La presse people et ses dérivés
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La presse people et ses dérivés
LA PRESSE PEOPLE ET SES DERIVES : LA RECHERCHE D’UN EQUILIBRE ENTRE LIBERTE D’EXPRESSION ET DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE Par Elodie ROSTAND Etudiante en DEA « droit des médias » à l’Université d’Aix-Marseille Nourrie des ambiguïtés d’une relation faite d’attirance et de rejet avec ses lecteurs, une famille de presse spécialisée dans le traitement de la vie privée des personnalités, la presse “people” s’impose aujourd’hui sur le marché de l’indiscrétion. Ces publications ont connu une renaissance au milieu des années 90 sous l’influence du groupe Prisma Presse qui misa sur l’actualité des célébrités en s’attachant particulièrement à leur intimité. Jouant sur l’attrait de la révélation des dessous de la vie des vedettes de spectacle ou des secrets de coulisses de la politique ou des affaires, cette presse remplit plus nettement que les autres les fonctions psychothérapeutiques qui sont celles du journalisme. Si, souvent, le contenu de ces articles et leurs illustrations ne sont pas moralement exemplaires, le succès qu’ils rencontrent montre qu’ils correspondent bien à une attente psychologique fondamentale et à une pratique ancestrale. Depuis plus d’une décennie, les actions en justice pour atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’image ne cesse d’augmenter à l’encontre des magazines de ce genre. La raison d’être de la presse est de divulguer ce qui peut rencontrer l’intérêt du public : sa liberté se heurte de ce fait inévitablement à la protection de la vie privée. La France, par tradition, s’est toujours efforcée de rechercher par la loi l’équilibre entre deux valeurs normatives paradoxales que sont la liberté de la presse et le respect de la vie privée. Le résultat n’est pas véritablement satisfaisant. L’audace des médias est plus grande aujourd’hui qu’hier. L’indignation vertueuse ou sincère devant le succès et les méthodes de la presse à scandales n’empêche pas sa prolifération. La loi demeure floue et les différents titres n’appliquent pas tous les mêmes règles déontologiques. Si la presse people fonde sa légitimité sur la liberté d’expression journalistique (I) elle doit prendre aussi en considération les limites qui lui sont inhérentes comme le droit au respect de la vie privée de la personne (II). 1 I. La presse à scandale sous la protection de la liberté d’expression Un média est aussi une entreprise commerciale. Pour augmenter les ventes, il est amené à susciter l’attention des lecteurs par des informations sensationnelles, à lui raconter des histoires, cruelles ou émouvantes, à s’adresser à sa sensibilité, à jouer avec ses émotions et sa curiosité. Malgré les abus de la presse à sensation, la liberté de la presse fait l’objet dans les pays démocratiques d’une protection particulière parce que l’information constitue l’une des conditions essentielles du fonctionnement démocratique de la société. A. L’essence de la presse people : rentabilité économique et curiosité malsaine 1. Panorama général de la presse indiscrète Depuis une décennie, ce genre journalistique s’est amplifié et on parle désormais d’une presse people qui, comme celle d’Angleterre1 dite gutter press ou presse de caniveau, exploite sans beaucoup de scrupule les « trois S » (sport, sexe et scandale), assistée par les photographes p a p a r a z z i à la recherche de photos « choc » et de scoops. Survivent les vieux titres qui ont fait la gloire du genre : France Dimanche (1946, 575 000 exemplaires), Ici Paris (1945, 442 000 exemplaires) et le Nouveau Détective (né en 1934, sous le titre Détective).Prisma Presse réactiva le genre avec Gala (1993, 304 000 exemplaires) ou Voici (576 514 exemplaires), ou Lagardère avec Entrevue (308 000 exemplaires) et depuis l’été 2003 Public (263 281 exemplaires). Oh là ! complète l’éventail ( 1987, 114 000 exemplaires). Point de vue image du monde (308 000 exemplaires) se contente d’exploiter, avec toute la révérence exigée, la vie des princesses et de quelques stars de l’aristocratie. Ainsi aujourd’hui la presse people compte en France prés de 3 millions d’acheteurs réguliers, pour une audience de plus de 10 millions de lecteurs. Bien que cette presse soit décriée, il convient de ne pas mésestimer l’appétence du public pour les magazines people qui jouent au sein des sociétés « industrialisées » un rôle social évident. 1 Cinq quotidiens britanniques, spécialisés notamment dans les sujets de vie privée vendent chaque jour plus de neuf millions d’exemplaires.’(The sun, The daily mirror) 2 2. La frontière ambiguë entre le droit d’informer et le voyeurisme Les magazines « people » ont développé le marché de l’indiscrétion qui est devenu un nouveau sujet d’expression pour la presse, qui parfois va si loin que l’on se demande si les principes de liberté de penser et d’information sont bien toujours en cause lorsqu’il s’agit de s’introduire au plus prés de la vie intime de l’artiste à la mode, de l’homme politique sous les feux de l’actualité ou même de l’anonyme fabriqué star en quelques jours et pour une durée limitée. L’intérêt social de la publication du carnet d’adresses d’Alfred Sirven est difficile à mesurer, mais l’intérêt commercial est certain. Mais s’il est constant qu’il incombe à la presse de communiquer au public des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général et si la jurisprudence reconnaît que la presse puisse recourir à une certaine dose d’exagération voire de provocation, une distinction cardinale doit être opérée entre la presse dite d’information et la presse people.2 3. Le passage réussi de la presse people sur le Web L’impact des nouvelles technologies de l’information sur la sphère de la vie privée mérite d’être souligné. Une diffusion sur le Web présente beaucoup moins de contraintes qu’une publication plus classique, tout en garantissant une audience bien souvent largement supérieure, sans limite de distance et sans contraintes financières. Le boxeur Mike Tyson a essuyé les conséquences de ce passage « on line » d’information relevant du plus intime, puisque le rapport médical complet de son état psychique a bénéficié, si l’on peut dire d’un regain de publicité par sa diffusion sur le réseau des réseaux. Ces mises en ligne indiscrètes auraient pu entraîner de lourdes sanctions judiciaires à l’encontre de leur auteur, mais il est certain qu’Internet a favorisé leur anonymat et donc finalement leur impunité. 4. Une logique commerciale intégrant le risque judiciaire La presse people française est prospère et s’accommode des condamnations prononcées par les tribunaux, qui s’efforcent de freiner leur débordement. Mais les médias spécialisés dans le genre ont intégré le risque judiciaire dans leur compte d’exploitation. Une amende coûte souvent moins que les gains rapportés par un gros tirage. 