Le « risque chômage » des agents publics existe : comment l

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Le « risque chômage » des agents publics existe : comment l
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Adeline GUELLEC
Juriste
Clothilde POPPE
Consultante
Centre de droit Jurisanté, CNEH
Le « risque chômage »
des agents publics existe :
comment l’indemniser ?
e chômage n’est pas réservé au
secteur privé. Comment répondre aux difficultés liées à l’adaptation de la réglementation du régime
d’assurance chômage aux spécificités
de la fonction publique ? C’est l’objectif
de la circulaire du 21 février 2011 1
qui précise les situations ouvrant droit
à l’assurance chômage pour les agents
publics. Ces « agents publics » recouvrent à la fois les agents titulaires et
les agents non titulaires (contractuels
et stagiaires).
Par principe, chaque agent, public ou
non, a aujourd’hui droit à indemnisation de son « risque chômage ». L’article
L. 5424-1 du code du travail précise
effectivement que, le cas échéant, les
agents publics bénéficient du versement d’un revenu de remplacement, au
même titre et selon les mêmes modalités que les salariés du secteur privé.
En application de l’article L. 5422-1
du code du travail, a droit à l’allocation d’assurance chômage tout travailleur qui remplit de manière cumulative les cinq conditions suivantes : être
apte au travail, en recherche d’emploi,
remplir certaines conditions d’âge et
d’activité antérieure, et enfin et
surtout, avoir été ou être privé involontairement d’emploi.
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La notion de perte involontaire d’emploi est un des points fondamentaux
du régime de l’assurance chômage.
D’un point de vue général, il va de
soi qu’elle recouvre tous les cas où
l’employeur est à l’origine de la
rupture de la relation de travail. Pour
autant, cette notion peut aussi
recouvrir, sous certaines conditions,
des cas où le travailleur a lui-même
désiré mettre fin à la relation de
travail.
La circulaire du 21 février 2011
revient sur la notion de perte involontaire d’emploi au sein de la fonction
publique, en soulignant d’une part les
cas qui sont exclus de sa définition, et
d’autre part ceux qui y rentrent.
Les pertes volontaires
d’emploi privant l’agent
public du droit
au « chômage »
ertains cas de « pertes volontaires
d’emploi » sont communs au
fonctionnaire et à l’agent non titulaire,
et d’autres sont propres à chacune de
ces deux catégories.
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Les pertes d’emplois
volontaires communes
à tout agent public
De façon logique et pérenne, certaines
situations traduisent une volonté délibérée de l’agent public de quitter son
emploi.
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La démission non légitime
Un agent public peut souhaiter
interrompre de manière définitive sa
carrière et rompre ainsi complètement le lien l’unissant à son
employeur public pour divers motifs
personnels. Outre la question de son
effectivité, il est important d’identifier sa légitimité puisque c’est elle
qui détermine le droit à l’indemnisation (cf. supra pour les cas de
démissions considérées comme légitimes).
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1. Circulaire DGEFP/DGAFP/
DGCL/DGOS/Direction du budget
du 21 février 2011 relative à
l’indemnisation du chômage des
agents du secteur public.
2. Circulaire 463 FP du
11 février 1960, JO 26 février
1960, page 1895.
3. Relevant ce principe : CE req.
Lorsque l’agent non titulaire refuse la
proposition de renouvellement de son
contrat à durée déterminée, l’employeur
public peut légitimement refuser de l’indemniser au titre du chômage.
Cependant, l’existence d’un motif légitime à ce refus permet de considérer que
la situation de l’agent est assimilable à
une perte involontaire d’emploi 4 (par
exemple, obtention d’un emploi sur la
base d’un CDI).
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Les pertes involontaires
d’emploi ouvrant droit
au bénéfice de l’allocation
chômage
ertains cas de « perte involontaire
d’emploi » sont communs à tous les
agents publics, et d’autres spécifiques
à chacune de ces deux catégories.
C
Les pertes involontaires
d’emploi « communes »
Le licenciement
Le licenciement d’un agent public
pour insuffisance professionnelle
entraîne toujours le versement de l’al-
n° 227770 du 29 janvier 2003
CHU de Montpellier.
4. Pour exemple : CE 2003 soussections 1 et 2 réunies, N° 229251:
« Le motif pouvant être lié notamment à des considérations d’ordre
personnel ou au fait que le contrat
a été modifié de façon substantielle
sans justification de l’employeur » :
location chômage, et ce droit bénéficie aussi aux stagiaires non titularisés
pour le même motif.
