j`ai rencontré le loup blanc

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j`ai rencontré le loup blanc
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-1h
DIMANCHE,
À 3 H DU MATIN,
IL SERA EN FAIT
2 HEURES
SAMEDI 26 OCTOBRE 2013 ∙ N° 299 ∙ FR. 2.40
(TVA 2.5% incluse) ∙ France voisine 1.85 €
www.lematin.ch
VINCENT
MUNIER,
PHOTOGRAPHE
«J’AI
RENCONTRÉ
LE LOUP
BLANC»
PAGES 4­7
Photos Vincent Munier
ESPIONNAGE PAGE 3
La NSA a­t­elle
aussi écouté
le téléphone
d’Ueli Maurer?
SWISS INDOORS
Une victoire
rassurante
pour Federer
«DIANA»
Si vous allez voir
le film, sortez
vos mouchoirs!
PAGES 18­19
PAGES 34­35
Keystone/Georgios Kefalas
JA 1000 Lausanne 1
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
LE MATIN SAMEDI 26 OCTOBRE 2013
«VOIR LE LOUP
BLANC, C’ÉTAIT
MON GRAAL»
RENCONTRE Un photographe français
a eu la chance de voir de très près
une meute de «fantômes de la toundra».
Une première depuis plus de vingt­cinq ans.
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SAMEDI 26 OCTOBRE 2013 LE MATIN
Ellesmere
CANADA
CANADA
ÉTATS-UNIS
Océan Atlantique
Océan Pacifique
uand je sentais que le
traîneau que
je tirais derrière moi
n’avançait
plus, je me retournais en priant
pour que ce ne soit pas un ours polaire qui avait posé sa patte dessus.» Ce printemps, Vincent Munier, 37 ans, a vécu pendant un
mois dans le territoire de ce grand
prédateur. Or ce n’était pas lui que
le photographe venait chercher,
mais le loup blanc. «C’était la quatrième fois que j’allais sur l’île
d’Ellesmere, dans le Grand-Nord
canadien. Les trois premières fois,
je n’ai pas vu le loup blanc.» Cette
fois-ci était la bonne.
Ce périple n’a pourtant pas été
de tout repos. Loin de là. Par choix,
le Vosgien voyage en immersion
totale dans la nature, sans motoneige, sans quad. A plus de 300 km
au nord du dernier village inuit,
Grise Fiord, là où les chasseurs ne
vont jamais. «Je voulais voir des
animaux qui n’ont jamais vu
l’homme. Je suis parti seul avec
mon traîneau. C’est silencieux, on
dérange moins, on est moins intrusif. Je ne suis pas chez moi, mais
chez le loup.»
«Q
SUITE EN PAGES 6­7
Vincent Munier devait bouger sans cesse
pour résister aux températures
de ­47 degrés. La première semaine,
il a suivi des traces sans voir le loup.
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
LE MATIN SAMEDI 26 OCTOBRE 2013
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SAMEDI 26 OCTOBRE 2013 LE MATIN
Pendant deux jours, un jeune mâle
solitaire a suivi Vincent Munier.
«Il apparaissait, puis repartait pendant
des heures», se souvient le Français.
Les bœufs musqués
sont la nourriture
de prédilection des loups.
tente avec ses dents. Il suivait mon
traîneau, mais, dès que je me retournais, il repartait à une dizaine
de mètres.» Une rencontre qui
n’est pas sans rappeler le film
«Danse avec les loups», avec Kevin Costner. «Oui, exactement, ce
loup, c’était comme «Chaussette» dans le film!»
Son ami Jim Brandenburg l’avait
prévenu: il ne serait plus jamais le
même homme après avoir photographié le loup blanc. «C’était
mon Graal», avoue-t-il. Mais,
plutôt que d’être apaisé, Vincent
Munier n’a qu’une envie: y retourner, le plus vite possible. Et partir à
la rencontre d’autres grands animaux mythiques au bout du
monde.