2 Voir I. B 3 Par leur nature économique, les médias peuvent se retrouver dans une curieuse contradiction : leur liberté éditoriale ne peut reposer que sur l’indépendance économique et sur le marché. Une logique exagérément commerciale risque de faire perdre à la presse sa finalité et de ce fait sa légitimité. En effet les résultats financiers des magazines people ont priorité sur la qualité de l’information. Dans la société de l’information, l’image personnelle et la vie privée deviennent pour chacun des instruments d’influence ou de succès commercial. Il est clair que pour les magistrat l’enjeu est de taille : en érigeant de stricte limites à son activité, la justice française ne risque-t-elle pas de briser la liberté même de la presse et la diffusion de l’information ? Malgré l’inflation du nombre des condamnations judiciaires, que de nombreuses entreprises de presse n’hésitent pas à avouer provisionner, l’équilibre nécessaire entre liberté de la presse et respect de la vie privée soulève de nouvelles difficultés sous l’impulsion du développement de la société de l’information. L’indiscrétion devient ainsi dans la presse une sorte d’investissement à risque sous la protection de la liberté d’expression. B. La liberté d’expression du journaliste Le droit à l’information reconnu dans les démocraties et dans les textes internationaux a été inscrit dans le bloc de constitutionalité en France. La particularité du journalisme français réside dans la combinaison d’un dispositif légal de réglementation parmi les plus lourds, joint à l’absence d’une éthique professionnelle formalisée et de mécanismes d’autorégulation. A une judiciarisation correspond une autodiscipline légère. Le journaliste français ne se soumet de fait qu’aux verdicts de la loi et du marché en rejetant toute autorégulation globale. 1. Un principe fondamental qui légitime une presse souvent critiquée d’un point de vue moral a) Les sources du principe de liberté de la presse Le principe de liberté d’expression constitue dans une société démocratique, le fondement de tout le droit des médias. Loin de se satisfaire de la seule affirmation, qui reste assez théorique ou formelle, du principe de liberté, on en recherche la garantie réelle ou effective, notamment par référence à cet autre principe, de caractère complémentaire, que constitue la notion plus récente du « droit à l’information ». 4 - Les sources nationales La valeur constitutionnelle du principe de liberté de la presse et ses nécessaires limites découle de la formulation de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1989 ainsi rédigé : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc écrire imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. » En intégrant la DDHC de 1789 au bloc de constitutionnalité, le juge constitutionnel conféra au principe de liberté de la presse, sa pleine valeur juridique. (Décision 7144 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association). Par la suite le Conseil Constitutionnel proclamera à l’occasion de sa décision en date du 10 et 11 octobre 1984, la liberté de la presse comme « liberté fondamentale d’autant plus précieuse que son existence est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ». La Haute juridiction met aussi en avant l’intérêt des lecteurs et insère explicitement au rang de norme constitutionnelle le corollaire de la liberté d’expression : le droit à l’information. (Décision 82-141 DC, Entreprise de presse). - Les sources internationales Dans le cadre international, le principe est consacré par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui énonce que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression (…)» Ce texte ne crée aucune obligation juridique pour les Etats. Pour en accroître la force ou la portée la formulation a été reprise à l’article 19 du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques » du 16 décembre 1966, ratifié par la France en 1980. Le paragraphe 2 de cet article consacre le droit à la liberté d’expression de toute personne et le paragraphe 3 du même article pose des restrictions à cette liberté parmi lesquelles on peut citer le respect des droits ou de la réputation d’autrui. - Les sources communautaires La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce à l’article 10 le principe de liberté d’expression. Le paragraphe 1er édicte les garanties apportées à ce droit : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière (…). » 5 Les termes mêmes de ce paragraphe sont repris par la « Charte des droits fondamentaux » de l’Union Européenne, adoptée à Nice, le 7 décembre 2000 dans son article 11. Dans son préambule, la « Convention européenne sur la télévision transfrontière » du 5 mai 1989, considère que « la liberté d’expression et d’information, telle que garantie par l’article 10 de la Convention d sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue l’un des principes essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions de base pour son développement et celui de tout être humain. » Jusqu’à présent les dispositions de la CSDH ont fait l’objet d’une interprétation ou application très favorable à la liberté de communication, de la part de la Cour européenne des droits de l’homme. Lorsque cela lui paraît « nécessaire dans société démocratique », celle-ci sanctionne les ingérences nationales dans l’exercice de cette liberté. Dans son célèbre arrêt « Handyside », la Cour fait valoir que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique » et qu’ « elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. »3 La même formulation sera reprise, par ladite Cour, dans son arrêt du 26 octobre 1991, Observer et Guardian contre Royaume-Uni4, et dans celui du 24 février 1997, de Haes et Gijsels, dans lequel elle ajoute même que « la liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation». Dans l’arrêt Fressoz et Roire, du 21 janvier 1999, la même cour énonce que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique » et que « la presse joue un rôle éminent dans une société » de ce type. b) Droit comparé : Les approches multiples de la liberté de la presse à travers le monde Le droit à l’information a été reconnu de façon unanime dans tous les pays démocratiques et dans les textes internationaux. En revanche, la façon dont la presse doit se comporter au jour le jour dans le monde s’inscrit dans des approches 3 CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976 6 multiples qui dépendent de l’histoire, des cultures sociopolitiques et du contexte économique. 4 - La liberté d’expression sans contrainte de la loi : le modèle anglo-saxon Dans le système britannique, celui-là même où la liberté de la presse est née, l’héritage historique, politique et religieux conditionne un idéal ancien de liberté d’expression aussi totale que possible. Le moins de règlements et le moins de lois possible, tel semble être le précepte essentiel de la presse britannique, effectivement une des plus libres et des plus puissantes du monde. La presse du Royaume-Uni a cependant accepté une certaine autorégulation pour éviter l’intervention du gouvernement. En 1990, a été instituée une Commission des Plaintes de la Presse ( « Press Complaint Commission ») sur proposition d’une commission royale d’enquêtes qui avait critiqué l’inaction d’un « Presse Council » créé en 1949 devant les excès de la presse de caniveau. La commission, composée de journalistes et de personnes représentant le public (associations familiales, églises, universitaires etc.) se prononce dans un délai d’un mois sur les plaintes qu’elle reçoit. Elle n’a pas d’autre pouvoir de sanction que la publication obligatoire de ses avis dans la presse. La PPC a édicté un code de conduite (révisé en décembre 1999) rendu plus sévère après la mort de la princesse Diana : les dispositions de sauvegarde de la vie privée sont renforcées ainsi que celles sur la protection des enfants en âge scolaire. Les plaintes pour violation de la vie privée représentent 10 % des dossiers traités. Le gouvernement avertit fréquemment la commission qu’une loi sera prise pour protéger la vie privée si elle ne réussit pas à lieux contenir les errements de la presse. Cette instance d’autorégulation qui est parfois contestée, a eu au moins le mérite d’empêcher la mise en place de lois contraignantes, telles qu’on peut le voir en France. Les Etats-Unis, considérant que la liberté des médias constitue la valeur démocratique suprême, font confiance à la responsabilité de chaque éditeur ou rédacteur en chef et à la conscience professionnelle des journalistes. Le premier amendement à la Constitution interdit au Congrès d’édicter des lois visant à limiter la liberté de la presse. Quelques codes éthiques d’associations de journalistes évoquent la protection de la vie privée, le respect des personnes et l’observation des normes communes de décence.5 L’autorégulation américaine refuse toute institutionnalisation. L’éthique veut reposer sur chaque journaliste, à la rigueur sur chaque rédaction. Ainsi la responsabilité déontologique des professionnels se veut dans la tradition anglo-saxonne la principale garantie de la protection de la vie privée. 