jour, avec force et pertinence. Or ce
qui fait monter la courbe de ces conflits, c’est, pourrait-on dire, déjà moins l’émergence des
revendications professionnelles des femmes que l’effet discrimatoire des frustrations et/ou
obstacles qu’elles semblent subir (Amboulé-Abath : 2007 ; Jeanneaux : 2006 ; Dumont :
2005, 1997). Il se trouve donc que l’on ne peut écarter l’idée selon laquelle le fondement des
aspirations féminines ne peut s’éluder scientifiquement qu’en fonction d’une conjonction
dynamique de plusieurs phénomènes sociaux (Sandoval : 1991), ceux-ci reposant eux-mêmes
sur des contingences ou conditionnements d’ordre idéologique et/ou historique, voire
psychique.
1. Conditionnements historico-cognitifs et socio-économiques
Dans le questionnement complexe du phénomène de genre, les femmes chercheures, en
s’intéressant spécifiquement à l’épineux problème de l’intégration professionnelle du “sexe-
8
tabernacle”3, ont cure de cerner les conditionnements factuels dont elles analysent des points
d’impacts sur la condition féminine à travers l’Histoire. En effet, ce sont notamment les
publications de diverses communautés scientifiques de femmes savantes qui apportent un
éclairage authentique sur la question du droit des femmes et de la genèse historique du
mouvement féministe en France ou dans le monde.
a) Effets de la Révolution française et du droit
De nombreux siècles, notamment le XVIIIième, furent témoins de la non-reconnaissance de la
femme comme l’égale de l’homme (cf. Diderot : 1753). Aujourd’hui encore, une telle nonreconnaissance n’est pas entièrement jugulée. Ainsi, s’agissant de leurs droits civiques,
économiques et politiques, les femmes sont toujours fortement tributaires d’une inégalité qui
constitue “un frein à leur accession à des postes d’encadrement supérieur” (Regner &
Kratsa-Tsagaropoulou : 2013). Il est obvie, en effet, que même les premiers textes de
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1791) ont tout simplement ignoré la
femme.4 Mais la Révolution de 1789, ainsi que les autres qui l’ont suivie, engendrée par
l’accumulation excessive des privilèges de classes d’hommes dirigeants, ne fut pas sans
contribuer à l’érection des mécanismes sociaux de lutte pour l’amélioration de la condition
humaine, y comprise notamment celle de la femme. Le droit, généralement plus dit que fait
en matière de condition féminine, est encore au centre des actions à mener pour l’égalité des
sexes, dont il va sans dire que l’Histoire des femmes et des hommes se préoccupe à plus d’un
titre (Bridel : 1884).
Autrement dit, le droit, dans son essence et sa généralité, constitue, en tant qu’un phénomène
historique et socioculturel, une chaîne de dialectiques dont les logiques d’application influent
sur la société et tous ses membres (Kant : 1795) : que ces derniers soient femmes ou hommes,
asexuels ou transsexuels... La question des droits est donc fortement présente à l’engagement
des femmes au niveau non seulement de leur partenariat familial (ou conjugal), mais aussi et
surtout de leurs revendications d’intégration socioprofessionnelle et politique (Revillard :
2006). Revendications notamment de beaucoup de femmes, celles à tête “bien pleine” et/ou
“bien faite”, lesquelles se positionnent socialement, en association ou en solitude, recherchant
des “palliatifs” aux carences institutionnelles en matière d’égalité.
Mais comment faire évoluer le droit, dans ses applications effectives, sans passer par
l’évolution des mentalités ? Il n’est donc pas vain, en réalité, de considérer que le droit a
vocation en quelque sorte à faire évoluer les mentalités (puisque la loi pèse socialement de
tout son poids coercitif sur le quotidien des individus et des groupes), et ainsi servir d’engrais
aux théories et pratiques indispensables à la gestion des conflits socioprofessionnels, de
même qu’à la promotion de l’égalité des sexes ou de la justice sociale.
3
Nombreux sont les hommes sensibles à la culture spirituelle, et qui semblent prendre le sexe féminin pour un
“temple divin, mammonique ou luciférien”, un “tabernacle sacré, salé ou sucré”.
4
Juste après la publication en 1791 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Marie-Olympe de
Gouges a réagi en publiant sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mais elle dût payer, de son
sang, son audace féministe. Elle fut guillotinée par Robespierre, sans autre forme de procès. Cette mise à mort
tragique de l’auteure permet de ponctuer, en quelque sorte, la condition féminine alarmante du XVIIIième Siècle,
et même celle non moins époustouflante d’aujourd’hui. L’on peut ainsi considérer que la révolution de 1789 ne
fut pas sans susciter publiquement des revendications de droits chez les femmes.
9
b) Effets des savoirs et de l’environnement économique du travail
Dressant un bilan sur le domaine du travail et de la famille en tant qu’élément illustratif des
tendances du redéploiement des recherches féministes, Fougeyrollas-Schwebel (1995), à
travers une triple dialectique de participation des femmes aux travaux professionnel,
domestique et associatif, parvient à éclairer “la non-reconnaissance du travail féminin à part
entière dans les transformations sociales car posé comme secondaire (...)”. Par là, elle sut
redonner du lustre à l’ouvrage de Margaret Maruani (1985) intitulé : Mais qui a peur du
travail des femmes ? Ainsi, Fougeyrollas-Schwebel, après avoir évoqué la persistance des
inégalités salariales entre femmes et hommes, constate qu’à l’échelle européenne les
Françaises se distinguent par un temps réduit de participation à la vie associative et sont plus
investies dans un “travail contraint”.
Analysant par ailleurs les incidences interrelationnelles (relation vie professionnelle/vie
familiale entre autres) et socio-relationnelles (rapports de sexes et de domination) qui
imprègnent les recherches féministes, l’auteure évoque différents éléments susceptibles
d’éclairer la centralité de la question du travail : éléments dont notamment le parcours
personnel des chercheurs sollicités, le mouvement ouvrier et la pratique professionnelle
s’avèrent déterminants dans les travaux relatifs au genre. Il y a ainsi, dans l’observation de
l’auteure, d’une part, le fait essentiel de la primauté du travail dans le schéma holistique des
études féministes ; d’autre part, le carrefour important du marché du travail autour duquel
convergent les travaux des chercheures du CNRS5 et des universités.
Cependant le bilan qu’établit Fougeyrollas-Schwebel sur l’influence des travaux féministes
s’avère suffisamment nuancé ; l’analyse de ce bilan révèle en partie une sorte de déni de
rapports de domination. Déni ou occultation qui, selon l’auteure, traduit une méconnaissance
de la contribution des féministes en matière d’études ou de recherches scientifiques.
L’auteure observe ainsi une tentative d’embrigadement des femmes dans un cercle familial
écarté de la “production sociale”, et elle fait ainsi remarquer qu’au lieu d’un renouvellement
des questionnements, c’est plutôt le retour triomphal des anciennes problématiques (celles
des années 1960) qui prend d’assaut les débats sur le genre.
Fougeyrollas-Schwebel (1995) rappelle – portée sans doute par sa participation en tant que
chercheure à la lutte féministe – qu’au sujet de ce mouvement social, l’engagement essentiel
était, dans les années 1970, celui de promouvoir, au sein du CNRS, une direction collégiale
de recherche qui pût participer “d’un travail collectif et de ses liaisons nécessaires avec le
mouvement social” ; non pas sous l’appellation de groupe féministe ni comme un lieu de rejet
du féminisme, mais comme une zone d’affirmation qui permette de penser de nouvelles
pratiques ou façons de travailler (pratiques qui, aux dires de l’auteure, n’étaient pas courantes
en sciences sociales). C’est en effet en référence aux cohérences versus incohérences “des
processus assurant la différence des sexes et les rapports de domination”, que l’on prend la
mesure de la pertinence des analyses de l’auteure en tant qu’un radar d’expertise sur la réalité
complexe des rapports sociaux de sexe ; à considérer toutefois (toujours sur la base des
constats de l’auteure) que la division sexuelle du travail soit encore réduite aux disparités
biologiques.
Toujours est-il que la nécessité d’une révision des questionnements relatifs à la recherche
féministe semble se justifier par l’impasse d’une problématique insuffisamment renouvelée,
5
Centre National de la Recherche Scientifique
10
où des réactions de revendications féministes grouillent avec une certaine “rage” contre
l’inconditionnel pouvoir des hommes ; des hommes puissants, lesquels, de plus en plus
inquiets face aux sérieux et nombreux problèmes posés par les critiques fondamentales du
féminisme à l’égard de la différence des sexes, tergiversent tout de même, dit-on, sur
l’application des droits qu’ils prétendent accorder aux femmes.
