La presse people et ses dérivés

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La presse people et ses dérivés
LA PRESSE PEOPLE ET SES DERIVES :
LA RECHERCHE D’UN EQUILIBRE ENTRE
LIBERTE D’EXPRESSION ET DROIT AU
RESPECT DE LA VIE PRIVEE
Par Elodie ROSTAND
Etudiante en DEA « droit des médias » à l’Université d’Aix-Marseille
Nourrie des ambiguïtés d’une relation faite d’attirance et de rejet avec ses lecteurs,
une famille de presse spécialisée dans le traitement de la vie privée des
personnalités, la presse “people” s’impose aujourd’hui sur le marché de
l’indiscrétion. Ces publications ont connu une renaissance au milieu des années 90
sous l’influence du groupe Prisma Presse qui misa sur l’actualité des célébrités en
s’attachant particulièrement à leur intimité. Jouant sur l’attrait de la révélation des
dessous de la vie des vedettes de spectacle ou des secrets de coulisses de la
politique ou des affaires, cette presse remplit plus nettement que les autres les
fonctions psychothérapeutiques qui sont celles du journalisme.
Si, souvent, le contenu de ces articles et leurs illustrations ne sont pas moralement
exemplaires, le succès qu’ils rencontrent montre qu’ils correspondent bien à une
attente psychologique fondamentale et à une pratique ancestrale. Depuis plus d’une
décennie, les actions en justice pour atteinte au respect de la vie privée et au droit à
l’image ne cesse d’augmenter à l’encontre des magazines de ce genre. La raison
d’être de la presse est de divulguer ce qui peut rencontrer l’intérêt du public : sa
liberté se heurte de ce fait inévitablement à la protection de la vie privée.
La France, par tradition, s’est toujours efforcée de rechercher par la loi l’équilibre
entre deux valeurs normatives paradoxales que sont la liberté de la presse et le
respect de la vie privée. Le résultat n’est pas véritablement satisfaisant. L’audace
des médias est plus grande aujourd’hui qu’hier. L’indignation vertueuse ou sincère
devant le succès et les méthodes de la presse à scandales n’empêche pas sa
prolifération. La loi demeure floue et les différents titres n’appliquent pas tous les
mêmes règles déontologiques.
Si la presse people fonde sa légitimité sur la liberté d’expression journalistique (I)
elle doit prendre aussi en considération les limites qui lui sont inhérentes comme le
droit au respect de la vie privée de la personne (II).
1
I.
La presse à scandale sous la protection de la liberté
d’expression
Un média est aussi une entreprise commerciale. Pour augmenter les ventes, il est
amené à susciter l’attention des lecteurs par des informations sensationnelles, à lui
raconter des histoires, cruelles ou émouvantes, à s’adresser à sa sensibilité, à jouer
avec ses émotions et sa curiosité.
Malgré les abus de la presse à sensation, la liberté de la presse fait l’objet dans les
pays démocratiques d’une protection particulière parce que l’information constitue
l’une des conditions essentielles du fonctionnement démocratique de la société.
A. L’essence de la presse people : rentabilité économique et curiosité
malsaine
1. Panorama général de la presse indiscrète
Depuis une décennie, ce genre journalistique s’est amplifié et on parle désormais
d’une presse people qui, comme celle d’Angleterre1 dite gutter press ou presse de
caniveau, exploite sans beaucoup de scrupule les « trois S » (sport, sexe et
scandale), assistée par les photographes p a p a r a z z i à la recherche de
photos « choc » et de scoops.
Survivent les vieux titres qui ont fait la gloire du genre : France Dimanche (1946,
575 000 exemplaires), Ici Paris (1945, 442 000 exemplaires) et le Nouveau
Détective (né en 1934, sous le titre Détective).Prisma Presse réactiva le genre avec
Gala (1993, 304 000 exemplaires) ou Voici (576 514 exemplaires), ou Lagardère
avec Entrevue (308 000 exemplaires) et depuis l’été 2003 Public (263 281
exemplaires). Oh là ! complète l’éventail ( 1987, 114 000 exemplaires). Point de
vue image du monde (308 000 exemplaires) se contente d’exploiter, avec toute la
révérence exigée, la vie des princesses et de quelques stars de l’aristocratie. Ainsi
aujourd’hui la presse people compte en France prés de 3 millions d’acheteurs
réguliers, pour une audience de plus de 10 millions de lecteurs.
Bien que cette presse soit décriée, il convient de ne pas mésestimer l’appétence du
public pour les magazines people qui jouent au sein des sociétés « industrialisées »
un rôle social évident.
1
Cinq quotidiens britanniques, spécialisés notamment dans les sujets de vie privée vendent chaque jour plus de neuf
millions d’exemplaires.’(The sun, The daily mirror)
2
2. La frontière ambiguë entre le droit d’informer et le voyeurisme
Les magazines « people » ont développé le marché de l’indiscrétion qui est
devenu un nouveau sujet d’expression pour la presse, qui parfois va si loin que l’on
se demande si les principes de liberté de penser et d’information sont bien toujours
en cause lorsqu’il s’agit de s’introduire au plus prés de la vie intime de l’artiste à la
mode, de l’homme politique sous les feux de l’actualité ou même de l’anonyme
fabriqué star en quelques jours et pour une durée limitée.
L’intérêt social de la publication du carnet d’adresses d’Alfred Sirven est difficile à
mesurer, mais l’intérêt commercial est certain.
Mais s’il est constant qu’il incombe à la presse de communiquer au public des
informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général et si la
jurisprudence reconnaît que la presse puisse recourir à une certaine dose
d’exagération voire de provocation, une distinction cardinale doit être opérée entre
la presse dite d’information et la presse people.2
3. Le passage réussi de la presse people sur le Web
L’impact des nouvelles technologies de l’information sur la sphère de la vie privée
mérite d’être souligné.
Une diffusion sur le Web présente beaucoup moins de contraintes qu’une
publication plus classique, tout en garantissant une audience bien souvent
largement supérieure, sans limite de distance et sans contraintes financières.
Le boxeur Mike Tyson a essuyé les conséquences de ce passage « on line »
d’information relevant du plus intime, puisque le rapport médical complet de son
état psychique a bénéficié, si l’on peut dire d’un regain de publicité par sa diffusion
sur le réseau des réseaux. Ces mises en ligne indiscrètes auraient pu entraîner de
lourdes sanctions judiciaires à l’encontre de leur auteur, mais il est certain
qu’Internet a favorisé leur anonymat et donc finalement leur impunité.
4. Une logique commerciale intégrant le risque judiciaire
La presse people française est prospère et s’accommode des condamnations
prononcées par les tribunaux, qui s’efforcent de freiner leur débordement.
Mais les médias spécialisés dans le genre ont intégré le risque judiciaire dans leur
compte d’exploitation. Une amende coûte souvent moins que les gains rapportés
par un gros tirage.
2
Voir I. B
3
Par leur nature économique, les médias peuvent se retrouver dans une curieuse
contradiction : leur liberté éditoriale ne peut reposer que sur l’indépendance
économique et sur le marché. Une logique exagérément commerciale risque de
faire perdre à la presse sa finalité et de ce fait sa légitimité. En effet les résultats
financiers des magazines people ont priorité sur la qualité de l’information. Dans la
société de l’information, l’image personnelle et la vie privée deviennent pour
chacun des instruments d’influence ou de succès commercial.