4 5 J.Leprette et H.Pugeat « Ethique et qualité de l’information » janvier 2004 .Edition PUF. Code de Sociétés des Rédacteurs en chef des journaux, 1975 ; Code de la Société des journalistes professionnels. 7 L’attitude du journaliste français naît au contraire d’un ensemble de lois sans cesse accru (voir II). - l’autorégulation professionnelle en Europe du Nord La singularité du modèle scandinave tient à ce que la définition d’un code de bonne conduite et son application ont été spontanément assumées par la profession, sans être imposées par une autorité supérieure, législative ou judiciaire. A titre d’exemple le modèle suédois très perfectionné d’autorégulation est composé d’un Conseil de coopération de la presse (créé par trois associations) qui rédige le code général de bonne conduite, du Bureau de l’ombudsman de presse pour le public chargé de recevoir les plaintes du public contre les journaux (peut s’autosaisir pour des questions d’éthique) pour tenter une médiation et le Conseil de presse qui traite des plaintes transmises par l’ombudsman lorsque la gravité de l’affaire l’exige. Ces conseils de presse multipartites sont de véritables juridictions professionnelles reconnues par la loi mais ils demeurent indépendants de l’Etat et des tribunaux. Les codes de déontologie qu’ils ont publiés ont dispensé le législateur d’intervenir dans ce domaine et ont réservé l’intervention du juge au cas les plus graves. Ces conseils traitent de la protection de la vie privée de façon pragmatique, en préservant toujours la priorité du droit à l’information du public. Contrairement à ce que l’on constate en France, les procès de presse sont rares dans les pays d’Europe de nord. - Les systèmes mixtes mariant la loi et l’autorégulation La solution la plus généralement adoptée dans les démocraties a été d’équilibrer les impositions de la loi et celles de l’autorégulation. L’Allemagne, l’Italie, le Brésil, Israël, etc. se sont rallier à cette formule mixte. En Allemagne, la liberté de la presse est garantie par la constitution6. Un conseil de presse fédéral qui rassemble les représentants de la profession et des représentants du public traite environ 200 plaintes par an avec pur seule sanction la publication de ses avis. 6 Article 5 de la Loi Fondamentale allemande 8 2. Les limites légales à la liberté d’expression La liberté d’informer, qui représente l’essence même de la profession de journaliste, se heurte à de nombreuses dispositions légales qui limitent la possibilité de communiquer des informations et s’inscrivent dans le cadre des exceptions prévues par le deuxième paragraphe de l’article 10 de la CSDH du 4 novembre 1950, à savoir : « (…) les mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale ; à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou garantir l’autorité ou l’impartialité du pouvoir judiciaire ». 3. Un dispositif de déontologie professionnelle minimal en France En France, la place détenue par la déontologie est fort limitée s’agissant des journalistes. La liberté de l’information soulève néanmoins le problème de l’éthique professionnelle et des limites qu’un journaliste digne de ce nom (expression utilisée par la charte des devoirs du journaliste de 1918) devrait se fixer en pleine conscience de ses responsabilités, sans que le juge judiciaire soit le seul appelé à le faire a posteriori en cas d’abus. Hormis les abus, il y a des réalités qui ne devraient pas être dites afin de respecter la personnalité, les croyances, la dignité d’autrui. Ce sont des préoccupations qui distinguent la presse d’information de la « presse de caniveau ». Aucun code fixant les droits et les devoirs de l’ensemble de la profession n’est reconnu par tous. Il existe cependant un certain nombre de textes, de codes ou de chartes énonçant des règles déontologiques, établis par des organisations professionnelles ou des entreprises. On peut citer : - la « charte des devoirs professionnels des journalistes français » adoptée en 1918 par le Syndicat national des journalistes. - La « déclaration des devoirs et des droits des journalistes »( charte de Munich) approuvée en novembre 1971, par les représentants de fédération de journalistes de la Communauté européenne. - La « charte déontologique de la presse quotidienne régionale » de juillet 1995 et de nombreux « codes » ou « chartes » élaborées au sein de rédactions de quotidiens. On constate que les méthodes de la presse “people”, à travers l’espionnage et la traque des personnalités médiatiques, entrent frontalement en contradiction avec les principes déontologiques et éthiques qui s’imposent aux journalistes. 9 A ce titre, la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes indique que les journalistes doivent « s‘obliger à respecter la vie privée des personnes » e t l’ensemble des organisations européennes de presse ont pris position sur ce sujet. Dans un système qui rejette toute forme d’autorégulation, le juge judiciaire intervient de manière croissante dans l’énoncé et la prescription de la déontologie journalistique. En France l’éthique est principalement édictée par la loi et le juge. Si la presse joue une fonction sociale indéniable, il convient de proscrire les atteintes à la vie privée notamment lorsqu’elles sont motivées par l’appât du gain. II. Un équilibre difficile à mettre en œuvre entre liberté de la presse et droit au respect de la vie privée A. Le droit au respect de la vie privée : un principe souvent bafoué par la presse people 1. La réglementation relative à la protection de la vie privée dans le contexte de la presse à scandale a) Les fondements normatifs du principe La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ne mentionne pas la protection de la vie privée, si ce n’est indirectement7, à la différence de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de l’ONU de 19488 et de la Convention Européenne des Droite de l’Homme de 19509 qui reconnaissent au sortir de la première guerre mondiale le respect de la vie privée et familiale comme un droit de l’homme. En France, la base législative sur ce sujet date de la loi du 17 juillet 197010 dont la troisième partie est relative à la « protection de la vie privée », a introduit dans le Code Civil un nouvel article 9 ainsi rédigé : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les jugent peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toute mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent s’il y a urgence, être ordonnées en référé »(C.civ., art 9). 7 Déclaration des Droits de l’Homme, Article 4 : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Article 12 : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée (…) ». 9 Déclaration européenne des Droits de l’Homme, Article 8 paragraphe 1er : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». 10 Loi n°70-643 relative au renforcement de la garantie des droits individuels des citoyens. 