Prononcé dans le cadre d’une sanction disciplinaire, le licenciement d’un
agent public peut entraîner le bénéfice du revenu de remplacement. Le
licenciement issu d’une sanction disciplinaire n’évince pas toute forme d’indemnisation. Le bénéfice du revenu
de remplacement tient uniquement
à la nature du motif disciplinaire.
il s’agit d’un agent de service dans
un centre communal d’action
sociale engagé en premier contrat
emploi solidarité, puis selon des
contrats ultérieurs de travail à durée
déterminée d’une durée d’un an
chacun. Son employeur lui fait une
proposition de renouvellement de
son contrat de travail pour une
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durée de trois mois seulement. Le
juge retient que l’agent justifie d’un
motif légitime de refus, se fondant
sur les critères de l’ancienneté dans
l’organisme qui l’emploie et l’absence de justification de l’employeur sur la réduction de la durée
de son contrat de travail de douze
mois à trois mois.
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Droit et
jurisprudence
L’agent non titulaire
International
Le cas particulier de l’exclusion temporaire des fonctions aurait pu induire
certaines difficultés d’interprétation.
Sanction disciplinaire au sens du titre 1
du statut général de la fonction
publique, l’exclusion temporaire des
fonctions emporte pour le fonctionnaire
qui en fait l’objet la privation de la possibilité d’exercer son emploi pendant une
certaine durée. A priori il s’agirait d’un
cas de perte d’emploi involontaire
pouvant être indemnisé. Cependant,
Attractivité
professionnelle
Le fonctionnaire
Tribune libre
La retraite constitue le terme normal
de la carrière d’un agent public. Elle
suppose une demande de l’agent et
une durée minimale d’activité ;
sachant qu’elle est automatique audelà d’une limite d’âge préétablie. Il
existe également cinq cas de mise à
la retraite sans le consentement, voire
contre le gré de l’agent public : la mise
à la retraite d’office pour limite d’âge,
à titre disciplinaire, pour insuffisance
professionnelle, pour suppression
d’emploi ou pour invalidité.
Quel que soit le motif de cette mise
à la retraite, celle-ci empor te les
mêmes conséquences en termes de
droits et d’obligations qu’une retraite
accordée sur demande de l’intéressé,
sauf dans le dernier cas : la mise à
Les pertes d’emploi
volontaires propres
à chaque catégorie d’agents
cette sanction n’entraîne finalement
pour l’agent que la privation de la rémunération attachée à son emploi, mais
ne le prive pas de cet emploi de
manière définitive, puisqu’il a un droit
à réintégration au terme de la période
d’exclusion. Elle ne saurait donc emporter le bénéfice de l’allocation chômage. 3
Réflexions
hospitalières
La mise à la retraite
la retraite d’office pour invalidité peut
être accompagnée du versement de
l’allocation chômage au fonctionnaire.
Offres
d’emploi
Cette situation renvoie à celle d’un agent
qui, sans exprimer son désir de cesser
définitivement ses fonctions, place l’administration devant le constat qu’il ne
les exerce plus, de manière durable,
sans justification ni explication. Une
circulaire 2 précise que l’abandon de
poste « autorise l’administration à
prononcer en dehors de la procédure
disciplinaire l’exclusion du service par
voie de radiation des cadres ».
L’administration qui constate l’absence
irrégulière met en demeure l’agent de
reprendre ses fonctions dans un certain
délai et l’informe des conséquences de
son non-respect : la radiation pour abandon de poste. La volonté manifeste de
l’agent de rompre le lien avec l’administration ne saurait constituer une perte
involontaire d’emploi, excluant par là
même toute possibilité d’indemnisation.
Librairie
L’abandon de poste
Formation
des cadres
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Ainsi, la révocation, et la mise à la
retraite d’office ouvrent droit à indemnisation de la perte d’emploi, indépendamment des fautes ayant justifié
ces sanctions, même pénales.
Le licenciement pour inaptitude
physique est considéré comme une
perte involontaire d’emploi une fois
les droits à congé maladie et les
possibilités de reclassement épuisés.
Pour autant, le bénéfice de l’allocation chômage est aussi conditionné
par l’aptitude au travail. Un agent
déclaré totalement inapte au travail
ne peut bénéficier de l’indemnisation
de sa per te d’emploi involontaire.
