La vie culturelle à Alger

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La vie culturelle à Alger
L'ACTUALITE LITTERAIRE
CHRONIQUE
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La vie culturelle à Alger
Beaucoup de livres dans les quelques librairies qui subsistent au
centre ville mais essentiellement
des livres d'études pour les différentes filières et formations scientifiques, techniques et professionnelles. Côté littérature et sciences
humaines, la moisson est plus
modeste. Néanmoins, certains
titres attirent le regard et semblent les prémices d'une reprise
d'activité dans le domaine.
Reprise durable? Différents articles
s’interrogent, répertoriés dans La
Revue de presse, qui continue son
travail de fond chaque mois, et à
laquelle on peut s'abonner si l'on
souhaite avoir régulièrement une
anthologie de ce qui se passe dans
les pays du Maghreb et du MoyenOrient.
Dans la presse
Un article de Liberté du 27 décembre 98 pose la question de fond : "Le
retour au désert. D'où vient cette
grave détérioration de notre production artisitique et intellectuelle?" Quatre jours après dans le
même quotidien, un groupe de réali-
sateurs de l'ENPA en liquidation
publie : "Audio-visuel national :
autopsie d'une liquidation programmée." Dans La tribune du
1er.janvier 99, Abdou B. écrit un
article intitulé : "Etre ou ne pas être
en l'an 2000, tel est l'enjeu du cinéma algérien". Dans ce même
quotidien, le 8 février, un article
constate : "Beaucoup de facteurs
entravent l'édition. Le marché du
livre reste morose."
Dans Liberté du 17 janvier 99, sous
le titre : "Le théâtre algérien en
1998 : la mort, la stagnation ou
l'exil" Ali El Hadj Tahar écrit notamment : "Quelques pièces, timides feux follets dans les ténèbres,
éclairés par les incendies de l'holocauste, ont réussi à remplir deux ou
trois théâtres résiduels dans le
champ infécond de la grande régression culturelle. Quelques pièces
montées à la hâte par des professionnels réduits par la force des
choses à un amateurisme criard...
Comment peut-on créer et produire
contre vents et marées bureaucratiques, avec des moyens dérisoires et
en touchant de surcroît un salaire
de misère? En 365 jours et quart,
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ALGERIE LITTERATURE / ACTION
l'Algérie tout entière n'a pas produit le même nombre de pièces
qu'une ville moyenne de Belgique et
de France." Et plus loin :
"Incommensurables sont la solitude
et la souffrance des hommes de
théâtre qui sont restés au pays. Et
s'ils ne se sont pas exilés eux aussi,
ce n'est pas parce qu'ils sont plus
courageux ou plus stoïques, ou plus
disposés à se retrouver face-à-face
avec leur tueur que de prendre le
risque de tenter l'aventure en terre
étrangère. D'ailleurs le risque majeur n'est pas de mourir de mort
violente mais de mourir sur le gril
qui les consume depuis longtemps
déjà. Justement à cause de l'arbitraire, de la censure, de la malveillance des bureaucrates qui s'abattent sur l'art depuis 36 ans, ils ne
s'attendaient point à voir, grâce à
une démocratie de façade, s'améliorer la condition de l'artiste, c'est-àdire être mieux considérés que ne
furent Kateb Yacine, Mustapha
Kateb, Ould Abderrahmane Kaki,
Alloula, Rouiched et d'autres qui,
malgré le mépris, ont imposé un
théâtre revendicatif et proche des
préoccupations populaires."
