Comment réussir à aborder avec lui le sujet de sa consommation

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Comment réussir à aborder avec lui le sujet de sa consommation
FICHU DENI
Tout d’abord, en tant que conjointe, je peux dire que le déni chez le malade
alcoolique est quelque chose de vraiment déroutant pour nous.
Prenons un premier cas de figure ; Il dit : «Tout va bien. Je suis en forme. » En
fait, pour lui, ce sont « les autres » qui le disent malade alcoolique et veulent le
faire changer. Ainsi, il peut même se présenter chez le médecin, en déclarant
que ce sont « les autres » qui l’envoient, mais lui ne se sent pas malade… Et si
le bilan de l’examen révèle une alcoolisation excessive, il peut minimiser : « Je
bois ni plus ni moins qu’un autre ; je bois comme les copains. » Par contre, le
médecin peut être pris entre deux feux, car l’entourage lui, ne dit pas la même
chose : « Ne le croyez pas ; il ne vous dit pas tout ! »
Le déni est, pour le malade, le refus de reconnaître son alcoolisation. Pour
l’entourage, on pourra parler de mauvaise foi ; il ne se rend pas compte de
l’importance de sa consommation, il ne veut pas l’admettre… Lui dire qu’il doit
arrêter de boire ?... Il ne voit pas pourquoi il arrêterait complètement ; il
pourra promettre de corriger, de contrôler à l’avenir, mais ne pourra pas
concevoir sa vie sans alcool. Et le déni s’installe : « J’arrête quand je veux »,
pourra-t-il également dire. Et même quand tout va mal (il peut y avoir menace
de divorce, de licenciement…), il dit encore qu’il n’a pas de problème. Il ne
mesure pas la gravité de la situation.
Le décalage entre ce qu’on observe nous et ce qu’il déclare lui, ou plutôt ce
qu’il nie, est tellement flagrant, tellement énorme ! Il arrange tellement la
réalité, transforme tellement tout à son avantage, que cela devient
inacceptable, intolérable pour l’entourage.
Comment réussir à aborder avec lui le sujet de sa consommation
sans que cela déclenche les « foudres du ciel » ?... De quel droit puisje en juger d’ailleurs ?... Après tout, il est libre… De quoi je me mêle ?
De quoi je me mêle ?... C’est que son alcoolisme gêne son entourage,
perturbe sa famille, cause de gros problèmes…Et pendant que l’on se
pose plein de questions, la maladie gagne du terrain. Et nous, on
voudrait bien lui faire « cracher le morceau », comme on dit… Et en plus, il le
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sent ; il est sur la défensive ; et le fossé se creuse ! Il ne s’agit pas bien sûr
de « faire avouer » : Le terme serait mal choisi, plaçant l’autre en situation de
fautif, ce qu’il n’est pas puisqu’il est malade. C’est plutôt une prise de
conscience que l’on recherche, que l’on attend. On réfléchit à une issue.
La prise de conscience, c’est la première étape pour sortir de la dépendance.
Généralement, cela arrive quand les conséquences négatives prennent le pas
sur le positif, quand la souffrance devient insupportable et qu’on se dit: Il faut
faire quelque chose. Certains pensent qu’il est nécessaire de toucher le fond
pour trouver la motivation.
En effet, la situation est bloquée. Et pourquoi ce déni ?... Un sentiment de
honte ? De culpabilité ?... On note dans une étude que, si le malade nie, c’est la
preuve qu’il lutte pour manifester sa capacité à être autonome ; c’est-à-dire
qu’il pense être « indépendant » et donc n’avoir aucunement besoin de l’aide
d’autrui. Il se protège (et ceci ne s’applique pas qu’à l’alcool). En fait, le déni
relève d’un mécanisme inconscient permettant de rejeter la réalité
insoutenable pour le malade. Ce déni lui permet de se prouver qu’il n’est pas
un alcoolique.
Alors, comment sortir de là ?
