Confitures et confisage : aspects historiques

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Confitures et confisage : aspects historiques
LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS
Confitures et confisage :
aspects historiques
Mme Dominique MICHEL, historienne de l’alimentation, Paris
D’après la conférence présentée au 9e Colloque L’Alliance 7 – Cedus, février 2001
publié en 1606 au mot confiture nous pouvons
lire :
« L’inventeur des Confitures nous est inconnu. Quel
dommage. Il mériteroit une statue de sucre candi et
nous sucerions nos lèvres en prononçant son nom. »
– « assaisonnement, conserve, préparation pour
faire des conserves, manière de confire, de mariner, de conserver des provisions, assaisonnement, accommodement. »
Au début de XIXe siècle Grimod de la Reynière,
l’auteur de cette remarque, dans l’Almanach des
Gourmands en parlant des confitures ajoute :
« Nous nous trouverons avec de biens véritables
amis. Les confitures sont l’une des plus grandes
ressources d’un ménage, surtout si beaucoup de
femmes ou d’enfants en font partie. C’est un
dessert tout à la fois agréable et salutaire, qui se
prépare une fois l’année seulement, et qui se
conserve sans aucun soin. C’est la consolation
des malades, la poularde des convalescents et la
meilleure espèce de chaterie dont on puisse
régaler les enfants. Avant que l’usage du sucre
fût devenu commun, les confiseurs les préparaient au miel : elles n’étaient point aussi
salubres ; et, sujettes à fermenter, par conséquent à rancir, elles étaient bien plus difficiles à
conserver. Maintenant une confiture bien préparée atteint sans altération la troisième année. Les
confitures offrent donc à chaque instant un aliment tout à la fois agréable et sain. C’est le dessert le plus facile à servir, la compote des
célibataires, et le souper du rentier. On peut préparer autant de sortes de confitures que la
nature nous offre d’espèces de fruits et même de
légumes, car on en fait aux carottes, au céleri et
même aux tomates. »
Ce mot dérive de celui de « confire » dérivé lui
même du latin « conficere » qui signifie « préparer », « faire, faire intégralement », ou bien
« réduire, élaborer, façonner », voire « absorber,
engloutir ou consommer ». Dans le français du
XVIe siècle « confire » garde ses dernières acceptations, mais peut aussi avoir le sens très large
d’assaisonner. Ce n’est qu’au mot « desconfire »
que Nicot donne le contenu de ces confitures ou
plutôt conserves : « on fait diverses espèces de
confitures avec sucre, miel, ou sel & vinaigre,
fruits, herbes que l’on veut confire ». Cette définition recouvre donc un grand nombre de préparations, ce qui explique que les salades sont
parfois appelées « confitures » et que les moutardes, les cornichons font partie des confitures
« condimentaires ». Et cela justifie aussi le fait
que des aliments cuits longuement dans du vin
avec des épices sont qualifiés de « confitz ».
En fait dès le XIIIe siècle au XIXe siècle, le mot
confiture est un terme générique utilisé pour
désigner des aliments bouillis et conservés dans
du miel, du sucre, mais aussi du sel ou du
vinaigre et concerne aussi bien les fruits, les
légumes, que les herbes et les fleurs. De plus il
recouvre non seulement, ce qu’on entend par là
aujourd’hui (les fruits coupés ou entiers cuits
dans du sucre) mais aussi tous les fruits confits,
les pâtes de fruits, les gelées, les nougats, les
Si de nos jours dans les dictionnaires de langue
française le mot confiture désigne « une préparation constitué uniquement de sucre raffiné ou
cristallisé et de fruits frais ou de jus de fruits
frais », il n’en a pas toujours été de même. Ainsi
dans le Trésor de la langue française de Nicot
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LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS
potes et des confitures. Il présente une quarantaine de recettes de confitures soit au miel
« toutes appelées compotes », soit au sucre désignées le plus souvent par une appellation précise
telle que cotignac, pignolat, etc. Là encore les
recettes de confitures sont suivies de celles de
vins et de vinaigres parfumés, de pain d’épices,
etc., et de préparations non comestibles comme
les eaux odoriférantes distillées ou non, savonnettes.
