La fatigue dans les affections neurologiques

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La fatigue dans les affections neurologiques
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La fatigue dans les affections neurologiques
Fatigue in neurological diseases
● C. Hugeron*, P. Azouvi*
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■ On peut distinguer deux types de fatigue : d’une part, la
fatigabilité physique ou intellectuelle (sensation d’épuisement au cours d’une activité avec manque d’énergie ou
impossibilité de fournir l’effort), d’autre part, l’asthénie
(sensation de fatigue présente en dehors de tout effort).
■ La fatigue chez les cérébrolésés est fréquente, différente
de celle qui a pu avoir été ressentie avant la maladie, et n’est
pas liée à la dépression.
■ Dans la SEP, ses mécanismes sont multiples et intriqués
(troubles de conduction, lésions spécifiques, facteurs immunologiques, déconditionnement) et peuvent être influencés
par les troubles du sommeil fréquents.
■ Différents traitements (pharmacologiques, rééducatifs et
réadaptatifs) sont utilisés avec plus ou moins de succès dans
la fatigue au cours de la SEP.
■ Aucun traitement n’a été évalué pour diminuer la fatigue
après AVC ou TC.
■ La fatigue chez les hémiplégiques et traumatisés crâniens
semble avoir un retentissement plus cognitif que moteur.
a fatigue est un symptôme fréquent rapporté dans
diverses affections neurologiques. Nous nous limiterons
à la fatigue décrite dans la sclérose en plaques (SEP),
après traumatisme crânien (TC) et accident vasculaire cérébral
(AVC). Il s’agit d’un symptôme subjectif, non spécifique, retrouvé
dans d’autres pathologies telles que la dépression, et influencé
par de nombreux facteurs (traitements, manque de sommeil,
maladies intercurrentes, etc.). En outre, plusieurs types de fatigue
peuvent être décrits : d’une part, la fatigue physique et la fatigue
intellectuelle, survenant au cours d’efforts et se manifestant par
une difficulté à maintenir un effort ou par une baisse de performance et, d’autre part, l’asthénie perçue comme une sensation
d’épuisement au repos.
L
* Service de rééducation neurologique, hôpital Raymond-Poincaré, Garches.
La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. VII - février 2003
ÉCHELLES D’ÉVALUATION DE LA FATIGUE
Plusieurs échelles ont été créées pour évaluer la fatigue, initialement dans la SEP. La Fatigue Severity Scale (FSS) comprend
9 items évaluant la fatigue physique, le retentissement de la
fatigue dans l’environnement psychosocial et la fatigue en général
(3 items de chaque catégorie). Krupp (1988) rapporte que 5 % des
sujets sains ont un score supérieur à 4, alors que 91 % des patients
atteints de SEP dépassent ce score. La Fatigue Descriptive Scale
(FDS) apporte des éléments qualitatifs concernant la fatigue.
Elle permet de différencier la fatigue physique, intellectuelle et
l’asthénie. La Fatigue Impact Scale (FIS) est un questionnaire de
40 items évaluant la fatigue dans ses dimensions cognitive, physique et sociale, chaque item étant coté de 0 à 4. L’échelle visuelle
analogique de la fatigue (EVA-F) est composée de 18 EVA, dont
13 évaluent la fatigue et 5 la force.
FATIGUE ET SEP
Dans la SEP, les patients décrivent une fatigue pathologique,
c’est-à-dire qu’elle est ressentie comme différente par rapport à
la fatigue que les patients ont pu connaître avant leur maladie.
Elle touche 75 à 95 % des patients selon les études. Il s’agit du
symptôme le plus important pour 30 % des patients et un des plus
importants pour 50 % d’entre eux. Dans les échelles de qualité de
vie telles que le Multiple Sclerosis Quality Of Life (MSQOL-54)
et sa version française validée, le SEP-59, un item lui est consacré ;
cependant, les questions portent aussi bien sur la fatigue que sur
l’état psychologique du patient (vous sentez-vous “dynamique”,
“nerveux”, “découragé”, “calme et détendu”, “débordant d’énergie”,
“triste et abattu”, “épuisé”, “heureux”, “fatigué” ?). En ce qui
concerne les activités physiques, il n’y a pas de questions spécifiques à la fatigue ; cependant, on peut supposer que sa présence
puisse modifier les réponses, puisque les questions posées sont
“êtes-vous limité en raison de votre état de santé pour certaines
activités ?” et non “êtes-vous limité en raison de votre déficit ?”.
Fatigue, dépression et handicap
Les relations avec la dépression, le handicap et l’évolutivité de la
maladie sont controversées. En ce qui concerne la dépression et
le niveau de handicap, les échelles d’évaluation de la fatigue utilisées sont différentes, les populations pas toujours comparables,
ce qui peut expliquer les résultats contradictoires. Les études plus
récentes sont en faveur d’une non-corrélation ou d’une corrélation très faible entre fatigue et dépression. En différenciant deux
populations (indépendants, dépendants), il semble que la fatigue
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soit corrélée à la gravité de la maladie chez les patients indépendants et qu’elle ne le soit plus chez les dépendants. On peut supposer que plus le handicap se majore, plus les efforts à fournir
sont importants et plus la fatigue est grande, jusqu’à ce que le
patient devienne dépendant. En ce qui concerne le mode évolutif,
il ne semble pas intervenir sur la fatigue.
