PEUPLES DE LA PLAINE

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PEUPLES DE LA PLAINE
PEUPLES DE LA PLAINE
Lorsque l'on évoque l'art des Dogon, on songe généralement à l'art des habitants de la
falaise de Bandiagara. Mais l'on ne saurait se limiter à eux. L'histoire du peuplement du
pays dogon permet de comprendre pourquoi l'art de ce peuple est si riche de styles et
d'influences. Plus encore, l'art de la plaine du Seno présente une spécificité dont on
retrouve les origines dans la longue et tumultueuse histoire partagée par les peuples
voltaïques et dogon.
Données géographiques
Le Mali occupe un territoire de 1 240 000 kilomètres carré, entouré par l'Algérie, la
Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Niger. La falaise
de Bandiagara s'étire en son centre sur un axe orienté nord-est / sud-ouest sur plus de
deux cents kilomètres de long et une quarantaine de large entre Douenza, au nord, et
Bankas, au sud. C'est un escarpement rocheux s'élevant à 300 mètres de hauteur,
composé de strates horizontales, lesquelles sont creusées de nombreux auvents naturels
qui la font ressembler, de loin, à une gigantesque termitière reposant sur le sable.
Certaines de ces cavités ont abrité des chambres funéraires dès le XII° siècle de notre ère
et l'on distingue encore aujourd'hui, à des hauteurs vertigineuses, des traces de
constructions en pisé sur des parois abruptes qui paraissent absolument inaccessibles.
Nous savons d'une façon certaine que ces abris sous roche ont servi de gîte et/ou de
refuge aux Tellem, premiers habitants de la falaise. Une faille aménagée de frêles escaliers
de bois offrent aux hommes une voie de circulation précaire entre la plaine et le plateau.
Au pied des parois, les villages du peuple dogon sont bâtis sur le cône d'éboulis. Au nordest, les monts de Hombori culminent à près de 1150 mètres. Le plateau rocheux s'étend à
l'ouest de la falaise. C'est un terrain accidenté et difficile d'accès, souffrant du manque de
terres arables et qui est, en conséquence, peu habité. La plaine du Seno, enfin,
particulièrement fertile, se déploie des pieds de la falaise jusqu'au Burkina Faso, au sud.
Données historiques et influences
L'histoire du peuplement du pays dogon est confuse, mais l'on peut distinguer deux grands
mouvements : du nord au sud aux XIV°-XV° siècles et du sud au nord aux XV°-XVI°
siècles.
Les Niongom et les Tellem ont cohabité dans les cavités de la falaise du X° - XI° siècle,
jusqu'au XV° siècle de notre ère. A cette époque1[1], chassés par les immigrants mandé,
les Niongom fuirent vers le Yatenga2[2]. "Absorbés" par les immigrants Dogon-Mandé, le
1[1] Selon les sources, les Mandé seraient arrivés dans la région de la falaise entre le XIV° et le XVI° siècles. Il semblerait qu'il y ait eu, en fait, plusieurs vagues d'immigrants
au cours de cette période. Pour le capitaine Destenave, c'est vers le XVI° que sont arrivées les familles Mandé : "Les Habbés appartiennent à la dernière famille Mandingue
venue au Macina il y a plusieurs siècles. Après avoir traversé le Niger, ils longèrent le pied des montagnes et s'établirent dans le Seno en dehors des grandes voies.", Destenave,
rapport du 29 juillet 1895.
Certains auteurs nomment les premiers Dogon les "Habbés" .
2[2] La région du Yatenga correspond au nord du Burkina Faso. Elle est occupée par les Kurumba, descendants des Nyonyossi. Les Niongom qui ont émigré au Yatenga sont
aujourd'hui connus sous le nom de Samoro.
peuple Tellem s'est éteint. Le matériel cultuel et funéraire qui comportait des statuettes,
des appuis-tête, des échelles miniatures, se trouva abandonné dans ces abris de la falaise
que les Tellem avaient aménagé en cimetières et en sanctuaires. A la suite d'éboulements,
certains de ces sanctuaires restèrent inaccessibles pendant des siècles. Les autres furent
réutilisés par les Dogon pour y enterrer leurs défunts.
Les agriculteurs mandé qui ont atteint les falaises de Bandiagara constituent la souche
même du peuple dogon qui s'est métissé aux peuples qu'il chassait. Au cours des siècles
précédents, les Mandé s'étaient déjà mêlés aux Soninké et aux Bambara sur les rives du
Niger et l'on peut à ce sujet rappeler les quelques mots de Bernard de Grunne définissant
l'art dogon comme une "synthèse du géométrisme rigoureux de l'art tellem tempéré par le
modelé plus naturaliste de l'art soninké"3[3].
Les Niongom, que l'arrivée des Mandé-Dogon avait fait se réfugier dans la plaine du Seno,
plus fertile mais impossible à défendre efficacement, et au Yatenga, n'en furent pas quitte
pour autant. Les générations suivantes eurent à souffrir des poussées expansionnistes des
Nyonyossi, Mossis et Touaregs.
On ne peut exclure que des petits groupes eurent à fuir et retrouver leurs anciens refuges
de la falaise. Pour preuve que les populations du Seno et de la falaise ont des racines
communes, le diamsay, la langue archaïque du rituel religieux de la falaise était encore
parlé récemment dans toute la plaine du Seno. Le calme revenu, les réfugiés réintégraient
le territoire qu'ils avaient dû déserter. Aujourd'hui, la langue moore, c'est-à-dire le mossi,
est parlée couramment dans toute la plaine du Seno.