Le nouvel hebdomadaire algérien de
langue arabe Al Akhbar Hebdo dans
son n° 3 du 24-30 mars 99, donne
longuement la parole à l'écrivaine
algérienne de langue arabe, Ahlem
Mostaghanemi, qui vit actuellement
au Liban et dont les romans
connaissent un grand succès dans le
Proche-Orient : "(...) J'ai commencé
à me lancer dans le roman, insensiblement, à cause de la souffrance
de l'émigration ou de l'exil, qui m'a
incitée à composer un bel ouvrage... Si j'étais demeurée en Algérie, je n'aurais pas pu écrire les
textes que j'ai écrits : j'aimais l'Algérie mais le lien qui m'unit à elle
est devenu pasionnel, mes sentiments pour elle se sont renforcés en
s'entremêlant...Dans ce lien, l'éloignement joue un rôle capital : plus
l'éloignement est grand, plus le lien
est fort. Bon nombre de nos écrivains, parmi lesquels Malek Haddad et Kateb Yacine, en apportent
la preuve. Personnellement, je dois
beaucoup à l'exil : il a provoqué en
moi une tension dramatique quand
un matin au réveil j'ai découvert à
quel point mon pays me manquait,
avec tout ce qui le constitue, avec
les sensations qu'il vous offre, avec
ses coutumes... Ce pays m'a donné
la sérénité et la force nécessaires
pour écrire, en ce temps de mort où
l'écriture est un luxe (...)"
Sous le titre, "Littérature : on en
parle plus qu'on en fait", le 8 avril
99, Moussa Acherchour examine
dans La Nouvelle République, la
manière dont les médias algériens
traitent la littérature. Après avoir
parlé de la télévision, il s'intéresse à
la presse écrite : "Côté périodiques
littéraires, on ne se hasarde pas
trop à lancer des projets de ce
genre. La maison d'édition Dahleb
vient tout juste de lancer une revue
trimestrielle à caractère artistique
et culturel, Parking-Nomade. Gageons qu'elle connaîtra le même
triste sort que toutes les précédentes expériences qu'avait initiées,
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entre autres Marinoor avec Rawafîd
et Escale dont le promoteur, un
poète des années 70, en est à la
recherche d'un preneur. D'un mécène sans doute. Pour justifier les
appréhensions des uns et des autres,
on avance comme toujours le manque d'argent, le produit ne pouvant
pas "s'autofinancer" (...) Dans le
même chapitre, Djillali Khellas
avait lancé une initiative personelle, Riyâwa qui n'a pas pu, elle
aussi, aller au-delà du premier
numéro. Après seulement une dizaine de numéros, le supplément
culturel de l'hebdomadaire arabophone Chorouq pourtant assez varié, la rédaction annonçait son
interruption en ces termes pleins
d'amertume : « Les Algériens n'aiment pas la culture! » "
Les revues
Nous signalerons pour notre part,
aux éditions Marinoor, la revue
Repères, dont la première intiative
(n° 1 en 97) avait été la republication du fameux numéro 1 de
la revue Novembre, introuvable, en
hommage à Mohamed Boudia. Le
n° 2 de 98 (102 p.) a été consacré à
Malek Haddad sous le titre, "Poète
national d'hier... pour demain!" Ont
participé à la confection de ce numéro : Djamal Amrani, Ahmed
Azzegagh, Khaled Benmiloud, M.
S. Dembri, Zahia-Malek Haddad,
née Salah-Bey, Rachid Haddad,
Noureddine-Omar Khalef et N.
Yasmine. Ces deux numéros se
trouvent dans les librairies, au prix,
pour le plus récent, de 300 DA.
Toujours dans le domaine des revues, le numéro 0 de ParkingNomade est effectivement prometteur — même si beaucoup de coquilles se glissent encore ici et là.
Cette revue se veut trimestrielle et
ce numéro 0 est du printemps 99.
Les initiateurs et responsables de la
revue sont Sofiane Hadjadj et Abderrahmane Djelfaoui. Ils présentent leur "argument" en première
page ainsi : "Parce que nous
croyons que l'immobilisme du quotidien n'est, somme toute, que de
façade, parce que nous pensons que
sous la vase délétère, les sources
locales d'une culture vive, elles, ne
cessent de couler fraîches! C'est
d'abord une culture du partage et
de l'offrande : celle des artistes qui
(...) nous tissent le bon fil pour
notre sortie des labyrinthes. Celle
du génie des lieux aussi (pour nous
réconcilier) avec l'essentiel de notre
mémoire, de notre identité que tant
de djnouns ont voulu mettre en
miettes..." La revue se propose de
présenter dans chacun de ses numéros un artiste plasticien (cette fois,
c'est un beau dossier consacré à la
peintre russe Valentina GhanemPavlovskaya, née en Ukraine et qui
vit et travaille en Algérie depuis
1981. Elle a exposé tout récemment
à l'Hôtel Sofitel et a reçu le Grand
Prix de la ville d'Alger. Ce dossier
est accompagné de 12 reproductions
en couleur des oeuvres de l'artiste.
