Les touristes et la tradition chez les Dogon

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Les touristes et la tradition chez les Dogon
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Ethnotourisme
Les touristes et la tradition chez les Dogon
Anne Doquet, ethnologue, analyse en détail le rapport touristes/visités chez
les Dogon (Mali), qui, malgré un flux important de touristes,
continuent de vivre leur vie traditionnelle normalement
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©Patrick Kersalé
algré l’impossibilité de déterminer une attente
générale dont tous les touristes participeraient,
il est important de comprendre ce qu’ils cherchent
réellement en venant chez les Dogon. La publicité
permet déjà d’entrevoir de quelle manière
l’Occident présente ces derniers. Les produits des
différentes agences, tentant de se distinguer les unes
des autres en offrant un mode de voyage original,
n’en sont pas moins ressemblants : chacune insiste
sur la spécificité de cette culture, qui se voit dotée
d’attributs susceptibles de répondre aux désirs de
Village Dogon aux pieds de la falaise de Bandiagara
ses clients potentiels. Le nombre croissant de visiteurs, en particulier sous forme de groupes organisés, confirme la justesse de l’analyse préalable.
L’image proposée semble directement inspirée de
celle qui émane des travaux ethnologiques. La brochure d’Africatours est à cet égard caractéristique :
“Lorsqu’on vient de Mopti, l’accès en Pays Dogon
évoque l’entrée d’un temple. […] Le Pays Dogon est
un univers où l’on ne peut pénétrer que si on accepte l’étrangeté radicale d’une culture dont les valeurs
reposent sur une philosophie et une religion extrêmement complexes et riches”.
La filiation est manifeste. C’est la complexité et la
richesse religieuses et philosophiques du peuple qui
sont retenues. On retrouve, par conséquent, dans
l’argumentation publicitaire les notions que l’ethnologie avait précisément mises en valeur. Il ne serait
pas difficile de multiplier les exemples de publicités
touristiques qui récupèrent cette image. Même le
Guide du routard, dont le discours se veut plus franc
et moins stéréotypé que les guides habituels, garde le
même ton : “Une balade à ne manquer sous aucun
prétexte. Presque totalement isolés du monde, les
Dogons ont conservé la plupart de leurs coutumes.
Leur cosmogonie est l’une des plus riches et des plus
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élaborées d’Afrique Noire”.
Ici intervient un caractère essentiel de la culture
dogon : son isolement. Qui dit isolement sous-entend
absence de contacts culturels et donc préservation
des moeurs ancestrales. Ainsi, la brochure Jeunes
sans frontières souligne le caractère enclavé de la
région : “La boucle du Niger apparaît comme l’un
des rares coins d’Afrique occidentale miraculeusement protégés”.
Les Dogon sont, par conséquent, considérés comme
coupés du monde et de la modernité. Partant de la
remarque de R. Barthes qui dit que “Pour le Guide
Bleu, les hommes se réduisent à une typologie”,
Suzanne Lallemand considère dans un article sur
l’image de l’Afrique à travers la publicité qu’elle
peut s’appliquer au cas africain : “Ainsi les tribus
sont-elles toujours farouches […]. Au Botzana, les
nomades Damara ne peuvent être que fiers, et les
chasseurs Bochimen, inévitablement primitifs”
(1978, 101).
A cette liste, l’auteur aurait pu ajouter l’exemple des
Dogon, qui sont incontestablement “traditionnels”.
La photographie constitue un appât facile pour les
promoteurs qui sont sûrs de séduire en présentant
l’image d’un village accroché à la falaise. Confirmé
par l’image, l’isolement géographique des Dogon
touche la corde sensible des amateurs d’exotisme.
Dans un esprit factice d’aventure et de découverte,
les touristes veulent être les témoins d’un mode de
vie ancestral et, par le biais de la photographie ou de
l’achat d’objets, en ramener la preuve. Ainsi prévenus par les agences et les guides touristiques de ce
qu’ils vont trouver sur place (un territoire préservé,
un mode de vie ancestral, des coutumes intactes), ils
seront souvent moins intéressés par les contacts
humains que par la chasse aux images typiques.
L’extrait d’un ouvrage consacré au tourisme en
Afrique de l’Ouest résume bien leur état d’esprit :
“L’intérêt culturel réel que portent certains touristes
à l’Afrique, à l’Amérique latine et à l’Océanie et le
dialogue réel qui peut s’ensuivre demeure, semble-til, exceptionnel. La plupart des touristes visionnent
des paysages, des objets célèbres, plutôt que de rentrer réellement en contact avec une culture vivante.