A cause de ces incessants mouvements de population, les Dogon de la plaine furent
touchés très tôt par les influences de leurs plus proches voisins Bambara, Samoro, Bobo et
Marka. Les Bozo et les Peuls se sont quant à eux mêlés à la population en s'établissant au
nord de la plaine.
Au XVIII° siècle, le chef des Bambara, Biton Coulibaly, fonde l'Etat de Ségou et occupe le
Macina4[4] à l'ouest et la plaine du Seno. Les Bambara, vont exercer une influence
profonde sur les mœurs, la langue et la sculpture qui présente une certaine proximité de
style avec celle des Dogon.
Le XIX° siècle, enfin, marquera l'emprise de la Dina5[5] des Peul de Bandiagara sur le
Seno Gondo et celle du royaume mossi à l'est.
3[3] Bernard de Grunne, "Vers une définition de l'art soninké", Arts et cultures, n° 2, 2001.
4[4] Le Macina est une région à l'ouest su Mali, traversée par le Niger.
5[5] La Dina est le royaume Peul du Macina qui connut son avènement dans le courant du XIX° siècle.
Spécificité de l'art de la plaine du Seno
Les Dogon de la falaise restèrent hors d'atteinte des influences qui touchèrent leurs frères
de la plaine. Leur esthétique conserva, à travers les siècles, une telle continuité de style,
une telle pureté formelle, qu'elle est considérée depuis toujours comme le canon de l'art
dogon.
A contrario, l'art des occupants de la plaine n'avait, jusqu'alors, été que très peu étudié.
Pourtant, leur style est le reflet de cette histoire tumultueuse, riche de précieux échanges
entre les Dogon, les Mossi, les Bozo et les Bambara, etc.
Marcel Griaule6[6] a rapporté les nombreuses similitudes de croyances religieuses entre
Dogon et peuples du Yatenga, mais on peut constater que l'influence voltaïque est
également sensible en sculpture.
Si l'on connaît plus de statues de petite taille dans le corpus dogon en général, il semblerait
que la proportion soit inversée dans le cas de la statuaire du Seno. La sculpture est
concise et fruste, simplifiée à l'extrême. Les jambes sont courtes. Les angles sont aigus et
raides. La construction est très géométrique dans la répartition des lignes et des formes.
Une des caractéristiques constantes de la statuaire du Seno réside dans la manière dont
les volumes s'assemblent : examiné individuellement, chaque élément semble avoir été
sculpté de façon gauche. Mais si l'on considère l'œuvre dans son ensemble, les asymétries
se répondent pour former un ingénieux équilibre. Le sculpteur se livre à un talentueux jeu
de compensations des formes et des déséquilibres.
L'artiste primitif a su maîtriser "les formes pleines et creuses, les oppositions et contrastes
harmonisés, les ordonnances rythmiques et l'accord des proportions. (…) Alors que
pendant longtemps, la sculpture du Seno a été considérée comme un art dogon dénaturé,
on reconnaît aujourd'hui que c'est précisément ces éléments qu'elle a puisé dans les
influences nyonyossi, bambara et bobo qui ont composé l'essence même de son originalité
et de sa force"7[7].
Hélène Leloup a écrit que "la préoccupation du sculpteur dogon n'était pas d'obtenir le
rendu naturaliste d'un être humain ou d'un animal mais de traduire une signification, une
idée de ce que l'homme ou l'animal représente d'essentiel"8[8]. On comprend mieux ainsi
l'extrême dénuement de ces œuvres qui, malgré tout, évoquent le concept désiré.
Evoquons d'ailleurs le traitement des serrures qui illustre une civilisation où pragmatisme et
animisme sont étroitement liés. La personne non initiée à l'imaginaire africain ne verra
qu'un morceau de bois rectangulaire, une clenche et quelques motifs incompréhensibles.
Pourtant, loin d'être "seulement" une serrure, l’ensemble est toujours le vecteur de
symboles récurrents de la pensée dogon.
6[6] Griaule, 1941, p. 7.
7[7] Entretien accordé par M. Reginald Groux le 14/11/2001.
8[8] Hélène LELOUP, W. Rubin, R. Serra, G. Baselitz, "Statuaire Dogon", Ed. Amez, 1994, p 563.
Ces rares et mystérieuses associations nous rappellent qu'il nous manque encore bien des
clés … Celles qui ouvrent les portes de l'univers poétique et fantasmagorique où les objets
ont une âme.
Xavière LERAY
Bibliographie :
·
Tito Spini & Sandro Spini, "Toguna : the African Dogon "House of Men, House of
Words", Rizzoli International Publications, Inc., USA, 1977.
·
Hélène LELOUP, W. Rubin, R. Serra, G. Baselitz, "Statuaire Dogon", Ed. Amez, 1994.
· "Dogon", Musée Dapper, Editions Dapper, Paris, 1994.
· "L'art du pays dogon dans les collections du Musée de l'Homme", Musée de l'Homme,
Paris, Museum Rietberg, Zürich, 1995.
· "L'architecture dogon, constructions en terre au Mali", ss dir. Wolfgang Lauber, Adam
Biro, , Paris, 1998 (éd. fr.).
· Bernard de Grunne, "Vers une définition de l'art soninké", Arts et cultures, n° 2, 2001.
*Article publié dans Arts d’Afrique Noire.
9[9] "L'art du pays dogon dans les collections du Musée de l'Homme", Musée de l'Homme,
Paris, Museum Rietberg, Zürich, 1995, pp. 76-78.

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