Mais l’ouvrage le plus important est sans aucun
doute celui publié à Lyon en 1555 l’Excellent et
Moult Utile Opuscule à tous nécessaire de Michel
Nostradamus, astrologue et médecin. La première partie traite des secrets de beauté et d’hygiène, la seconde des confitures avec une
trentaine de recettes. Nostradamus les répartit
en deux catégories – les confitures sèches et les
confitures liquides – division qui restera à l’honneur jusqu’à la fin du XVIIIe. Il donne des indications détaillées pour clarifier le sucre. Le
premier il signale la sensibilité du confisage au
temps chaud et humide et insiste à plusieurs
reprises sur l’importance qu’il y a à ne travailler
qu’avec un sucre de première qualité. Deux
règles d’or qui traverseront les siècles : « car de
belle marchandise se fait de bel ouvrage : & de
laide ou meschante, meschant ouvrage ». Il
insiste également sur les mélanges d’eau et de
sucre, qui possèdent des propriétés fort différentes selon qu’on modifie les proportions. Les
sept rééditions de ce livre entre 1555 et 1572
montre l’intérêt porté aux confitures par les
consommateurs qui à partir de 1557 peuvent
aussi se référer à la traduction française des
Secrets du révérend seigneur Alexis le Piémontois.
Ce mélange de recettes alimentaires et de
recettes se rapportant à l’hygiène (parfums,
savonnettes, pommades) qui va perdurer dans
les ouvrages jusqu’au milieu du XVIIIe siècle
s’inscrit dans la logique de l’ancienne diététique
où le sucre, le miel et certains épices sont considérés comme favorisant la digestion. Aussi dragées, confitures et autres sucreries sont servies
en fin de repas après lequel on apporte le nécessaire pour que les convives se lavent les mains.
Depuis l’Antiquité les médecins ont déclaré les
fruits comme dangereux pour la santé. Mais cela
n’empêche pas d’en consommer. En se basant
sur la qualité des fruits (sec, froid, chaud,
humide) ces médecins déterminent l’ordre dans
lequel les fruits peuvent paraître à table. De plus
ils préconisent toute une panoplie de procédés,
qui en permettant de se prémunir contre les
dangers, élargit les perspectives. Parmi eux la
massepains, les bonbons, les dragées, bref ce
qu’on appelle depuis la fin du XIXe siècle les
confiseries.
Cependant dès la fin du XVIIe siècle, tout du
moins dans les dictionnaires, le contenu du mot
confiture commence à évoluer : « est le nom que
l’on donne aux fruits, aux fleurs, aux racines et
à certains sucs lorsqu’ils sont bouillis et préparés
avec du sucre ou du miel pour les rendre de
garde et plus agréable au goût ».
Si l’on confit un aliment dans du sucre, du miel,
du sel ou du vinaigre, plutôt que de le cuire dans
un autre milieu simplement additionné de sucre,
de sel ou autre c’est dans l’intention de le
conserver. Ce souci est doublé de préoccupations
thérapeutiques et diététiques comme le souligne
en 1607 l’auteur anonyme du Trésor de Santé :
« les confitures sont plaisantes au palais pour
nous servir d’aliment, approchent de notre
nature et peuvent servir de médicament ».
LES LIVRES DE CONFITURES
En France, les livres comportant des confitures
présentent un amalgame de recettes qui peut
paraître étonnant de nos jours. Ainsi dans le
Ménagier de Paris paru en 1393 les recettes de
confitures figurent dans un chapitre d’une cinquantaine de formules qui s’intitule les « autres
menues choses qui sont de nécessité ». Et ces
menus choses vont des eaux pour se laver les
mains, des remèdes pour soigner le mal de dents
ou se guérir des morsures de chiens, au moyen
d’obtenir du sel blanc, de faire des hypocras ou
des gaufres, de fabriquer une moutarde aux
fruits et de confectionner des confitures ou compotes. Mais ces dernières ne sont faites qu’avec
du miel et concernent principalement les coings,
les noix, les amandes nouvelles, les pêches et de
poires d’angoisse, mais aussi les navets, les
carottes, les courges, les racines de persil et
fenouil.
