Position de thèse - Université Paris
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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE (PARIS IV) École doctorale III - Littératures françaises et comparée Centre de Recherche en Littérature Comparée POSITION DE THÈSE Thèse pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE (PARIS IV) Discipline : Littérature française et comparée Présentée et soutenue publiquement par Mariola Odzimkowska le 26 juin 2013 LA RÉCEPTION DU THÉÂTRE POLONAIS EN FRANCE DE 1989 À NOS JOURS Directeurs de thèse : Madame Danièle Chauvin Monsieur Georges Banu JURY Madame Bernadette Bost, Université de Lyon Madame Danièle Chauvin, Université Paris-Sorbonne Monsieur Georges Banu, Université Sorbonne Nouvelle - Paris III Monsieur Leszek Kolankiewicz, Université de Varsovie 1 Position de thèse Le sujet posé a pour but d’identifier la perception du théâtre importé de Pologne et de déchiffrer l'impact qu’il joue dans la vie théâtrale française ainsi que dans le contexte culturel de la France et inversement. L'analyse d'un tel phénomène permet de voir comment une culture dépasse le contexte national et se situe dans un contexte étranger, international, comment elle établit le dialogue avec l'autre, par quels moyens elle arrive à faire parler d'elle par le pays qui l'accueille et dans certains cas aussi son pays d’origine. L'étude de la réception du théâtre polonais en France permet de jeter une nouvelle lumière sur les études comparatistes, sur les relations culturelles entre les pays, sur les études théâtrales et de démontrer que l'emplacement géographique du pays conditionne son aire culturelle ainsi que sa perception culturelle. La période de 1989 à nos jours se caractérise par des changements importants dans l'histoire de la Pologne, dans les relations franco-polonaises, culturelles et artistiques en particulier. C'est la période pendant laquelle la présence de l'art du spectacle polonais en France est la plus fertile. C'est une période réussie surtout pour la réception de certains textes dramatiques polonais. L'année 1989, celle de la chute du communisme en Pologne, est le moment à partir duquel le pays redevient démocratique et peut nouer ou renouer les relations avec les pays desquels il était isolé par la guerre froide. L'ouverture de la Pologne engendre des événements politiques qui rapprochent davantage les pays durant les deux dernières décennies avec la Pologne : la création du Triangle de Weimar en 1991, l'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne et la Saison Nova Polska en France en 2004, la présidence de la Pologne au Conseil de l'Union Européenne de juillet à décembre 2011. Ces événements sont accompagnés de la présence d'événements culturels polonais en France. Notre recherche est une étude sur la perception de la Pologne et des oeuvres d'artistes polonais de théâtre par les Français, grâce à l'exemple de la présence du théâtre polonais en France ces dernières années. A ces fins nous décidons d'approcher une vision panoramique de cette réception afin de présenter un nombre de facteurs qui le conditionnent : les relations historiques et culturelles entre les deux pays, l'activité des institutions et des personnes médiatrices, la vie théâtrale française et ses composantes. Nous voulons démontrer le caractère complexe de la réception du théâtre polonais en France où les metteurs en scène polonais sont de plus en plus souvent invités. Cependant, ils 2 viennent très rarement avec les adaptations d’oeuvres dramatiques polonaises. Les auteurs dramatiques polonais ont donc une certaine réception en France, mais elle passe par un autre chemin, non pas à travers des textes polonais mais à travers les traductions et les mises en scène proposées par des artistes français. Dans un premier temps, nous voulons répondre à la question : qu’est-ce qu’une réception de théâtre et de théâtre étranger en particulier? Différentes approches de spécialistes dans le domaine de la réception, Patrice Pavis, Anne Ubersfeld et les comparatistes Yves Chevrel, Hans Robert Jauss, nous permettront de préparer le terrain d’analyse pour une approche de la présence du théâtre polonais en France. Dans le cas de la réception théâtrale l’horizon d’attente joue un rôle essentiel. Cette notion empruntée à Hans Robert Jauss désigne deux systèmes de références : celui de l’œuvre et celui du public. Ce dernier peut changer selon l’époque et l’aire culturelle. A quel point le travail du spectateur constitue-t-il le sens de l’œuvre? Il est intéressant de voir comment un texte ou un spectacle est placé dans le contexte historique et socio-idéologique du pays duquel il provient pour analyser par conséquent les codes esthético–idéologiques du pays d’accueil. Il est important de voir dans quelle mesure l’accueil du théâtre polonais dépend de l’image que le récepteur se fait de la culture importée et avant tout de sa conception du théâtre polonais. Dans le cas de notre étude, les