A l`aéroport de Fréjorgues ou l`attente des femmes

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A l`aéroport de Fréjorgues ou l`attente des femmes
A l’aéroport de Fréjorgues ou l’attente des femmes
Toujours un avion en tête ?, Charles Denner.
En 1976, la caravelle Montpellier-Paris mettait exactement quarante minutes. De
l’aéroport inauguré en 1946 et qui s’appelait encore Montpellier Fréjorgues, nom du lieu-dit où
il fut construit, des avions de feu la compagnie Air Inter s’envolaient quotidiennement pour Paris,
Nice, Clermont-Ferrand et Mende ! Chose incroyable à la vue du film de François Truffaut, on
pouvait déposer sa maitresse en voiture, directement sur le tarmac au pied de son avion pour un
embarquement presque immédiat…
Si aujourd’hui seuls quelques « hommes pressés », toujours habillés d’un costume gris et muni
d’une mallette du même ton, pensent encore que l’avion serait le moyen le plus commode pour se
rendre de Montpellier à Paris, ce mode de locomotion est parfaitement admis et donné comme
naturel dans L’Homme qui aimait les femmes.
Très tôt dans l’écriture du scenario, François Truffaut réclame ainsi à son collaborateur
Michel Fermaud, une scène qui se déroulerait dans un aéroport : « Le cavaleur pense que les plus
belles femmes se rencontrent dans les aéroports (voir si on trouve une histoire d’hôtesse de
l’air). » écrit-t-il, peut-être en souvenir de Françoise Dorléac dans La Peau douce.
N’est-ce pas finalement la fonction symbolique dévolue à cet Institut de mécaniques des fluides
dans lequel travaille l’ingénieur(x) Morane (en réalité situé à Lille !) ? Par deux fois, on le voit faire
tournoyer avec une extrême attention, des maquettes d’avion, tenues en l’air par une soufflerie,
sous le regard discrètement interrogatif de sa collègue Denise, « la femme en bleue ». Inoubliable
Martine Chassaing, qui prête son beau visage à cette « hôtesse de l’air » qui n’a de cesse de
regarder Morane sans être jamais vue de lui…
A l’origine, Truffaut prévoyait une séquence aérienne où Charles Denner, sous l’effet
hallucinatoire d’un médicament, voyait chaque homme remplacé par une femme. Le tournage
dans un avion se révélant trop compliqué, plutôt que de sacrifier cette scène, elle fut déplacée
dans le hall d’attente de l’aérogare, sans même recourir à l’alibi du tranquillisant, « ce qui donne
une plus grande force aux fantasmes du personnage »1.
« En regardant autour de lui, Morane s’aperçoit avec désespoir que tous les autres
voyageurs sont des hommes : au moins une cinquantaine d’hommes en costume sombre,
ridiculement sérieux avec leur attaché-case et leurs journaux. C’est plus que Bertrand ne
peut supporter ! Il ferme les yeux pour ne plus les voir et imagine, pour son plaisir, ce que
serait ce même endroit s’il était rempli de voyageuses : rien que des femmes en robes
claires, bas fins et chaussures à talons hauts. »2
Mais ne nous y trompons pas, « l’homme qui aimait les femmes », s’il prend l’avion n’a rien de
commun avec l’homme pressé du film éponyme incarné par la star Alain Delon la même année. Loin
de l’image avantageuse et caricaturale du tombeur de ces dames, Morane a tout du rêveur
enfiévré, du somnambule pour qui l’aéroport et les transports aériens servent d’antichambres au
septième ciel.
1
2
Carole Le Berre, François Truffaut au travail, Edition Cahier du cinéma, Paris, 2004, p.226.
François Truffaut, L’Homme qui aimait les femmes, Cinéroman, Flammarion, 1977, p.97-98.

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