Il faut attendre la seconde moitié du XVe siècle
pour trouver des confitures au sucre dans des
textes français. Provenant d’un manuscrit datant
de la fin du XVe siècle, paraît en 1545 le Petit
traité contenant la manière de faire toutes sortes de
confitures, compostes, vin saulges, muscadetz & autres
breuvages, parfunctz savons, moutardes & plusieurs
autres bonnes recettes. Si une partie de cet ouvrage
reproduit mot pour mot des recettes du
Ménagier, il innove dans le domaine des com4
LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS
duction sucrière mais aussi au progrès de l’arboriculture fruitière. Tout homme bien né se doit
de posséder un verger et ne déroge pas en bouturant, greffant et produisant. Cependant on
préfère les confitures au sucre. Celles au miel ne
sont qu’un pis aller quand on n’a pas de sucre et
concerne le plus les milieux populaires. Là
comme dans le reste de la cuisine le rôle des
épices régressent. Le confiseur ou la maîtresse de
maison peuvent consulter les recettes soit dans
des chapitres spécifiques consacrés à l’office dans
les livres de cuisine, soit dans des livres spécialisés comme Le Confiturier françois (1660), Nouvelle
instruction pour les confitures (1692) La Science du
maître d’hôtel confiseur (1750). Ces ouvrages, qui
témoignent de l’augmentation du nombre de
recettes et de fruits utilisés, contiennent de plus
en plus de précision sur le travail du sucre. Dès
1660 on trouve des descriptions sur les diverses
densités que doit atteindre le sirop de sucre pendant son ébullition. Cependant les descriptions
les plus claires et les plus complètes figurent
dans La Science du maître d’hôtel confiseur : entre
les 30 degrés environ, qui séparent le moment
où le bouillon entre en ébullition de celui ou il
se transforme en caramel, son auteur Menon
distingue treize stades (petit et grand lissé, petit
et grand perlé, petite et grande queue de cochon,
soufflé, petite et grande plume, petit et gros boulet, petit et grand cassé).
cuisson et la dessiccation. La cuisson avec du
sucre ou un autre agent édulcorant, avec vin, et
ou avec des épices, est alors considérée comme
un moyen de corriger les éléments négatifs des
aliments et en particulier des fruits. Ainsi :
• Si les pommes âpres crues créent des ventrosités, cuites avec du sucre et de l’anis, elles
ramollissent le ventre.
• Les poires pesantes à l’estomac et venteuses
deviennent bonnes et profitables si elles sont
cuites en bon vin rouge, lardées de clous de
girofle, sucre et cannelle.
• Les citrons et oranges confits échauffent et fortifient l’estomac et le cœur.
• Les abricots crus, chargés de méfaits à la suite
Galien, une fois cuits perdent beaucoup de
leurs mauvaises qualités, et sont alors pectoraux, propres à adoucir les âcretés de la poitrine.
• Quant aux coings confits dans du miel, déjà
indiqués contre la diarrhée par Hippocrate au
IVe siècle avant notre ère, selon Nostradamus
ils « pourront servir pour deux intentions, c’est
assavoir pour médecine confortative et restrictive et pour en manger à plaisir à toutes
heures »
Les vertus médicinales des confitures douces ou
vinaigrées déterminent le rôle qu’elles jouent à
table du Moyen Âge jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle. Les substances comestibles sont
classées en deux catégories : les aliments et les
médicaments. Le rôle des aliments est de nourrir, celui des médicaments soit de guérir une
maladie, soit de la prévenir en corrigeant les
mauvais effets que pourraient engendrer les aliments. Un aliment peut être employé comme
médicament (la viande rouge pour les anémiques) ou certains médicaments peuvent servir
d’aliments à une personne qui n’arrive pas à
digérer de la « nourriture ». Aussi les confitures
condimentaires comme les cornichons, les moutardes sont censées corriger les mauvais effets de
la viande, elles aident à faire passer leur substance grossière alors que les confitures douces
servies au dessert sont destinées à fermer l’estomac et garantir une bonne digestion. « Les confitures sont souhaitables, mais pas de nécessité,
mais d’autant plus plaisantes et agréables
qu’elles réjouissent le palais en soignant le
corps. » (1)
LES FAMILLES DE CONFITURES
Les confitures sont alors réparties en huit
famille : liquides, sèches, marmelades, gelées,
pâtes, conserves, candis et dragées.