Physiopathologie de la fatigue
Il faut éliminer la fatigue non due aux lésions spécifiques. Une
pollakiurie nocturne, la spasticité responsable de spasmes nocturnes, l’anxiété ou la dépression sont responsables de troubles
du sommeil susceptibles d’avoir un retentissement sur la fatigue,
de même que certains traitements ou une mauvaise hygiène de vie.
Les mécanismes de la fatigue sont multiples et intriqués. De
nombreuses études sont en faveur de troubles de conduction dans
les voies longues, ce qui pourrait expliquer la recrudescence de
la fatigue pendant les périodes chaudes, la chaleur aggravant les
blocs de conduction. Les facteurs immunologiques seraient responsables de la fatigue au cours des poussées. Des lésions cérébrales spécifiques (cortex frontal et pariétal, noyaux de la base,
capsule interne) sont également évoquées dans de nombreuses
études. Enfin, le déconditionnement à l’effort, conséquence de
l’inactivité et des troubles du métabolisme musculaire, pourrait
jouer un rôle.
Traitements
Les traitements font appel à la pharmacologie, à la rééducation et
à la réadaptation.
Aucun traitement médicamenteux n’a l’AMM dans cette indication. L’amantadine est une substance dopaminergique qui pourrait
avoir un effet stimulant. Plusieurs études ont montré son efficacité
versus placebo. Elle est utilisée en première intention, à la dose de
200, voire 300 mg par jour répartis entre le matin et le midi. La
pemoline (non commercialisée en France) s’est révélée efficace
dans une étude. Les bloqueurs des canaux potassiques (4-aminopyridine et 3,4-aminopyridine) semblent être un traitement de la
fatigue à l’effort (1). Ces molécules améliorent la conduction
nerveuse. La 3,4-aminopyridine est disponible à la pharmacie
centrale des hôpitaux ; elle est utilisée à la dose de 100 mg par
jour en 5 prises. La 4-aminopyridine n’est pas disponible en
France. Le modafinil est un stimulant de l’éveil ; il est parfois
utilisé sur la base d’une seule étude de niveau de preuve faible.
Un réentraînement à l’effort adapté permet de lutter contre le
déconditionnement et a un effet bénéfique sur la fatigue physique
(2). Des “cours d’épargne de l’énergie” (3) et une prise en charge
psychothérapeutique permettent de mieux gérer son temps en
fonction de la fatigue. Le but de ce type de prise en charge étant
de faire prendre conscience au patient et à son entourage de l’origine neurologique de la fatigue, de déculpabiliser le patient et de
l’aider à trouver des solutions pour mieux gérer son temps en
fonction de celle-ci.
Il faut noter que dans les études évaluant l’efficacité des différents traitements de la fatigue, l’effet placebo est important, ce
qui montre l’importance des facteurs psychologiques.
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FATIGUE ET CÉRÉBROLÉSÉS (AVC ET TC)
Si la fatigue constitue une plainte fréquente des patients cérébrolésés, elle a été très peu étudiée : 12 articles ont été publiés entre
1983 et 2002 sur ce sujet. Les différentes études réalisées montrent
que sa fréquence est importante et qu’elle persiste longtemps
après l’accident. En ce qui concerne les AVC, Ingles (4), dans une
étude portant sur 88 patients et 56 témoins, trouve 68 % de patients
fatigués (évalués par la FIS) versus 36 % de témoins. La proportion de patients fatigués reste la même, quel que soit le délai par
rapport à l’AVC (3 à 13 mois). Par ailleurs, parmi les patients
fatigués, le sex-ratio est égal à 1 dans la population AVC, alors
qu’elle touche préférentiellement les femmes dans la population
témoin. Son impact est également important sur la vie quotidienne, puisque, dans cette même étude, la fatigue est considérée
comme le symptôme le plus important par 40 % des patients,
27 % d’entre eux sont fatigués tous les jours et 30 % le sont
pendant plus de 6 heures par jour. Glader (5) a évalué la fatigue
chez 4 023 patients dans les 3 premiers mois de l’AVC et à 2 ans
(questionnaire envoyé). Après exclusion des sujets déprimés,
10 % des patients se disent continuellement fatigués et 29 %
souvent fatigués.
En ce qui concerne les TC, les études sont moins nombreuses
encore. Après TC léger, la fatigue est le troisième symptôme
rapporté dans le syndrome postcommotionnel. Elle est présente
dans 80 à 100 % des cas après TC modéré. Après TC grave, il n’y
a pas à notre connaissance d’étude évaluant sa fréquence et son
impact sur la vie quotidienne. Il faut noter que les troubles du
sommeil, fréquents après TC, sont susceptibles d’aggraver la
fatigue.