Il est clair que pour les magistrat l’enjeu est de taille : en érigeant de stricte limites
à son activité, la justice française ne risque-t-elle pas de briser la liberté même de
la presse et la diffusion de l’information ? Malgré l’inflation du nombre des
condamnations judiciaires, que de nombreuses entreprises de presse n’hésitent pas
à avouer provisionner, l’équilibre nécessaire entre liberté de la presse et respect de
la vie privée soulève de nouvelles difficultés sous l’impulsion du développement
de la société de l’information. L’indiscrétion devient ainsi dans la presse une sorte
d’investissement à risque sous la protection de la liberté d’expression.
B. La liberté d’expression du journaliste
Le droit à l’information reconnu dans les démocraties et dans les textes
internationaux a été inscrit dans le bloc de constitutionalité en France. La
particularité du journalisme français réside dans la combinaison d’un dispositif
légal de réglementation parmi les plus lourds, joint à l’absence d’une éthique
professionnelle formalisée et de mécanismes d’autorégulation. A une
judiciarisation correspond une autodiscipline légère.
Le journaliste français ne se soumet de fait qu’aux verdicts de la loi et du marché
en rejetant toute autorégulation globale.
1. Un principe fondamental qui légitime une presse souvent critiquée d’un point
de vue moral
a) Les sources du principe de liberté de la presse
Le principe de liberté d’expression constitue dans une société démocratique, le
fondement de tout le droit des médias. Loin de se satisfaire de la seule affirmation,
qui reste assez théorique ou formelle, du principe de liberté, on en recherche la
garantie réelle ou effective, notamment par référence à cet autre principe, de
caractère complémentaire, que constitue la notion plus récente du « droit à
l’information ».
4
- Les sources nationales
La valeur constitutionnelle du principe de liberté de la presse et ses nécessaires
limites découle de la formulation de l’article 11 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1989 ainsi rédigé : « la libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout
citoyen peut donc écrire imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette
liberté dans les cas prévus par la loi. »
En intégrant la DDHC de 1789 au bloc de constitutionnalité, le juge constitutionnel
conféra au principe de liberté de la presse, sa pleine valeur juridique. (Décision 7144 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association).
Par la suite le Conseil Constitutionnel proclamera à l’occasion de sa décision en
date du 10 et 11 octobre 1984, la liberté de la presse comme « liberté fondamentale
d’autant plus précieuse que son existence est l’une des garanties essentielles du
respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ». La Haute
juridiction met aussi en avant l’intérêt des lecteurs et insère explicitement au rang
de norme constitutionnelle le corollaire de la liberté d’expression : le droit à
l’information. (Décision 82-141 DC, Entreprise de presse).
- Les sources internationales
Dans le cadre international, le principe est consacré par l’article 19 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui énonce
que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression (…)»
Ce texte ne crée aucune obligation juridique pour les Etats.
Pour en accroître la force ou la portée la formulation a été reprise à l’article 19 du
« Pacte international relatif aux droits civils et politiques » du 16 décembre 1966,
ratifié par la France en 1980.
Le paragraphe 2 de cet article consacre le droit à la liberté d’expression de toute
personne et le paragraphe 3 du même article pose des restrictions à cette liberté
parmi lesquelles on peut citer le respect des droits ou de la réputation d’autrui.
- Les sources communautaires
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales énonce à l’article 10 le principe de liberté d’expression.
Le paragraphe 1er édicte les garanties apportées à ce droit : « Toute personne a
droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté
de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y
avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière (…). »
5
Les termes mêmes de ce paragraphe sont repris par la « Charte des droits
fondamentaux » de l’Union Européenne, adoptée à Nice, le 7 décembre 2000 dans
son article 11.
Dans son préambule, la « Convention européenne sur la télévision transfrontière »
du 5 mai 1989, considère que « la liberté d’expression et d’information, telle que
garantie par l’article 10 de la Convention d sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, constitue l’un des principes essentiels d’une société
démocratique et l’une des conditions de base pour son développement et celui de
tout être humain. »
Jusqu’à présent les dispositions de la CSDH ont fait l’objet d’une interprétation ou
application très favorable à la liberté de communication, de la part de la Cour
européenne des droits de l’homme. Lorsque cela lui paraît « nécessaire dans
société démocratique », celle-ci sanctionne les ingérences nationales dans
l’exercice de cette liberté.
Dans son célèbre arrêt « Handyside », la Cour fait valoir que « la liberté
d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique »
et qu’ « elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec
faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles
qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la
population. »3
La même formulation sera reprise, par ladite Cour, dans son arrêt du 26 octobre
1991, Observer et Guardian contre Royaume-Uni4, et dans celui du 24 février
1997, de Haes et Gijsels, dans lequel elle ajoute même que « la liberté
journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d’exagération,
voire même de provocation».
Dans l’arrêt Fressoz et Roire, du 21 janvier 1999, la même cour énonce que « la
liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société
démocratique » et que « la presse joue un rôle éminent dans une société » de ce
type.
b) Droit comparé : Les approches multiples de la liberté de la presse à travers
le monde
Le droit à l’information a été reconnu de façon unanime dans tous les pays
démocratiques et dans les textes internationaux. En revanche, la façon dont la
presse doit se comporter au jour le jour dans le monde s’inscrit dans des approches
3
CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976
6
multiples qui dépendent de l’histoire, des cultures sociopolitiques et du contexte
économique. 4
- La liberté d’expression sans contrainte de la loi : le modèle anglo-saxon
Dans le système britannique, celui-là même où la liberté de la presse est née,
l’héritage historique, politique et religieux conditionne un idéal ancien de liberté
d’expression aussi totale que possible. Le moins de règlements et le moins de lois
possible, tel semble être le précepte essentiel de la presse britannique,
effectivement une des plus libres et des plus puissantes du monde.
La presse du Royaume-Uni a cependant accepté une certaine autorégulation pour
éviter l’intervention du gouvernement. En 1990, a été instituée une Commission
des Plaintes de la Presse ( « Press Complaint Commission ») sur proposition d’une
commission royale d’enquêtes qui avait critiqué l’inaction d’un « Presse Council »
créé en 1949 devant les excès de la presse de caniveau. La commission, composée
de journalistes et de personnes représentant le public (associations familiales,
églises, universitaires etc.) se prononce dans un délai d’un mois sur les plaintes
qu’elle reçoit. Elle n’a pas d’autre pouvoir de sanction que la publication
obligatoire de ses avis dans la presse. La PPC a édicté un code de conduite (révisé
en décembre 1999) rendu plus sévère après la mort de la princesse Diana : les
dispositions de sauvegarde de la vie privée sont renforcées ainsi que celles sur la
protection des enfants en âge scolaire. Les plaintes pour violation de la vie privée
représentent 10 % des dossiers traités. Le gouvernement avertit fréquemment la
commission qu’une loi sera prise pour protéger la vie privée si elle ne réussit pas à
lieux contenir les errements de la presse. Cette instance d’autorégulation qui est
parfois contestée, a eu au moins le mérite d’empêcher la mise en place de lois
contraignantes, telles qu’on peut le voir en France.