Les confitures liquides : les fruits entiers, en
morceaux, ou en graines, sont confits dans un
sirop fluide, transparent qui prend la couleur des
fruits.
Les confitures sèches : les fruits après avoir
bouillis dans un sirop, avec souvent un bouillon
de plus, sont tirés, égouttés et séchés à l’étuve,
poudrés de sucre et mis dans des boites de sapin
avec du papier blanc à chaque rang de fruits.
Cette opération peut être fait directement, soit
en les tirant ultérieurement des confitures
liquides, attendant ainsi le moment où le fruit ne
prend plus le sucre. Ces confiture font l’objet de
présentation diverses. Ainsi les cerises peuvent
être présentées en en bouquet c’est à dire attaché avec un fils ou en quadrille ; une prune peut
être en surtout, c’est à dire collée sur un autre
fruit ; les agrumes sont dressés en roquilles (en
Si les théories médicales évoluent à partir du
XVIIe siècle, le nombre des confitures ne cessent
d’augmenter. Accroissement lié à celui de la pro5
LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS
traitée sur le feu sera toujours le désespoir des
Confiseurs les plus habiles, jusqu’à ce que la chimie leur ait donné les moyens de lui conserver
ces éminentes vertus qui la distinguent lorsqu’elle est crue et dans son parfait état de maturité. Le parfum de ce fruit est trop fugace, et sa
pulpe trop délicate, pour qu’on puisse la travailler en confitures. »
rocher) ; en tailladins (lardons de chair zestée
puis glacés au sucre clarifié chaud en les tenant
avec deux fourchettes et mis en rocher) en « filigramme » (coupé en petit filet et trempé dans un
sucre au caramel)
Les marmelades, pâtes à demi liquides, sont
faites de la pulpe de fruit le plus souvent précuit
et passé par un tamis ou écrasé, desséché à la
poêle avec du sucre à quantité égale et un peu
d’eau.
Les gelées sont faites à base de jus de fruits
extrait en les tamisant dans lequel on a fait dissoudre le sucre, qu’ensuite on fait bouillir à une
consistance un peu épaisse, de sorte qu’en
refroidissant elle ressemble à une espèce de glu
fine transparente. Lorsqu’un fruit ne possède pas
assez de pectine on lui en rajoute en utilisant
une décoction de pommes reinettes obtenues à
partir de la peau et des pépins. Ces gelées sont
servies sur assiette ou découper en bandes.
Les pâtes sont une espèce de marmelade
épaissie par l’ébullition, mises dans des moules
de toutes sortes de formes ; séchées au four puis
refroidies sur des ardoises ou des feuilles de fer
blanc et rangées dans des boites de sapin avec du
papier blanc. La plus estimée est alors le cotignac
qui s’offre aux gens de qualité.
Les conserves sont une espèce de confiture
sèche faite avec des fruits ou des fleurs, mondés
et pilés ou en petits morceaux ou en jus, mélangés hors du feu dans un sucre déjà cuit. Parfois
elles sont à nouveau desséchées sur le feu jusqu’à l’obtention d’une petite glace dessus et
mises dans des caisses en papier. Elles peuvent
être découpées en tablette.