8 10 Le droit au respect de la vie privée revêt le caractère de droit subjectif extrapatrimonial. L’article 23 de la loi fait un aussi défini les infractions pénales relatives aux atteintes à la vie privée ou à son intimité. L’article 226 du nouveau code pénal fait une infraction de l’« atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui lors d’une captation, d’un enregistrement ou d’une retransmission au public sans le consentement de l’auteur de paroles ou d’images privées ou confidentielles ».Ce texte est consécutif à certains harcèlements médiatiques qu’avait subis le futur président Pompidou. Si l’article 9 du Code Civil a longtemps été le seul fondement juridique permettant aux tribunaux français de construire une protection efficace de la vie privée de chacun, de nombreux autres textes ont suivis : le code de procédure pénale révisé en janvier 1993 renforce la présomption d’innocence et tente de protéger le secret de l’instruction, la loi Guigou du 15 juin 2000 interdit la diffusion de l’image d’une personne entravée par des menottes ou de victimes d’attentats terroristes, si celle-ci est de nature à porter atteinte à leur dignité. Ces textes se caractérisent tantôt par leur caractère grave, tantôt par leur pointillisme. La définition de la vie privée ne figure pas dans la loi. Les condition d’application de l’article 9 du Code Civil ne sont pas davantage précisées contrairement à ce qu’avait proposé sans succès un amendement sénatorial qui interdisait de s’en prévaloir les personnes qui par leur propre comportement auraient permis les divulgations touchant à leur intimité . Il n’est pas certain que ces dispositions législatives multiples aient véritablement renforcé la protection de la vie privée du citoyen, mais elles ont provoqué une explosion du contentieux. Un certain nombre de personnes publiques notamment dans le monde du spectacle, ont su utiliser ces textes pour leur promotion. b) Une définition doctrinale de la vie privée Il n’existe aucune définition légale de la vie privée dont on s’accorde à dire qu’elle est mouvante, variable selon les pays et les époques. Pour en cerner l concept rappelons quelques définitions données par la doctrine.11 - Stig Stronhom( cité par l’avocat général Cabannes, sous CA Paris, 15 mai 1970, FEP c/Tenenbaum ) : « droit pour une personne d’être libre de mener sa propre existence comme elle l’entend avec le minimum d’ingérences extérieures ». - Carbonnier12 : « sphère secrète de vie où l’individu aura le pouvoir d’écarter les tiers ; (…) un droit à être laissé tranquille. » 11 12 Lamy droit des médias et de la communication, Lamy SA juin 2004 - Liberté de la presse, étude 209-77. Carbonnier, Droit civil, PUF, 1999, t.I 11 - Raymond Lindon a précisé le domaine de la vie privée à travers une énumération des éléments qui peuvent la constituer : la vie familiale, la vie amoureuse, l’image, les ressources et les impôts payés, les loisirs, la santé et sous une certaine réserve d’analyse, la vie professionnelle.13 c) Les éléments constitutifs de la vie privée caractérisés par une jurisprudence abondante Il n’existe pas de définition juridique de la vie privée. Il s’agit d’une construction purement prétorienne, élaborée au gré des affaires soumises à la clairvoyance des magistrats, contentieux dont l’essentiel intéresse la presse « people ».Différentes facettes de la vie privée protégées par l’article 9 du Code Civil sont abordées dans les procès, qui correspondent aux aspects principaux de la vie : - la vie familiale et conjugale Toute divulgation non autorisée des évènements qui s’y rapportent constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée. • Le mariage religieux : Si le mariage civil, qui revêt un caractère obligatoire, reçoit une publicité qui le rend nécessairement commun aux membres de la collectivité, il n’en n’est pas de même du mariage religieux, facultatif, dont l’accomplissement dépend de la volonté des époux de respecter des croyances religieuses dont l’adoption relève du domaine de l’intimité. Le mariage religieux constitue une cérémonie à caractère essentiellement privée et qui, à ce titre n’a pas à être portée à la connaissance du public, même si elle concerne des personnalités célèbres.14 • La maternité : La divulgation sans autorisation dans un journal à grande diffusion de la naissance d’un enfant constitue une atteinte fautive à la vie privée. • La divulgation de l’existence d’une action en recherche de paternité naturelle intentée contre un acteur célèbre.15 • La divulgation de l’inventaire des poubelles d’une personnalité le lendemain des réveillons de Noël et Jour de l’An.16 13 Lindon, les droits de la personnalité, Dalloz 1974, n°33 TGI de Paris (17e ch.civ.) 9 février 2005, H.RIZZO c/ Sté Prisma Presse 15 CA Paris, 1re ch. A, 28 octobre 1991, JurisData, n° 024137 16 CA Paris, 1ère ch B, 30 mars 1995, VSD c/ Mme X 14 12 • L’évocation des scènes de vie familiales, des ruptures entre les membres de la famille, des anecdotes de l’intimité conjugale. - La vie sentimentale Le Code Civil interdit de porter à connaissance du public les liaisons, véritables ou imaginaires, de toute personne, quelque soit sa notoriété. Portent atteinte à la vie privée : • Le fait d’imputer à une femme une liaison avec un homme marié, quand bien même celle-ci serait également mariée.17 • La publication des ébats d’un footballeur et de sa compagne sans l’autorisation de ceux-ci. - Identité et domicile Ne peuvent pas être divulgués sans le consentement de l’intéressé : • Le nom patronymique d’un chanteur qui utilise un pseudonyme • La publication de la photographie d’une villa avec indication en légende du nom du propriétaire.18 - La santé Toutes les informations relatives aux maladies et aux interventions chirurgicales relèvent de la sphère la plus étroite de la vie privée, sous réserve du droit à l’information du public : • la révélation de l’opération de chirurgie esthétique prétendument subie par une présentation de télévision. • l’information de l’internement d’une personne pour des raisons psychiatriques à l’hôpital Sainte-Anne. • l’utilisation de l’image d’un mannequin pour illustrer un article sur la consommation de drogues et l’annonce de son hospitalisation - Données patrimoniales Si certaines données patrimoniales peuvent être divulguées pour satisfaire aux exigences de l’information le numéro de sécurité sociale comme les références bancaires d’une personne publique ressortissent selon la Cour de cassation de la 17 18 TGI Nanterre, 1er ch, C, 12 déc. 2000, Tessier c/ Marianne, Legipresse 2001, n° 180, I, p.45 TGI Bordeaux, 15 avril 1999, Anouilh c/ Le figaro, n° 10412/97 13 vie privée de chacun et interdisent leur divulgation à toute personne dépourvue de motif légitime à en connaître.19 - Les convictions religieuses - Les mœurs L’allégation de l’homosexualité, réelle ou supposée, quelque soit la coloration morale qu’on y attache, constitue une atteinte à l’intimité de la personne. - Les loisirs - Le droit à l’image Face à une quasi totale absence dans la loi de règles fondant un régime juridique de l’image adapté à son utilisation actuelle (exception faite des images relevant de la propriété intellectuelle, dans le cadre de la propriété littéraire et artistique et du droit de la marque), les juridictions civiles ont du créer ab nihilo une jurisprudence permettant de résoudre les multiples conflits nés entre possesseurs et utilisateurs d’images. Curieuse construction juridique, le droit à l’image combine le droit à la vie privée et le droit de propriété.20 Les plus anciennes décisions de la jurisprudence en la matière remontent aux