Ils vont moins vers des hommes et des pays que vers
les choses à voir, vers une image de ces populations
et de ces territoires” (Mbaye et Bugnicourt, 1982, 122).
Or, vers quelle image de la culture dogon les touristes vont-ils ? Ils cherchent la preuve de la pérennité des traditions et quelques traces de ces dernières
suffiront à les contenter. “Les touristes veulent toujours photographier les choses de l’animisme. Ils
veulent voir des fétiches et des fêtes animistes. Ils
aiment tout ce qui est vieux, pas ce qui est moderne”,
me dit K. Dolo, guide de Sangha. Sa description fut
illustrée le jour même par une femme européenne,
qui, se rafraîchissant au campement après une bala-
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de dans la falaise, se permit de conseiller les
quelques villageois qui se trouvaient près d’elle. Elle
déplorait, en effet, la présence d’une construction en
béton qu’elle avait aperçue dans le village et mettait
les autochtones en garde contre les effets néfastes de
la modernité...
Le plus grand souhait, inconscient peut-être, des touristes reste certainement que les Dogon ne puissent
jamais accéder à nos techniques. Ils viennent chercher une culture authentique qui ne manifesterait
aucune trace de contamination. La banalité des clichés photographiques est sur ce point éloquente : un
sanctuaire bínu, une maison de grande famille, un
autel fraîchement arrosé, des tables de divination,
des vieillards allongés sous le tógu nà et quelques
femmes aux seins nus pilant le mil… Les images
varient peu d’un individu à l’autre. Quel étranger
aurait l’idée de photographier l’église, la mosquée
ou l’école ? Il ne ramène en fait que les images qu’il
s’attendait à voir. “Ils n’aiment pas à déchiffrer mais
simplement à reconnaître. Ce n’est pas un pays
qu’ils visitent, mais un fantôme de pays”, précise J.
Bugnicourt (Mbaye et Bugnicourt, 1982, 122). Si
reconnaître est le but inconscient mais bien réel du
touriste, celui-ci n’aura pas de mal à retrouver les
illustrations les plus banales des articles sur la culture dogon. Les titres parlent d’eux-mêmes : “Dans le
secret des Dogon” (Grands reportages), “Le grand
mystère dogon” (Notre temps), etc. Ces pseudoreportages aux titres racoleurs, qui foisonnent dans
la presse courante, sont tous accompagnés des
mêmes photos. Mais cette présentation visuelle n’est
cependant pas la seule à orienter le choix des voyageurs. Un certain nombre d’entre eux, en effet, ont lu
Dieu d’eau et espèrent avant tout marcher sur les
traces du fameux ethnologue.[…] Un tel état d’esprit
émousse forcément la curiosité et limite l’intérêt des
étrangers pour la réalité. Dès lors, si l’objet de leur
quête réside davantage dans l’image de la culture
que dans la culture elle-même, il devient facile de les
satisfaire sans que la vie du village en soit perturbée.
Il suffit, en fait, de les piloter de façon astucieuse…
Un tourisme canalisé
Si la masse des visiteurs à Sangha est toujours grandissante, elle n’est en fait gérée que par un petit
nombre d’habitants qui consacrent toute leur énergie
à les occuper et les contenter. Dans le village même,
c’est le personnel des deux centres d’hébergement
qui prend en charge tout arrivant. Hors de ce cadre,
les enfants et les quelques commerçants (dont les
prétendus “antiquaires”) sont à peu près les seuls villageois à entrer en relation de façon permanente avec
les étrangers. Les autres n’ont avec eux que des
contacts sporadiques et vaquent à leurs occupations
quotidiennes sans paraître leur prêter aucune attention. Il faut dire que les touristes ne restent pas à
Sangha, qui n’est, pour la majorité d’entre eux, que
l’étape où ils trouvent tout le confort avant d’aller
visiter les quelques villages de la falaise. Après avoir
fait le tour des curiosités locales (l’autel de la place
du village, la maison du Hogon, le sanctuaire bínu, le
barrage et la tombe de Marcel Griaule), ils se réfugient en général au “campement” ou à l’“Hôtel
Femme dogon“ devant une boisson fraîche et à l’abri
du soleil. Rares sont ceux qui osent s’aventurer plus
loin. Car il est une règle d’or en pays dogon : on ne
se déplace pas sans son guide. Le touriste réticent se
voit réprimandé de façon si opiniâtre qu’il finit par
se résigner. Les discours en faveur de cette pratique
sont, par ailleurs, convaincants : tout d’abord, peu de
personnes parlent le français dans les villages et un
touriste ne pouvant communiquer avec les habitants
perdrait toute la richesse des explications du guide.