Cependant dans cer tains cas, le
cumul entre la pension d’invalidité et
l’allocation chômage reste possible :
dans le cas d’une pension d’invalidité
de première catégorie (c’est-à-dire
si l’agent reste capable d’exercer une
activité rémunérée), les allocations
chômage sont versées mais minorent
>>
le montant de la pension ; dans le cas
d’une pension d’invalidité de
deuxième ou troisième catégorie
(c’est-à-dire si l’agent n’est pas capable d’exercer une quelconque profession), l’agent, s’il s’inscrit à Pôle
Emploi en tant que demandeur d’emploi, pourra bénéficier du cumul, tout
en sachant que le montant de la
pension d’invalidité sera alors minoré
du montant de l’allocation au retour
à l’emploi.
La démission pour motif légitime
L’ar ticle 4 du règlement général
annexé à la convention d’assurance
chômage en vigueur 5 a fait l’objet
d’un accord d’application 6 qui expose
les cas de démissions pouvant être
considérées comme légitimes, donnant
ainsi droit à indemnisation du risque
chômage de l’agent (cf. encadré).
Se pose alors la question épineuse de
l’articulation entre allocation chômage
et l’indemnité de départ volontaire.
Par principe, le cumul entre les deux
indemnités n’est pas possible, mais il
souffre de deux exceptions : d’une part
la démission de l’agent considérée
comme légitime, d’autre par t la
neutralisation du caractère volontaire
du départ.
En effet, la démission non légitime ne
fait pas définitivement obstacle à l’indemnisation 7 si elle est reconsidérée par la suite dans deux types de
situation :
• un réexamen est possible lorsque
les efforts de reclassement sont
constatés par l’employeur public
après un délai de 121 jours. Ce
réexamen les fera bénéficier de l’allocation chômage à compter du
122 e jour, il est à l’appréciation
discrétionnaire de l’employeur
public ;
• l’agent a perdu involontairement le
nouvel emploi qu’il a occupé durant
Agents publics - Motifs de démission donnant droit à indemnisation
■ Pour suivre :
• soit son conjoint qui change de lieu de résidence pour exercer un nouvel emploi, ou qui est licencié
ou mis à la retraite alors qu’ils bénéficiaient d’un contrat dit de « couple indivisible » comprenant
une clause de résiliation automatique ;
• soit ses ascendants ou la personne qui exerce la puissance parentale (s’il est mineur) ;
• soit la personne avec qui il s’est marié ou a conclu un PACS dans les deux mois précédant
sa démission.
■ Pour exercer un nouvel emploi ou pour suivre une action de formation, après un contrat
emploi-solidarité ou un contrat d’insertion par l’activité, un contrat emploi jeunes.
■ Pour exercer un emploi sous CDD d’au moins 6 mois, sous CDI, ou pour suivre une action
de formation qualifiante, après un CDD initiative-emploi (CIE), un contrat d’accompagnement
dans l’emploi (CAE), un contrat d’avenir (CA), un contrat insertion-revenu minimum d’activité (CIRMA)
ou un contrat unique d’insertion.
■ Pour cause de non-paiement des salaires pour des périodes de travail effectuées,
ces arriérés étant constatés par une ordonnance de référé lui allouant une provision des sommes dues.
■ Lorsqu’il déclare avoir été victime d’un acte délictueux durant l’exécution de son contrat de travail,
ou de violences conjugales (l’obligeant à changer de lieu de résidence) pour lesquels il justifie avoir
déposé plainte devant le procureur de la République.
■ Pour conclure un ou plusieurs contrats de volontariat de solidarité internationale ou un contrat
de volontariat associatif d’une durée continue minimale d’un an ou pour créer ou reprendre
une entreprise dont l’activité a donné lieu aux formalités de publicité requises par la loi,
mais a cessé pour des raisons indépendantes de sa volonté.
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Attractivité
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Droit et
jurisprudence
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International
L’arrivée du terme de son contrat à
durée déterminée ouvre droit de façon
assez logique au bénéfice des allocations chômage (cf. infra).
Le licenciement : qu’il ait eu lieu dans
l’intérêt du service, ou suite à la perte
des conditions de nomination entraînant la radiation de l’agent, il est
aussi considéré comme une per te
involontaire d’emploi ouvrant droit à
indemnisation.
La non-réintégration à l’issue d’un
congé pour convenance personnelle
ou de mobilité : ces deux types de
congés emportent un droit à réemploi
dans son emploi précédent dans la
mesure permise par le service, et au
moins une priorité pour être réemployé
dans un emploi ou une occupation
similaire. Cette priorité n’exclut pas la
possibilité pour l’agent de s’inscrire sur
les listes de demandeurs d’emploi,
et de bénéficier des allocations pour
perte d’emploi.