En bref, les revendications féministes, en tant que sources d’analyse des pratiques et des
savoirs, peuvent permettre d’éclairer quelque peu la profondeur abyssale des conflits de genre
qui, aussi écœurants ou récurrents qu’ils paraissent, ne résistent pas moins à des logiques
scientifiques. Mais il nous faut aller plus loin, ou, rebondissant plutôt sur l’analyse de
Fougeyrollas-Schwebel (1995), tenter de voir ce qu’il en est des conditionnements
psychiques du genre ou plutôt de l’humain à la lumière de la culture ou de la civilisation.
IV. MÉTHODOLOGIE
L’itinéraire méthodologique sur lequel s’engagent nos investigations part d’un point de
constat selon lequel les revendications professionnelles que brandissent les femmes, à l’heure
actuelle, font état d’une situation générale d’atteinte à leur dignité, et d’un autre constat selon
lequel les “phallocrates” décisionnaires et les “clitocrates” universitaires ou journalistiques
(femmes technocrates ou de hauts savoirs) apparaissent les uns comme les autres en tant que
privilégiés d’une société bureaucratique de personnes fortement éduquées ou diplômées.
D’autant que tributaires d’un lourd héritage culturel qui met les hommes en surplomb par
rapport aux femmes, ces dernières se montrent scandalisées, dénoncent alors une
discrimination persistante et n’ont finalement de cesse de crier haut et fort leur ras-le-bol.
Tandis qu’à l’opposé, une masse de citoyens paupérisés rangent ces femmes savantes et ces
hommes puissants dans un même groupe de personnes “privilégiées”, “influentes”,
“divorceuses”, “orgueilleuses”, “grotesques”, “canailles”, “dévergondées” ou “corrompues”,
etc. Ce clivage marqué au final d’un rapprochement plus ou moins fantasmagorique peut
servir à distinguer l’opinion universitaire, souvent très éloquente ou persuasive, et l’imagerie
populaire généralement confuse ou charabiesque au sujet d’un féminisme pourfendu, mal
apprécié, sous-estimé ou surestimé par des personnes ordinaires ou totalement écartées des
discussions académiques sur le genre.
En effet, au cours de nos pré-enquêtes ou excursions exploratoires, il apparaît déjà, peu ou
prou, que les hommes de pouvoir (pouvoir politique notamment) dits “phallocrates”, et les
femmes militantes d’association dites femmes savantes ou “clitocrates”, sont, les uns et les
autres, perçus en réalité comme des adversaires perpétuels d’une lutte de classes ou de sexes.
Et ceci tient lieu d’un rétroviseur méthodologique d’analyse, en tout cas et pour autant que la
répartition femmes/hommes, établie sur la base d’une idéologie de bio-différenciation
sexuelle, a fait des femmes savantes une troupe féminine d’ “Ernesto Guevara” qui livre
bataille contre l’inégalité des sexes sans pour autant la subir au même titre que la grande
masse de femmes ou “féministes” sans notoriété intellectuelle.
Le même itinéraire méthodologique aboutira somme toute à l’analyse et à l’interprétation
exclusive de données qualitatives relatives à une situation conflictuelle d’insertion conjugale
ou professionnelle, ou dont les lenteurs de progrès poussent la pensée historico-scientifique à
s’interroger sur le devenir des femmes dans le malaise, soit dit en passant, d’une civilisation
baptisée phallocrate ou brutale. Et c’est ainsi que, pour approcher objectivement ce
phénomène de revendications féministes (la question de l’inégalité des salaires par exemple),
nous prenons systématiquement en compte opinions et remarques d’une demi-douzaine de
11
femmes ouvrières ou d’entreprise, ainsi que de quatre hommes (responsables de ressources
humaines), toutes et tous bien au fait de la condition féminine (données objectives
différenciées), et des analyses de quelques femmes de réflexions qui, sans fausse pudeur,
essaient de “prendre le taureau par ses cornes” en entrant dans le débat scientifique sur le
féminisme par des publications, c’est-à-dire avec armes et bagages de leurs compétences
éprouvées.
V. PERSPECTIVES SOCIOLOGIQUE ET PSYCHANALYTIQUE
Un travail destiné à éclairer un tant soit peu le grand chantier des revendications féministes, –
même s’il n’a pas vocation à faire fi de la dimension juridique qui lui est particulièrement
inhérente –, lorsqu’il prend appui sur l’originalité de faits réels de société, s’attache moins
prioritairement aux spéculations théoriques qu’à une interprétation édifiante et objectivante,
mais d’une façon relative ou plutôt nuancée. Ainsi l’essentiel de la présente analyse, sans
s’éparpiller sur la maxi-pluralité de la question féministe, ni s’attarder à des dénégations
critiques sur ce plan, va notamment retenir le volet salarial ou plutôt conjugal qui apparaît
souvent dans l’actuelle mobilisation des femmes autour de la thématique de l’égalité des
sexes. Non pas que nos interprétations, qui se réclament d’ailleurs d’ordre sociologique et
psychanalytique, vont devoir s’extraire du jugement critique, ou que les autres revendications
féministes (la reconnaissance légitime du statut professionnel des sages-femmes par ex.)
n’aient pas suffisamment d’importance, mais elles se situent malgré nous hors de propos en
ce qui concerne le cadre limité de l’analyse en cours.
1. D’un point de vue sociologique
L’évolution de la condition féminine que représente l’entrée peu ou prou massive des femmes
dans le salariat engendre, selon toute vraisemblance, un clivage à l’intérieur des entreprises et
des ménages. En effet, il est des ambiguïtés sociologiques qui caractérisent ce clivage et
permettent, en quelque sorte, d’avoir accès au fondement des attitudes que les femmes ont ou
peuvent avoir lorsque, quasiment à compétences égales, elles vivent des situations salariales
inférieurement différentes de celles des hommes. Quelles sont alors ces ambiguïtés ? Et
quelle interprétation sociologique pourrait-on en faire ?
Le premier point d’ambiguïté, que nous retenons pour l’analyse, porte en quelque sorte sur la
difficulté fondamentale à laquelle les femmes sont confrontées lorsqu’elles accèdent ou se
battent pour accéder aux postes de direction, situation dite “paradoxe passion / obstacles”
(Amboulé-Abath : 2007). En réalité il s’agit d’une ambiguïté qui se traduit par une sorte de
dévotion auto-encourageante à l’endroit d’une profession relevant d’un “domaine
traditionnellement masculin”, avec notamment une fascination mêlée de motivation et de
bonnes intentions, mais intrinsèquement contrariée par des obstacles qui, de par des tensions
cristallisées autour des entraves fonctionnelles de genre, suscitent chez les femmes des
résistances émotives en même temps que des émois d’engagement professionnellement
pénibles.
Quant au second ou dernier point d’ambiguïté à analyser sociologiquement, il est bien
question de la division biologico-sexuelle du genre par opposition à la mixité de l’espace de
production au sein duquel les femmes ont vocation à travailler au même titre que les
12
hommes, sans toutefois avoir systématiquement droit au même traitement salarial6 que ces
derniers.
a) “Paradoxe passion / obstacles” ou correspondance paritaire de “motivation / entraves”
Dans leur processus d’accession à des postes de direction, il y a, disons, une correspondance
paritaire de “motivation / entraves” ou plutôt un “paradoxe passion / obstacles” qui pose
problème à l’exercice professionnel des femmes (Amboulé-Abath : 2007). Parler d’une telle
correspondance paritaire de “motivation / entraves” revient à analyser son existence réelle
ainsi que les effets pervers quelle produit, en tant qu’un paradoxe, sur l’épanouissement du
genre féminin. La question complexe de l’égalité des sexes nous invite ainsi à scruter ce
“paradoxe passion / obstacles” dans le rapport conditionnel des femmes au travail ; travail
d’ailleurs considéré comme chemin d’un épanouissement personnel et socio-conjugal. La
revendication féministe d’égalité de salaire entre femmes et hommes y prend alors tout un
sens ; car ce paradoxe, vu au microscope de l’analyse sociologique, est la clé de facilitation
compréhensive de la revendication en question, tout comme l’on se faciliterait l’excursion
dans un immense désert au moyen d’un véhicule équipé d’un guidage par satellite.
En effet, du fait qu’il est obvie que l’accession des femmes à certains postes de direction
s’avère sujette à d’étroites limites (Amboulé-Abath : 2007), il ne fait aucun doute que leur
souci d’échapper à la violence de ces restrictions qu’elles subissent, est un phénomène
socialement “pimpant”, qui va de pair avec leurs envies légitimes de protection propres à
toute l’espèce humaine. Ainsi, lorsqu’on s’évertue d’analyser avec rigueur les propos ou les
réactions sociales des femmes par rapport à leur condition féminine, une lumière jaillit qui
laisse entrevoir la ferme position qu’elles prennent concernant leur besoin de se protéger de
la violence masculine.