Il faut savoir que le malade alcoolique n’est pas un menteur. Le déni est un
mécanisme de défense : Le malade ne nie pas tout. Nous devons prendre en
compte ce qu’il est capable de reconnaître : Il a de grandes difficultés à
s’exprimer. Il s’exprime plutôt sur ce qu’il ne boit pas. Il dira par
exemple: « Jamais d’alcools forts, » ou « Jamais le matin », ou encore « Jamais
pendant le travail. » Il dira aussi : «J’ai réussi à m’arrêter plusieurs fois. »
Traduction : « J’ai rechuté plusieurs fois. » Ou alors, il parlera au passé
ou au futur, évitant de parler du présent, trop dérangeant, trop
douloureux pour lui. Enfin, il parle des autres pour exprimer ce qu’il
n’arrive pas à exprimer lui. Par exemple : « Selon ma femme, je
bois ;» (C’est elle qui le dit). Il peut aussi demander à se faire
accompagner pour que l’autre parle à sa place. On dit que cette
difficulté du malade à s’exprimer est une pudeur de sa part, car il ne
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peut qu’obéir à son besoin d’alcool, et se défend à tout prix. Lui demander
combien il boit le blesse. Il n’admet pas cette question.
Que dire du déni et de la rechute ?
Dans ce cas de figure, le malade a du mal à distinguer ce qui ressort de sa
propre volonté et ce qui ressort de la maladie. Il croit encore pouvoir gérer. Or,
après une plus ou moins courte période d’abstinence, c’est la rechute.
La rechute lui permet de prendre conscience de ce qu’il peut et de ce qu’il ne
peut pas. Il se rend compte de sa perte de liberté .En effet, il n’est plus libre vis
à vis de l’alcool ; il en est dépendant ; c’est l’alcool qui le tient.
Cette reconnaissance est un premier pas vers le changement.
Il est peut-être nécessaire de le rappeler : Le déni est souvent assimilé à un
manque de volonté, alors qu’il fait partie en fait, du processus de la maladie.
Certains malades n’arrêteront peut-être jamais de boire ; mais ne doit-on pas
admettre que le malade garde sa liberté ?... ou tout au moins une liberté :
celle de jouer avec sa vie, en fait.
Son discours sera : « Si vous n’acceptez pas ce que je suis, comment puis-je
écouter ce que vous me proposez ? Car vous ne me comprenez pas ». Nous ne
devons pas oublier que l’alcool est souvent utilisé comme traitement du malêtre… (Même si c’est un leurre).
Alors, comment considérer le malade qui se réfugie dans le déni ? Il n’est pas
prêt à se soigner ?... Que peut-on faire ?... Il n’a pas toute sa compréhension
car l’alcool a déjà fait trop de dégâts ?...Que peut-on faire ?
Il vient malgré tout au rendez-vous ? C’est qu’il a plus ou moins
conscience de son problème… c’est que tout en restant dans le déni,
il demande néanmoins de l’aide… Il est complexe, notre malade !
Pourquoi cette prise de conscience peut-elle demander autant de
temps ?... Certains reconnaissent plus ou moins, disent qu’ils veulent
s’en sortir, et pourtant persistent à vouloir continuer à « gérer » tant
bien que mal…
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Dans un article que j’ai lu, un malade maintenant sorti de l’alcool, se livrait à
cette confidence : « Je venais aux réunions ; j’y allais peut-être trop souvent
pour faire plaisir à mon entourage. J’entendais pourtant les témoignages, les
conseils des amis qui avaient réussi à vaincre leur alcool, mais… peut-être ne le
prenais-je pas pour moi ; je ne sais pas l’expliquer… Je ne réagissais pas. » Cela
me fait penser à une phrase de Mr Lorentz : « Il ne sert à rien de vouloir
cueillir des fruits qui ne sont pas encore mûrs ».
Enfin, il faut attendre. Personne n’est réceptif de la même façon ; et de toute
manière, c’est le malade qui a la clé.
Tant que l’on reste dans le déni, il y aura toujours des hauts et des bas. Ce
qu’il faut, c’est dédramatiser la rechute, qui n’est qu’un épisode de la maladie.
Elle place le malade face à sa dépendance ; elle l’aide à réaliser la nécessité
absolue de ne « jamais plus » reprendre de l’alcool. Donc, éviter de considérer
la rechute comme un échec. En parler, si cela arrive, le plus rapidement
possible, Est indispensable. C’est à ce prix, qu’elle ne sera pas un échec. Elle
peut, au contraire, devenir bénéfique finalement ; car si au lieu de dramatiser,
on recherche ce qui s’est passé, cela fera partie de l’histoire de la personne.
Alcoolisme caché et solitude.