Dans chaque livraison doit être
présenté un lieu : c'est Bab-el-Oued
qui est le lieu choisi avec un entretien avec les fondateurs et anima-
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teurs de « SOS Culture Bab-elOued », Kacem et Nacer, association créée en 1995 : "Quelque soit
X, notre préoccupation c'est de
récupérer le quartier, de ne pas le
laisser à la dérive islamiste (...)
notre préoccupation, tous les jours,
c'est de rechercher des ressources
pour que notre association puisse
continuer à tenir sur ses pieds (...)
Quelque part nous arrangeons tout
le monde mais nous dérangeons
aussi tout le monde. Notre credo, le
credo de notre association, c'est
qu'ils aillent se faire voir! Les partis, le pouvoir, le système et tout ce
qui y ressemble (...) N'oublions pas
que les officiels qui ont géré la
culture sont restés trop longtemps
seuls sur le terrain. C'est comme si
ça avait été l'histoire d'un unique
club de foot qui aurait eu le stade
pour lui tout seul. Obligé qu'il proclame "sa" victoire. (...) Il y en a
marre de la culture folklorique! Y
en a marre de la culture des circonstances (...) Nous voulons redevenir "normal"! Algériens et fiers
de l'être..." Cet entretien est suivi de
la reprise de Salaouetches, évocation de la vie algérienne en 1900 de
Paul Achard, illustré par Charles
Brouty et édité par Baconnier en
1949 à Alger. On y trouve aussi des
comptes-rendus de publications
récentes, comme le livre de Djilali
Kadid sur Benanteur, les mémoires
de Mostefa Lacheraf, le dernier
roman de Vénus Khoury-Gata, le
roman de Hamid Abdelkader traduit
de l'arabe par M. Acherchour, Le
glissement, ou le recueil de nouvel-
les en arabe d'A. Tamhacht, Les
résidus d'un homme, édité à Alger
en février 99 par un groupe d'écrivains de langue arabe, "La ligue des
écrivains de la différence". La dernière partie est consacrée à un écrivain avec un entretien et un inédit
(en une ou deux langues). C'est
Waciny Laredj qui ouvre la galerie.
On pourrait souhaiter qu'un plus
grand soin soit porté aux précisions
bio-bibliographiques et à la traduction des textes lorsqu'elle s'avère
nécessaire, mais on ne peut que
saluer cette initiative culturelle et
dire longue vie à ce plus dans le ciel
d'Alger!
La maison d'édition Casbah édite
une revue sous le titre, Réflexions.
Trois numéros sont déjà disponibles, dans un format agréable, une
présentation soignée et un prix très
étudié, 200 DA. Ce sont des numéros thématiques : en 97, le n° 1, a
eu pour centre d'intérêt, "Elites et
questions identitaires" et, en 98, les
n° 2 et 3, "L'Ecole en débat" et "La
ville dans tous ses états".
Les ouvrages
Concernant l'édition d'ouvrages,
plusieurs titres peuvent être signalés. Un très beau livre d'art de Mohamed Sadek Messikh, El Djezaïr
la mémoire, aux éditions Raïs à
Skikda (déc. 97) en co-édition avec
Alif de Tunis. Une très belle
conception pour évoquer la ville
d'Alger des origines à 1830. Les
éditions Marinoor ont publié un
roman d'Hamid Abdelkader, en 98
(traduit
de
l'arabe
par
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M. Acherchour). L'auteur est né à
Alger en 1967 et est journaliste
depuis 1990. La présentation de
couverture, signée Hocine Saadi,
conclut : "Le Glissement tente de
mettre en relief l'impossible avenir
de toute une génération née après
l'indépendance, devenue incapable
d'aimer et d'agir." Toujours aux
mêmes éditions, parution des Chroniques infernales (Algérie : 19901995) du journaliste Mohamed
Balhi. C'est son journal de bord de
six années qui est ici publié : "Le
recul aidant, ces témoignages représentent de précieux indices pour
une tentative d'analyse des origines,
des fondements et des enjeux de la
crise qui continue de secouer le
pays."