(...) On dit ça que la femme elle n’est pas forte comme l’homme. On n’a pas le
muscle pour lutter les hommes, c’est pourquoi ils profitent sur nous.
- Vous voulez dire personnellement qu’il y a un homme qui profite sur vous ?
- Il me frappait la nuit à cause de rien. Même quand j’ai changé ma serrure, il venait
crier la nuit : “Je sais que tu es là. Ouvre-moi sinon je saute la porte”. Toujours
j’étais obligée d’éteindre la lumière chez moi. (...) Un jour, toute la journée, il m’a
enfermée dans ma chambre, il disait qu’il voulait me protéger ...
- Et comment vous avez pu accepter qu’il vous enferme toute une journée !?
- Accepter ? Qui t’a dit que j’ai accepté ? Je te dis que l’homme il a beaucoup de
muscles. C’est pourquoi il s’en fout de ma volonté... Lui ne respecte jamais la
volonté de la femme.
En effet la condition féminine, c’est généralement une algèbre de luttes sociales incessantes
qui, face à la violence de l’homme dit “brutal”, “profiteur et récalcitrant”, expose la femme
à tous les risques d’une défaite sociale solennelle. Un peu d’ailleurs comme une abeille qui
recherche la liberté de l’air et le bonheur des fleurs, la femme lutte de tout son corps pour
s’élever au-dessus de la domination masculine mais se retrouve souvent, a contrario, dans la
ruche profonde et sans lumière d’un calvaire feutré d’amertume ; calvaire d’autant régi
parfois par de puissants “violeurs de veuves” ou “tortionnaires d’orphelins”. Ainsi la femme
6
L’Allemagne est l’un des pays occidentaux où le phénomène de l’inégalité des salaires entre femmes et
hommes semble bien préoccupant pour l’instance dirigeante. La chancelière allemande, Angela Merkel, a ainsi
pu déclarer: “Je conseille à chaque femme qui gagne moins que son collègue masculin d’aller voir son patron et
de lui dire : il faut que ça change !” (Interview in Prisma Presse, par Alice Schwarzer/Emma: 2008).
13
soumise, “voilée” ou privée de droits, “dégouline” sous la chaude violence de l’acharnement
avec lequel ou par lequel l’homme brutal essaie de prendre possession de son corps, tout
comme elle fond au travail sous la canicule des inégalités qui, pour emprunter le mot de
Patrice Lumumba, l’empêchent d’avoir sa “part de bonheur”. Ainsi le patriarcat musclé,
dans ces moments d’obscurité où la “femme soumise” croit dissimuler sa présence pour lui
échapper, se rue violemment sur la “féminité” pour la menacer de pires malheurs, l’intimider
ou la tenir vigoureusement comme un fauve séquestré dans une cage en acier. Ainsi le
paternalisme ne se laisse affecter par les plaintes de sa partenaire et ne renonce
nonchalamment à sa suprématie que lorsque la loi, souhaitée impartiale et juste, essaie de
trancher à l’honneur de l’égalité sociojuridique des sexes.
Il existe en effet une persuasion selon laquelle l’obéissance de l’épouse, en tant qu’un subtil
moyen de soumission féminine à la domination de l’homme sur le corps de la femme, devient
tacitement une sorte de reconnaissance de la toute-puissance de l’homme. Or pour nombre de
femmes, la légitimité de leurs droits saute aux yeux, et leur bon sens sur l’égalité des sexes
devant la loi n’hésite pas à protester, comme on peut le voir chez une mère de famille dont la
réaction semble s’équivaloir à une soif d’égalité :
“Les grands hommes ils n’ont pas peur de la femme... Alors que tout le monde doit
respecter la loi. Même le grand roi qui fait la loi, lui aussi il doit respecter la loi....
C’est pourquoi même si le roi lui aussi il a bu trop l’alcool et il tape sa femme, le
patron du tribunal il doit lui faire les amendes sans pitié. Le roi (Président de la
République) lui aussi doit payer les amendes de mangement (pensions alimentaires)
à la maman de ses enfants, parce que, ici en France, c’est l’égalité. Mais l’homme il
croit que c’est toujours la femme seule qui doit obéir. C’est tout le monde qui doit
obéir l’autre” (Une mère célibataire, chef d’entreprise).
La confrontation des revendications féministes avec la phallocratie paternaliste se fait tout
droit, dans le tumulte des protestations ou de la résignation des femmes, cependant que des
malentendus éclatent sur le point qui leur tient le plus à cœur : l’égalité de traitement ou la
justice sociale. Selon l’opinion avouée des femmes en général, rien n’est durablement
supportable dans l’arrogance ou le mépris ordinaire de la phallocratie à l’égard du
féminisme ; et la soumise-violée, ou plutôt la “charmante voilée”, n’est pas plus disposée à
prendre son macho-maltraitant, son despote phallocrate, ubuesque ou violent donneur
d’ordres, pour un “Apôtre de la Paix”, qu’une prostituée (même si crédule fût-elle) à prendre
son plus fidèle client pour un “Saint Ascète fidèle à Dieu”.
Tout au clair néanmoins, la phallocratie qui refuse, semble-t-il, des exceptions à prévoir (la
femme, même laborieuse ou gérante de l’économie du foyer étant inconditionnellement
vouée à se “soumettre” à son mari), demeure une “hauteur” inaccessible pour le féminisme
soucieux de ses droits d’égalité devant et dans les faits de mixité sociale de genre au
quotidien. Les temps sont désormais chauds, très subversifs ; et ce n’est donc plus assez pour
les féministes de préparer la guerre, il faut que de véritables confrontations aient lieu et que
celles-ci soient dorénavant victorieuses en leur faveur. Autrement dit, la guerre des sexes aura
lieu, et cette guerre a d’ailleurs déjà commencé. Ainsi en étant disposées à une longue lutte
d’endurance, avec hésitation réfléchie et prudence calculée, elles agissent contre la
propension masculine à s’opposer au libre arbitre de la féminité ; cette féminité qui pourtant
sait porter sagement l’humanité dans ses entrailles.
14
“Si on se tient pas à carreau, en tout cas si on se soumet pas, l’homme devient
encore plus furieux... Moi je les plains comme des enfants parce qu’ils font le
“patapa” (raison du plus fort) pour faire taire les femmes, mais c’est toujours la
femme qui est le sens de leur vie. Ils veulent toujours se marier et puis faire
normalement des enfants ..., c’est uniquement sur ce plan qu’ils se montrent
raisonnables” (Bernadette, jeune femme ouvrière en manufacture, une remplaçante).
“En fait une fois qu’ils sont satisfaits ils perdent la raison, ces machos cherchent qu’à
imposer leurs lois”, conclut Bernadette, en sa qualité de femme ouvrière divorcée, qui se
persuade que c’est la peur de se voir rejetée par les hommes ou de se retrouver en solitude
(celle d’une mère isolée) qui oblige la femme à se soumettre sans crier gare. Dans sa trêve
conjugale angoissée, elle confesse vertement :
“Le mari il frappe violemment, et tu n’as même pas le droit de crier parce que vous
deux vous avez peur des voisins... lui surtout il veut pas que les voisins ils soient au
courant que tu es femme battue. C’est le jour de ta mort que les journalistes vont
deviner ton mal.”
Il lui faut pourtant pouvoir se passer de l’autorité de l’homme, de la domination masculine
qui écrase la femme sur son passage, ou plutôt (entend-on dire) le modernisme exigerait à la
femme de se battre pour canaliser les débordements fougueux du “macho”, ou de maîtriser la
virilité paternaliste de la phallocratie. Mais la pauvreté lui impose tout de même d’obéir en
dépit de tout, de se soumettre malgré tout…
“Surtout si tu es pauvre, ou bien ton salaire est pas vidéo (revenus sans visibilité) ...
alors c’est même pas la peine de discuter les ordres de ton mari. D’ailleurs si tu
parles beaucoup, il va t’abandonner “piam” (rapidement)... c’est pourquoi si on est
trop pauvre et puis on parle beaucoup, le mec il va partir dehors pour chercher
maîtresse qui travaille... Après il revient le soir avec son visage serré-fâché contre
toi, et il néglige ton plat que tu as bien soigné ... après c’est séparation de divorce”
(Martine, femme au chômage, une mère ayant deux enfants, ancienne employée à mitemps).