années soixante, lorsqu’un certain nombre de vedettes du septième art (Jean Gabin, Brigitte Bardot entre autres) prétendirent interdire la reproduction par la presse écrite de photos prises en dehors de leurs activités professionnelles. Les tribunaux invoquèrent alors un droit à l’intimité faisant partie des droits de la personnalité pour condamner la publication des photos en question, et condamnèrent les journaux coupables à indemniser le préjudice moral qui en suivait. Avec la promulgation en 1970 du nouvel article 9 du Code civil, les tribunaux purent asseoir sur une base juridique plus solide le droit de chacun sur son image en affirmant que « Le droit au respect de la vie privée permet à toute personne, futelle artiste du spectacle, de s’opposer à la diffusion sans son autorisation expresse de son image, attribut de sa personnalité ».21 La Cour de cassation a d’ailleurs consacré par un arrêt du 13 janvier 1998 le fondement de la production du droit à l’image sur le principe de protection de vie privée édicté par le Code Civil en affirmant que « selon l’article 9 du Code civil, chacun a le droit de s’opposer à la reproduction de son image ». 19 Cass.1ère civ, 9 déc. 2003, n° 01-11.587,Lamyline Code Civil, Art. L 544. 21 TGI Paris, 14 mai 1974, Paris 25 octobre 1982. 20 14 Ces décisions reconnaissent l’existence d’un droit exclusif de toute personne sur son image. Droit relevant des droits de la personnalité, et donc incessible, imprescriptible et insaisissable, ce droit apparaissait comme une conséquence ou un attribut du droit au respect de l’intimité affirmé par l’article 9 du Code civil. La reproduction de son image physique sans une autorisation de la personne concernée est donc en principe subordonnée à autorisation. On peut donner un exemple récent à cette règle : le magazine « Entrevue » ayant reproduit des photos du mannequin et actrice Laetitia Casta posant nue ou en sous-vêtement sans l’autorisation de cette dernière fut condamné pour une atteinte au droit à l’image de Mlle Casta par la Cour d’Appel de Paris, condamnation approuvée par la Cour de cassation22. Ce droit appartient à toute personne, quelque soit sa notoriété. Même si la plupart des procès impliquent des personnes très connues du public (actrices, chanteurs, journalistes, princesses etc.), il n’en reste pas moins vrai que de parfaits inconnus peuvent défendre leur droit sur leur image avec autant d’efficacité qu’une célébrité. Très rapidement s’est posé le problème de la nature de l’autorisation de reproduction de son image donnée par une personne physique. En effet, lors des premiers procès intentés par des « stars » aux journaux, ces derniers prétendirent que le fait pour une actrice célèbre d’avoir accepté pendant des années d’être photographiée aussi bien sur des plateaux de cinéma que sur des plages, dans des restaurants ou dans des jardins, constituait une autorisation implicite pour l’avenir, ou une renonciation tacite au droit exclusif sur la reproduction de son image. S’appuyant sur la nature personnelle et non patrimoniale du droit sur son image, la jurisprudence, récusant cette notion d’autorisation tacite, ou de renonciation implicite, affirma au contraire que l’autorisation de reproduire l’image d’une personne physique doit être expresse, et qu’elle ne se présume pas. On peut citer comme illustration de cette règle plusieurs exemples et arrêts : • L’énorme succès des émissions de télé-réalité a inévitablement attiré l’attention de la presse people sur la vie passée et présente des participants et participantes à ces jeux consistant à vivre en permanence devant les caméras. En participant à ce jeu télévisé les participants n’ont pas renoncé pour autant aux droits de la personnalité. En matière de respect de la vie privée et de droit à l’image, seule est admissible une autorisation expresse et limitée à des circonstances bien précises. • Assistant à l’Open de tennis de Monte-Carlo en compagnie de sa compagne visiblement enceinte, elle même mannequin très connu, à qui il manifestait sans équivoque sa tendresse, M. Barthez, dont nul n’ignore sa qualité de gardien de l’équipe nationale de football, y fut photographié à son insu, et les photos furent reproduites par le magazine Paris-Match, avec un cadrage isolant le couple du public environnant. Pour sa défense, le magazine invoquait son droit à informer 22 Cass.Civ 1ère , 2 mars 2004. Lexbase A3927DB23 15 le public et le fait que M.Barthez, en s’affichant avec sa compagne avait volontairement donné une publicité aux évènements les plus intimes de sa vie privée et donc accepté tacitement d’être photographié. La Cour d’appel, puis la Cour de cassation23 rejetèrent cet argument de l’autorisation implicite et condamnèrent Paris-Match pour « atteinte au respect de la vie privée et de l’image de MB Barthez », la Cour d’appel ayant précisé que Paris-Match « ne pouvait se prévaloir du caractère public du lieu où les photos ont été prises pour invoquer une renonciation quelconque du footballeur à ses droits. » • M. Poivre d’Arvor, célèbre présentateur d’un journal télévisé, fut également photographié sans son autorisation lors d’une manifestation sportive auquel il assistait, en tant que simple spectateur et non en tant que journaliste, en compagnie de l’enfant de sa compagne, et les photos, assorties de commentaires sur sa vie privée, furent reproduites dans le journal « Ici Paris ». La Cour d’appel de Paris estima que l’argument selon lequel M. Poivre d’Arvor se serait « offert à l’objectif » était irrecevable, et que la publication des photographies « sans autorisation de l’intéressé et sans motif d’actualité » était donc une atteinte à la vie privée. La Cour de cassation confirma l’arrêt.24 Expresse, l’autorisation doit s’interpréter strictement, conformément à la volonté de son auteur. Elle ne doit pas être étendue dans le temps ou dans les moyens de communication au delà de ce qui a été autorisé spécialement. On décrit souvent cette règle par l’expression d’un « principe de spécialité ». Par exemple une starlette gratifiée d’une notoriété relative par un rôle secondaire dans une série télévisée a pu obtenir réparation de la publication nouvelle et sans consentement dans Voici de certaines de ses photographies la représentant peu vêtue, donnée quelques années plus tôt à un magazine spécialisé.25 Toutes les dispositions relatives au droit à l’image font l’objet d’un usage lucratif pour certaines vedettes du spectacle. De ce fait des personnes anonymes ont tenté d’utiliser les photographies de la coupe du monde de football pour obtenir des indemnités au motif qu’elles y étaient reconnaissables. Alors que n’est soumise à aucune autorisation la publication de la photo d’un ensemble de personnes prises dans un lieu public, dans plusieurs cas les plaignants ont gagné leur procès car les photos focalisaient l’attention sur une des personnes en particulier. Le droit à l’image devient donc un droit marchand, un droit de propriété et les poursuites se font au civil, plus rapide, discret et efficace que le pénal. 23 Cass.civ 2. 10 mars 2004, Lexbase A4820DB7 Cass.civ 2. 