Les fruits candis sont des fruits entiers ou des
fleurs, qui après avoir bouilli dans leur sirop,
sont maintenus dans celui-ci et mis à sécher à
l’étuve restant ainsi couverts de sucre candi, ce
qui les fait paraître comme des cristaux de différentes couleurs et formes, puis rangés dans des
boites avec papier blanc.
Les dragées sont une espèce de confiture
sèche faite avec des petits fruits ou des graines,
ou des petits morceaux d’écorce, recouvertes
d’un sucre fort dur et très blanc
CONFECTIONNER DES
CONFITURES LIQUIDES AU
XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
Pour Olivier de Serres « la bonne confiture ne se
fait pas hâtivement ». Pour ce faire, les officiers
conseillent de prendre les premiers fruits de la
saison : « car en toutes sortes de fruits les premiers qui se mangent en chaque saison sont toujours les plus excellents au goût, & les mieux
conditionnez ; les autres n’étant que comme des
regains, qui par débilité n’ont peu accompagner
les premiers en maturité ». Ces fruits doivent
être un peu verts, excepté les groseilles, les
cerises, les poires, les coings qui doivent être
bien mûrs.
Avant d’être cuits les fruits subissent une série
d’opérations. Certains sont pelés ou « plumés »,
mais d’autres comme les coings ne le sont pas car
« l’écorce augmente l’odeur ». Il en va de même
pour les prunes puisque « pour ce qui est du
goût la peau de toutes sortes de fruits est la partie la plus savoureuse de tout le fruit ». Dans ce
cas les fruit sont piqués en deux ou trois endroits
avec un couteau « cela empêche qu’ils ne crèvent & quittent leur peau ». D’ailleurs pour les
fruits confits avec le noyau il faut laisser une
partie de la queue « afin qu’elles puissent être
nettement prises à la main dans le vase pour s’en
servir » alors que pour les prunes il faut la ratisser : « pour les rendre plus vertes ».
Pour aider à ôter la bourre des fruits verts
comme les abricots et les amandes les confiseurs
les passent dans une eau claire avec du tarte ou
de la cendre. Les oranges subissent plusieurs
jours de trempage dans une eau changée chaque
jour « tant qu’elles aient laissé leur amertume &
semblent transparentes ». Les noix sont trempées dans une saumure faite d’eau et de sel ou
de vin et de salpêtre pour « ôter l’odeur sauvage
& naturelle du fruit, et lui conserver sa naïve
couleur » et pour les « mieux les pénétrer &
désamertumer ».
Avant la cuisson la plupart des fruits sont « par-
Notons que l’ananas confit, en vente dans des
boutiques spécialisées, ne fait l’objet d’aucune
recette, pas plus que les fraises, alors qu’on
savait faire des confitures de framboises. En
1806 Grimod de la Reynière évoque la tentative
d’un confiseur pour confire des fraises entières
dans une gelée en partie faite avec leur suc.
Malgré son habilité, il n’a pas réussi : « la fraise
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LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS
recuire l’ensemble (fruit et sirop) soit après avoir
ôté le fruit juste le sirop. Il est conseillé de rajouter du sucre parce ce que d’une part il faut toujours que le fruit trempe dans le sirop, d’autre
part parce qu’il faut fortifier le sucre car il se
décuit, se liquéfie, se décharge de sucre en le
donnant au fruit. Lorsque le sucre arrive au
degré souhaité (perlé pour l’abricot et le verjus)
grand perlé (pêche, noix, agrume, mirabelle,
prune), le fruit est introduit alors juste pour
quelques bouillons.
Pour certains verser uniquement le sirop sur le
fruit est une hérésie, car le sirop ne prend pas
bien le goût du fruit, comme l’est celle de le
cuire plusieurs fois. « Tâcher à les faire toutes
d’une cuite, c’est-à-dire, sans les tirer dessus le
feu… car de les remettre de fois sur le feu, cela
diminue beaucoup de leur couleur, & fait brûler
le sirop, qui s’attache au haut de votre poêle ou
bassine ». Mais une seule cuite demande plus
d’attention car il s’agit d’écumer soigneusement
et retourner ou de faire rouler le fruit dans le
sirop. La quantité de sucre varie selon les fruits
et les officiers. En schématisant pour les confitures liquides et sèches l’on met autant de sucre
que de fruit (pelé, dénoyauté, etc.) sauf pour les
cerises et les coings. Les cerises de 250 g à 375 g
pour 500 g de fruits. Les coings 725 g pour 500 g
de fruit.