Les Etats-Unis, considérant que la liberté des médias constitue la valeur
démocratique suprême, font confiance à la responsabilité de chaque éditeur ou
rédacteur en chef et à la conscience professionnelle des journalistes.
Le premier amendement à la Constitution interdit au Congrès d’édicter des lois
visant à limiter la liberté de la presse.
Quelques codes éthiques d’associations de journalistes évoquent la protection de la
vie privée, le respect des personnes et l’observation des normes communes de
décence.5 L’autorégulation américaine refuse toute institutionnalisation. L’éthique
veut reposer sur chaque journaliste, à la rigueur sur chaque rédaction.
Ainsi la responsabilité déontologique des professionnels se veut dans la tradition
anglo-saxonne la principale garantie de la protection de la vie privée.
4
5
J.Leprette et H.Pugeat « Ethique et qualité de l’information » janvier 2004 .Edition PUF.
Code de Sociétés des Rédacteurs en chef des journaux, 1975 ; Code de la Société des journalistes professionnels.
7
L’attitude du journaliste français naît au contraire d’un ensemble de lois sans cesse
accru (voir II).
- l’autorégulation professionnelle en Europe du Nord
La singularité du modèle scandinave tient à ce que la définition d’un code de
bonne conduite et son application ont été spontanément assumées par la
profession, sans être imposées par une autorité supérieure, législative ou judiciaire.
A titre d’exemple le modèle suédois très perfectionné d’autorégulation est
composé d’un Conseil de coopération de la presse (créé par trois associations)
qui rédige le code général de bonne conduite, du Bureau de l’ombudsman de
presse pour le public chargé de recevoir les plaintes du public contre les journaux
(peut s’autosaisir pour des questions d’éthique) pour tenter une médiation et le
Conseil de presse qui traite des plaintes transmises par l’ombudsman lorsque la
gravité de l’affaire l’exige.
Ces conseils de presse multipartites sont de véritables juridictions professionnelles
reconnues par la loi mais ils demeurent indépendants de l’Etat et des tribunaux.
Les codes de déontologie qu’ils ont publiés ont dispensé le législateur d’intervenir
dans ce domaine et ont réservé l’intervention du juge au cas les plus graves.
Ces conseils traitent de la protection de la vie privée de façon pragmatique, en
préservant toujours la priorité du droit à l’information du public. Contrairement à
ce que l’on constate en France, les procès de presse sont rares dans les pays
d’Europe de nord.
- Les systèmes mixtes mariant la loi et l’autorégulation
La solution la plus généralement adoptée dans les démocraties a été d’équilibrer les
impositions de la loi et celles de l’autorégulation. L’Allemagne, l’Italie, le Brésil,
Israël, etc. se sont rallier à cette formule mixte.
En Allemagne, la liberté de la presse est garantie par la constitution6.
Un conseil de presse fédéral qui rassemble les représentants de la profession et des
représentants du public traite environ 200 plaintes par an avec pur seule sanction la
publication de ses avis.
6
Article 5 de la Loi Fondamentale allemande
8
2. Les limites légales à la liberté d’expression
La liberté d’informer, qui représente l’essence même de la profession de
journaliste, se heurte à de nombreuses dispositions légales qui limitent la
possibilité de communiquer des informations et s’inscrivent dans le cadre des
exceptions prévues par le deuxième paragraphe de l’article 10 de la CSDH du 4
novembre 1950, à savoir : « (…) les mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale ; à l’intégrité territoriale ou à la sûreté
publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la
santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour
empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou garantir l’autorité ou
l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
3. Un dispositif de déontologie professionnelle minimal en France
En France, la place détenue par la déontologie est fort limitée s’agissant des
journalistes. La liberté de l’information soulève néanmoins le problème de
l’éthique professionnelle et des limites qu’un journaliste digne de ce nom
(expression utilisée par la charte des devoirs du journaliste de 1918) devrait se
fixer en pleine conscience de ses responsabilités, sans que le juge judiciaire soit le
seul appelé à le faire a posteriori en cas d’abus. Hormis les abus, il y a des réalités
qui ne devraient pas être dites afin de respecter la personnalité, les croyances, la
dignité d’autrui. Ce sont des préoccupations qui distinguent la presse d’information
de la « presse de caniveau ».
Aucun code fixant les droits et les devoirs de l’ensemble de la profession n’est
reconnu par tous.
Il existe cependant un certain nombre de textes, de codes ou de chartes énonçant
des règles déontologiques, établis par des organisations professionnelles ou des
entreprises. On peut citer :
- la « charte des devoirs professionnels des journalistes français » adoptée en
1918 par le Syndicat national des journalistes.
- La « déclaration des devoirs et des droits des journalistes »( charte de Munich)
approuvée en novembre 1971, par les représentants de fédération de journalistes
de la Communauté européenne.
- La « charte déontologique de la presse quotidienne régionale » de juillet 1995
et de nombreux « codes » ou « chartes » élaborées au sein de rédactions de
quotidiens.
On constate que les méthodes de la presse “people”, à travers l’espionnage et la
traque des personnalités médiatiques, entrent frontalement en contradiction avec
les principes déontologiques et éthiques qui s’imposent aux journalistes.
9
A ce titre, la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes indique que les
journalistes doivent « s‘obliger à respecter la vie privée des personnes » e t
l’ensemble des organisations européennes de presse ont pris position sur ce sujet.
Dans un système qui rejette toute forme d’autorégulation, le juge judiciaire
intervient de manière croissante dans l’énoncé et la prescription de la déontologie
journalistique. En France l’éthique est principalement édictée par la loi et le juge.
Si la presse joue une fonction sociale indéniable, il convient de proscrire les
atteintes à la vie privée notamment lorsqu’elles sont motivées par l’appât du gain.
II. Un équilibre difficile à mettre en œuvre entre liberté de
la presse et droit au respect de la vie privée
A. Le droit au respect de la vie privée : un principe souvent bafoué par
la presse people
1. La réglementation relative à la protection de la vie privée dans le contexte de la
presse à scandale
a) Les fondements normatifs du principe
La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ne mentionne pas la protection de
la vie privée, si ce n’est indirectement7, à la différence de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme de l’ONU de 19488 et de la Convention
Européenne des Droite de l’Homme de 19509 qui reconnaissent au sortir de la
première guerre mondiale le respect de la vie privée et familiale comme un droit de
l’homme.
En France, la base législative sur ce sujet date de la loi du 17 juillet 197010 dont la
troisième partie est relative à la « protection de la vie privée », a introduit dans le
Code Civil un nouvel article 9 ainsi rédigé : « Chacun a droit au respect de sa vie
privée. Les jugent peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi,
prescrire toute mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher
ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent s’il y
a urgence, être ordonnées en référé »(C.civ., art 9).
7
Déclaration des Droits de l’Homme, Article 4 : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Article 12 : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie
privée (…) ».
9
Déclaration européenne des Droits de l’Homme, Article 8 paragraphe 1er : « Toute personne a droit au respect de sa
vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
10
Loi n°70-643 relative au renforcement de la garantie des droits individuels des citoyens.
8
10
Le droit au respect de la vie privée revêt le caractère de droit subjectif extrapatrimonial.