18 pars 2004, Lexbase A5979DB3 25 TGI Nanterre, 8 décembre 1999, Lynda Lacoste c/ Voici 24 16 d) La protection de la vie privée dans les pays voisins - Aux Etats-Unis, l’intérêt d’information du public conduit le juge à interpréter de manière restrictive le droit à la vie privée. Les personnes publiques doivent rendre compte de leurs actes. Les sanctions souvent lourdes n’interviennent que lorsque les informations publiées sont fondées sur des inexactitudes. - Le Royaume-Uni juge des atteintes à la vie privée à travers les procédures de diffamation (libel), les intrusions dans une propriété privée, les ruptures de secret professionnel, politique voire domestique ( breach of confidence) ou la violation du secret de l’instruction ( comtempt of court). Ces moyens de droit ne donnent en fait qu’une possibilité restreinte de protection de la vie privée. Comme aux Etats-Unis la priorité est -donnée au droit à l’information. Les juges des pays d’Europe du Nord et d’Allemagne, pour les mêmes raisons interviennent peu, mais sévèrement en rappelant toujours la priorité à l’information. Disposant d’une loi plus précise, le juge allemand distingue dans la vie privée le registre « individuel » qui concerne la vie professionnelle et publique d’une personne, le registre « privé » qui se réfère à la vie familiale et au domicile et le registre « intime » qui concerne la santé, les opinions et les convictions. Le registre individuel est considéré comme susceptible de publicité dés qu’il rencontre l’intérêt d’information du public. Les deux autres registres sont normalement secrets sauf si la notoriété ou la position de la personne intéressée justifie une information du public. C’est au nom de ce principe qu’en 1997, le futur mari allemand d’une princesse de Monaco n’a pas obtenu des tribunaux allemands la condamnation du harcèlement de certains médias dans sa vie privée. 1. Les exceptions au droit de la vie privée : les cas où prime le droit à l’information Tous les éléments qui ne sont pas inclus dans la sphère de la vie privée échappent à la protection instaurée par l’article 9 du Code civil et peuvent être divulguées dans le cadre du droit à l’information du public. Certains éléments à caractère personnel peuvent répondre à un besoin légitime d’information : a) Les événements touchant à l’actualité Les droits de la personnalité ne sont pas absolus et peuvent se trouver en conflit avec la liberté de l’information qui implique que « tout organe de presse dispose du droit d’informer ses lecteurs, par le texte et par l’image, sur un événement 17 d’actualité intéressant l’opinion publique »26et ce quelque soit l’idéologie des valeurs qu’elle colporte. La Cour de cassation vient d’affirmer que «les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, revêtant eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher l’équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. »27 Ainsi il a été jugé que l’article évoquant les conséquences de l’absence d’union religieuse des époux de Hanovre quant à la question du choix de la religion de leur fils était justifié par l’information légitime s’agissant d’une famille princière, des questions que pose le statut public religieux des intéressés et de leur descendance.28 b) Les affaires judiciaires en cours Le compte rendu d’affaires judiciaires effectué à l’époque où elles se déroulent est justifié par les nécessités de l’information. Il est interdit en vertu de l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 de rendre compte des débats et de publier des pièces de procédure concernant les questions de filiation, action à des fins subsides, procès en divorce, séparation de corps et nullités de mariage, procès en matière d’avortement. La publication, au soutien d’un événement d’actualité judiciaire, de clichés pris dans le cercle de famille n’est pas de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie privée du prévenu. En l’espèce, la relation du procès du prévenu et de son épouse, tous deux renvoyés devant la cour d’assises du Chef de violences sur leur enfant mineur ayant entraîné sa mort, les circonstances de la mort de l’enfant et l’évocation des relations des époux, au cœur des débats, constituaient un événement d’actualité dont le magazine pouvait légitimement rendre compte.29 c) La vie publique De nombreuses décisions de juridictions de fond ont rétréci le noyau de la vie privée de certaines personnes en fonction de leur notoriété. Ainsi le concept «d’activité publique » ou de « personnage public » fait que des informations seront, à l’égard de certains individus, exclues du champ de la vie privée, comme celles relative au patrimoine. Ainsi la publication de la feuille d’impôt des puissants fait toujours recette et la cour de cassation considère désormais que les français notoirement les plus riches, doivent admettre que la divulgation de leur patrimoine dans la presse n’est plus une atteinte anormale à leur vie privée. 26 TGI Paris, 1ère ch , 15 octobre 1997, Légipresse 1998 n°150 , I, p. 35 Cass. 1ère Civ 9 juillet 2003, JCP 2003 II. 10139, note Ravanas 28 CA Versailles, 27 juin 2002 ; Legipresse décembre 2002 n°197 29 Cass 2e ch.civ, 25 novembre 2004, J.Duchemin c/ Sté Hachette Filipacchi et associés, Légipresse janvier 2005, n°218 I, p 6 27 18 Certaines personnalités (artistes, sportifs, chefs d’entreprise renommés, hommes politiques ou responsables d’institutions publiques, membres de familles royales) ont une vie professionnelles que le public est légitimement en droit de connaître. Certains aspects de leur vie privée en relation avec leur activité peut ainsi apparaître utile à l’information des citoyens. Mais l’appartenance d’une enfant mineure à une famille princière ne restreint pas la sphère intime de sa vie privée. Est répréhensible la parution d’un article relatif à une enfant âgée de treize ans ne remplissant aucune fonction officielle et impliquée dans aucun événement d’actualité dont l’importance eu justifié la publication d’informations concernant exclusivement sa vie privée.30 d) Les droits de l’Histoire En vertu des droits de l’Histoire, il est possible d’évoquer des informations privées dévoilées au cours de procédures judiciaires ou au détour d’écrits autobiographiques. En outre nul ne saurait interdire le récits d’évènements qui appartiennent à l’Histoire même s’il s’agit d’évènements récents. - La mémoire judiciaire L’historien peut être amené, dans ses recherches, à dévoiler à nouveau des pans de l’histoire judiciaire d’une personne, en dépit du droit à l’oubli à laquelle elle peut aspirer. Mais ce contexte est celui de l’histoire et il paraît sage de s’en tenir aux travaux historiques pur éviter tout débordement gratuit et malveillant. - La mémoire autobiographique Le travail de l’historien peut faire appel à des éléments se rattachant à la vie privée de certaines personnalités ou de participants à des évènements historiques. Si une personne a déjà divulgué les informations la concernant dans une autobiographie, le chercheur peut alors légitimement travailler sur ce matériau de recherche. Un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme a effectué une délimitation indispensable du droit à l’information tout en opérant à une hiérarchisation des normes en balance. Cette jurisprudence va certainement avoir des répercussions en droit interne et c’est pourquoi il est intéressant de l’appréhender. 30 Cass. Civ, 25 novembre 2004 C. de Hanovre c/ Sté Prisma Presse 19 B. La presse people face à la Cour européenne des droits de l’homme : L’arrêt « Caroline de Monaco » L’actualité économique de l’Union européenne occulte une autre construction européenne plus discrète, mais au moins aussi profonde, celle d’un droit européen des libertés fondé sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme adoptée en 1950 et dont l’application est contrôlée par les juges de la Cour Européenne des droits de l’Homme à Strasbourg. La France comme la plupart des pays européens a reconnu la validité sur son territoire de ce droit désormais invoqué par de nombreux plaignants et appliqué par les tribunaux au même titre qu’une disposition législative nationale. Apparemment, ce texte traite à égalité, protection de la vie privée et liberté d’information, mais la jurisprudence de la Cour a jusqu’à présent, nettement donné la priorité à la liberté d’information. Néanmoins à l’égard d’une certaine presse voyeuriste, les juges européens vont se montrer intransigeants et faire prévaloir le respect des droits de la personnalité. 