Voilà donc désormais la femme apparemment soumise, bousculée voire secouée comme un
“cocotier”, sur le matelas de la soumission volontaire et qui, se rendant compte que des
troubles machistes persistent toujours malgré l’évolution de la société, souhaite tout de même
que les abus y corollaires, ceux qui menacent notamment la féminité, rentrent résolument
dans l’ordre.
“C’est pour le plaisir “fata” (gratuitement disponible) que certains hommes sont
pressés de se marier. Rien que pour ça (...) Beuh oui, ils (les hommes) veulent aussi
des enfants mais c’est le plaisir qui les intéresse, donc ça faut pas croire que c’est
“mariage fata” pour un homme, parce que c’est sûr que les nuits une femme n’a
même pas le droit de dormir “jambes croisées” auprès de son mari..., là c’est les
querelles tout de suite, parce que lui il a tout temps besoin de jouer avec tes jambes…
Parce qu’il a payé la dot, alors il croit que sa femme est cocotier de plaisir” (Lucie,
esthéticienne, femme en instance de divorce).
Mais l’attrait de concupiscence pour un “cocotier charnel”, ou l’envie psycho-physiologique
d’étreindre la femme, si intense soit-il chez le patriarcat viril, n’épuise pas l’infini du genre
15
humain, du point de vue notamment de la dimension métaphysique du corps. Mais il y a chez
la femme intellectuelle qui mène le combat de la libération totale féminine, des conceptions
“épidermiques” et sociales plus décisives que celles de l’abstraction spirituelle : c’est
l’envergure physiologique et sociale de la biologie ou la palpabilité de la mixité socioconjugale du vécu quotidien.
b) Division biologico-sexuelle du genre et mixité de l’espace de production sociale
Il n’est pas malaisé de distinguer, dans la pratique, l’homme de la femme, parce que les deux
entités, même en étant des associées de la même espèce, ne cessent d’être complémentaires
sans toujours se confondre physiologiquement : une sorte de duplicatas peu conformes au
niveau du sexe, une complémentarité physique par contraste. Ainsi, en voyant par là la
disparité complémentaire du genre humain et en réalisant que le corps masculin sent a priori
l’harmonie de sa vie biologique (émotionnelle ou psychologique entre autres) dans ses
échanges avec le corps féminin, l’on souscrirait naturellement qu’il va de soi que la division
biologico-sexuelle (celle qui a quotidiennement cours au sein de l’organisation sociale)
s’apparente à une “complétude binaire” de genre, acceptable ou critiquable cependant.
En effet dans l’espace de la production sociale, une telle emprise de la disparité sexuelle entre
la femme et l’homme, au-delà des mesquineries égocentristes dont l’humain est en général
tributaire, apparaît fortement dans leurs préoccupations journalières, dans plusieurs domaines
d’activités, exposés qu’ils sont tous les deux à une lutte sans trêve pour le travail libérateur et
qui constitue la clé de voûte du développement, celui notamment du social et de
l’épanouissement personnel qu’ils s’évertuent de construire individuellement ou en commun.
L’individu confond là, facilement semble-t-il, ses ambitions personnelles avec l’objectif de
son groupe. Faute d’un discernement continuel, faute d’un contrôle adéquat, chacun peut
alors s’y tromper allègrement. Et excepté que tout individu peut succomber aux abus relatifs
à la division biologico-sexuelle, l’impératif paradoxal d’égalité des sexes fait partie des
phénomènes qu’il n’est pas aisé d’assimiler. Il est donc plus confortable de les ignorer, ose-ton croire, tant l’espace de la production sociale recèle des contraintes socio-juridiques pas
très faciles à intégrer. Avant, bien entendu, que ces phénomènes suggèrent sagement
l’obéissance à la loi, il faut d’abord, pense-t-on, qu’ils inspirent l’amour véritable ou la
confiance égalitaire dans le genre. Or c’est justement sur ce plan que le bât blesse la raison
pratique.
“L’affaire de l’homme et la femme dans la vie de travail, c’est sale affaire de foutaise.
Tous les malheurs du monde, c’est sur le cou des femmes que ça vient … Il y a pas
égalité de salaire dans les grandes entreprises, donc il y a pas égalité de respect ... il
y a même pas égalité d’encouragement pour l’homme et la femme. Donc l’homme
c’est le méchant patron de la femme, c’est tout” (Sissi, une mère coiffeuse et chef
d’entreprise).
La mixité sociale confirme d’elle-même une souffrance terrible dans le vivre-ensemble du
genre. La femme et l’homme s’unissent pour perpétuer l’alliance complémentaire des deux
sexes apparemment opposés de la vie humaine ou terrestre, cette vie terrestre elle-même étant
entretenue par l’effort mutuel ou sexuellement diversifié du genre ; mais le plus souvent cette
mixité de genre est confrontée aux épreuves de tous les jours, encore que le genre dans son
ensemble doit coopérer de gré ou de force pour le progrès de l’ensemble des corps masculins
et féminins de l’Humanité. Et cependant l’on convient que des difficultés économiques et
sociales, toujours plus accrues, soumettent a contrario cette Humanité à de sévères
16
malentendus, à des tensions psychologiques exténuantes, déprimantes. Tel homme ou telle
femme, l’un ou l’autre préoccupé de liberté ou de divorce immédiat, non seulement n’entend
espérer patiemment un hypothétique lendemain meilleur, mais ne veut surtout rien endurer de
“trop pénible” qui pèserait continuellement sur ses aspirations temporelles. “Agbo mèdjimèdji komou mi la koto” (« Jamais à deux ..., deux béliers ne boivent simultanément dans
une même jarre … Ils vont briser la jarre »), s’exclame Olivia, une parisienne yorouba, jeune
mère vendeuse ayant deux enfants scolarisés, qui préférerait vivre en solitude plutôt que
d’avoir à essuyer des coups de tête d’un “conjoint-bélier”. Elle précise :
“Moi j’étais prête à lui répondre toc-toc (...) C’est ma grande sœur elle qui sait plus
quoi faire. Avec son mari bélier qui donne coups de tête ! Moi, coups de tête de
l’homme-là, moi je peux jamais supporter ça. (...) Moi, je pouvais pas attendre
divorce ..., les Messieurs de boubou noir (avocats et magistrats en robe noire) ils
sont lents comme tortue... Avant que divorce-là vient, tu es déjà cadavre. (...) Ma
sœur elle-même, elle sait que si elle attend divorce dans ce pays, c’est sapeurspompiers qui vont venir un jour trouver son corps.”
Toutefois, encore faut-il avoir le courage d’y réfléchir sérieusement, la menace du divorce ou
la difficulté pénible à gérer dans la mixité conjugale du genre explique probablement les
sentiments d’angoisse qui pourrissent la vie sentimentale, ou qui obligent les partenaires du
genre à vivre financièrement terre-à-terre en soupirant. Le champ de la mixité sociale du
genre est alors toujours loin d’être cerné. La division biologico-sexuelle, femme-homme,
celle classique du genre est, elle aussi, insuffisamment “fouillée”. Il est donc prévisible que
les zones inconnues de cette mixité socio-sexuelle ne puissent totalement s’offrir à la
compréhension pratique de l’intelligence humaine. Ainsi, tandis que le genre s’expose à
l’analyse compréhensive wébérienne de cette mixité sociale (puisque l’intelligence sociale est
avant tout celle du genre humain), ce même genre s’avère un phénomène qui se fait
conflictuel et flou à l’Humanité elle-même. Une infinité de malentendus qui devraient être
dissouts par l’espoir curatif d’un mieux-vivre et contribuer solidement à la confiance générale
de l’édifice social, se révèlent plutôt mal éclairés par des normes de droit ou de justice qui
sont proposées aux partenaires de la VIE ; et ces malentendus, sans être pacifiquement
digérés par les groupes, ou, quand c’en est même parfois le cas, contrarient plutôt les
volontés pour s’empêtrer dans une discorde de genre, avec d’autres vérités initiatiques
mystérieusement complexes, plus dangereuses, plus subtiles ou plus insoupçonnées, ou dont
la conscience ordinaire méconnaît l’existence.
Pourvu que le “sol-saint” et le “sol-maudit”, tous déjà moribonds, cessent de périr
physiquement et spirituellement, publiquement ou en secret, sous des crépitements de
revolvers biologiques, mystiquement chargés de cartouches épistémologiques ou d’arguments
dangereusement savants. N’est-ce pas que l’Humanité s’éveille et réalise qu’il est temps pour
le Savoir des Abîmes de préserver l’Éthique sociale et la Recherche de la Vérité, qu’il est
temps pour le “Manège des Ours” de calmer sa fureur envers le Nid originel de l’Humanité ?