De plus, les villages dogon sont parsemés de lieux
sacrés et interdits. Y pénétrer, même involontairement, constituerait une véritable profanation offusquante tant pour les villageois que pour les ancêtres.
Seul un sacrifice très onéreux permettrait alors de
remédier à la situation. Aussi les visiteurs se plientils généralement sans trop de résistance à la règle.
Elle n’est d’ailleurs pas sans fondement, tant il est
vrai que certains lieux sacrés ne sont pas accessibles
à n’importe qui. Quoi qu’il en soit, cette stricte obligation d’être guidé présente pour les Dogon un intérêt non négligeable : le tourisme est canalisé de
façon spectaculaire. Appréhendant la transgression
des interdits, les étrangers ne s’aventurent jamais en
dehors des chemins indiqués. C’est pourquoi, si le
phénomène touristique est massif, il ne touche de
près qu’une faible proportion de la population : les
visiteurs, constamment pris en charge, emprunteront
toujours les mêmes chemins et rencontreront la plupart du temps les mêmes personnes. […]
Le touriste n’échappera que rarement au trajet strictement délimité qui a été prévu pour lui.
Ce parcours commence avec la visite des édifices les
plus pittoresques du village. Le caractère insolite des
constructions religieuses traditionnelles suffit à restituer au visiteur l’ambiance à laquelle il s’était préparé. Les peintures et les formes les plus étonnantes
des sanctuaires bínu le plongent d’emblée au cœur
de la tradition. Quelques ossements enrichis de
légende lui permettront d’imaginer la permanence
des croyances superstitieuses qui ont nourri l’image
de l’Afrique durant plusieurs siècles. Les nombreux
autels de terre en forme de cône, qui présentent souvent des traces récentes de sacrifice ou de libation,
authentifient ensuite la vie de cette tradition dont ils
sont la preuve matérielle. Ici, disent les jeunes guides
dont les discours regorgent de formules stéréotypées,
le village est “100% animiste”. L’insistance sur la
religiosité du peuple est un facteur de persuasion
essentiel puisque, dans l’esprit des touristes, religion
rime avec tradition. Conscient de cette assimilation,
le guide fera tout pour effacer les traces des cultes
importés.
Il évitera, bien entendu, le chemin qui mène à la
mosquée, en prétendant qu’on a effectué ici un grand
sacrifice qui interdit la fréquentation de ce chemin
pour plusieurs jours. Si un curieux s’aperçoit de son
existence ou de celle d’une église, une réponse toute
prête lui fera rapidement ravaler ses soupçons. Tels
furent les arguments du guide qui m’accompagnait
dans le village de Teli en 1990 : au cours de la grande sécheresse de 1973, les musulmans seraient arrivés dans le village avec des sacs remplis de mil et de
riz. Ils offraient aux villageois cette nourriture en
échange de la construction d’une mosquée. Menacés
par la disette, les villageois auraient accepté la proposition et auraient ensuite gardé ce bâtiment dans
lequel ils n’entrent jamais…
Ce type d’explication suffit, en général, à satisfaire
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le visiteur qui, de toute façon, sort très rarement des
sentiers battus puisque le guide peut à tout moment
prétendre que tel ou tel accès est interdit. Ainsi, lorsqu’il pressent le doute chez son client, il le ramène
aussitôt vers une nouvelle preuve de la vitalité de la
tradition. La “maison des femmes en règles”, à l’architecture souvent insolite, en constitue un exemple.
Ce petit édifice, dans lequel les femmes sont censées
s’enfermer durant leur période de menstruation, est
l’occasion d’illustrer la permanence des croyances
ancestrales. Sachant qu’il est impossible à un étranger de passage de mesurer le degré actuel d’adhésion
à une telle pratique, le guide la présentera comme
généralisée. Il mènera ainsi le touriste devant toutes
les bâtisses religieuses et tout au long de la visite, des
explications sommaires, bien entendu variables d’un
commentaire à l’autre, lui seront données sur l’organisation sociale et les croyances des Dogon. On lui
rappellera que la vie repose toujours sur les mêmes
principes ancestraux et que les Dogon refusent la
modernité.