1. La ligne des décisions de la Cour européenne à l’égard des magazines people La Cour européenne a rendu une série de décisions - portant sur la recevabilité – ayant pour objet principal de mettre en balance le droit à la liberté d’information et le droit au respect de la vie privée. Ces décisions sont le fruit de requêtes introduites par des groupes de presse éditant des magazines « people » et ayant fait l’objet de condamnations prononcées par les juridictions nationales pour avoir délibérément violé le droit au respect à la vie privée et le droit à l’image des personnalités ayant un rang public notoire. A titre d’exemple la Cour strasbourgeoise a jugé irrecevable la requête introduite par le groupe Prisma Presse à la suite de la condamnation prononcée à l’encontre du magazine Voici pour avoir violé le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image de Monsieur JeanPhillipe Smet, dit Johnny Halliday. Le célèbre chanteur avait assigné en référé le magazine pour avoir, dans un article illustré de photographies, fait état des déboires sentimentaux prétendument vécu par ce dernier avec sa compagne.31 On peux noter à la lecture de la jurisprudence de la Cour européenne en la matière, une certaine stabilité quant aux motifs adoptés, ainsi qu’une justification des condamnations prononcées à l’encontre des magazines people qui ont pour objet, selon le juge strasbourgeois, de satisfaire la curiosité malsaine d’un certain public à l’égard de l’intimité de personnalités, sans que ces informations ne contribuent à un quelconque débat d’intérêt général. En outre les condamnations prononcées par les juridictions françaises à l’encontre des groupes de presse n’apparaissent ni disproportionnés eu égard aux intérêts particuliers à protéger, ni inconventionnelles au titre de l’article 6 et de l’article 10 du traité. 31 CEDH, req. n° 71612/01 du 1er juillet 2003 20 2. L’analyse de l’arrêt a) Le contexte La famille Grimaldi a largement contribué à nourrir la jurisprudence sur la protection de la vie privée, tant son mariage d’amour et d’intérêt avec la presse people a régulièrement dégénéré en conflit devant les prétoires. Le 24 juin 2004, la Cour Européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt de principe dans l’affaire Van Hannover contre Allemagne, communément appelée « affaire Caroline de Monaco ».32 A l’unanimité les juges strasbourgeois ont considéré que la «presse people » ou « presse à sensation » ne pouvait, au nom du droit à l’information du public, violer de manière répétée le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image de personnalité publique, même si ces dernières avaient la qualité de personnalités publiques notoires. b) Les faits et la procédure La Princesse Caroline Van Hannover, fille aînée du Prince Rainier III de Monaco, a saisi la Cour Européenne des droits de l’Homme le 6 juin 2000. La requérante alléguait que les décisions des juridictions allemandes autorisant la publication de photographies relevant de sa vie quotidienne avaient porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale, garanti à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne note que, dans son arrêt de principe du 15 décembre 1999, le Cour constitutionnelle fédérale a interprété les articles 22 et 23 de la loi allemande sur les droits d’auteur dans le domaine artistique en mettant en balance les exigences de la liberté de la presse et celles de la protection de la vie privée, à savoir l’intérêt du public à être informé et les intérêts légitimes de la requérante. Ce faisant, la Cour constitutionnelle fédérale a tenu compte de deux critères existant en droit allemand, l’un de nature fonctionnelle et l’autre de nature spatiale. Ainsi, elle a considéré que la requérante, en tant que personnalité absolue de l’histoire contemporaine, bénéficiait d’une protection de sa vie privée même en dehors de son domicile mais uniquement si elle se trouvait dans un endroit isolé, à l’abri du public, « dans lequel la personne concernée se retire dans le but objectivement reconnaissable d’être seule, et dans lequel, se fiant à son isolement, elle se comporte de manière différente de celle qu’elle adopterait en public». A l’aune de ces critères, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé que la Cour fédérale de justice du 19 décembre 1995 relatif à la publication des photos litigieuses était conforme à la Loi fondamentale. Dans son analyse, elle a accordé un poids décisif à la liberté de la presse, même s’il s’agit de la presse de divertissement, et à 32 CEDH, Van Hannover c/ Allemagne, 24 juin 2004 req n° 59320-00. 21 l’intérêt du public de savoir comment la requérante se comporte en dehors de ses fonctions représentatives. c) Le raisonnement de la Cour européenne La protection de la vie privée doit être mise en balance avec la liberté d’expression garantie à l’article 10 de la Convention. Dans ce contexte la Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Si elle s’étend également à la publication de photos, il s’agit néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui revêt une importance particulière. En l’occurrence il ne s’agit pas « d’idées », mais d’images contenant des informations très personnelles, voire intimes sur un individu. De plus les photos paraissant dans la presse à sensation sont souvent réalisées dans un climat de harcèlement continu, engendrant pour la personne concernée un très fort sentiment d’intrusion dans sa vie privée et même de persécution. La Cour va mettre l’accent sur différentes notions au cours de son raisonnement juridique : - Absence de contribution au débat d’intérêt général La Cour relève tout d’abord qu’en l’espèce les photos de la requérante parues dans les différents magazines allemands représentent des scènes de sa vie quotidienne, donc des activités de nature purement privée, alors qu’elle fait du sport, qu’elle se promène, qu’elle sort au restaurant ou qu’elle se trouve en vacances. Ces photos, où la requérante apparaît tantôt seule, tantôt accompagnée, illustrent une série d’articles aux titres anodins tels que « Du bonheur simple », « Avec la princesse Caroline à Paris »… La Cour note ensuite que la requérante, en tant que membre de la famille princière monégasque, joue un rôle de représentation lors de certaines manifestations culturelles ou de bienfaisance. Cependant elle n’exerce aucune fonction au sein ou pour le compte de l’Etat monégasque ou de l’une de ses institutions. Or la Cour considère qu’il convient d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage relatant des faits - même controversés- se rapportant par exemple à des personnalités politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles, susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique et un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne remplit pas de telles fonctions. Si dans le premier cas la presse joue son rôle de « chien de garde du public »33 dans une démocratie en contribuant à communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public, il en va autrement dans le second cas. La Cour estime qu’en l’espèce la publication des photos et des 33 CEDH, Sunday Times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979 22 articles litigieux, ayant eu pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie