G7, OMC, FMI..., des institutions en crise par Christian

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G7, OMC, FMI..., des institutions en crise par Christian
G7, OMC, FMI..., des institutions en crise par Christian Chavagneux - issu de Travailler plus pour travailler tous ? n°259 Juin 2007
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G7, OMC, FMI..., des institutions en crise
Les institutions économiques internationales sont mal en point. De profondes réformes s'imposent pour qu'elles puissent réguler la mondialisation
galopante.
Les actions d'un très petit nombre de personnes peuvent suffire à ternir la réputation de toute une organisation." Lorsqu'il a écrit cette phrase, il y a quelques mois, dans un
rapport interne de la Banque mondiale, son président, Paul Wolfowitz, ne s'attendait sûrement pas à en devenir la preuve vivante. L'affaire de népotisme qui a mené à sa
démission - la promotion salariale exorbitante de sa petite amie et les recrutements d'une petite coterie de collaborateurs directs aux salaires mirifiques - a entaché encore
plus, s'il en était besoin, la crédibilité et la légitimité d'une institution dont les fonctionnaires avouent désormais leur démoralisation.
Ils ne trouveront pas de réconfort dans le fait que le Fonds monétaire international (FMI) voit le nombre de pays qui font appel à lui se réduire comme peau de chagrin. Il
affiche un déficit budgétaire qui le ramène au rang de ces Etats qu'il a tant critiqués pour le laxisme de leurs finances. Si l'on y ajoute les soucis de Pascal Lamy, le directeur
général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui semble dans l'incapacité de conclure un nouvel accord commercial international - ou un accord rempli de
tellement d'exceptions qu'il en est vidé de sa substance -, on se dit alors que c'est toute la régulation publique internationale de la mondialisation économique qui est en
panne. D'autant plus que, même si on en parle moins, d'autres institutions, comme la Banque des règlements internationaux (BRI) ou l'Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE) connaissent également des difficultés.
La situation est éminemment paradoxale. A mesure que la mondialisation de l'économie se renforce, le besoin d'une action coordonnée des Etats au niveau international,
pour tenter d'en encadrer les dérapages, qu'ils aient pour nom réchauffement climatique, instabilité financière, montée des inégalités internationales, etc., est d'autant plus
pressant. Or, c'est justement le moment où les institutions économiques internationales traversent, collectivement, l'une des phases les plus difficiles de leur histoire.
Comment peut-on expliquer cette étrange situation?
Les principales institutions économiques internationales
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Elle tient à l'écroulement successif des trois importants piliers qui les portent: leur légitimité est remise en cause; les Etats-Unis n'y assurent plus leur leadership et ne sont
pas relayés par l'Union européenne; elles sont en panne de modèle idéologique. Affaiblies, ces institutions voient, de plus, les concurrents se multiplier. "Faut qu'ça change",
chantait Boris Vian dans les années 50. Le mot d'ordre doit maintenant s'appliquer aux institutions économiques internationales: faute de répondre aux crises qui les frappent
par des changements d'envergure, elles sont vouées à une inefficacité et à une contestation croissantes, laissant la mondialisation suivre le chemin de la loi du plus fort.
Institutions économiques internationales : le syndrome du vautour
Un élément plus conjoncturel contribue également à expliquer les malheurs des institutions économiques internationales. C'est le "syndrome du vautour": ce
volatile se porte d'autant mieux que le reste du monde va mal. Or, l'économie mondiale ne se porte pas si mal. La croissance mondiale tourne autour de 5 % par an, et
alors même que les négociations du cycle commercial de Doha ont été interrompues en juillet 2006, les échanges internationaux ont progressé de 8 % en volume l'an
dernier. Contrairement à ce qui s'était passé en 1994: lorsque les négociations de l'Uruguay Round ont finalement abouti, la croissance mondiale était à peine supérieure à
2 % par an et l'urgence absolue d'aboutir à un accord était alors plus forte.
De la même façon, les crises financières qui avaient mis le FMI et la Banque mondiale sur le devant de la scène au cours des années 80 et 90 ont disparu. Il y a bien eu ici
ou là quelques petits feux de brousse (Turquie, Hongrie, Thaïlande...), mais pas de grand incendie. Difficile dans ces conditions, pour le pompier, de devenir un héros...