L’article 23 de la loi fait un aussi défini les infractions pénales relatives aux
atteintes à la vie privée ou à son intimité. L’article 226 du nouveau code pénal fait
une infraction de l’« atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui lors d’une
captation, d’un enregistrement ou d’une retransmission au public sans le
consentement de l’auteur de paroles ou d’images privées ou confidentielles ».Ce
texte est consécutif à certains harcèlements médiatiques qu’avait subis le futur
président Pompidou.
Si l’article 9 du Code Civil a longtemps été le seul fondement juridique permettant
aux tribunaux français de construire une protection efficace de la vie privée de
chacun, de nombreux autres textes ont suivis : le code de procédure pénale révisé
en janvier 1993 renforce la présomption d’innocence et tente de protéger le secret
de l’instruction, la loi Guigou du 15 juin 2000 interdit la diffusion de l’image d’une
personne entravée par des menottes ou de victimes d’attentats terroristes, si celle-ci
est de nature à porter atteinte à leur dignité.
Ces textes se caractérisent tantôt par leur caractère grave, tantôt par leur
pointillisme. La définition de la vie privée ne figure pas dans la loi. Les condition
d’application de l’article 9 du Code Civil ne sont pas davantage précisées
contrairement à ce qu’avait proposé sans succès un amendement sénatorial qui
interdisait de s’en prévaloir les personnes qui par leur propre comportement
auraient permis les divulgations touchant à leur intimité .
Il n’est pas certain que ces dispositions législatives multiples aient véritablement
renforcé la protection de la vie privée du citoyen, mais elles ont provoqué une
explosion du contentieux. Un certain nombre de personnes publiques notamment
dans le monde du spectacle, ont su utiliser ces textes pour leur promotion.
b) Une définition doctrinale de la vie privée
Il n’existe aucune définition légale de la vie privée dont on s’accorde à dire qu’elle
est mouvante, variable selon les pays et les époques. Pour en cerner l concept
rappelons quelques définitions données par la doctrine.11
- Stig Stronhom( cité par l’avocat général Cabannes, sous CA Paris, 15 mai 1970,
FEP c/Tenenbaum ) : « droit pour une personne d’être libre de mener sa propre
existence comme elle l’entend avec le minimum d’ingérences extérieures ».
- Carbonnier12 : « sphère secrète de vie où l’individu aura le pouvoir d’écarter
les tiers ; (…) un droit à être laissé tranquille. »
11
12
Lamy droit des médias et de la communication, Lamy SA juin 2004 - Liberté de la presse, étude 209-77.
Carbonnier, Droit civil, PUF, 1999, t.I
11
- Raymond Lindon a précisé le domaine de la vie privée à travers une
énumération des éléments qui peuvent la constituer : la vie familiale, la vie
amoureuse, l’image, les ressources et les impôts payés, les loisirs, la santé et
sous une certaine réserve d’analyse, la vie professionnelle.13
c) Les éléments constitutifs de la vie privée caractérisés par une jurisprudence
abondante
Il n’existe pas de définition juridique de la vie privée. Il s’agit d’une construction
purement prétorienne, élaborée au gré des affaires soumises à la clairvoyance des
magistrats, contentieux dont l’essentiel intéresse la presse « people ».Différentes
facettes de la vie privée protégées par l’article 9 du Code Civil sont abordées dans
les procès, qui correspondent aux aspects principaux de la vie :
- la vie familiale et conjugale
Toute divulgation non autorisée des évènements qui s’y rapportent constitue une
atteinte à l’intimité de la vie privée.
• Le mariage religieux : Si le mariage civil, qui revêt un caractère
obligatoire, reçoit une publicité qui le rend nécessairement commun aux
membres de la collectivité, il n’en n’est pas de même du mariage
religieux, facultatif, dont l’accomplissement dépend de la volonté des
époux de respecter des croyances religieuses dont l’adoption relève du
domaine de l’intimité. Le mariage religieux constitue une cérémonie à
caractère essentiellement privée et qui, à ce titre n’a pas à être portée à la
connaissance du public, même si elle concerne des personnalités
célèbres.14
• La maternité : La divulgation sans autorisation dans un journal à grande
diffusion de la naissance d’un enfant constitue une atteinte fautive à la
vie privée.
• La divulgation de l’existence d’une action en recherche de paternité
naturelle intentée contre un acteur célèbre.15
• La divulgation de l’inventaire des poubelles d’une personnalité le
lendemain des réveillons de Noël et Jour de l’An.16
13
Lindon, les droits de la personnalité, Dalloz 1974, n°33
TGI de Paris (17e ch.civ.) 9 février 2005, H.RIZZO c/ Sté Prisma Presse
15
CA Paris, 1re ch. A, 28 octobre 1991, JurisData, n° 024137
16
CA Paris, 1ère ch B, 30 mars 1995, VSD c/ Mme X
14
12
• L’évocation des scènes de vie familiales, des ruptures entre les membres
de la famille, des anecdotes de l’intimité conjugale.
- La vie sentimentale
Le Code Civil interdit de porter à connaissance du public les liaisons, véritables ou
imaginaires, de toute personne, quelque soit sa notoriété.
Portent atteinte à la vie privée :
• Le fait d’imputer à une femme une liaison avec un homme marié, quand
bien même celle-ci serait également mariée.17
• La publication des ébats d’un footballeur et de sa compagne sans
l’autorisation de ceux-ci.
- Identité et domicile
Ne peuvent pas être divulgués sans le consentement de l’intéressé :
• Le nom patronymique d’un chanteur qui utilise un pseudonyme
• La publication de la photographie d’une villa avec indication en légende du
nom du propriétaire.18
- La santé
Toutes les informations relatives aux maladies et aux interventions chirurgicales
relèvent de la sphère la plus étroite de la vie privée, sous réserve du droit à
l’information du public :
• la révélation de l’opération de chirurgie esthétique prétendument subie par une
présentation de télévision.
• l’information de l’internement d’une personne pour des raisons psychiatriques à
l’hôpital Sainte-Anne.
• l’utilisation de l’image d’un mannequin pour illustrer un article sur la
consommation de drogues et l’annonce de son hospitalisation
- Données patrimoniales
Si certaines données patrimoniales peuvent être divulguées pour satisfaire aux
exigences de l’information le numéro de sécurité sociale comme les références
bancaires d’une personne publique ressortissent selon la Cour de cassation de la
17
18
TGI Nanterre, 1er ch, C, 12 déc. 2000, Tessier c/ Marianne, Legipresse 2001, n° 180, I, p.45
TGI Bordeaux, 15 avril 1999, Anouilh c/ Le figaro, n° 10412/97
13
vie privée de chacun et interdisent leur divulgation à toute personne dépourvue de
motif légitime à en connaître.19
- Les convictions religieuses
- Les mœurs
L’allégation de l’homosexualité, réelle ou supposée, quelque soit la coloration
morale qu’on y attache, constitue une atteinte à l’intimité de la personne.
- Les loisirs
- Le droit à l’image
Face à une quasi totale absence dans la loi de règles fondant un régime juridique de
l’image adapté à son utilisation actuelle (exception faite des images relevant de la
propriété intellectuelle, dans le cadre de la propriété littéraire et artistique et du
droit de la marque), les juridictions civiles ont du créer ab nihilo une jurisprudence
permettant de résoudre les multiples conflits nés entre possesseurs et utilisateurs
d’images. Curieuse construction juridique, le droit à l’image combine le droit à la
vie privée et le droit de propriété.20
Les plus anciennes décisions de la jurisprudence en la matière remontent aux
années soixante, lorsqu’un certain nombre de vedettes du septième art (Jean Gabin,
Brigitte Bardot entre autres) prétendirent interdire la reproduction par la presse
écrite de photos prises en dehors de leurs activités professionnelles.