● SANDRA IMSAND
Les conditions climatiques sont
dantesques. Le thermomètre affiche -47 degrés à l’abri. Il est interdit d’arrêter de se mouvoir sous
peine de mourir. Les tempêtes de
neige semblent interminables. Le
vent est tellement violent qu’il faut
porter des boules Quies dans la
tente. Et les batteries des appareils
photo passent la nuit dans le sac de
couchage du Français pour éviter
qu’elles ne gèlent et se déchargent.
Pour tenir le coup, Vincent suçote
des carrés congelés de beurre ou de
saindoux. «C’est bon! Comme des
bonbons.»
Pour éviter les attaques d’ours,
Vincent Munier est obligé de réchauffer et d’avaler très rapide-
jeunes
g Les
loups me
testaient.
L’un d’entre eux
a mordillé
ma botte»
Vincent Munier,
premier homme à photographier
le loup blanc depuis vingt­cinq ans
ment ses deux repas chauds quotidiens. «Il fallait faire vite, les ours
ont un odorat très développé qui
porte sur plusieurs kilomètres. La
hantise est toujours là, et je n’avais
vraiment pas envie de croiser un
ours polaire.» Pour la même raison,
il renonce complètement au déodorant ou au savon pendant toute la
durée du séjour. «C’est pour cela
que c’est bien d’être seul, car on finit par sentir comme eux», rigolet-il. Malgré ces conditions extrêmes, Vincent Munier ne voudrait
pas vivre ses expéditions différemment. «C’est une chouette expérience pour l’homme de se sentir
humble. Pour une fois, on n’est pas
les plus forts: c’est nous la proie.»
Après huit jours d’enfer, le miracle se produit. Les «fantômes de
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LIVRE
La solitude,
sa grande amie
SORTIE Mi­novembre, Vincent
la toundra», comme ils sont surnommés, se montrent. Vincent
Munier observe neuf formes au
loin. Qui se rapprochent rapidement. Une meute de loups.
«J’étais tellement heureux!» Et il a
de quoi. Cela fait vingt-cinq ans
● Photos Vincent Munier
SUITE DES PAGES 4­5
que l’animal n’a pas été photographié. «Un ami, l’Américain Jim
Brandenburg, avait fait un reportage sur eux dans le National Geographic, à peu près au même endroit. Et depuis, plus rien.» Vincent Munier pense que c’est la
curiosité qui a attiré les loups.
Mais pas uniquement. «Je me savais en bonne santé, explique le
photographe. Certains des jeunes
sont venus me tester. L’un d’entre
eux a même mordillé ma botte. Si
j’avais été faible, je n’exclus rien.»
Surtout qu’à ces latitudes extrêmes (plus de 80° de latitude nord),
les loups – «les vieux briscards de
la toundra», selon les termes du
Vosgien – sont en mode survie.
Après trente minutes, les loups repartent, en file indienne. Puis plus
rien pendant deux semaines. Jusqu’au jour où, en ouvrant sa tente,
il voit un loup, seul. «C’était un
jeune mâle, il avait dû être chassé
de sa meute.» Pendant deux jours,
ce loup suit Vincent comme son
ombre. «Il a coupé les fils de ma
Munier sort deux ouvrages photogra­
phiques sur son travail. Leur nom:
«Solitudes I & II». «J’ai toujours cher­
ché à passer du temps en solitaire, ça
me permet de faire le point sur moi,
les émotions sont amplifiées.» La
solitude s’exprime aussi par l’ab­
sence de bruit, dans ces grandes plai­
nes glacées. A tel point que, lorsque
Vincent Munier retourne dans la civi­
lisation, il lui faut plusieurs semaines
pour se réhabituer au brouhaha
constant. Les textes entourant les
photos sont signés Matthieu Ricard,
moine bouddhiste. «J’aime sa philo­
sophie.» Mais il
n’exclut pas de
sortir prochaine­
ment d’autres
ouvrages avec
ses propres
écrits. ●
«Solitudes I et II»,
Editions Kobalann