privée de la requérante, ne contribue à aucun débat d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante. Dans ces conditions, la liberté d’expression appelle une interprétation moins large. - « Espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée La Cour souligne que ces photos ont été prises à l’insu de la requérante et sans son consentement. Elle rappelle l’importance fondamentale que revêt la protection de la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité de chacun, protection qui va au delà du cercle familial intime et comporte également une dimension sociale. Elle estime que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée. - Personnalités absolues et personnalités relatives de l’histoire contemporaine La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs.34 Or la Cour éprouve des difficultés à suivre l’interprétation par les juridictions internes de l’article 23 § 1 de la loi allemande de 1907 sur les droits d’auteur dans le domaine artistique qui consiste à qualifier une personne entant que telle de personnalité absolue de l’histoire contemporaine. Impliquant une protection très limitée de la vie privée et du droit à l’image, une telle qualification peut se comprendre pour des personnalités de la vie politique occupant des fonctions officielles. Cependant, elle ne saurait se justifier pour une personne « privée » comme la requérante, pour qui l’intérêt du grand public et de la presse est basé uniquement sur son appartenance à une famille régnante, alors qu’elle-même ne remplit pas de fonctions officielles. Une interprétation restrictive de cette loi paraît s’imposer aux yeux de la Cour, afin que l’Etat remplisse son obligation positive de protection de la vie privée et du droit à l’image à ‘égard de la Convention. Enfin, la distinction opérée entre personnalités « absolues » et personnalités relatives de l’Histoire contemporaine doit être claire et évidente, afin que dans un Etat de droit, l’individu dispose d’indications précises quant au comportement à adopter : il faut qu’il sache exactement quand et où il se trouve dans une sphère protégée ou, au contraire, dans une sphère dans laquelle il doit s’attendre à une ingérence de la part d’autrui et surtout de la presse à sensation. La Cour estime dés lors que les critères retenus en l’espèce par les juridictions internes n’étaient pas suffisants pour assurer une protection effective de la vie privée de la requérante : en effet entant que personnalité « absolue » de l’histoire contemporaine, celle-ci ne peut –au nom de la liberté de la presse- se prévaloir d’une protection de sa vie privée que si elle se trouve dans un endroit isolé, à l’abri du public, et si, de 34 CEDH, Artico c/ Italie, 13 mai 1980 23 surcroît, elle parvient à le prouver, ce qui peut s’avérer difficile. Le critère de l’isolement spatial, s’il peut paraître clair en théorie, apparaît en pratique trop difficile à déterminer à l’avance pour la personne concernée. En l’espèce, le seul fait de qualifier la requérante de personnalité « absolue » de l’histoire contemporaine ne justifie pas une telle intrusion dans la vie privée de celle-ci. d) La décision de la Cour européenne La Cour considère que l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général. Elle estime que le public n’a pas un intérêt légitime de savoir où la requérante se trouve et comment elle se comporte d’une manière générale dans sa vie privée. L’intérêt du public et l’intérêt commercial des magazines publiant photos et articles doivent s’effacer en l’espèce devant le droit de la requérante à la protection effective de sa vie privée. La requérante aurait du bénéficier d’une espérance légitime de protection de sa vie privée et la Cour estime que les juridictions allemandes n’ont pas établies un juste équilibre entre les intérêts en présence et qu’il y eu violation de l’article 8 de la Convention. 3. Les conséquences de l’arrêt « Caroline de Monaco » a) Une distinction cardinale entre deux catégories de presse La Cour européenne opère pour la première fois dans un arrêt portant sur le fond une différenciation entre la presse dite « sérieuse ou d’information » et la presse « people » qui se situe en dehors du débat politique ou public car les photos publiées et les commentaires qui les accompagnent se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la personne « pourchassée».35Cette distinction permet de recadrer la notion de « droit à l’information ». b) L’émergence d’une obligation positive de protection de la vie privée à la charge des Etats membres La Cour souligne l’absolue nécessité « que l’Etat remplisse son obligation positive de protection de la vie privée et du droit à l’image ». En conséquence il sera parfaitement envisageable d’engager la responsabilité de l’Etat si ce dernier ne prend pas les mesures nécessaires en la matière. Selon Alexis Guedj, Avocat au barreau de Paris et Docteur en Droit, l’émergence d’une obligation positive aura pour conséquence directe de limiter la marge d’appréciation dévolue aux Etats lorsqu’un conflit viendrait opposer l’article 10 et 35 . Alexis Guedj. « La presse people face à la CEDH », Légipresse décembre 2004 , n°217, II, p 137 24 l’article 8 de la Convention. Cette évolution impulsée par l’arrêt Caroline de Monaco rapproche désormais matériellement l’article 8 de la Convention européenne de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui interdit « les immixtions illégales » dans la vie privée et proscrit la diffusion d’information que se seraient procurées les journalistes par des moyens illégaux. (Ce que ne faisait pas la Convention)La Cour confère un nouveau champ d’application à l’article 8 de la Convention. c) La nouvelle hiérarchie des valeurs normatives en présence L’arrêt vient contredire le droit positif français selon lequel le droit à l’information et le droit au respect de la vie privée auraient la même valeur normative lorsqu’ils seraient confrontés l’un à l’autre. En effet, les deux droits ont valeur constitutionnelle : la liberté de la presse est consacrée par la décision n° 84-181 DC et la vie privée est protégée sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ( décision n° 99-416 du 23 juillet 1999).Avec l’émergence d’une obligation positive à la charge de l’Etat sur le terrain de l’article 8, il semble que hiérarchiquement le droit au respect de la vie privée présente une valeur supérieure à la liberté d’information. Dés lors la liberté d’information revêtira la forme d’une lex generalis alors que le droit au respect de la vie privée celle d’une lex specialis et l’emportera sur le premier. Ainsi l’arrêt Caroline de Monaco, en faisant obligation positive aux Etats d’apporter à tout individu une protection effective du droit au respect de la vie privée notamment lorsque ce droit est confronté au droit à la liberté d’expression ou d’information, marque une avancée décisive dont les juridictions internes devront tenir comte. En d’autres termes les médias ne peuvent plus considérer que toute apparition d’une personne célèbre constitue un évènement dont il est possible de rendre compte. Cela reviendrait à exposer ces personnes à une traque permanente et à transformer le droit au respect de la vie privée en une obligation de rester caché. En France les condamnations prononcées contre la presse people sur le fondement de l’article 9 du Code Civil, ne sont que d’une utilité relative puisque les droits de la personnalité des personnes continuent d’être bafoués. Il appartiendra désormais aux plaideurs de mettre le juge judiciaire face à ses responsabilités en sollicitant qu’il fasse bonne application de cette jurisprudence. 25