Les tribunaux invoquèrent alors un droit à l’intimité faisant partie des droits de la
personnalité pour condamner la publication des photos en question, et
condamnèrent les journaux coupables à indemniser le préjudice moral qui en
suivait.
Avec la promulgation en 1970 du nouvel article 9 du Code civil, les tribunaux
purent asseoir sur une base juridique plus solide le droit de chacun sur son image
en affirmant que « Le droit au respect de la vie privée permet à toute personne, futelle artiste du spectacle, de s’opposer à la diffusion sans son autorisation expresse
de son image, attribut de sa personnalité ».21
La Cour de cassation a d’ailleurs consacré par un arrêt du 13 janvier 1998 le
fondement de la production du droit à l’image sur le principe de protection de vie
privée édicté par le Code Civil en affirmant que « selon l’article 9 du Code civil,
chacun a le droit de s’opposer à la reproduction de son image ».
19
Cass.1ère civ, 9 déc. 2003, n° 01-11.587,Lamyline
Code Civil, Art. L 544.
21
TGI Paris, 14 mai 1974, Paris 25 octobre 1982.
20
14
Ces décisions reconnaissent l’existence d’un droit exclusif de toute personne sur
son image. Droit relevant des droits de la personnalité, et donc incessible,
imprescriptible et insaisissable, ce droit apparaissait comme une conséquence ou
un attribut du droit au respect de l’intimité affirmé par l’article 9 du Code civil. La
reproduction de son image physique sans une autorisation de la personne
concernée est donc en principe subordonnée à autorisation. On peut donner un
exemple récent à cette règle : le magazine « Entrevue » ayant reproduit des photos
du mannequin et actrice Laetitia Casta posant nue ou en sous-vêtement sans
l’autorisation de cette dernière fut condamné pour une atteinte au droit à l’image de
Mlle Casta par la Cour d’Appel de Paris, condamnation approuvée par la Cour de
cassation22.
Ce droit appartient à toute personne, quelque soit sa notoriété. Même si la plupart
des procès impliquent des personnes très connues du public (actrices, chanteurs,
journalistes, princesses etc.), il n’en reste pas moins vrai que de parfaits inconnus
peuvent défendre leur droit sur leur image avec autant d’efficacité qu’une célébrité.
Très rapidement s’est posé le problème de la nature de l’autorisation de
reproduction de son image donnée par une personne physique. En effet, lors des
premiers procès intentés par des « stars » aux journaux, ces derniers prétendirent
que le fait pour une actrice célèbre d’avoir accepté pendant des années d’être
photographiée aussi bien sur des plateaux de cinéma que sur des plages, dans des
restaurants ou dans des jardins, constituait une autorisation implicite pour l’avenir,
ou une renonciation tacite au droit exclusif sur la reproduction de son image.
S’appuyant sur la nature personnelle et non patrimoniale du droit sur son image, la
jurisprudence, récusant cette notion d’autorisation tacite, ou de renonciation
implicite, affirma au contraire que l’autorisation de reproduire l’image d’une
personne physique doit être expresse, et qu’elle ne se présume pas. On peut citer
comme illustration de cette règle plusieurs exemples et arrêts :
• L’énorme succès des émissions de télé-réalité a inévitablement attiré l’attention
de la presse people sur la vie passée et présente des participants et participantes
à ces jeux consistant à vivre en permanence devant les caméras. En participant à
ce jeu télévisé les participants n’ont pas renoncé pour autant aux droits de la
personnalité. En matière de respect de la vie privée et de droit à l’image, seule
est admissible une autorisation expresse et limitée à des circonstances bien
précises.
• Assistant à l’Open de tennis de Monte-Carlo en compagnie de sa compagne
visiblement enceinte, elle même mannequin très connu, à qui il manifestait sans
équivoque sa tendresse, M. Barthez, dont nul n’ignore sa qualité de gardien de
l’équipe nationale de football, y fut photographié à son insu, et les photos furent
reproduites par le magazine Paris-Match, avec un cadrage isolant le couple du
public environnant. Pour sa défense, le magazine invoquait son droit à informer
22
Cass.Civ 1ère , 2 mars 2004. Lexbase A3927DB23
15
le public et le fait que M.Barthez, en s’affichant avec sa compagne avait
volontairement donné une publicité aux évènements les plus intimes de sa vie
privée et donc accepté tacitement d’être photographié. La Cour d’appel, puis la
Cour de cassation23 rejetèrent cet argument de l’autorisation implicite et
condamnèrent Paris-Match pour « atteinte au respect de la vie privée et de
l’image de MB Barthez », la Cour d’appel ayant précisé que Paris-Match « ne
pouvait se prévaloir du caractère public du lieu où les photos ont été prises pour
invoquer une renonciation quelconque du footballeur à ses droits. »
• M. Poivre d’Arvor, célèbre présentateur d’un journal télévisé, fut également
photographié sans son autorisation lors d’une manifestation sportive auquel il
assistait, en tant que simple spectateur et non en tant que journaliste, en
compagnie de l’enfant de sa compagne, et les photos, assorties de commentaires
sur sa vie privée, furent reproduites dans le journal « Ici Paris ». La Cour
d’appel de Paris estima que l’argument selon lequel M. Poivre d’Arvor se
serait « offert à l’objectif » était irrecevable, et que la publication des
photographies « sans autorisation de l’intéressé et sans motif d’actualité » était
donc une atteinte à la vie privée. La Cour de cassation confirma l’arrêt.24
Expresse, l’autorisation doit s’interpréter strictement, conformément à la volonté
de son auteur. Elle ne doit pas être étendue dans le temps ou dans les moyens de
communication au delà de ce qui a été autorisé spécialement. On décrit souvent
cette règle par l’expression d’un « principe de spécialité ».
Par exemple une starlette gratifiée d’une notoriété relative par un rôle secondaire
dans une série télévisée a pu obtenir réparation de la publication nouvelle et sans
consentement dans Voici de certaines de ses photographies la représentant peu
vêtue, donnée quelques années plus tôt à un magazine spécialisé.25
Toutes les dispositions relatives au droit à l’image font l’objet d’un usage lucratif
pour certaines vedettes du spectacle.
De ce fait des personnes anonymes ont tenté d’utiliser les photographies de la
coupe du monde de football pour obtenir des indemnités au motif qu’elles y étaient
reconnaissables. Alors que n’est soumise à aucune autorisation la publication de la
photo d’un ensemble de personnes prises dans un lieu public, dans plusieurs cas les
plaignants ont gagné leur procès car les photos focalisaient l’attention sur une des
personnes en particulier. Le droit à l’image devient donc un droit marchand, un
droit de propriété et les poursuites se font au civil, plus rapide, discret et efficace
que le pénal.
