Paul Éluard - Le blog de Jocelyne Vilmin

Transcription

Paul Éluard - Le blog de Jocelyne Vilmin
Lecture analytique 5 - Paul Éluard (1895-1952), Capitale de la douleur (1926)
“La courbe de tes yeux”
Question : Comment le thème du regard permet-il à Éluard d’évoquer sa conception de l’amour ?
Présentation de l’auteur : Paul Éluard (1895-1952), pseudonyme d’Eugène Grindel, est un des auteurs
marquants du surréalisme. Comme André Breton, Louis Aragon et Robert Desnos, il est en révolte contre un
monde qui a conduit à l’horreur de la guerre de 1914 et en recherche d’un nouveau mode d’expression
poétique lié au rêve, à l’imaginaire et à l’inconscient et dont l’un des aspects sera l’écriture automatique. Sa
poésie est aussi celle du cœur : évoquant ses trois inspiratrices successives, Gala, Nusch et Dominique, il nous
livre la haute idée qu’il se fait de la femme et de l’amour.
Présentation du poème : En 1926, Paul Éluard publie Capitale de la douleur, recueil dont l’inspiratrice est
Gala. Il est composé de quatre parties inégales : « Répétitions », 35 poèmes composés entre 1914 et
1921 sous le signe du rêve, de l’automatisme et de la nouveauté ; « Mourir de na pas mourir », 22 poèmes
composés entre 1922 et 1923 à un moment de profonde détresse ; « Les Petits Justes », 11 poèmes courts
assimilables à des jeux poétiques et « Nouveaux poèmes », 45 poèmes qui évoquent l’aventure intérieure et
l’amour « fou », caractéristique des surréalistes. « La courbe de tes yeux… », l’avant-dernier poème du recueil,
composé de trois quintils, alexandrins, décasyllabes et octosyllabes chante les pouvoirs de l’amour.
Lecture
Reprise de la question et annonce du plan : Nous verrons comment à travers l’éloge de la femme aimée et
en particulier de son regard, Éluard évoque sa conception de l’amour.
I - L’éloge du regard
a) un regard synonyme de douceur
- plusieurs mots évoquent la ligne courbe, à commencer par le premier « La courbe de tes yeux », puis
« le tour », « Un rond de danse» v. 2, « Auréole » v.3, « berceau » v. 4.
- les images du cercle ainsi dessinées semblent captiver le poète, l’envoûter comme pourrait l’indiquer le
vers 1 « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur » : on peut comprendre que le poète est comme
prisonnier de ce regard qui l’enferme. Mais, l’image n’est pas dépréciative, puisque chacune des
périphrases suivantes désignant le regard « Un rond de danse et de douceur », « Auréole du temps »,
« berceau nocturne et sûr » évoque une image apaisante que la musicalité des vers souligne. En effet, tant
au point de vue rythmique que sonore, les trois premiers vers sont très harmonieux : vers coupés à
l’hémistiche, assonances en « on », « en » , « ou »…
b) un regard vivant et fascinant
D’autre part, les vers du deuxième quintil, tous des décasyllabes à la coupe régulière à la quatrième
syllabe, suggèrent des images d’une nature proche et douce et évoquent, par des associations
audacieuses, des caractéristiques du regard de la femme aimée:
- mobiles et vivants « roseaux du vent » comme des roseaux agités par le vent, « ailes » qui peuvent être
en train de battre, « chasseurs des bruits » comme s’ils étaient sans cesse à l’affût de quelque chose...)
- scintillants (« mousses de rosée »...)
- irisés, aux reflets changeants (« sources des couleurs »...)
- transparents et profonds (« feuilles de jour », comme s’ils étaient faits d’une matière aussi transparente
et impalpable que le jour...)
b ) les yeux semblent dotés de valeurs symboliques :
- ils sont un refuge pour le poète , ils lui apportent la protection comme le suggèrent l’image du « berceau
nocturne et sûr » et celle des « ailes couvrant le monde »
- ils l’aident à vivre : c’est ce qu’affirment les vers 4 et 5 :
« Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. »
Le « Je » dépend totalement du regard, donc de la femme aimée, puisque la vie avant elle est oubliée.
De même au dernier vers du poème: « Et tout mon sang coule dans leurs regards », le sang, symbole de
vie, ne coule plus dans le cœur du poète, mais dans les yeux de la femme aimée... Image étonnante mise
en relief par l’hyperbole « tout ». C’est donc grâce au regard de la femme aimée que le poète vit. Cette
profonde dépendance est mise en évidence aussi par le jeu des pronoms et des adjectifs possessifs au
premier comme au dernier vers :
« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur »
« Et tout mon sang coule de leurs regards »
ainsi qu’au vers 5 : « C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu »
C’est une vision surréaliste de l’amour : à lui seul, il permet au poète d’exister.
II – Une conception élogieuse de l’amour
a ) L’amour est une nouvelle naissance pour celui qui aime :
Plusieurs images reprennent le thème de la naissance : « berceau », « couvée d’aurores » associant ainsi la
naissance du poète à l’amour : thème récurrent chez les surréalistes pour lesquels la femme permet la
renaissance de l’homme qu’elle aime.
b ) L’amour est purificateur, sacré : comme peuvent l’évoquer les connotations cosmiques : « Auréole du
temps », « Ailes couvrant le monde de lumière »(ailes des anges, lumière divine...)
c ) L’amour permet transformer le monde:
- un monde innocent (vers 13-14) : la pureté qui vient des yeux de Gala envahit le monde ; le « monde
entier » n’existe que dans la mesure où les yeux de Gala existent aussi pour le voir = « Le monde entier
dépend de tes yeux purs ». Ces yeux sont donc non seulement condition de la vie du poète, mais condition de
l’existence du monde : il lui est impossible d’envisager le monde autrement que par leur intermédiaire, ce sont
eux qui le transforment et le rendent beau. Ce thème est fréquent chez Eluard : la femme innocente le monde
et lui donne une signification.
- un monde fait de douceur... le monde selon les yeux de Gala n’est fait que de lumière et de transparence
(« feuilles de jour », « rosée », « ailes... de lumière »), de balancement et de bercement (« berceau »,
« roseaux du vent »).
- ... et de sensualité : presque tous les sens sont représentés : la vue (« sources des couleurs »), l’ouïe
(« chasseurs des bruits »), l’odorat (« sourires parfumés »), le toucher (« rond de douceur ») : l’amour aiguise
toutes les sensations.
- un monde fait de simplicité, d’harmonie et de fluidité : le vocabulaire dans son ensemble est très
simple, le rythme régulier.
 les alexandrins sont coupés à l’hémistiche
 les décasyllabes à la quatrième syllabe
 les rimes sont rares, mais des allitérations et assonances donnent au poème une unité phonique :
allitérations en « s », en « r » ; assonances en « en », en « ou », en « a »…
Tout concourt donc à l’atmosphère de douceur et d’harmonie.
Conclusion
« La courbe de tes yeux », grâce aux associations d’images inédites, surprenantes, chères aux
surréalistes, est donc un hymne à la femme aimée mais aussi et surtout à la joie d'aimer et au bonheur
amoureux partagé. La grande simplicité du poème ainsi que son harmonie concourt à la création de l’image de
le femme comme justification du monde. Aimer la femme, en être aimé, c'est aimer le monde, c’est exister.
C'est un poème caractéristique de la poésie d’Éluard, reflétant un univers où l'amour intègre tout, formes et
couleurs, sentiments et sensations, l’homme et le monde .
Si le poème d’Éluard comporte comme celui de Baudelaire des connotations mystiques, il fait cependant
l’éloge d’un amour sensuel et entier

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