N’est-ce pas finalement parce que l’existence elle-même, celle de la vie sur terre de la femme
et de l’homme est absurde, cruelle, conflictuelle, obscure ou pleine de crimes ou de lâches
embûches, qu’il faut par conséquent y réfléchir ardemment, l’éclairer patiemment, lui trouver
constamment un fondement ou un sens ?
Ceci révèle pourtant une vision traumatique de ce monde d’hier et d’aujourd’hui, un monde
déchiré par des troubles matériels et sociaux, par des gains sordides ou grossiers, des intérêts
sanglants ou fratricides, “ventripotiques” ou plutôt hégémoniques, un monde brutal,
17
violemment et stratégiquement contrôlé, mais enfin un monde si condensé de richesses peu
inoffensivement monnayables. Mais l’on s’aperçoit, au fond sincère de soi-même, que le
corps humain, si séduisant ou si jouisseur dans sa splendeur biologique d’esthétique ou de
libido, est non moins terrestre dans sa constitution exotérico-anatomique mais ne cesse
néanmoins d’être ésotériquement métaphysique. En effet, dans son essence impondérable
d’apriori lumineux, quoique provisoirement tombé dans la zone sombre de monnaie
trébuchante qu’est cet univers terrestre, l’humain est devenu, plus que pervers et cupide, un
loup prédateur pour lui-même, un animal vorace et nuisible qui se dévore lui-même ou
massacre et détruit son prochain de genre. Étrange humain qui s’exhibe physiquement et
publiquement dans une nasse d’étoffe à interstices béants, cotonnade stratégiquement
moulue, une gaze d’hameçon sexuel légère et fragile, à l’effigie du Coffre-fort de Mammon !
Il est probable en définitive, pour des raisons d’ordre subconscient, que la question
conflictuelle de la gestion du genre prenne des dimensions “éthérées”, pour faire place à
d’autres conceptions intellectuelles, celles notamment de la psychanalyse, qui durcissent
épistémiquement pour résister à la critique de la science des femmes et des hommes.
2. D’un point de vue de la psychanalyse : conditionnements inconscients du genre
humain
Lorsqu’on poursuit, de façon théorico-pratique, la quête systématique des savoirs relatifs à la
question du genre ou de l’Humanité, comme cela se doit dans une démarche scientifique, l’on
en vient, par la force des circonstances, à piocher dans l’héritage laissé par Freud et ses
collaborateurs, ainsi que par d’autres chercheur.e.s, qui ont pu analyser la “psyché” ou les
conditionnements profonds auxquels la femme et l’homme sont tributaires dans leur
évolution mentale et culturelle respective. Ceci est, pourrions-nous dire, la condition même
pour que les savoirs sur l’Humanité puissent progresser ou se restructurer. Il est ainsi
dialectiquement possible que les notions d’inconscient, de pulsions et perceptions, de
complexes ou de refoulements, de religion d’angoisses ou de phobies, etc., aident
convenablement à “débroussailler” des sentiers de réflexions sur le genre et, compte tenu des
problèmes fondamentaux (conflits ou tensions d’ordre interpersonnel, familial ou sociétal)
qui se posent au niveau de l’intégration socioprofessionnelle des femmes, à éclairer au mieux
le sens de la lutte pour l’égalité des sexes.
a) Effets d’un malaise dans la culture
En effet, dans son Le malaise dans la culture (“Das Unbehagen in der Kultur”), l’Autrichien
Sigmund Freud (1929, 1930) soumet à sa psychanalyse le besoin d’agressivité qu’éprouve
l’individu envers autrui : phénomène qui, selon lui, fait partie de la nature humaine, et qui
permet d’approcher le malaise d’une civilisation partagée entre la conscience morale
(sentiment de culpabilité) et l’égoïsme (amour de soi), agitée de surcroît par l’angoisse et le
besoin de protection, et dont le progrès va de pair avec des pulsions de destruction. Ainsi,
chez Freud, les phobies et notamment l’envie de se sentir en sécurité sont à l’origine du
besoin religieux. La croyance à l’immortalité de l’âme ou à la résurrection d’un messie ne fait
alors que préparer à l’humain, l’espoir d’un âge d’or utopique qui lui offrirait l’aisance
confortable d’une liberté illusoire à laquelle il aspire douloureusement, avec angoisses,
doutes et fantasmes (pour se protéger des pulsions de destruction). Freud considère toutefois
que la civilisation n’a jamais répit d’un combat entre deux poussées opposées (la pulsion de
vie et la pulsion de mort), estimant d’ailleurs que personne ne peut se targuer d’avoir les
moyens de toujours triompher d’un tel combat. Antrement dit, rien ne prévoit, selon Freud,
18
que les civilisations, même les plus évoluées, ne finissent tôt ou tard par dégénérer dans la
décadence ou sombrer dans la violence aveugle ou l’autodestruction.
Freud constate par ailleurs que la vie étant trop dure ou excessivement pénible à gérer
personnellement, l’on essaie par éclectisme de se la ramollir en recourant à trois remèdes
possibles : soit à de grandes manœuvres de diversion pour surpasser notre misère grâce à une
activité scientifique par exemple, soit à la satisfaction par substitution en recourant à la
contemplation du beau ou à la pratique de l’art, soit encore aux effets analgésiques des
stupéfiants pour se rendre insensible et adoucir l’amertume de l’existence. Ainsi, pour Freud,
chacun fait inexorablement sa propre histoire, et il n’y a pas de solution universelle à la
misère individuelle humaine : étant donné que le corps (de la naissance à la mort) est
indubitablement le plus fidèle compagnon de la douleur, et que la vie humaine elle-même,
selon lui, s’édifie et s’effondre en même temps que la fondation religieuse et les angoisses
existentielles qui tourmentent la pensée humaine ; et ceci, quand bien même Freud considère
que le système religieux reste le seul à savoir trancher sur la question de la finalité de la vie.
Ainsi Freud, en tant qu’un chercheur autrichien et médecin athée, ne prend pas outre mesure
au sérieux la réponse de la foi religieuse à la question de la misère. Il va sans dire que le
corps humain, celui de la femme ou de l’homme, ne saurait psychiquement échapper aux
influences des tabous et interdits (notamment les prescriptions morales de la théophanie ou
des prophéties) qui conditionnent les rapports anthropologiques ou sociaux, à plus forte
raison si les pulsions et les angoisses humaines n’ont pas toujours accès aux incantations
efficaces (“fire prayers”) pour se libérer à genoux, pieusement, sur le siège-confessionnal
d’un “Refugium peccatorum”. D’autant que les circonstances de la vie ne se prêtent pas
ordinairement à la possibilité d’utiliser puissamment, comme une véritable thérapie, les
schèmes culturalo-psychiques de l’environnement humain ou religieux. Au contraire ! Le
père de la psychanalyse estime d’ailleurs que le corps (fût-il féminin ou masculin, beau ou
laid, jeunet ou vieillot) est déjà par lui-même une source de souffrance inévitable, incapable
qu’est ce corps humain d’échapper durablement à la douleur (ou à la mort) en tant qu’un
indice de l’insolvabilité de la détresse existentielle, et par là condamné à souffrir, à mourir, à
pourrir ou à disparaître définitivement, irrévocablement, quel que soit son prestige social ou
l’usage libidinal qu’on en fait.
En effet, la théorie freudienne n’est pas vaine pour l’analyse des revendications des femmes
par rapport à leurs besoins d’intégration professionnels : dans la mesure même où l’actuelle
distinction femme-homme semble elle-même relever d’une déviation historique de la notion
de genre, et liée à des styles de vie considérés somme toute comme exclusifs à la nature et/ou
culture de tel ou tel sexe. Subissant donc depuis longtemps (sous un régime sociopatriarcal
draconien qui fait les normes ou les lois à toute l’Humanité) une sorte de pénétration sadique
qui la maintient dans une position d’infériorité par rapport à l’homme, la femme se trouve
tout à fait loin d’échapper au malaise d’une civilisation profondément violente telle que
décrite par Freud. En d’autres termes, la femme, pourrait-on dire, se situe au creux-même des
vagues du malaise de notre civilisation. Des bombardements intensifs ou des explosions
meurtrières de canons n’épargnent quotidiennement ses pulsions de vie, ni celles de son mari
ou de leurs enfants. On lui promet la paix par des vociférations diplomatiques, celles des
tribunes internationales. On lui débite des discours hypocrites en cravates officielles ; mais
n’étant pas infiniment dupe ou vouée à l’ignorance, – et elle ne peut longtemps l’être ou y
être –, elle sait intuitivement qu’elle conserve dans son intime tabernacle un “fruit de vie”
que la violence mortifère du “mâle” ne veut préserver. Tant le mal du “mâle” la pourchasse
cruellement dès les origines.