Les réserves cachées, c’est la préoccupation de chaque instant : Toujours la
peur de manquer ; c’est pour lui un réflexe de survie. Il cache ce qu’il ne peut
pas montrer, ce qu’il ne peut pas dire. Par conséquent, il s’enferme dans la
solitude et le secret. Se reconnaître alcoolique mènerait notre malade à croire
personnellement et à avouer aux autres ce que lui- même pense des
alcooliques (comme pas mal de gens d’ailleurs) : Ce sont des êtres plutôt
méprisables. En lui demandant de reconnaître son alcoolisme, c’est comme si
on lui demandait de s’avouer en dessous de tout ! (Mais, on le sait
bien, nous, c’est l’alcool qui transforme la personne. Elle, ne le sait
pas !)
Il faudrait, bien sûr, se confier à quelqu’un : un médecin, un ami ?...
A un membre de la famille, c’est plus difficile ; et plus cela devient
nécessaire, plus c’est impossible. Tout ce qui lui reste pour justifier
son geste, ce sont des prétextes : Il dira qu’il va faire son tiercé, ou
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une partie de boules ou de cartes… Il trouvera toujours des raisons… Ou alors, il
ira voir un voisin (qui bien sûr a une cave), ou bien au café du coin… De toute
façon, il recherchera des lieux où l’on prend de l’alcool de manière excessive :
Les malades alcooliques vont vers d’autres alcooliques. On dit que c’est pour
rechercher une protection contre la dépression que provoque toujours
l’isolement.
Parlons-en justement, de cette dépression : Cet état survient quand le besoin
est permanent, et que secret et solitude finissent par s’imposer, entraînant une
culpabilité. Ce qui, naturellement, perturbe la relation avec les autres, en
même temps que l’évidence d’une surconsommation ne trompe personne.
Et pourtant, le malade nie encore et toujours ! Dans le couple s’installent
méfiance et rancune réciproques ; ce qui ferme toute communication. Le
malade ne veut absolument pas parler d’alcool.( Le mien de malade, me disait,
si je lui parlais le matin, que ça lui gâchait sa journée, et le soir, que j’allais lui
fiche en l’air sa nuit !)
Ne faudrait-il pas pourtant arriver à mettre des mots, plutôt qu’en arriver à
utiliser des antidépresseurs ?... Comme c’est important, la parole !
Comportement malade-entourage.
Au fur et à mesure, donc, le malade prend l’habitude d’éluder le sujet, car cela
entraîne trop de problèmes non résolus pour lui ; et donc il en résulte une prise
d’alcool pour essayer d’y faire face ! Le comportement de notre malade se
traduira par une exagération des troubles du caractère, un désintéressement
de ce qui l’entoure, une désocialisation, qui peut conduire justement à une
dépression nerveuse. Celle-ci arrive quand la solitude est de plus en plus
complète, alors que le malade lutte contre la reconnaissance par lui-même de
son alcoolisme. Il peut même s’arrêter de boire pendant un certain temps ;
et, comme il se sera prouvé à lui-même qu’il était capable de
s’arrêter, reboira ensuite avec moins de culpabilité, mais il reboira
quand-même !
Et ceci durera, selon le rapport d’un médecin, tant qu’il n’y aura pas
de dépendance physique.
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Mais quand l’alcoolisme devient trop évident, qu’il pose trop de problèmes, là
commencera la lutte avec l’entourage. Notre malade se sent poursuivi,
persécuté. L’entourage, lui, se sent trompé par un malade qui se dérobe tout le
temps, fait des promesses qu’il ne tient pas, à cause de son manque. La famille
a pourtant de bonnes intentions, mais, par méconnaissance de la maladie, elle
pourra continuer à persécuter le malade, ignorant qu’elle a en face d’elle un
drogué. Et cela ne fait que détériorer davantage les relations, aggraver le
problème, allant jusqu’à séparations, divorces, etc… sans compter les
problèmes sociaux que cette situation peut entraîner… dans le monde du
travail notamment.
La société, qui considère pourtant comme bien vivre le fait de boire, rejette en
bloc l’alcoolique. Dans son travail, on va peut-être tolérer de la part de notre
malade des fautes professionnelles, mais jusqu’à un certain point : Quand les
absences injustifiées, les erreurs et peut-être des accidents du travail se
répètent, un beau jour la limite risque d’être franchie ; ce qui peut conduire à
un déclassement ou un licenciement. Et bien entendu, notre malade le vivra
comme une injustice, une persécution.