23
Cass.civ 2. 10 mars 2004, Lexbase A4820DB7
Cass.civ 2. 18 pars 2004, Lexbase A5979DB3
25
TGI Nanterre, 8 décembre 1999, Lynda Lacoste c/ Voici
24
16
d) La protection de la vie privée dans les pays voisins
- Aux Etats-Unis, l’intérêt d’information du public conduit le juge à interpréter
de manière restrictive le droit à la vie privée. Les personnes publiques doivent
rendre compte de leurs actes. Les sanctions souvent lourdes n’interviennent que
lorsque les informations publiées sont fondées sur des inexactitudes.
- Le Royaume-Uni juge des atteintes à la vie privée à travers les procédures de
diffamation (libel), les intrusions dans une propriété privée, les ruptures de
secret professionnel, politique voire domestique ( breach of confidence) ou la
violation du secret de l’instruction ( comtempt of court).
Ces moyens de droit ne donnent en fait qu’une possibilité restreinte de
protection de la vie privée. Comme aux Etats-Unis la priorité est -donnée au
droit à l’information.
Les juges des pays d’Europe du Nord et d’Allemagne, pour les mêmes
raisons interviennent peu, mais sévèrement en rappelant toujours la priorité à
l’information. Disposant d’une loi plus précise, le juge allemand distingue dans
la vie privée le registre « individuel » qui concerne la vie professionnelle et
publique d’une personne, le registre « privé » qui se réfère à la vie familiale et
au domicile et le registre « intime » qui concerne la santé, les opinions et les
convictions. Le registre individuel est considéré comme susceptible de publicité
dés qu’il rencontre l’intérêt d’information du public. Les deux autres registres
sont normalement secrets sauf si la notoriété ou la position de la personne
intéressée justifie une information du public. C’est au nom de ce principe qu’en
1997, le futur mari allemand d’une princesse de Monaco n’a pas obtenu des
tribunaux allemands la condamnation du harcèlement de certains médias dans
sa vie privée.
1. Les exceptions au droit de la vie privée : les cas où prime le droit à
l’information
Tous les éléments qui ne sont pas inclus dans la sphère de la vie privée échappent à
la protection instaurée par l’article 9 du Code civil et peuvent être divulguées dans
le cadre du droit à l’information du public.
Certains éléments à caractère personnel peuvent répondre à un besoin légitime
d’information :
a) Les événements touchant à l’actualité
Les droits de la personnalité ne sont pas absolus et peuvent se trouver en conflit
avec la liberté de l’information qui implique que « tout organe de presse dispose
du droit d’informer ses lecteurs, par le texte et par l’image, sur un événement
17
d’actualité intéressant l’opinion publique »26et ce quelque soit l’idéologie des
valeurs qu’elle colporte. La Cour de cassation vient d’affirmer que «les droits au
respect de la vie privée et à la liberté d’expression, revêtant eu égard aux articles
8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur
normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher l’équilibre et, le cas
échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus
légitime. »27
Ainsi il a été jugé que l’article évoquant les conséquences de l’absence d’union
religieuse des époux de Hanovre quant à la question du choix de la religion de leur
fils était justifié par l’information légitime s’agissant d’une famille princière, des
questions que pose le statut public religieux des intéressés et de leur descendance.28
b) Les affaires judiciaires en cours
Le compte rendu d’affaires judiciaires effectué à l’époque où elles se déroulent est
justifié par les nécessités de l’information. Il est interdit en vertu de l’article 39 de
la loi du 29 juillet 1881 de rendre compte des débats et de publier des pièces de
procédure concernant les questions de filiation, action à des fins subsides, procès
en divorce, séparation de corps et nullités de mariage, procès en matière
d’avortement.
La publication, au soutien d’un événement d’actualité judiciaire, de clichés pris
dans le cercle de famille n’est pas de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie
privée du prévenu. En l’espèce, la relation du procès du prévenu et de son épouse,
tous deux renvoyés devant la cour d’assises du Chef de violences sur leur enfant
mineur ayant entraîné sa mort, les circonstances de la mort de l’enfant et
l’évocation des relations des époux, au cœur des débats, constituaient un
événement d’actualité dont le magazine pouvait légitimement rendre compte.29
c) La vie publique
De nombreuses décisions de juridictions de fond ont rétréci le noyau de la vie
privée de certaines personnes en fonction de leur notoriété. Ainsi le concept
«d’activité publique » ou de « personnage public » fait que des informations
seront, à l’égard de certains individus, exclues du champ de la vie privée, comme
celles relative au patrimoine. Ainsi la publication de la feuille d’impôt des
puissants fait toujours recette et la cour de cassation considère désormais que les
français notoirement les plus riches, doivent admettre que la divulgation de leur
patrimoine dans la presse n’est plus une atteinte anormale à leur vie privée.
26
TGI Paris, 1ère ch , 15 octobre 1997, Légipresse 1998 n°150 , I, p. 35
Cass. 1ère Civ 9 juillet 2003, JCP 2003 II. 10139, note Ravanas
28
CA Versailles, 27 juin 2002 ; Legipresse décembre 2002 n°197
29
Cass 2e ch.civ, 25 novembre 2004, J.Duchemin c/ Sté Hachette Filipacchi et associés, Légipresse janvier 2005, n°218
I, p 6
27
18
Certaines personnalités (artistes, sportifs, chefs d’entreprise renommés, hommes
politiques ou responsables d’institutions publiques, membres de familles royales)
ont une vie professionnelles que le public est légitimement en droit de connaître.
Certains aspects de leur vie privée en relation avec leur activité peut ainsi
apparaître utile à l’information des citoyens. Mais l’appartenance d’une enfant
mineure à une famille princière ne restreint pas la sphère intime de sa vie privée.
Est répréhensible la parution d’un article relatif à une enfant âgée de treize ans ne
remplissant aucune fonction officielle et impliquée dans aucun événement
d’actualité dont l’importance eu justifié la publication d’informations concernant
exclusivement sa vie privée.30
d) Les droits de l’Histoire
En vertu des droits de l’Histoire, il est possible d’évoquer des informations privées
dévoilées au cours de procédures judiciaires ou au détour d’écrits
autobiographiques. En outre nul ne saurait interdire le récits d’évènements qui
appartiennent à l’Histoire même s’il s’agit d’évènements récents.
- La mémoire judiciaire
L’historien peut être amené, dans ses recherches, à dévoiler à nouveau des pans de
l’histoire judiciaire d’une personne, en dépit du droit à l’oubli à laquelle elle peut
aspirer. Mais ce contexte est celui de l’histoire et il paraît sage de s’en tenir aux
travaux historiques pur éviter tout débordement gratuit et malveillant.
- La mémoire autobiographique
Le travail de l’historien peut faire appel à des éléments se rattachant à la vie privée
de certaines personnalités ou de participants à des évènements historiques. Si une
personne a déjà divulgué les informations la concernant dans une autobiographie,
le chercheur peut alors légitimement travailler sur ce matériau de recherche.
Un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme a effectué une
délimitation indispensable du droit à l’information tout en opérant à une
hiérarchisation des normes en balance. Cette jurisprudence va certainement avoir
des répercussions en droit interne et c’est pourquoi il est intéressant de
l’appréhender.