■
Tribune libre
Lorsqu’elle constate qu’un de ses
agents a fait l’objet d’une condamnation pénale emportant privation de
ses droits civiques, l’administration a
obligation de procéder à sa radiation d’office des cadres ; elle n’empêche cependant pas l’agent concerné
de prétendre au revenu de remplacement 8.
Certaines hypothèses liées notamment
aux changements de position du fonctionnaire doivent faire l’objet de précisions.
D’après la jurisprudence administrative, lorsqu’il paraît impossible pour
l’administration de procéder à la réintégration du fonctionnaire au cours
ou au terme d’une disponibilité, il
bénéficie du droit à l’allocation
chômage si :
• la mise en disponibilité lui a été
imposée,
• sa réintégration à l’issue ou au cours
de cette période n’est pas possible
faute de poste vacant,
• sa disponibilité intervient à l’issue
d’une période de disponibilité expirée, un détachement ou une période
de mise hors cadre.
Le juge considère en effet que lors ou
au terme d’une période de disponibilité,
bien que les liens statutaires unissant
le fonctionnaire à son employeur public
ne soient pas rompus, l’absence de
rémunération, qui est une des caractéristiques de la disponibilité, est assimilable à une perte d’emploi, de surcroît
involontaire et donc indemnisable.
Si le fonctionnaire qui a été mis en
disponibilité dans son administration
d’origine, a été recruté en tant
L’agent non titulaire
Réflexions
hospitalières
Le fonctionnaire
taire d’emploi de la part du dernier
établissement qui les employait 9.
Enfin, le licenciement du fonctionnaire
qui a refusé trois propositions d’emplois lors de sa prise en charge à la
suite de la suppression de son emploi
ou après une période de disponibilité bénéficie du versement de l’indemnisation chômage.
Offres
d’emploi
Les pertes involontaires
d’emploi propres à chaque
catégorie d’agents
qu’agent non titulaire par un autre
employeur public, ou comme salarié
par un employeur privé, mais a perdu
cet emploi, il peut bénéficier de l’allocation chômage s’il ne peut réintégrer son administration d’origine.
Aussi, puisque le changement de position statutaire sans réintégration d’un
fonctionnaire peut entraîner sa mise
en disponibilité, la possibilité pour lui
de bénéficier de l’allocation chômage
suivra la même logique :
• à l’expiration d’une période de
détachement, la réintégration du
fonctionnaire n’est pas possible du
fait de l’absence de poste vacant, il
sera placé en disponibilité d’office.
Il bénéficiera alors des allocations
de remplacement. C’est d’ailleurs
l’administration d’origine qui refuse
la réintégration qui a la charge de
l’indemnisation chômage ;
• à l’expiration d’une période de mise
hors cadre, le fonctionnaire qui n’a
pas pu être réintégré dans l’hypothèse où il est mis fin à cette
période - devenue rarissime - avant
le terme fixé est placé en disponibilité d’office et bénéficie de l’allocation chômage ;
• à l’expiration d’une période de
recherche d’affectation, les directeurs placés en disponibilités d’office doivent également recevoir une
indemnisation pour perte involon-
Librairie
au moins 91 jours ou 455 heures,
juste après sa démission non légitime.
Il a ainsi droit à l’allocation chômage
car le caractère illégitime de sa démission est neutralisé.
Formation
des cadres
Actualités
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5. La convention en vigueur
date du 19 février 2009. Les
partenaires sociaux ont conclu
une nouvelle négociation le
vendredi 25 mars 2011 sur le
dispositif d’assurance chômage.
L’accord a été signé par le
MEDEF, la CGPME et l’UPA
côté employeurs, et par la
CFDT, la CFE-CGC, la CFTC
et la CGT-FO côté salariés. Cet
accord doit à présent être
traduit dans une convention
qui, au 1er juin 2011, prendra
la suite de celle du 19 février
2009. La majorité des règles
d’indemnisation issues de la
convention du 19 février 2009
est maintenue.
6. Accord d’application
n° 14 du 19 février 2009
pris pour l’application des
articles 2, 4 e) et 9 § 2 b)
du règlement.
7. Ces deux hypothèses de
« régularisation » des départs
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volontaires s’appliquent aussi
bien à la démission qu’à
l’abandon de poste.
8. Pour exemple : CE 21 juin
2006 req. n°269880,
Commune de la Faute-sur-Mer.
9. La proposition de loi
Fourcade du 24 mai 2011
prévoit que le CNG versera
ces allocations chômages aux
lieu et place de leur dernier
employeur (art. 9 bis B, texte
adopté n° 665).
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