récepteurs ce sont les journalistes, les critiques de théâtre et dans certains cas les artistes français. Leurs discours informent sur l’objet jugé tout en restant en même temps les révélateurs de leur(s) système(s) culturel(s). Ce qui nous paraît important c’est de montrer le rôle que la critique théâtrale adopte pour parler des œuvres et des artistes qui les créent. La critique peut être le porte-parole ou le guide du public. Elle joue sur plusieurs registres : soit elle se situe dans la perspective de l’œuvre, soit dans celle du public, pour présenter son propre jugement. Nous tenterons de dégager les réactions repérables du public provoquées par le théâtre polonais décrites par les critiques. Nous avons décidé de diviser notre travail en trois parties principales, chacune d’entre elle étant fondée sur des hypothèses qui justifient cette présentation. La première partie présente de nombreux facteurs extérieurs aux oeuvres qui conditionnent la réception théâtrale. L’histoire culturelle des émetteur et récepteur joue un rôle dans la formation du rapport entre l’œuvre et le public. Les facteurs socio-politiques et socio-culturels liés à l'histoire des relations entre les deux pays permettent de présenter les points communs et les différences entre deux pays ainsi que de caractériser l'image que les Français peuvent avoir de la Pologne. L’accueil du théâtre polonais en France pendant la période de 1989 à nos jours est 3 influencée aussi par les médiateurs des relations théâtrales. Par médiateurs nous comprenons l'activité des institutions et des personnes qui contribuent à promouvoir la culture polonaise par le biais du théâtre. Les institutions polonaises et françaises et leur collaboration, les associations, les critiques de théâtres, les traducteurs contribuent à combler le fossé culturel et à diminuer les éléments qui peuvent handicaper la réception culturelle. Les événements, de plus en plus présents, dédiés à la présence de la culture polonaise en France, comme la Saison Nova Polska, éveillent la curiosité du public français envers la Pologne et enrichissent ses connaissances sur le pays et ses artistes. Les relations entre la France et la Pologne sont relativement intenses et stables. Le dynamisme des relations économiques et politiques se traduit aussi dans le domaine de la culture, du théâtre. La présence du théâtre étranger dans le paysage théâtral français est conditionnée par la vie théâtrale française et ses composantes. Ce qui est de plus en plus présent c'est le théâtre d'art post-dramatique où l'on observe une transgression des frontières entre différents formes d'art : le théâtre, la danse, la musique, la performance, les arts visuels. Les metteurs en scène deviennent des « auteurs en scène ». La dramaturgie devient de plus en plus « visuelle » et « sonore ». Le spectateur donne sens à ce qu'il voit sur le plateau. C'est lui aussi le créateur du sens de l'oeuvre. On importe un théâtre pour ses qualités artistiques et littéraires, pour son originalité. Le pays d'accueil attend des artistes étrangers qu'ils lui fassent une révélation et lui apportent quelque chose qu'il ne connaît pas de lui-même. Si le théâtre polonais est de plus en plus présent en France c'est parce qu'il s'inscrit dans une augmentation générale de la présence du théâtre étranger, européen en particulier, depuis vingt ans dans l'Hexagone. Cette augmentation est due en partie à la politique culturelle de l'Etat français, à la volonté de diversifier l'offre artistique, à l'aide financière et conseillère des institutions (Office National de Diffusion Artistique), aux festivals, aux différents programmes artistiques européens auxquels la France participe (à certains de ces programmes la Pologne participe aussi depuis peu) ainsi qu'au système de coproduction de plus en plus répandu entre les théâtres européens. Le théâtre étranger, dont polonais, est visible surtout à Paris qui, avec ses théâtres (dont cinq subventionnés directement par l'Etat français) et son Festival d'Automne joue toujours le rôle de centralisateur des événements théâtraux à caractère international. Cette situation commence à changer progressivement avec des lieux sur la carte de la France qui jouent leur rôle pour la promotion du théâtre étranger occasionnellement. 4 Cependant, nous remarquons une particularité dans le système de la politique culturelle de la France, à savoir la réception des textes dramatiques étrangers qui est un phénomène moins soutenu par les institutions françaises que les spectacles étrangers. Il s'agit de faire découvrir au public français une certaine vision du théâtre, une certaine thématique qui peut intéresser les Français, un certain style de mise en scène, de jeu de l'acteur. Le texte duquel le spectacle s'inspire semble ne pas être décisif dans la réception à moins qu'il s'agisse d'un auteur reconnu mondialement. En fait, le chemin que doit traverser un texte dramatique étranger est plus long et conditionné par d'autres facteurs encore que celui des spectacles étrangers : son auteur est-il déjà connu en France, quelle thématique aborde-t-il, quelle est sa qualité dramatique... La qualité de l'interprétation scénique est aussi un moment décisif dans la réception. Par conséquent, le texte dramatique polonais passe par plus de niveaux de réception que le spectacle polonais avant d'être reçu directement par le public au théâtre. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles la réception des textes dramatiques polonais est moins importante que celle des spectacles polonais qui sont parmi les plus souvent invités des spectacles européens en France depuis quelques années et qui pourtant ne viennent presque jamais avec des adaptations des textes polonais. Ainsi, une séparation réelle se fait dans la réception des théâtres de metteurs en scène polonais et des auteurs dramatiques. C'est pourquoi nous avons décidé de distinguer la deuxième et la troisième partie de notre thèse : la réception du travail des metteurs en scène et la réception des auteurs des textes dramatiques. La partie concentrée sur l'art du spectacle polonais en France comprend la réception des recherches théâtrales des metteurs en scène polonais qui ont marqué la vie théâtrale française durant les dernières décennies : Jerzy Grotowski, Tadeusz Kantor, Krystian Lupa et Krzysztof Warlikowski. La période sur laquelle nous nous focalisons se caractérise par une certaine mémoire et des clarifications d'interprétations des recherches de Jerzy Grotowski (venu en France dans les années 1960). Nous observons un phénomène de continuation de la réception de ses recherches théâtrales même si l'artiste ne crée plus de spectacles depuis 1969. Les années 1990 en France pour Grotowski sont surtout une période de conférences, peu nombreuses d'ailleurs (dont les plus importantes se font dans le cadre de cours au Collège de France à partir de 1997) données par l'artiste. Ses interventions sont une sorte d'effacement des malentendus accumulés autour de son oeuvre. Grâce aux recherches de Grotowski le domaine de l'anthropologie théâtrale gagne sa place dans les recherches françaises. Les 5 discussions sur son théâtre sont reprises par le milieu universitaire français et ses collaborateurs. La réception de ses recherches prend de nouvelles dimensions à travers certains artistes français d'aujourd'hui qui se disent inspirés, marqués par l'oeuvre de Grotowski. La réception du théâtre de Tadeusz Kantor en France a son importance pour l'artiste, comme pour Jerzy Grotowski. Même si Paris, dans les années 1970, n'est plus une capitale culturelle de référence unique dans le monde, l'Hexagone leur sert en grande partie de fenêtre à la reconnaissance internationale. Kantor vient en France plus tardivement, dans les années 1970 et ses spectacles sont toujours présentés tout au début des années 1990. Le fait que son théâtre pendant presque une génération garde le contact direct avec le public français, lequel s'identifie avec son univers, fortifie sa position dans le paysage théâtral français. L'oeuvre théâtrale de Kantor, comme celle de Grotowski, continue à alimenter les rêves et les fascinations de certains artistes français qui affirment être inspirés par son théâtre. Grâce à une bonne réception française des recherches théâtrales de Jerzy Grotowski et de Tadeusz Kantor, il se construit une certaine tradition de la réception du théâtre polonais en France. De façon signifiante, ces artistes influencent l’image que l’Occident a du théâtre polonais. Ils préparent en quelque sorte l'horizon d'attente du public vis-à-vis du théâtre venant de Pologne. Les artistes polonais qui viennent après Kantor et Grotowski répondrontils à de telles attentes? La France n'est pas un terrain facile à conquérir théâtralement comme l'observent les artistes polonais qui sont invités en France durant les années 1990 et 2000, mais dont les spectacles ne font pas l'événement pour le public français. De tous les metteurs en scène polonais contemporains ce sont les théâtres de Krystian Lupa et de Krzysztof Warlikowski qui seront une vraie révélation. La France n'est plus d'ailleurs, comme dans le cas des théâtres de Grotowski et de Kantor, le premier pays étranger qui découvre ces artistes. Elle invite Krystian Lupa et Krzysztof Warlikowski après les autres pays, comme l'Allemagne par laquelle les qualités de leurs théâtres ont déjà été reconnues peu de temps avant. L'Hexagone devient importante dans la réception de leur travail théâtral avec le temps. Il n'en reste pas moins que le mélange des inspirations de l'Ouest, plus particulièrement de l'Allemagne, et de l'Est que représente le théâtre polonais postcommuniste et son esthétique particulière, propre à chaque artiste, l'excellence du jeu d'acteur font que la France veut le découvrir. Il s'avère que le public français exprime un besoin de ce type de théâtre très proche de l'homme, de la réalité dans laquelle il vit, théâtre parfois 6 