30
Cass. Civ, 25 novembre 2004 C. de Hanovre c/ Sté Prisma Presse
19
B. La presse people face à la Cour européenne des droits de l’homme :
L’arrêt « Caroline de Monaco »
L’actualité économique de l’Union européenne occulte une autre construction
européenne plus discrète, mais au moins aussi profonde, celle d’un droit européen
des libertés fondé sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme adoptée
en 1950 et dont l’application est contrôlée par les juges de la Cour Européenne des
droits de l’Homme à Strasbourg. La France comme la plupart des pays européens a
reconnu la validité sur son territoire de ce droit désormais invoqué par de
nombreux plaignants et appliqué par les tribunaux au même titre qu’une
disposition législative nationale. Apparemment, ce texte traite à égalité, protection
de la vie privée et liberté d’information, mais la jurisprudence de la Cour a jusqu’à
présent, nettement donné la priorité à la liberté d’information. Néanmoins à l’égard
d’une certaine presse voyeuriste, les juges européens vont se montrer
intransigeants et faire prévaloir le respect des droits de la personnalité.
1. La ligne des décisions de la Cour européenne à l’égard des magazines people
La Cour européenne a rendu une série de décisions - portant sur la recevabilité –
ayant pour objet principal de mettre en balance le droit à la liberté d’information et
le droit au respect de la vie privée. Ces décisions sont le fruit de requêtes
introduites par des groupes de presse éditant des magazines « people » et ayant fait
l’objet de condamnations prononcées par les juridictions nationales pour avoir
délibérément violé le droit au respect à la vie privée et le droit à l’image des
personnalités ayant un rang public notoire. A titre d’exemple la Cour
strasbourgeoise a jugé irrecevable la requête introduite par le groupe Prisma Presse
à la suite de la condamnation prononcée à l’encontre du magazine Voici pour avoir
violé le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image de Monsieur JeanPhillipe Smet, dit Johnny Halliday. Le célèbre chanteur avait assigné en référé le
magazine pour avoir, dans un article illustré de photographies, fait état des
déboires sentimentaux prétendument vécu par ce dernier avec sa compagne.31
On peux noter à la lecture de la jurisprudence de la Cour européenne en la matière,
une certaine stabilité quant aux motifs adoptés, ainsi qu’une justification des
condamnations prononcées à l’encontre des magazines people qui ont pour objet,
selon le juge strasbourgeois, de satisfaire la curiosité malsaine d’un certain public à
l’égard de l’intimité de personnalités, sans que ces informations ne contribuent à
un quelconque débat d’intérêt général. En outre les condamnations prononcées par
les juridictions françaises à l’encontre des groupes de presse n’apparaissent ni
disproportionnés eu égard aux intérêts particuliers à protéger, ni inconventionnelles
au titre de l’article 6 et de l’article 10 du traité.
31
CEDH, req. n° 71612/01 du 1er juillet 2003
20
2. L’analyse de l’arrêt
a) Le contexte
La famille Grimaldi a largement contribué à nourrir la jurisprudence sur la
protection de la vie privée, tant son mariage d’amour et d’intérêt avec la presse
people a régulièrement dégénéré en conflit devant les prétoires.
Le 24 juin 2004, la Cour Européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt de
principe dans l’affaire Van Hannover contre Allemagne, communément appelée
« affaire Caroline de Monaco ».32 A l’unanimité les juges strasbourgeois ont
considéré que la «presse people » ou « presse à sensation » ne pouvait, au nom du
droit à l’information du public, violer de manière répétée le droit au respect de la
vie privée et le droit à l’image de personnalité publique, même si ces dernières
avaient la qualité de personnalités publiques notoires.
b) Les faits et la procédure
La Princesse Caroline Van Hannover, fille aînée du Prince Rainier III de Monaco,
a saisi la Cour Européenne des droits de l’Homme le 6 juin 2000. La requérante
alléguait que les décisions des juridictions allemandes autorisant la publication de
photographies relevant de sa vie quotidienne avaient porté atteinte à son droit au
respect de sa vie privée et de sa vie familiale, garanti à l’article 8 de la Convention
de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
La Cour européenne note que, dans son arrêt de principe du 15 décembre 1999, le
Cour constitutionnelle fédérale a interprété les articles 22 et 23 de la loi allemande
sur les droits d’auteur dans le domaine artistique en mettant en balance les
exigences de la liberté de la presse et celles de la protection de la vie privée, à
savoir l’intérêt du public à être informé et les intérêts légitimes de la requérante. Ce
faisant, la Cour constitutionnelle fédérale a tenu compte de deux critères existant
en droit allemand, l’un de nature fonctionnelle et l’autre de nature spatiale. Ainsi,
elle a considéré que la requérante, en tant que personnalité absolue de l’histoire
contemporaine, bénéficiait d’une protection de sa vie privée même en dehors de
son domicile mais uniquement si elle se trouvait dans un endroit isolé, à l’abri du
public, « dans lequel la personne concernée se retire dans le but objectivement
reconnaissable d’être seule, et dans lequel, se fiant à son isolement, elle se
comporte de manière différente de celle qu’elle adopterait en public». A l’aune de
ces critères, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé que la Cour fédérale de
justice du 19 décembre 1995 relatif à la publication des photos litigieuses était
conforme à la Loi fondamentale. Dans son analyse, elle a accordé un poids décisif
à la liberté de la presse, même s’il s’agit de la presse de divertissement, et à
32
CEDH, Van Hannover c/ Allemagne, 24 juin 2004 req n° 59320-00.
21
l’intérêt du public de savoir comment la requérante se comporte en dehors de ses
fonctions représentatives.
c) Le raisonnement de la Cour européenne
La protection de la vie privée doit être mise en balance avec la liberté d’expression
garantie à l’article 10 de la Convention. Dans ce contexte la Cour rappelle que la
liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société
démocratique. Si elle s’étend également à la publication de photos, il s’agit
néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui
revêt une importance particulière. En l’occurrence il ne s’agit pas « d’idées »,
mais d’images contenant des informations très personnelles, voire intimes sur un
individu. De plus les photos paraissant dans la presse à sensation sont souvent
réalisées dans un climat de harcèlement continu, engendrant pour la personne
concernée un très fort sentiment d’intrusion dans sa vie privée et même de
persécution.
La Cour va mettre l’accent sur différentes notions au cours de son raisonnement
juridique :
- Absence de contribution au débat d’intérêt général
La Cour relève tout d’abord qu’en l’espèce les photos de la requérante parues dans
les différents magazines allemands représentent des scènes de sa vie quotidienne,
donc des activités de nature purement privée, alors qu’elle fait du sport, qu’elle se
promène, qu’elle sort au restaurant ou qu’elle se trouve en vacances. Ces photos,
où la requérante apparaît tantôt seule, tantôt accompagnée, illustrent une série
d’articles aux titres anodins tels que « Du bonheur simple », « Avec la princesse
Caroline à Paris »…
La Cour note ensuite que la requérante, en tant que membre de la famille princière
monégasque, joue un rôle de représentation lors de certaines manifestations
culturelles ou de bienfaisance. Cependant elle n’exerce aucune fonction au sein ou
pour le compte de l’Etat monégasque ou de l’une de ses institutions. Or la Cour
considère qu’il convient d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage
relatant des faits - même controversés- se rapportant par exemple à des
personnalités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles, susceptibles
de contribuer à un débat dans une société démocratique et un reportage sur les
détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne
remplit pas de telles fonctions. Si dans le premier cas la presse joue son rôle de
« chien de garde du public »33 dans une démocratie en contribuant à communiquer
des idées et des informations sur des questions d’intérêt public, il en va autrement
dans le second cas. La Cour estime qu’en l’espèce la publication des photos et des
33
CEDH, Sunday Times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979
22
articles litigieux, ayant eu pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain
public sur les détails de la vie privée de la requérante, ne contribue à aucun débat
d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante. Dans ces
conditions, la liberté d’expression appelle une interprétation moins large.
- « Espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée
La Cour souligne que ces photos ont été prises à l’insu de la requérante et sans son
consentement. Elle rappelle l’importance fondamentale que revêt la protection de
la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité de chacun, protection qui va
au delà du cercle familial intime et comporte également une dimension sociale.
Elle estime que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir
bénéficier d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée.
- Personnalités absolues et personnalités relatives de l’histoire contemporaine
La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas
théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs.34 Or la Cour éprouve des
difficultés à suivre l’interprétation par les juridictions internes de l’article 23 § 1 de
la loi allemande de 1907 sur les droits d’auteur dans le domaine artistique qui
consiste à qualifier une personne entant que telle de personnalité absolue de
l’histoire contemporaine. Impliquant une protection très limitée de la vie privée et
du droit à l’image, une telle qualification peut se comprendre pour des
personnalités de la vie politique occupant des fonctions officielles. Cependant, elle
ne saurait se justifier pour une personne « privée » comme la requérante, pour qui
l’intérêt du grand public et de la presse est basé uniquement sur son appartenance à
une famille régnante, alors qu’elle-même ne remplit pas de fonctions officielles.
Une interprétation restrictive de cette loi paraît s’imposer aux yeux de la Cour, afin
que l’Etat remplisse son obligation positive de protection de la vie privée et du
droit à l’image à ‘égard de la Convention.
Enfin, la distinction opérée entre personnalités « absolues » et personnalités
relatives de l’Histoire contemporaine doit être claire et évidente, afin que dans un
Etat de droit, l’individu dispose d’indications précises quant au comportement à
adopter : il faut qu’il sache exactement quand et où il se trouve dans une sphère
protégée ou, au contraire, dans une sphère dans laquelle il doit s’attendre à une
ingérence de la part d’autrui et surtout de la presse à sensation. La Cour estime dés
lors que les critères retenus en l’espèce par les juridictions internes n’étaient pas
suffisants pour assurer une protection effective de la vie privée de la requérante :
en effet entant que personnalité « absolue » de l’histoire contemporaine, celle-ci
ne peut –au nom de la liberté de la presse- se prévaloir d’une protection de sa vie
privée que si elle se trouve dans un endroit isolé, à l’abri du public, et si, de
34
CEDH, Artico c/ Italie, 13 mai 1980
23
surcroît, elle parvient à le prouver, ce qui peut s’avérer difficile. Le critère de
l’isolement spatial, s’il peut paraître clair en théorie, apparaît en pratique trop
difficile à déterminer à l’avance pour la personne concernée. En l’espèce, le seul
fait de qualifier la requérante de personnalité « absolue » de l’histoire
contemporaine ne justifie pas une telle intrusion dans la vie privée de celle-ci.
d) La décision de la Cour européenne
La Cour considère que l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la
protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la
contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général.
Elle estime que le public n’a pas un intérêt légitime de savoir où la requérante se
trouve et comment elle se comporte d’une manière générale dans sa vie privée.
L’intérêt du public et l’intérêt commercial des magazines publiant photos et
articles doivent s’effacer en l’espèce devant le droit de la requérante à la protection
effective de sa vie privée. La requérante aurait du bénéficier d’une espérance
légitime de protection de sa vie privée et la Cour estime que les juridictions
allemandes n’ont pas établies un juste équilibre entre les intérêts en présence et
qu’il y eu violation de l’article 8 de la Convention.
3. Les conséquences de l’arrêt « Caroline de Monaco »
a) Une distinction cardinale entre deux catégories de presse
La Cour européenne opère pour la première fois dans un arrêt portant sur le fond
une différenciation entre la presse dite « sérieuse ou d’information » et la presse
« people » qui se situe en dehors du débat politique ou public car les photos
publiées et les commentaires qui les accompagnent se rapportent exclusivement à
des détails de la vie privée de la personne « pourchassée».35Cette distinction
permet de recadrer la notion de « droit à l’information ».
b) L’émergence d’une obligation positive de protection de la vie privée à la
charge des Etats membres
La Cour souligne l’absolue nécessité « que l’Etat remplisse son obligation positive
de protection de la vie privée et du droit à l’image ».
En conséquence il sera parfaitement envisageable d’engager la responsabilité de
l’Etat si ce dernier ne prend pas les mesures nécessaires en la matière. Selon Alexis
Guedj, Avocat au barreau de Paris et Docteur en Droit, l’émergence d’une
obligation positive aura pour conséquence directe de limiter la marge
d’appréciation dévolue aux Etats lorsqu’un conflit viendrait opposer l’article 10 et
35
. Alexis Guedj. « La presse people face à la CEDH », Légipresse décembre 2004 , n°217, II, p 137
24
l’article 8 de la Convention. Cette évolution impulsée par l’arrêt Caroline de
Monaco rapproche désormais matériellement l’article 8 de la Convention
européenne de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques qui interdit « les immixtions illégales » dans la vie privée et proscrit la
diffusion d’information que se seraient procurées les journalistes par des moyens
illégaux. (Ce que ne faisait pas la Convention)La Cour confère un nouveau champ
d’application à l’article 8 de la Convention.
c) La nouvelle hiérarchie des valeurs normatives en présence
L’arrêt vient contredire le droit positif français selon lequel le droit à l’information
et le droit au respect de la vie privée auraient la même valeur normative lorsqu’ils
seraient confrontés l’un à l’autre. En effet, les deux droits ont valeur
constitutionnelle : la liberté de la presse est consacrée par la décision n° 84-181 DC
et la vie privée est protégée sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen ( décision n° 99-416 du 23 juillet 1999).Avec
l’émergence d’une obligation positive à la charge de l’Etat sur le terrain de l’article
8, il semble que hiérarchiquement le droit au respect de la vie privée présente une
valeur supérieure à la liberté d’information. Dés lors la liberté d’information
revêtira la forme d’une lex generalis alors que le droit au respect de la vie privée
celle d’une lex specialis et l’emportera sur le premier.
Ainsi l’arrêt Caroline de Monaco, en faisant obligation positive aux Etats
d’apporter à tout individu une protection effective du droit au respect de la vie
privée notamment lorsque ce droit est confronté au droit à la liberté d’expression
ou d’information, marque une avancée décisive dont les juridictions internes
devront tenir comte. En d’autres termes les médias ne peuvent plus considérer que
toute apparition d’une personne célèbre constitue un évènement dont il est possible
de rendre compte. Cela reviendrait à exposer ces personnes à une traque
permanente et à transformer le droit au respect de la vie privée en une obligation de
rester caché.
En France les condamnations prononcées contre la presse people sur le fondement
de l’article 9 du Code Civil, ne sont que d’une utilité relative puisque les droits de
la personnalité des personnes continuent d’être bafoués.
Il appartiendra désormais aux plaideurs de mettre le juge judiciaire face à ses
responsabilités en sollicitant qu’il fasse bonne application de cette jurisprudence.
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