Grenier à Barapiréli, pays Dogon
L’illusion d’un monde immuable
Il n’est pas difficile pour le guide d’illustrer son discours. Une fois qu’il a évité les quelques endroits du
village qui appellent trop fortement l’idée de changement culturel, telle la mosquée, il lui suffira de
commenter habilement les comportements quotidiens des villageois. Les propos tenus sur la case à
palabres, ou tógu nà, sont un exemple type. Cette
construction est généralement décrite dans les
ouvrages ethnologiques comme le lieu où les affaires
politiques et religieuses du village sont discutées par
les vieillards, qui règlent les plus importantes d’entre
elles. Mais étant donné que, durant toute la saison
sèche, ils passent la plus grande partie de leur journée sous la case à palabres, il semble peu probable
que les affaires primordiales du village constituent
leur unique sujet de discussion. La construction spécifique du tógu nà en fait, en réalité, un des endroits
les plus frais et, par conséquent, les plus agréables du
village à cette époque de l’année. Sous cet abri, ils
peuvent discuter des questions les plus sérieuses tout
autant que des histoires les plus futiles. Il est par
conséquent moins courant de surprendre les
vieillards en train de régler une affaire importante
que de les trouver au cœur d’une discussion banale.
Mais les guides de Sangha ne manqueront pas de
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mentionner devant les étrangers la gravité de la
conversation qui se déroule effectivement sous le
tógu nà.
De cette manière, ils peuvent donner l’illusion d’un
mode de vie ancestral sans avoir à mettre en place de
mise en scène particulière. Les acteurs de leur jeu
sont les villageois qui mènent leur vie habituelle. La
faible proportion d’objets manufacturés renforce
cette impression d’immuabilité. Les outils des cultivateurs en constituent un exemple et deviennent les
preuves concrètes de l’état primitif de la société. La
visite chez le forgeron, qui use d’un outillage rudimentaire, est l’exemple favori pour illustrer le mode
de vie ancestral. Après avoir laissé les touristes
contempler quelques instants les techniques de la
forge, le guide leur explique sommairement le rôle
religieux de l’artisan. Le touriste apprend que seul le
forgeron est habilité à sculpter les objets rituels,
telles les statues. Cette règle théorique n’est nullement appliquée dans la réalité où toute personne qui
fait preuve de talent peut l’exercer. Mais le touriste a
peut-être déjà lu que ce rôle était réservé au forgeron
qui, d’ailleurs, possède toujours quelques statuettes
auprès de lui. Bien entendu, la destinée de ces objets,
la plupart du temps mercantile dans les villages touristiques, n’est jamais précisée et le guide omet en
même temps de dire, même si c’est très souvent le
cas, que le forgeron n’est pas animiste mais musulman. Cet autre exemple nous montre comment, en
s’appuyant sur des faits concrets de la vie quotidienne, les guides peuvent facilement convaincre leurs
clients qu’ils ont véritablement sous les yeux la vie
traditionnelle que leurs lectures préalables leur
avaient permis d’imaginer.
Sachant qu’une forte proportion de touristes possède
une connaissance, même superficielle, des écrits de
Griaule, le guide tentera parfois de les illustrer. Par
exemple, la forme ovoïde du village, représentée par
un schéma dans Dieu d’eau, doit symboliser un corps
humain. Cette architecture idéale, qui ne peut se réaliser dans la pratique, sera simplement évoquée dans
les commentaires qui diront d’un autel qu’il est le
sexe ou le nombril du village. Quelques indices épars
donneront ainsi au visiteur, qui aura vu le barrage et
sera passé devant la maison d’Ogotemmêli, la sensation de marcher sur les traces de l’ethnologue.
Au cours de la visite, l’impression de tradition sacrée
se renforce peu à peu avant que le touriste parvienne
chez un pseudo-antiquaire qui tentera de lui vendre
quelque statue dite “authentique”. Les techniques de
vieillissement du bois et les revêtements rappelant
les croûtes sacrificielles trompent facilement un œil
amateur. En général, l’“antiquaire” sortira d’une
boite poussiéreuse un objet dit tellem, adjectif qui
confirme son ancienneté, pour lequel il propose une
somme considérable. Une fois les négociations achevées, l’Européen prend alors le chemin du retour
vers Sangha, satisfait de ramener un échantillon de la
tradition. Qu’a-t-il vu finalement sinon ce qu’il
venait chercher ? Ses espoirs ne sont généralement
pas déçus. Il a eu la preuve vivante d’une culture
ancestrale immuable…
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Une vie normale... malgré le tourisme
Le ton de cette description peut sembler caricatural,
mais le leurre est flagrant. Il faut dire que les séjours
touristiques en pays dogon sont toujours très brefs.
La plupart du temps, ils ne dépassent pas la journée.
Le parcours type s’effectue en quelques heures seulement. Il est construit de telle manière que le touriste ne rencontre que les personnes qui l’attendent et
qui savent ce qu’il vient chercher. Comme les heures
du guide sont comptées, son client est toujours tenté
de voir le maximum, même en très peu de temps.