irrationnel, non conventionnel et émotionnel. Le théâtre de Lupa ainsi que celui de Warlikowski sont perçus en France comme des théâtres introspectifs. La critique française découvre les artistes polonais et elle souligne leur provenance ethnique, l'aire culturelle dans lesquelles ils ont été formés mais avec le temps, elle soulignera de plus en plus que ce sont des artistes universels traversés par l'histoire polonaise. Il n'en reste pas moins que certains éléments de la dimension subversive des spectacles polonais de Lupa et Warlikowski, face à la réalité polonaise semblent être insaisissables pour les Français comme nous allons le démontrer dans notre thèse. Dans la troisième partie nous aborderons la question de la réception des textes dramatiques polonais. Les auteurs des drames polonais découverts dans les années 1960 et 1970 comme Witold Gombrowicz, Slawomir Mrozek et Stanislaw Ignacy Witkiewicz continuent à exister sur les scènes françaises après 1989, même si l'intensité de cette présence n'est pas la même pour l'oeuvre de chacun. C'est l'oeuvre théâtrale de Witold Gombrowicz qui vit la meilleure réception de tous les auteurs dramatiques polonais. Sa réception française, aussi intense dans les dernières décennies que dans les années 1960, 1970, s'inscrit dans la vague de la réception internationale. A partir des années 1990 ses pièces commencent à inspirer le théâtre thérapeutique destiné aux personnes mentalement malades. Son oeuvre théâtrale commence à être adaptée à l'opéra et à d'autres formes de théâtre musical. L'importance et l'actualité de cette oeuvre se traduit dans sa présence dans les théâtres nationaux et municipaux et dans le fait qu'elle inspire les artistes du théâtre professionnel et d'amateur. La réception du théâtre de Witkiewicz qui continue à exister de manière plus épisodique après 1989 est moins importante que celle de Gombrowicz malgré le fait que ses pièces sont mises en scène par les artistes reconnus en France tels que Christian Schiaretti et Marc Paquien, qu'elles inspirent de jeunes générations de metteurs en scène tels que Hugues de la Salle ou Jessica Dalle, que différentes compagnies et associations promeuvent son oeuvre théâtrale. L'oeuvre de cet auteur reste toujours largement inaccessible au public français et insuffisamment explorée contrairement à celle de Slawomir Mrozek. Le théâtre de Slawomir Mrozek est au meilleur de sa réception française dans les années 1970 et 1980, donc la période après 1989 n'est qu'une sorte de volonté de la part de certains metteurs en scène comme Jorge Lavelli, Gabriel Meretik ou Gilles Sagal de faire revivre et redécouvrir son théâtre en France mais leurs mises en scène ne sont pas des événements de grande envergure. Le théâtre de Mrozek reste plus facile d'accès que celui Gombrowicz et de Witkiewicz, mais il perd sa puissance en France durant les dernières 7 années car il n'est plus aussi bien interprété en scène qu'à l'époque de la compagnie de Laurent Terzieff. En outre, l'univers de Mrozek surtout liée, pour les Français, à l'absurde du système totalitaire et à la condition de l'homme dans la réalité socialiste perd de son impact avec la chute du communisme en Europe Centrale. Nous constaterons que les textes dramatiques qui sont considérés comme textes phares dans leur culture « source » ne le sont pas dans la culture d'accueil, malgré l'effort des traducteurs et des organismes en France qui aident la traduction : Maison d'Europe et d'Orient (MEO), la Maison Antoine Vitez (MAV), l'ANETH - Aux nouvelles écritures théâtrales. Ainsi nous aborderons la question de la réception très épisodique des textes : Les Aïeux d'Adam Mickiewicz, Kordian de Juliusz Slowacki, La Noce de Wyspianski dont certains apparaissent pour la première fois en traduction française dans les années 1990. Les années 1990 et 2000 sont particulièrement fertiles en traduction théâtrale polonaise, selon les données des catalogues de la MEO, de la MAV et de l'ANETH, mais très peu de textes sont montés sur les scènes françaises et publiés. La Saison Nova Polska met particulièrement en valeur les textes dramatiques contemporains polonais choisis pour représenter le renouveau dans le drame polonais. Pour la majorité des auteurs cette occasion ne produira pas de suites. Durant la période sur laquelle se focalisent nos recherches, malgré la réalisation de nombreuses traductions des drames polonais, peu d'entre elles sont publiées, encore moins mises en scène par les artistes français. La réception des oeuvres dramatiques des auteurs polonais en France, excepté Witold Gombrowicz, est beaucoup moins positive que celle de l'art du spectacle polonais. La lecture de l'autre à travers le théâtre est supposée rester une lecture partielle, le récepteur n'ayant pas le même bagage du vécu historique que l'objet perçu? Peut-être cette lecture est-elle plus partielle mais moins partiale, permettant de jeter une nouvelle lumière sous un angle d'une culture différente. 8