Mais il y a également de quoi se rassurer, disent les défenseurs du statu quo: les crises finissent toujours par reprendre et même quand les feux se font rares, on ne ferme
pas la caserne...
De fait, entre un effondrement toujours possible du dollar, la faillite de gros fonds spéculatifs ou les soubresauts des Bourses des pays émergents, les sources de crises
éventuelles sont là, sans oublier, comme l'écrivait la BRI dans son rapport annuel de 2006, que "les crises financières des dernières décennies ont, le plus souvent, eu
pour origine un événement presque entièrement inattendu". Toutefois, même en cas de retour de tempêtes financières, les organisations économiques internationales
devront toujours faire face aux problèmes de fonds qui les handicapent aujourd'hui.
Un manque de légitimité
Pour exercer son autorité et susciter l'adhésion, tout pouvoir a besoin de disposer d'une forte légitimité. Celle des institutions économiques internationales traverse une crise
profonde. Les Sommets du G8, comme le dernier en date à Heiligendamm, en Allemagne, du 6 au 8 juin, attirent encore l'attention polie des médias. Mais chacun sait bien
qu'il ne s'y décide généralement rien d'important. Parce qu'aucun des grands pays qui y participent (l'Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l'Italie, le Japon, le
Royaume-Uni et la Russie) ne peut s'y voir infliger un blâme pour ses mauvaises politiques économiques (comme les Etats-Unis pour leurs déficits extérieurs persistants). Et
parce que depuis le premier Sommet de novembre 1975, à Rambouillet, où les pays déclaraient du haut de leur domination exclusive que "la croissance et la stabilité de nos
économies aideront l'ensemble du monde industriel et des pays en développement à prospérer", ce sont la Chine, le Brésil et l'Inde qui sont devenues les économies les plus
dynamiques du monde. Ces pays représentent entre les deux cinquièmes et la moitié de la population mondiale... mais sont toujours absents des tables de négociations.
Ce manque de reconnaissance politique des pays émergents est l'une des causes du déficit de légitimité de toutes les institutions économiques internationales. Au FMI et à la
Banque mondiale, la répartition du capital, et donc des pouvoirs (un dollar = une voix), reste celle issue de la Seconde Guerre mondiale, quand les Etats-Unis dominaient
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seuls la planète. A l'OMC, le principe un pays = une voix est pourtant en vigueur, mais il a fallu attendre l'échec de la conférence de Cancùn en septembre 2003, voulu par les
pays du Sud qui refusaient le maintien du protectionnisme agricole du Nord, pour que les Etats-Unis et l'Europe commencent à les écouter. Résultat: depuis l'an dernier, les
négociations secrètes visant à faire aboutir le cycle de Doha s'effectuent, comme hier, entre quatre grands acteurs, mais le Brésil et l'Inde ont remplacé le Canada et
l'Australie face aux Etats-Unis et à l'Union européenne. Une reconnaissance bien tardive et qui n'a pas encore fait école dans les autres institutions.
Si cette reconnaissance devait advenir, elle ne règlerait pas pour autant le problème de légitimité politique de ces institutions. En dépit d'efforts réels au FMI, à la Banque
mondiale et à l'OMC (mais pas à la BRI ou à l'OCDE), l'opacité reste la règle de fonctionnement de ces grandes bureaucraties. Les tractations de couloir entre Américains et
Européens pour la nomination des dirigeants du FMI et de la Banque mondiale, au mépris de la compétence des personnes choisies, en sont une malheureuse illustration,
comme l'a démontré le cas Wolfowitz.
La manière dont de nombreuses associations de la société civile peinent à obtenir des informations sur les stratégies suivies par le représentant de leur pays au sein de ces
institutions en est un autre exemple. En France, la loi prévoit qu'un rapport soit livré par le ministère des Finances le 30 juin sur les activités de l'année budgétaire précédente.
Or, explique Jean Merkaert, du CCFD, "depuis deux ans le rapport sort en février de l'année suivante ! Cela fait huit mois de retard et, surtout, cela ôte toute possibilité de
débat démocratique au Parlement à l'occasion du projet de loi de finances discuté à l'automne". Il faut dire à la décharge des experts de Bercy que les députés français ne
montrent malheureusement pas un gros intérêt pour le sujet...