Se retrouvant au chômage, il aura encore plus de difficultés à gérer ses
problèmes et surtout son temps !
Toucher le fond.
Avec toutes ces pertes successives dues à sa dépendance, il faudra bien qu’un
jour, il prenne conscience que cette vie-là n’est plus possible.
L’autre jour, dans un journal, je lisais le témoignage de malades :
« Moi, c’est quand j’ai vomi du sang que je me suis fait peur : ça a été mon
déclic ; j’ai décidé d’arrêter ».
L’autre, une femme, divorce douloureux, ses enfants s’étant
détournés d’elle, disait : « J’en ai eu marre d’avoir marre ; je n’avais
plus le goût de vivre. IL fallait que j’arrête ».
Un autre disait encore : « Je me mentais à moi-même ; il me semble
que cela est pire que de tricher avec les autres. Je crois que tout
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simplement, c’est l’envie de donner une autre image de moi à ceux que j’aime
qui a été la plus forte, plus forte que la fuite ; c’est si pratique de fuir, pour ne
jamais se regarder tel qu’on est devenu ! »
Cette prise de conscience est appelée par certains « toucher le fond » On en
arrive au moment où, comme je l’ai évoqué au début, on se rend compte que
les bénéfices apportés par la prise d’alcool ne sont pas si grands, tout compte
fait, par rapport à la somme de tout ce qu’on perd. Il arrive un moment où la
douleur émotionnelle devient plus forte que l’effet du produit consommé.
Après la prise de conscience, vient le moment des prises de décisions.
Un certain nombre de malades auront du mal à s’en sortir, ou,
malheureusement n’entreverront aucune issue… La plupart, heureusement,
arrivés à ce stade, vont rechercher, ou tout au moins accepter qu’on les mette
en relation avec des personnes susceptibles de les aider. C’est le moment de la
rencontre avec une association de malades et anciens malades, avec l’aide de
médecins et des centres spécialisés pour le traitement de la maladie…. Avec un
seul moyen, un seul but pour s’en sortir : Abstinence totale.
« Le patient doit se reconnaître comme alcoolique, toujours et toujours », dit
une étude. On doit quand-même faire remarquer qu’en arrêtant la drogue, un
toxicomane revient dans la norme, alors que le malade alcoolique, lui, entre
dans une certaine marginalité et devra s’affirmer… C’est la société qui est faite
ainsi : Culturellement, il va de soi de consommer, mais celui qui refuse le verre
proposé refuse en quelque sorte un geste d’accueil, et doit s’en expliquer. C’est
donc là qu’il faut savoir s’affirmer abstinent.
ET si l’on parlait enfin de notre attitude à nous, entourage ?...
Il n‘est pas facile d’accompagner un malade, d’avoir le bon
comportement. L’entourage peut aussi avoir une attitude de déni : Se
cacher à soi-même, se mentir à soi-même, le cacher aux autres ; il ne
faut pas que ça se sache… et pourquoi ?... Quand on a une maladie,
on la cache ? Mais alors, c’est une maladie honteuse ?... Non ; Ne pas
vouloir que ça se sache, ne nous leurrons pas : ça se sait ; ça se voit.
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Et c’est comme si l’on encourageait le malade à continuer ; c’est cautionner en
quelque sorte sa prise d’alcool.
Evidemment, nous devons respecter les personnes et leurs choix ; mais quand
tout le monde va si mal, il faut bien tenter quelque chose, réagir et agir !
Personnellement, je me dis qu’on est sur terre pour peu de temps, et on a tous
droit au bonheur. Alors, autant se battre pour le défendre, ce bonheur… A
chacun d’en faire ce qu’il veut. Chacun son parcours ; mais l’important, je
pense, reste l’écoute entre nous, l’échange de points de vue en s’abstenant de
tout jugement. Se sentir écouté est super important. Libérer la parole dans un
climat d’amitié. Tout faire pour en sortir de ce fichu déni, afin de passer à
l’étape suivante : le déclic.
Pour terminer sur une note légère, je citerai cette réflexion d’une
psychologue : « Le déclic, c’est un peu comme une fleur en bouton. Tout est
mûr à l’intérieur, et il manque juste un élément pour que la fleur s’ouvre. »
… S’il suffisait d’un peu de poésie ?...
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