Relation avec la dépression
Comme dans la SEP, plusieurs études montrent que la fatigue
n’est pas retrouvée uniquement chez les patients déprimés, même
si elle fait partie des critères de dépression et si un état de fatigue
prolongé peut engendrer un syndrome dépressif. Van der Werf
(6) a évalué la dépression et la fatigue dans une population de
90 AVC et 50 témoins : les patients AVC sont significativement
plus fréquemment fatigués que les témoins (51 % versus 16 %),
alors qu’il n’y a pas de différence significative en ce qui concerne
la dépression (20 % dans la population AVC, 16 % chez les
témoins). Après analyse en régression multiple, la dépression
intervient dans 11 % de la variance de la fatigue chez les patients
et 56 % chez les témoins. Dans cette étude, il existe une relation
entre les déficiences (en particulier les troubles moteurs) et la
fatigue, alors que l’âge et le sexe n’interviennent pas. Ingles (4),
dans l’étude précédemment citée, trouve 68 % de patients fatigués versus 36 % de témoins.
Niveau de handicap
En ce qui concerne le niveau de handicap après AVC, les études
sont contradictoires. Une étude ne trouve pas de corrélation avec
le Barthel, une étude conclut à une fatigue d’autant plus importante
que le handicap est grand ; à l’inverse, Staub (7) note une fatigue
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plus fréquente chez les patients peu déficitaires. Ces différences
peuvent être expliquées par les échelles utilisées, certaines évaluant la fatigue en général, d’autres la fatigue physique, l’impact
de la fatigue dans la vie quotidienne ou l’intensité de la fatigue.
Les questions posées n’étaient pas non plus les mêmes : en effet,
les questions “ êtes-vous fatigué ? ” ou “ la fatigue est-elle un problème pour vous ? ” n’entraînent pas le même type de réponse.
D’autres études pour éclaircir ce point seraient bienvenues. Il
serait intéressant de savoir si la fatigue limite les possibilités
physiques et cognitives, avec comme conséquence une possible
modification du mode de vie, et/ou si le fait de devoir fournir un
effort important pour pallier le handicap est source de fatigue.
Il n’y a à notre connaissance aucune donnée sur ce sujet chez les
traumatisés crâniens.
Topographie de la lésion
La responsabilité de la topographie des lésions chez les patients
victimes d’AVC est controversée. Deux études ne retrouvent pas
de corrélation entre la topographie des lésions et la fatigue. Une
autre montre que la fréquence de la fatigue est variable en fonction
de la localisation de la lésion : elle est plus fréquente dans les
lésions du tronc cérébral, moins fréquente dans les lésions corticales
et intermédiaire dans les lésions sous-corticales et thalamiques,
ce qui laisse présager que la substance réticulée activatrice et les
circuits dopaminergiques jouent un rôle dans la survenue de la
fatigue.
Il n’existe en revanche pas de modification en fonction du côté
de la lésion.
Retentissement sur la vie quotidienne
Il est logique de penser que la fatigue, même chez des sujets bien
portants, a un retentissement sur les activités de la vie quotidienne. Différentes études, réalisées aussi bien dans des populations d’AVC que de TC, sont en faveur d’un retentissement plus
cognitif que moteur. Dans une étude de Van Zandvoort (8), chez
16 patients atteints d’une lacune unique n’entraînant pas de
troubles des fonctions supérieures, le bilan neuropsychologique,
bien que toujours dans les limites de la normale, était significativement moins bon que dans la population témoin. Riese (9) a mis
en évidence, dans une population de huit TC graves, une élévation
de la pression artérielle au cours d’un effort mental soutenu, alors
que celle-ci diminue chez les témoins, ce qui serait en faveur d’un
coût énergétique anormalement élevé source de fatigue. La
Chapelle (10) montre, dans une population de cérébrolésés (AVC,
TC, encéphalite), que la fatigue physique évaluée par des mouvements de flexion-extension répétés du pouce n’est pas corrélée
aux échelles évaluant la fatigue subjective (FSS, FIS, EVA-F
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sous-score fatigue). L’épuisement relevé au cours du mouvement
ne serait donc pas dû à la fatigue physique mais à la fatigue intellectuelle entraînant un manque de concentration, des troubles
attentionnels…
CONCLUSION
La fatigue est particulièrement fréquente au cours de la SEP et
après AVC et TC. Dans la SEP, il est bien établi qu’il s’agit d’une
entité à part entière, et elle est de plus en plus prise en charge.
Elle est également fréquente après lésion cérébrale et reste présente longtemps après la phase aiguë. Elle n’est pas due à la
dépression, bien qu’il puisse y avoir une interaction entre les
deux. Son retentissement sur la vie quotidienne et sur les troubles
cognitifs semble non négligeable. Sa prise en charge passe par
une reconnaissance du symptôme et le traitement des facteurs
aggravants (troubles du sommeil, hygiène de vie, déconditionnement, etc.). Si de nombreux traitements sont proposés dans la
SEP, aucune étude à notre connaissance n’a été réalisée chez les
TC et AVC.
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