La contestation de la légitimité des institutions économiques internationales vient, enfin, du fait que leur spécialisation ne les prédispose guère à défendre l'intérêt général
global de l'humanité. Comme l'explique l'économiste américain Joseph Stiglitz, "seuls les ministres du Commerce extérieur sont admis à la table de l'OMC. Ceci implique par
exemple que si l'on débat à l'OMC de décisions qui peuvent affecter l'environnement, les conséquences environnementales qui en résulteraient n'auront que peu de poids
dans la discussion et donc dans la décision" (1). L'impression que le FMI sert plutôt les intérêts des financiers que la stabilité économique internationale, ou que l'OMC
préserve plus les positions des multinationales que la santé, l'environnement et les droits du travail, met largement à mal leur crédibilité. D'autant que les structures en charge
du travail (le Bureau international du travail), de la santé ou de l'environnement n'ont pas la même autorité.
Une absence de leadership
En attendant qu'elles répondent à leur problème de légitimité par une meilleure reconnaissance du poids des pays émergents, une plus grande transparence de l'information
et une réponse aux demandes sociales en matière de santé ou d'environnement, les institutions internationales restent dominées par les grandes puissances économiques.
Au premier rang desquelles, les Etats-Unis.
Aucune coopération économique internationale ne peut être véritablement efficace sans l'approbation des Américains, dont la capacité à entraîner le mouvement reste forte.
C'était vrai en 1944, quand ils ont impulsé la création du FMI et de la Banque mondiale pour gérer la reconstruction de l'Europe et encadrer les mouvements internationaux de
capitaux. C'était encore vrai en 1994, lorsqu'ils ont accepté la création d'un Organe de règlement des différends commerciaux au sein de l'OMC, un tribunal devant lequel ils
ont été condamnés de multiples fois. C'était toujours vrai en 1998, au moment où la quasi-faillite du fonds spéculatif américain LTCM a failli emporter le système financier
international: Alan Greenspan, qui dirigeait alors la Fed, la banque centrale des Etats-Unis, a forcé les plus grandes banques internationales à recapitaliser le fonds avec leur
argent; son intervention a sauvé la mise du système.
Depuis, les Etats-Unis ont été les premiers saboteurs de la coopération internationale. Ils ont refusé le protocole de Kyoto de lutte contre le réchauffement climatique; ils
bloquent toute perspective de régulation des cultures et de la consommation d'organismes génétiquement modifiés (OGM); ils refusent d'avancer vers une organisation
mondiale de l'environnement; ils ont nommé Paul Wolfowitz à la direction de la Banque mondiale pour récompenser un fidèle du Président américain sans considération pour
l'institution, etc. On peut multiplier les exemples à l'infini.
Taper sur les Etats-Unis est un sport très couru de ce côté-ci de l'Atlantique, mais les Européens n'ont rien fait non plus pour changer la donne. Plutôt que de porter des
considérations sociales ou environnementales au sein de l'OMC, ils semblent ne s'intéresser, comme le gouvernement américain, qu'à la protection de leurs riches
agriculteurs. Ils se contentent bien volontiers du statu quo qui leur permet de nommer le directeur général du FMI en échange de la promesse de laisser les Etats-Unis
nommer qui ils veulent à la tête de la Banque mondiale. Comme l'avoue sans fioriture Pierre Duquesne, administrateur français au FMI et à la Banque mondiale: "Ça ne me
choque pas. Sélectionner le candidat le plus intelligent, pourquoi pas, mais il lui faut aussi une base politique et nous sommes les premiers actionnaires !" De fait, un dirigeant
d'institution choisi en dehors de toute considération des rapports de force politiques n'irait pas très loin...
De ce point de vue, les pays émergents peuvent également faire preuve d'un certain cynisme. Le directeur général du FMI, l'Espagnol Rodrigo de Rato, doit son siège aux
pays latino-américains qui s'étaient opposés à la nomination du Français Jean Lemierre. Mais ils n'ont rien dit lors de la nomination de Paul Wolfowitz, encore moins lors de
ses récents déboires. Pour ne pas se fâcher avec le grand frère américain. On ne peut pas à la fois réclamer d'être entendu et se taire dans les moments importants de la vie
des institutions.