19
“La dignité pour une mère, ça a toujours été et ça restera une corvée de plaisir et
douleur mélangés. Et puis tu sais …, nos parents nous ont appris à être sincères,
mais la chance est toujours rare pour une femme d’avoir un homme qui la traite
sagement. D’habitude, c’est le début qui est agréable en amour. Après, le reste est un
cauchemar …, on encaisse les vices et caprices de l’homme avec souffrance et
silence…” (Denise, diplômée en management des organisations, serveuse de bar,
mariée).
Jamais défi ne serait jubilatoire pour une épouse analphabète ou diplômée, de passer, mieux
qu’un pieux chameau de l’Évangile, par le chas d’une aiguille conjugale. La conjecture,
d’ailleurs, ne se pose ici, ni à titre d’un rouleau de Testament ni par commodité sociale, pour
conforter le triomphalisme d’un prétendu machisme spoliateur. Mais le patriarcat pompeux,
puissamment barbu ou élégamment tondu, d’habitude soupçonné de méditer rudement la
ruine libertaire de sa conjointe, aurait des vues de commandement ou de suprématie qui
remonteraient à la Genèse. “(…) Ton désir te poussera vers ton homme, et lui te dominera”
(Genèse III, 16). Le mâle de ce temps moderne, plus conforté par ce mythe, pense-t-on, en
arriverait ainsi, avantageusement, vivement ou gaillardement, à la prétention dogmatique
d’une telle soumission féminine pourtant problématique, pour ravir aux femmes leur
souveraineté. Ainsi, dans ce magma d’extravagances anthropologiques relatives à la structure
maritale, la religion ecclésiale semble avoir la lourde charge de porter, officiellement comme
une mitre, le soupçon historique d’être la première et la plus puissante institution
commanditaire de l’humiliation, ou de l’inféodation, dont souffre le féminisme d’hier et
d’aujourd’hui en matière de droits de la femme.
Cependant il serait instructif, constructif ou indicatif du moins, de considérer, comme digne
d’intérêt, l’idée de nous préserver du boomerang de l’antiféminisme qui consisterait à
museler ou enfoncer le genre féminin dans la fange de l’involution, et à ignorer que le genre
lui-même en général s’actualise et se construit entièrement, infiniment et différemment dans
un cadre de partenariat du vivre-ensemble des corps sexuellement opposés ou
complémentaires, où la charge de porter viscéralement un fœtus n’est pas fonction musculaire
du “mâle testiculeux”, mais plutôt une ultime cérémonie vitale féminine, un long processus
intérieur de transformation biologique, un rituel anatomique bien mouillé de sang ou trempé
d’alkali, surchargé de vie, d’os et de chair, humainement et physiologiquement réservé à la
féminité, à elle seule, du moins à ce stade actuel de l’évolution éthique de la science. C’est en
effet ici qu’intervient résolument, disons-le, ce fin privilège de la chair, celui du labeur
génésique ou de la procréation, qui expose élogieusement la femme en un support
essentiellement sanglant, comme la Croix du Calvaire, pour la survie de l’Humanité, et donc
pour celle du genre. Et les mères porteuses semblent une confirmation naturelle de poids à ce
phénomène vital en question. La vie, l’on en conviendrait, n’est et ne saurait être de la vie
humaine qu’à moins d’être humainement portée ou supportée par un ventre féminin, allaitée,
de surcroît ou si possible, par des seins également humains ou féminins.
“Une grossesse, c’est toute une vie sacrée …, j’y crois comme une religion…, c’est un
fœtus vivant qui séjourne dans l’intimité de mon ventre. C’est le cadeau le plus divin
que je puisse accueillir dans mon corps. (…) C’est clair que mon mari a souvent
l’occasion d’entrer dans mon corps, mais il en ressort dûment après quelque moment.
Ce plaisir ne dure naturellement que quelques instants. Par contre, mon bébé dans
mon ventre, c’est pour de longs mois. (…) Il vit en moi, il fait tranquillement ses
mouvements, c’est tout un plaisir que ça me procure. Je vis cette expérience avec un
20
plaisir que je ne peux pas décrire, même si la douleur de l’accouchement m’attend”
(Simone, diplômée en commerce, jeune femme enceinte, intellectuelle au chômage).
Mais saurait-on dire, preuve à l’appui, que la religion contribue au malaise de notre culture ?
L’opium du peuple, selon Karl Marx, est-il vraiment conçu pour être l’exutoire des
desiderata du prolétariat, l’assommoir des Suppliciés du Désir qui font frémir la
Bourgeoisie ? Cet opium est-il évidemment le sédatif social des Douleurs de Midi ? Toujours
est-il que les Colères du Genre, la Grève des Seins, le Bataillon des Opprimés, la Confrérie
des Vandales, la Rigueur de l’Épistémologie plumitive, et même les Tracteurs de la
Déontologie syndicale ou de la Lutte Ouvrière n’ont pas les Clefs du Patriarche pour libérer
le Joyau Obscur, Fonds de la Vierge ou de l’Ombre Pure, sacrément caché comme une
relique sous la fondation du Temple. Ainsi le Tabernacle se révèle euphorique, anatomique
ou érotique, biotique ou vital, en monnaie d’or ou de vie, de genre ou de sexe, de désir ou de
luxe ; mais il demeure utilement absurde, narcissiquement rebelle, vainement désolé ou
religieusement résigné à l’Inconfort de son Sort ! Car le Temple Lui-même, Édifice de
Marbre et du Culte Millénaire, Œuvre de Temps et de Sang, de tant d’efforts humains ou de
sacrifices d’une Culture, s’écroule soudainement sur ses adorateurs et profanateurs en liesse
ou en détresse, avec de suprêmes dégâts matériels et humains. Puis l’hécatombe s’étend
jusqu’aux incurables malaises psychiatriques.
Notre Terre est déjà, pour ainsi dire, et plus que jamais, un Paradis de Cruauté, de Genre en
conflits de Modernité, de phallocrates hautains et féminocrates lésées. L’analyse en bloc,
celle d’une situation ainsi concernant le malaise dans la culture du genre, exigerait donc, de la
part d’une recherche sur l’impératif paradoxal d’égalité des sexes, quelques retenus. Mais
retournons tout de même à Freud, si possible… Soyons curieux, mais sérieux ! Ambitieux,
mais prudents ! Car la fiancée de la Foi, pourrions-nous insinuer, fût-elle conditionnée par le
malaise de l’existence, n’est peut-être pas, – l’argent, encore moins le muscle, n’est pas
toujours gagnant –, qu’une diva qui offrirait le charme de sa chair à tout mâle opulent,
fainéant, menaçant ou dominant. La psychanalyse d’une telle vision sur l’existence, si loin
d’être un produit pharmaceutique à formule contrôlée, ne peut alors se déployer que dans les
limites d’une navette mythologique ou spéculative, au reste d’un à-propos ambigu ou difficile
à timbrer par une tragédie grecque ou des sentences médicales et/ou syndicales. Ainsi donc,
la Pensée Rationnelle Humaine, dans sa complexité si dense et si profonde, en mordant sur
les extrémités de la Passion, se révèle parente de l’Opinion, de l’Irrationnel ou de l’Irréel.
C’est donc, en fait, bien plus proche ou plus loin de la Vie, une affaire à suivre
existentiellement… !
Mais d’où vient psychiquement, à ce compte établi, le malaise que la psychanalyse
freudienne découvre dans la culture, les deux phénomènes (malaise et culture) étant
cependant à tout le moins sans parenté d’évidence ? Et quels rapports la culture construit-elle
avec le malaise auquel Freud l’associe ? L’existence, ou la vie, n’aurait-elle pas une racine
principale enfouie dans les vérités spéculatives du psychisme humain ?
b) Effets du complexe d’Œdipe
L’on se rappelle que, dans l’expression de sa découverte pour le moins scandaleuse,
paradoxale et même très controversée, Freud s’inspire de la mythologie grecque pour
théoriser sur les pulsions qui, selon lui, sous-tendent l’inclination génitale du petit garçon,
entre deux et trois ans, à éprouver de la désirance ou pulsion d’attirance à l’endroit de sa
mère, et du rejet ou pulsion d’hostilité envers son père. Selon Freud, en effet, le complexe
21
d’Œdipe est à la base de l’épanouissement psychologique des petits garçons, car de
l’équilibre psychique de ces derniers dépend l’évolution de ce complexe.