L’orchestration est remarquable et quelques heures
ne suffisent souvent pas pour la détecter.[…] En fin
de compte, la brièveté des séjours touristiques, à
laquelle on pourrait ajouter leur coût fort élevé, limite les contacts de la population avec les étrangers et
n’implique, par conséquent, pas de comportements
spécifiques de la part des villageois. Si les touristes
désirent dormir dans la falaise, ils sont relégués au
bout du village, où personne ne passe pratiquement
mis à part les enfants amusés ou les personnes désirant vendre telle ou telle “antiquité”. Quelques rares
habitants, dont la rencontre est prévue dans le parcours des guides, sont par conséquent les garants de
l’image à présenter et eux seuls devront modifier
leur attitude en présence des étrangers. Citons le cas
extrême du village d’Enndé où, lorsque l’arrivée de
touristes est signalée, un vieillard grimpe dans une
bâtisse qui surplombe le village et se fait passer pour
l’un des derniers hogons de la falaise. Quelle rencontre plus “authentique” le visiteur pourrait-il faire
que celle d’un chef spirituel et religieux de l’ethnie ?
Cette mise en scène peut sembler grotesque, mais il
est impossible pour l’étranger néophyte de détecter
la supercherie.
Finalement, […]les villageois n’ont généralement
pas besoin de changer quoi que ce soit à leurs habitudes pour répondre aux attentes des visiteurs leurrés
par le discours astucieux de leur guide. Certes, la
population n’est pas sans réaction à leur égard.
Certains ont vite compris l’intérêt financier qu’ils
représentent et tentent par tous les moyens de leur
soutirer quelques pièces. D’autres sont parfois agacés de la présence trop répétée de regards curieux
dans les villages. Les femmes qui écrasent le mil,
suant sous le poids du pilon, supportent mal d’être
Note :
©Patrick Kersalé
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Le couple originel, sculpture dogon
constamment mitraillées par les appareils photographiques. Elles refusent parfois de laisser leurs jeunes
enfants se faire photographier, les touristes étant
généralement ravis de ramener chez eux un cliché de
petit Noir nu. Mais ces quelques réactions, qu’elles
soient guidées par l’intérêt ou l’agacement, n’empêchent pas les habitants de vivre leur vie normalement.
Anne Doquet
• Cet article d’Anne
Doquet est tiré
de son ouvrage
Les masques Dogon
Ed.Karthala, Paris 1999
• Illustrations de Patrick
Kersalé, tirées de son
livre Dogon, l’écho de la
falaise, Ed. Anako, 2001
Réflexion sur le tourisme solidaire
Il aura fallu attendre la veille de la deuxième guerre mondiale pour que le droit aux vacances soit reconnu aux travailleurs. Mais
ce n’est qu’à partir des années 50 que les départs à destination des pays puis des continents étrangers ont connu un essor rapide
et accéléré. Progressivement, l’accès aux continents les plus lointains s’est banalisé.
En 1995, la Charte du tourisme durable publiée à la suite des travaux d’une conférence mondiale qui regroupait une dizaine
d’organismes dont l’organisation mondiale du tourisme, à l’initiative de l’UNESCO, traçait en 18 articles les principes d’un
tourisme respectueux des populations locales et de leur environnement.
Au cours de cette dernière décennie, on a vu se multiplier, parce que la demande était grandissante de la part des touristes euxmêmes, les offres d’un tourisme solidaire.
Avec le soutien de plusieurs organismes publics et du ministère des affaires étrangères, la brochure Tourisme solidaire, des voyages vers l’essentiel a été diffusée à des milliers d’exemplaires avec les coordonnées d’une vingtaine d’associations engagées
dans la promotion de voyages vers les pays du sud. Les caractéristiques de ces voyages consistent soit en logement chez l’habitant, soit en randonnées, tout en assurant aux touristes un partage des recettes au bénéfice des populations locales.
Ce tourisme solidaire répond à une demande croissante de la part de vacanciers conscients que le tourisme peut avoir des effets
dévastateurs sur les populations et leur environnement.
Un des prochains pas à franchir consisterait sans doute à engager les populations d’immigrés en France à s’associer à ce nouveau type de tourisme équitable… et aux populations locales à s’autonomiser dans le développement de ce tourisme propre… à
pouvoir être en mesure de dire leurs souhaits en matière de tourisme. Et alors la planète terre commencera à redevenir un peu
plus habitable.
Dora C Valayer
Association TranSverseS 7, rue Heyrault 92100 Boulogne
01 49 10 90 84
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