Une panne d'idéologie
Sans leaders et contestées, les institutions internationales ont également vu leur système de référence idéologique prendre du plomb dans l'aile. Au cours des années 80 et
90, elles ont surfé sur la domination du libéralisme économique: le FMI et la Banque mondiale réclamaient la libéralisation des économies en échange de leurs financements;
l'ouverture commerciale était considérée comme l'objectif naturel de l'OMC; la BRI expliquait que les banques et les investisseurs financiers connaissaient mieux les marchés
qu'elle et qu'il était impossible de les réguler, etc.
Depuis, l'ambiance a changé. Qui a écrit: "Les pays en développement qui ont relativement plus recours aux capitaux étrangers n'ont pas crû plus vite sur le long terme et ont
même crû moins vite" ? L'économiste en chef du FMI. Qui explique encore que la libéralisation financière a "accru la possibilité de conséquences néfastes plus grandes de
l'instabilité financière sur les performances économiques" ? L'un des meilleurs spécialistes financiers du FMI. Et c'est bien dans un rapport récent de la Banque mondiale
qu'on peut lire que les politiciens sont trop enthousiastes dans leur croyance en "la magie du marché".
Côté commerce, même chose. Des démocrates américains au nouveau président français, le discours protectionniste s'est durci. Les pays émergents croient moins aux
vertus du libéralisme que leurs aînés. Même les économistes, comme l'Américain Paul Samuelson, pourtant théoricien des vertus du libre-échange, démontrent désormais
que les pays riches peuvent s'appauvrir dans l'échange. D'une manière plus générale, la théorie économique, caution scientifique aux interventions des institutions et qui
avait tendance à glorifier les marchés, est en train de changer: on peut désormais y puiser aussi bien de quoi démontrer l'utilité de l'intervention économique de l'Etat que
l'efficacité des marchés purs ! Comme l'avoue l'économiste de Harvard, Dani Rodrik, "les différences entre économistes sur la mondialisation ne sont pas le produit de
modèles économiques différents ou de lectures différentes des informations empiriques". Elles proviennent "de leurs différents rapports à l'éthique et de leurs préférences
politiques".
Désarçonnées sur le plan conceptuel, les institutions internationales n'ont pas pour autant encore effectué leur mue idéologique. Le libéralisme économique y est toujours
présent, mais on croit de moins en moins à ses vertus. Un nouveau modèle de représentation du monde n'a pas encore vu le jour, laissant les institutions au milieu de la
rivière, avec de l'eau dans leur vin libéral, mais perdues dans leur représentation du monde et du rôle qu'elles devraient y jouer.
Une concurrence accrue
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Un malheur n'arrivant jamais seul, les grandes institutions économiques internationales voient également la régulation politique internationale complètement se transformer
par la prolifération des sources de gouvernance mondiale.
Côté aide aux pays du Sud, quand les années 40 comptaient 5 à 6 donneurs bilatéraux, ils sont aujourd'hui près de 60. L'importance prise en Afrique par l'aide de la Chine, qui
n'impose pas de conditions aussi bien en termes économiques que politiques, endette à nouveau les pays pauvres et marque le retour de l'aide liée (l'obligation de se fournir
en Chine). Une logique à contre-courant des stratégies globales d'aide suivies ces dernières années. De même, la Banque mondiale a recensé plus de 230 organisations
multilatérales distribuant de l'aide, publique ou privée, comme les fondations philanthropiques (Fondation Bill Clinton, Bill et Melinda Gates...). Ce qui entraîne à la fois une
prolifération du nombre de bailleurs et une fragmentation de l'aide, chaque donneur apportant une part de plus en plus faible de l'aide.
De son côté, le président vénézuélien Chavez a tout bonnement décidé de quitter le FMI et la Banque mondiale le 30 avril dernier, pour financer la création, annoncée pour ce
mois de juin, d'une "Banque du Sud" alternative. L'Argentine, la Bolivie, le Brésil, l'Equateur et le Paraguay ont rejoint le projet. On parle également, dans la région, d'un
éventuel Fonds monétaire du Sud. De leur côté, les pays asiatiques ont annoncé début mai la création d'un fonds régional multilatéral de gestion d'une partie de leurs
importantes réserves en devises. Cette sorte de mini FMI serait à même de proposer rapidement des prêts aux pays en crise... sans qu'ils aient besoin de frapper à la porte du
FMI.