Puis les confitures sont versées dans des tasses
ou pots en verre. Une fois refroidies elles sont
couvertes avec un papier ou parchemin afin
d’éviter les « mouches et ordures ». Le rond de
papier doit être retiré au bout de trois jours selon
Nicolas de Bonnefons : « les confitures paraissent
beaucoup, & sans comparaison plus belles quand
on a levé le papier, qui avec soi entraîne tout la
chancissure ou candissure, qui d’ordinaire se fait
en forme de peau sur toutes les confitures. »
bouillis ». Cette action a pour but de les préparer
à mieux recevoir le sucre, car « par son naturel
glutineux, il n’entre pas seul dans le fruit qui est
dur de soi même ». Si le sucre s’arrête à la superficie, il se dessèche et s’anéantit au détriment du
fruit qui devient ridé et peut se corrompre. En se
remplissant de sucre et en expulsant ainsi l’humeur naturelle des fruits, celui-ci restera entier
gros, enflé et d’une excellente conservation.
Pour se faire on le fait bouillir en eau claire jusqu’à ce qu’il soit mol, une épingle passée à travers en est la preuve, opération qu’Olivier de
Serres en 1600 nomme « faire le passage ». Tout
en corrigeant la malignité du fruit, il va s’agir de
conduire insidieusement le sucre à travers la
pulpe elle-même et cela dès le début, sinon on
est en danger, le sucre restant en surface.
Une fois parbouilli et égoutté le fruit va être
confit : mais selon sa nature et les siècles et les
auteurs, les méthodes divergent :
• Le fruit est déposé directement dans du sucre
clarifié
• On prépare un sirop avec du sucre et de l’eau
ou un jus de fruit, ou du moult « afin de donner une suffisante humidité au sucre pour le
fondre », mais la quantité est affaire d’expérience comme le rappelle Nicolas de
Bonnefons en 1651 : « si vous y en donniez
trop peu, le sucre ne fondra pas tout, & les plus
gros morceaux se maintiendraient en forme de
conserve », mais si vous en mettez trop « il faudrait que vos confitures fussent plus long
temps sur le feu pour exhaler le trop d’humidité qu’il y aurait, & cela gâterait la couleur. »
• Une fois le sirop préparé plusieurs méthodes
cohabitent :
Soit le fruit est déposé dans ce sirop et cuit en
une seule fois
Soit le fruit est déposé dans ce sirop et subit
juste quelques bouillons puis il est conservé dans
une terrine jusqu’à refroidissement
Soit un sirop brûlant est versé sur le fruit hors
du feu. Ainsi la framboise est mise en terrine
avec un sucre cuit à plume hors du feu, puis à
l’étuve ou un endroit sec avant une autre cuisson à perle.
Dans les derniers cas, le plus souvent, la cuisson
va être renouvelée plusieurs fois : quelques
heures après, le lendemain, chaque jour ou de
deux jours en deux jours et cela peut aller jusqu’à sept à huit cuissons. Il s’agit de permettre
au sucre de pénétrer lentement, d’éliminer peu
à peu l’humeur du fruit, de corriger la malignité
du fruit. Ainsi les noix subissent deux à trois
cuissons, les agrumes cinq cuissons. On fait soit
BIBLIOGRAPHIE
(1) Philip et Mary Hyman, les « Menues choses qui
ne sont pas de nécessité » : les confitures et la table
(pp 273-283).
Du Manuscrit à la table, sous la direction de
Carole Lambert, Champion-Slatkine, les
Presses de l’Université de Montréal, 1992.
Dominique Michel, Vatel et la naissance de la
gastronomie, Fayard, 1999.
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