Aux mêmes éditions encore, le
sociologue Mahfoud Bennoune a
fait paraître deux titres en cette fin
d'année 98 : Esquisse d'une anthropologie de l'Algérie politique,
illustrée par « une stratégie algérienne de sortie de la crise » (acceptée, puis abandonnée par un pouvoir
inapte). Le second livre a été assez
remarqué : Les Algériennes, Victimes de la société néopatriarcale.
Livre généreux dont les développements sont peu habituels sous la
plume d'un homme et qui mêle
anecdotes personnelles expliquant
l'intérêt de l'auteur pour le sujet,
observation d'une société au jour le
jour et sondages plus historiques.
De nombreuses informations sont
livrées dans un ordre et une argumentation un peu déroutants. Les
titres des différents chapitres peu-
vent donner une bonne idée de l'argumentation : "Le développement
de la civilisation, l'esclavage et la
dégradation de la femme"; "La
condition de la femme maghrébine
de l'Antiquité au XXème siècle";
"L'éducation des filles et son évolution"; "Le travail salarié féminin et
son évolution"; "La participation de
la femme à la Libération Nationale"; "Du statut de l'indigénat à
l'ordre néopatriarcal ou le désenchantement des femmes dans l'Algérie post-révolutionnaire"; "La
situation des femmes dans le domaine privé". Il est regrettable
qu'un sujet aussi essentiel ne soit
pas toujours traité avec la rigueur
que l'on trouve dans certaines pages
et que l'édition soit assez négligée.
Par ailleurs, l'expression est parfois
déconcertante.
Aux éditions Saec-Liberté, Aomar
Mohellebi, journaliste, publie son
second ouvrage en 99, Le Terrorisme en Kabylie, somme d'articles
publiés dans Liberté. La quatrième
de couverture salue "ce courage
d'oser écrire et laisser pour les
historiens des bribes et des tranches
de vie saisies au vol."
En auto-édition, Alioui Liassine
édite en 99 un ouvrage , Matoub
Lounès, le barde flingué : 274 pages
d'une biograhie du chanteur kabyle
assassiné. Le journal, L'Authentique, signale la sortie, le 28 avril 99,
du dernier album de Matoub, traduit
dans un livre en français et en
tamazight. L'auteur, Mohand Loukad "a présenté les onze chansons
de l'album avec des caricatures très
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expressives réalisées par Alka ainsi
que des photos du chanteur disparu
le montrant lors de ses dernières
apparitions publiques en Algérie et
en France."
A l'initiative de trois femmes, sortie
à Sidi-Bel-Abbès aux éditions toutes
nouvelles, Le chévrefeuille étoilé, de
trois contes de notre collaboratrice,
Dominique Le Boucher, Trois
contes d'ailes et d'eux : Marie-Noël
Arras présente ce recueil comme le
début d'une collection et Maïssa Bey
écrit la préface. Ces trois contes
sont « La Fiancée du temps »,
« Sindbad, le taggeur d'oiseau » et
« L'Oiseleur ». Les illustrations sont
de Dominique Le Boucher. Longue
vie à cette collection initiée, réalisée
et écrite par des femmes d'une Algérie plurielle.
Mais l'événement éditorial de ces
premiers mois de 99 est, incontestablement, l'édition par Casbah Editions de l'ouvrage de Mostefa La-
cheraf dont les lecteurs d'Algérie
Littérature/Action avaient eu la
primeur, Des noms et des lieux.
Mémoires d'une Algérie oubliée. Le
premier tirage de 3000 exemplaires
a été épuisé en un trimestre.
On aura noté, tout au long de cette
chronique les nombreux titres de
journaux et la diversité des nouvelles maisons d'édition. Tout n'est pas
recensé ici. Dans ces temps pour le
moins incertains, ils sont le gage de
quelque chose qui bouge au pays.
C. Chaulet-Achour, Alger, mai 1999
* Tous les ouvrages recensés sont
disponibles à notre « Espace Algérie »,
27, rue de Rochechouart, Paris 9ème,
métro Cadet.
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