L'OMC, elle, doit faire face à l'explosion du nombre de traités bilatéraux de commerce. Portés par les Etats-Unis, les pays d'Asie et redevenus priorité politique de l'Union
européenne à la fin de l'an dernier, il en existe environ 300 et plusieurs dizaines sont en négociations. Leur nombre a été multiplié par plus de cinq depuis 1990 et, d'après
Pascal Lamy, il pourrait atteindre 400 en 2010.
Là où le multilatéralisme oblige à des compromis, les accords bilatéraux entre deux Etats font jouer à plein les rapports de force. Là où l'OMC organise la libéralisation des
échanges, certains pays profitent des négociations bilatérales pour diminuer leur niveau d'ouverture par rapport à leurs engagements à l'OMC - par exemple la Malaisie et la
Thaïlande dans les secteurs des services. Ou ils y font inscrire de manière formelle le verrouillage de leur marché - comme dans l'accord signé à la fin 2005 entre la Thaïlande
et le Japon, où les voitures japonaises n'auront pas accès au marché thaïlandais et l'acier ne pourra y entrer qu'en 2015. Plutôt qu'une libéralisation négociée, c'est un
protectionnisme organisé que mettent en place ces accords. De plus, ils multiplient les systèmes de règlement de différends ad hoc, marginalisant de plus en plus les
décisions de l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Même si le cycle de Doha finissait par se solder par un accord, l'OMC est déjà en voie de marginalisation.
Enfin, des pans importants de la régulation internationale échappent aux acteurs publics pour se retrouver dans les mains des acteurs privés. L'exemple le plus significatif est
celui des normes comptables internationales, qui s'appliquent en Europe depuis 2005 à toutes les sociétés cotées. Alors que la comptabilité était largement une affaire
publique et nationale, elle est désormais devenue une affaire privée et internationalisée (2). Les grands cabinets d'audit (PricewaterhouseCoopers, KPMG, Ernst&Young,
Deloitte Touche Tohmatsu) ont joué un rôle crucial dans la définition des nouvelles règles. "On peut aller jusqu'à dire que la conception comptable internationale se pense
aujourd'hui largement dans ces cabinets, que rien ne peut s'élaborer sans leur concours et que nulle décision ne peut s'affranchir de leur aval", expliquent ainsi les
professeurs Michel Capron et Eve Chiapello (3). Au bénéfice d'une vision de l'entreprise perçue comme un ensemble d'actifs vendables, un point de vue d'investisseur
financier, plutôt que comme une communauté où chaque partie prenante (les salariés, l'Etat...) a son mot à dire.
Concurrencées sur leurs terrains d'intervention, en manque de légitimité, sans leader pour les porter et en panne conceptuelle, les institutions économiques internationales
sont très mal en point. Les symptômes de leurs maladies indiquent pourtant les voies possibles, mais politiquement difficiles à mettre en oeuvre, de la guérison: reconnaître
une plus grande place politique aux pays émergents, accepter le débat démocratique avec la société civile et savoir reconnaître ses erreurs. Il leur faut aujourd'hui prendre en
compte la forte demande sociale mondiale pour une priorité donnée à la sécurité au sens large (environnementale, sanitaire...), pour un encadrement de la finance (fonds
spéculatifs, paradis fiscaux...), pour la gouvernance d'entreprise (parachutes dorés...), etc. Un nouveau socle idéologique doit être établi, reliant toutes ces demandes dans
une lecture de la mondialisation qui ne se contente pas de célébrer les vertus innées des marchés. L'ordonnance peut paraître un peu longue, mais comme les prescriptions
homéopathiques, elle permet à la fois de soigner le malade et d'assainir le terrain pour l'avenir.
Christian Chavagneux
Alternatives Economiques - n°259 - Juin 2007
Notes
(1)
Voir "La gouvernance mondiale est-elle au service de l'intérêt général global?", in France 2012, OFCE, www.ofce.sciences-po.fr/ebook.htm
(2)
Même si chaque pays a tendance à vouloir interpréter les règles à sa façon.
(3)
Dans Les normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, éd. La Découverte, 2005.
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