En effet le petit garçon devient rapidement conscient de l’intimité sexuelle de ses parents, et
il se rend compte (avec frustrations inconscientes ou refoulements) qu’il n’y peut prendre
pleinement part. Ainsi exclu d’un tel univers sexuel qui pourtant l’attire, ses frustrations ou
déceptions peuvent entraîner des comportements complexes ou psychologiquement variés.
Ou, pris dans l’agitation du filet subconscient de ses refoulements, il succombera à la
tentation de s’interposer entre son père et sa mère en faisant irruption dans leur intimité ; ou,
intérieurement poussé par les vagues impétueuses de ses pulsions de vie, il voudra imiter son
père, voire rivaliser avec lui en exposant son pénis devant sa mère. Il s’agit là du stade
phallique de développement du garçon.
S’ensuit alors, selon Freud, le stade de la castration au cours duquel compte beaucoup la
façon authentique individuelle et/ou imprévisible dont réagit chacune des trois parties (le
père, la mère et l’enfant). En effet, selon Freud, le père, patron familial ou possesseur d’un
phallus commandeur (phallus patriarcal à l’image d’un bâton pastoral d’autorité exercée sur
des brebis malléables), va forcément agir contre les désirs de l’enfant et conservera par là son
statut de mâle dominant ; et du fait que l’opposition de son père sera d’autant ferme ou
indiscutable que celle de sa mère, l’enfant s’efforcera de mettre fin à ses propres fantasmes à
l’endroit de cette dernière, ou du moins s’abstiendra-t-il de continuer à lui en faire une
démonstration phallique, une libido infantile d’exhibitionnisme pourtant rassurant pour un
gamin. Il s’agit là, selon la psychanalyse, d’un stade d’évolution de l’enfant où le complexe
d’Œdipe peut s’avérer soit positif ou “surmonté”, soit inversé ou “contrarié” ; “l’Œdipe
surmonté” chez le garçon étant synonyme de son acceptation des privilèges qui reviennent au
père, “l’Œdipe contrarié” ou inversé étant le désir chez le garçon de ruser avec son père en le
séduisant, à cause notamment de l’impossibilité et/ou de l’inadmissibilité morale pour le “fils
normal” d’avoir une relation complice et “mouillée” avec sa propre mère. Ce clivage
d’inclination est susceptible, selon Freud, d’entraîner chez l’enfant une future sexualité
ambivalente ou bisexualité.
Mais alors, pourrait-on s’interloquer, quelles étranges et confuses conditions d’un gamin qui
sait et ignore plus qu’il n’en a l’air ! Quel pauvre “Œdipe” ! Adorable enfant néanmoins
énigmatique, que le présent embarrasse, bouleverse et contrebalance entre le conscient et le
subconscient, entre le désir charnel refoulé pour sa mère et la jalousie rivale pour son père,
comme un visiteur mystérieux, comique et tragique au gré des pulsions, si amuseur et
tapageur à la fois, que l’on connaît si peu mais que l’on chérit si tendrement ! Mais drôle
d’Œdipe tout de même qui se noierait dans une cuillère de bouillon ou qui, par ailleurs,
semble condamné, le long de son existence, à ployer comme sous le poids d’un envoûtement
gitan, à gémir ou pleurer comme dans les flammes de détresse, de dépit ou de chagrin d’un
Riche et Pervers Polygame ou Vicieux Salomon, ou d’un Lazare Vertueux, Dépressif et
Pitoyable Monogame, matériellement plus Pauvre et plus Triste qu’un “Jeudi soir”7, obligé
ou résigné par lassitude de s’adapter aux amères circonstances du présent, en espérant les
délices futurs d’un incertain Paradis !
7
Il s’agit d’une allusion communément faite à la Cène du Jeudi saint, le jour considéré comme celui de
l’institution de l’Eucharistie par le Christ entouré de ses disciples. Il est des traditions qui prennent cette Cène
pour un mémorable repas initiatique et d’adieu, et donc de tristesse générale qui présage la mort imminente de
Jésus sur la croix (cf. Marc XIV, 12-31).
22
Ainsi pourrait-on dire que les perspectives originales qui peuvent se dégager de la
psychanalyse, notamment sur l’enfant (cet enfant étant paradoxalement le père de l’homme
[ou implicitement celui de la femme] dans l’optique du freudisme), sont susceptibles
d’orienter des réflexions pertinentes au sujet de la revendication féministe d’égalité entre
femme et homme. Le freudisme est alors à la question psychique de la femme et de l’homme,
ce que le durkheimisme est aux phénomènes sociaux : il rend possible l’exploration des zones
d’ombre humaines et sociales où se jouent des phénomènes objectifs et/ou subjectifs, ainsi
peut-être que l’éclairage de nombreux visages de “fantômes” sexuellement cachés dans la
psyché. Libre à cette fameuse “psyché” de livrer, à la réflexion, ses “fantômes gris” ou
fantasmes de pulsion ou de refoulement, qui rendent complexe le malaise que subit la femme
à travers ses luttes ou revendications.
C’est en effet à la quête d’une issue au complexe d’Œdipe que Freud essaie d’apporter une
clarté au processus de construction de la personnalité humaine. Selon lui, les angoisses de
castration, et surtout les soucis préoccupants d’y échapper, poussent effectivement le petit
garçon à renoncer simplement à son désir inavoué d’accomplir l’acte sexuel avec sa mère,
tout en cherchant dorénavant à construire sa personnalité à partir de matériaux qu’il va
emprunter autant à son père qu’à sa mère. Ce complexe d’Œdipe est donc important pour
l’interprétation des résistances que des hommes opposent triomphalement aux revendications
féministes. Mais c’est l’image mythique de la femme, en tant que source de conflits
psychiques chez l’homme et chez la femme elle-même, qui, supposons-nous, constitue
l’élément-pivot des angoisses masculines posant problème à l’égalité des sexes.
L’on ne peut ici condenser toute la théorie de Freud, ni situer totalement le rapport de sa
psychanalyse avec la question de l’égalité des sexes qui nous occupe. Mais il y a d’ores et
déjà lieu d’évoquer le risque psychosocial pour le petit garçon, une fois devenu adulte, de se
“venger” de ses frustrations d’antan, en donnant inconsciemment libre cours à ses pulsions
d’enfance autrefois refoulées. Ce qui, supposons-nous, peut se traduire chez lui par des
blocages d’échanges entre lui et la femme (symbole de la mère ou miroir d’équivalence du
père) désormais perçue par le garçon adulte (ou devenu patron) comme le souvenir d’une
violence de frustrations, ou plutôt comme une persistante menace de castration. Autrement
dit, les doléances féministes auraient du mal à recevoir un accueil favorable à la table de
réunion, de concertation ou de décision des “petits garçons capricieux devenus grands”,
notamment ceux ayant profondément intériorisé leurs angoisses de castration.
Ce complexe d’Œdipe est important pour la réflexion, non seulement parce qu’il pose un
problème de refoulement au niveau de la différenciation sexuelle de soi et d’autrui, mais
aussi et surtout à cause de la relation mobile ou transférentielle de phobies avec le rapport
social de l’homme à la femme et, par ailleurs, à cause du besoin cognitif consistant à
interroger cet état d’âme qui semble pousser “l’homme du pouvoir” à se montrer
habituellement peu perméable aux revendications féministes, voire se retrancher derrière le
mur-froid de l’indifférence ou du mutisme, ou plutôt dans un insouciant bunker de suffisance.
VI. EN GUISE DE CONCLUSION
L’impératif d’égalité dans le genre n’est donc pas un doux rêve de “tabernacle sucré” ou
“sacré”. Loin s’en faut ! Tant le pessimisme freudien de la psychanalyse ne rassure pas sur
les revanches temporelles du malaise de notre culture longtemps décriée ! Culture où la
Sagesse tarde à s’exprimer, quand elle n’a pas tort d’avoir raison de se taire, où les belles
promesses de la “Terre Sainte” tendent à ne plus suffire à surmonter les typhons de pulsions
23
passionnelles : pulsions de l’Amour (Éros) et celles de “Fraternités mortifères” ou de
Thanatos ; Fraternités d’alliance rivalitaires, faussement légalitaires ou franchement
suicidaires, phallocratiquement scellées dans la gestion de genre malmené, ou celle de corps
affligés, frustrés, violentés, corrompus ou soudoyés.
Ainsi, toutes et tous, femmes et hommes semblent humainement disposés à s’exprimer
tacitement ou explicitement, gestuellement ou verbalement, tels qu’ils apparaissent à leur
propre jugement, et tels qu’ils se révèlent à la lumière ou dans l’obscurité de leur existence
laborieuse et jouissive du jour ou de la nuit, à leurs propres yeux ou à ceux de l’observation
d’autrui, dans leur corps physique et mental de métier ou du vivre-ensemble dans la cité. Du
coup, l’espace planétaire de genre s’assimile à une jungle pénitentiaire où des peintres de
Martinique, dresseurs de surcroît, donnaient, en ricanant, des leçons de “cane docile” à des
“chattes farouches et têtues”. Et le sexe se révèle aujourd’hui, à lui tout seul, tragiquement
capable de donner lieu à de graves conflits de genre et de professions ; et il suscite
néanmoins, par-dessus le marché, des réflexions d’usage philosophique et scientifique sur le
sens à concéder à la Vie, à la Souffrance ou à la Mort.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AMBOULÉ-ABATH, A. (2009). “L’expérience des femmes dans les directions sportives au
Québec : une “émancipation sous tutelle”, Recherches féministes, vol. 22, n°1, p. 123-145.
URI: http:iderudit.org/iderudit/037799ar
AMBOULÉ-ABATH, A. (2007). L’expérience au travail des femmes dirigeantes de
structures sportives au Québec : le paradoxe passion / obstacles. Thèse de doctorat,
Université Laval, Québec. URL: http://www.theses.ulaval.ca/2007/24774/24774.pdf
AMNISTY INTERNATIONAL (2005). Pour le respect des droits humains, Livret d’accueil.
BACHELARD, G. (1949). La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard.
BADINTER, E. (2010). Le conflit : la femme et la mère, Paris, Flammarion.
BAUDRILLARD, J. (1970). La société de consommation, Paris, Denoël.
BEAUVOIR (DE), S. (1949, 1964). Le deuxième sexe, tomes 1 et 2, Paris, Gallimard.
BIDART, C. ; MOUNIER, L. ; PELLISSIER, A. & al. (2002). La construction de l’insertion
socio-professionnelle des jeunes à l’épreuve du temps. Une enquête longitudinale. Rapport
final. Centre National de la Recherche Scientifique, MRSH, Caen, Juillet 2002.
BRIDEL, L. (1884). La femme et le droit : étude historique sur la condition des femmes.
University of California Libraries.
BLAU, P. (1964). Exchange and Power in Social Life, New York, John Wiley and Sons.
CHARENTENAY (DE), P. (1991). Le développement de l’homme et des peuples, Paris,
Centurion.
DIDEROT, D. (1753, 2005). Pensées sur l’interprétation de la nature, Paris, Flammarion.
24
DUMONT, M. (1997, 2005). “Du féminin au féminisme : l’exemple québécois reconsidéré”,
clio. Histoire, femmes et sociétés (en ligne) / 1997, mis en ligne le 1er janvier 2005, consulté
le 27 octobre 2013. URL: //clio.revues.org/388; DOI: 10.4000/clio.388
FANON, F. (1961). Les Damnés de la Terre, Paris, Maspero.
FASSIN, E. (2006). “La démocratie sexuelle et le conflit des civilisations”, Multitudes,
2006/3 n° 26, p. 123-131. DOI: 10.3917/mult.026.0123
FERREOL, G. ; DEUBEL, PH. (1993). Méthodologie des sciences sociales, Paris, Armand
Colin.
FOUGEYROLLAS-SCHWEBEL, D. (1995). Les rapports sociaux de sexe. Nouvelles
recherches ou renouvellement de la recherche ?, Les cahiers du CEDREF (en ligne), 4-5.
FREUD, S. (1912). Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des
peuples primitifs. Édition électronique complétée le 15 mars 2002 à Chicoutimi (Québec),
revue et corrigée le 26 janvier 2013 par Simon Villeneuve.
http: www.classiques.uqac.ca/
FREUD, S. (1929, 2010). Le malaise dans la culture, Paris, PUF/ Quadrige.
JEANNEAUX, Ph. (2006). Économie de la décision publique et conflits d’usages pour un
cadre de vie dans les espaces ruraux et périurbains. Développement durable & territoires (en
ligne), 2006, Dossier 7 / 2006, mis en ligne le 10 mai 2006, consulté le 11 novembre 2013.
URL:http://developpementdurable.revues.prg/2586;DOI:10.4000/developpementdurable.258
6
KANT (1795, 2002). Projet de paix perpétuelle, Paris, VRIN.
KODJO, E. (1988). L’Occident : du déclin au défi, Paris, Stock.
MARRY, C. (2003). Genre et professions académiques : esquisse d’un état des lieux dans la
sociologie. In Réflexions sur l’accès, la promotion et les responsabilités des hommes et des
femmes à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
MARUANI, M. (1985). Mais qui a peur du travail des femmes ?, Paris, Syros.
MARX, K. ; ENGELS, F. (1848, 2010). Manifeste du parti communiste, E.J.L. Librio.
MARX, K. (1872, 1999). Le capital, Paris, Flammarion.
MAURIN, E. (2007). La nouvelle question scolaire, Paris, Seuil.
MAINGUENÉ, A. (2011). Couple, famille, parentalité, travail des femmes. Les modèles
évoluent avec les générations. INSEE Première N° 1339 - Mars 2011.
MEYER-BISCH, P. (2003). L’éthique économique : une contrainte méthodologique et une
condition d’effectivité des droits humains. Économie Éthique N° 5. SHS - 2003/WS/36,
UNESCO.
NATIONS UNIES (1995). Rapport de la Conférence internationale sur la population et le
développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994, New York, Nations Unies.
NGO NYOUMA, P. I. “L’exercice de la citoyenneté politique des femmes au Cameroun :
enjeux, défis et perspectives”. www.genreenaction.net/IMG/pdf/ARTICLE_1.pdf
25
PARADIS, N. (2007). Les relations interpersonnelles au travail comme médiateur entre
souffrance et plaisir chez le travailleur en centre d’appels, Mémoire de maîtrise en
communication, Université du Québec à Montréal.
RADIMSKA, R. (2003/10). La différence des sexes en tant que fondement de la vision et de
la division du monde. http:www.sens-public.org/spip.php?article51
REGNER, E. ; KRATSA-TSAGAROPOULOU, R. (2013). “Équilibre hommes-femmes
parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse”. Amendements 001066 déposés par la commission des affaires juridiques. Commission des droits de la femme et
de l’égalité des genres.
REVILLARD, A. (2006). “Du droit de la famille aux droits des femmes : le patrimoine
familial au Québec”, Droit et société 1/ 2006 (n° 62), 93-116.
URL: www.cairn.info/revue-droit-et-société-2006-1-page-95.htm.
SCHIESS, Ch. (2010). Différence, complémentarité et égalité entre les sexes. Quelques
réflexions sociologiques sur les mouvements scouts, Actes du Congrès scientifique mondial
de Genève.
SANDOVAL, C. (1991). Féminisme du tiers-monde états-uniens : mouvement social
différentiel. In Chela Sandoval, 2000, Methodology of the oppressed, Minneapolis-London:
University Minnesota Press. pp. 141-186.
SIMIAND, F. (1906). “La Révolution industrielle au XVIIIe siècle” (Compte rendu de P.
Mantoux (pp. 1-13). Extrait de L’Année sociologique, 1906, Tome X, pp. 539-551. Édition
électronique complétée le 22 novembre 2002 à Chicoutimi, Québec.
http:www.classiques.uqac.ca/
STORTI, M. (1988). Ces dix années qui ébranlèrent le patriarcat, in Féminisme et ses enjeux.
Centre fédéral FEN, Edilig, Janvier 1988.
SULLEROT, E. (1985). Pour le meilleur et sans le pire, Paris, Fayard.
TÉVOÉDJRÈ, A. (1978). La pauvreté, richesse des peuples, Paris, Éd. Ouvrières.
TOUPIN, L. (1998). “Les courants de pensée féministe”. Édition numérique complétée le 24
Juillet 2003 à Chicoutimi. http:bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
VIVIER, B. (2010). Métiers d’hommes, métiers de femmes. Institut Supérieur du Travail,
Les études sociales et syndicales. Edition 2009, INSEE. Mise à jour le 4 mars 2010.
WEBER, M. (1922, 1995). Économie et société, tome 1 et tome 2, Paris, Plon.
WESTERVELD, R. (2009). Femmes et économie : enjeux de genre ? Genre en Action,
CEAN. IEP de Bordeaux. Bulletin N°8 - Avril 2009. bulletin_8.pdf
ZAIDMAN, C. (2009). “Le féminisme”. Les cahiers du CEDREF (en ligne), 15 /2007. Mis
en ligne le 21 octobre 2009, consulté le 30 octobre 2013. URL: http://cedref.revues.org/371
26