Travailleurs immigrés dans la France de l`entre-deux-guerres

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Travailleurs immigrés dans la France de l`entre-deux-guerres
Travailleurs immigrés dans la France de l’entre-deux-guerres : la situation des Polonais / J.
Ponty (historienne, professeur émérite des universités) :
J. Ponty a intitulé un de ses ouvrages récents Polonais méconnus (2005), car l’histoire de
l’immigration polonaise est en effet relativement moins bien connue que celle d’autres courants
migratoires (notamment l’immigration italienne). Les Polonais constituent pourtant la deuxième
nationalité parmi les étrangers arrivant en France entre les années 1920 et les années 1950.
Les caractéristiques de cette immigration sont qu’elle est collective, sélective, et qu’elle
s’accompagne au moins pour la première génération d’une volonté de retour au pays.
Aujourd’hui, les descendants de ces premiers immigrés polonais (on en est à la quatrième
génération) sont pourtant très intégrés et ne conservent souvent plus qu’une mémoire assez vague
de l’immigration de leurs arrière-grands-parents.
I) Questions juridiques
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la Troisième République encadre peu les flux migratoires.
Mais pendant le conflit, le gouvernement se trouve face à un impérieux besoin de main-d’œuvre
et institue donc des conventions de travail avec des pays non-engagés dans la guerre (notamment
la Grèce, l’Espagne et le Portugal).
Ces premières conventions créent un précédent et leur principe est ensuite renouvelé après le
conflit : des conventions sont ainsi signées avec la Pologne et l’Italie en septembre 1919, avec la
Tchécoslovaquie en mars 1920. Les bases sur lesquelles ces migrations sont organisées sont :
- des contrats de travail de six mois ou un an (ils sont obligatoires : un émigrant ne
peut partir dans le cadre de ces conventions sans contrat pré-établi)
- l’avance par la France du prix du voyage (qui doit ensuite être remboursé par le
migrant)
- l’égalité salariale par rapport aux travailleurs français.
Enfin, une fois le contrat de travail achevé, une carte d’identité de travailleur étranger est remise
au migrant s’il souhaite rester en France.
Ces conventions rencontrent un grand succès et contribuent largement à ce qu’entre 1921 et 1931
le nombre d’étrangers vivant en France double.
Mais ce succès pose de nouvelles questions car les immigrés recrutés dans le cadre de ces
conventions viennent souvent avec leurs familles et choisissent en fait de rester à la fin de leur
contrat de travail, ce qui n’était pas prévu (ex.: faut-il scolariser les enfants de ces migrants ? La
question n’est définitivement tranchée qu’en 1936 lors de l’allongement de la scolarité
obligatoire qui concerne explicitement aussi les enfants étrangers).
II) Pourquoi des Polonais ?
Des liens ont été créés entre la France et la Pologne au XIXème siècle et maintenus ensuite (ex. :
rôle de la France dans les négociations du traité de Versailles pour imposer une plus grande
Pologne).
Par ailleurs, la Pologne connaît au début du XXème siècle une importante surpopulation rurale
qui ne peut pas être absorbée par une industrie encore limitée. Enfin les Etats-Unis se ferment à
l’immigration dans les années 1920 alors que de nombreux Polonais y avaient jusqu’alors émigré
(plus de 2 millions de Polonais arrivent aux Etats-Unis au XIXème siècle).
Cela explique la volonté des Polonais de partir vers la France, malgré des conditions de
recrutement et de sélection des travailleurs très dures, voire dégradantes (ex. : examen des dents,
des mains qui doivent être calleuses - signe d’ardeur au travail -, de la constitution).
Le but de ces migrants est alors de gagner en peu de temps assez d’argent pour revenir en
Pologne et acheter une terre.
Mais les conditions de vie des Polonais à leur arrivée en France sont très dures : ils ne parlent pas
français, ne savent souvent pas lire, sont régulièrement maltraités au travail et lorsqu’ils ont été
recrutés pour l’agriculture sont très isolés (ex. : assez nombreuses femmes placées seules dans
des exploitations agricoles).
Dans l’industrie cependant les Polonais peuvent se retrouver et reformer des communautés ce qui
rend le déracinement moins difficile. C’est notamment le cas dans les mines de charbon où la
demande en main-d’œuvre immigrée est alors très forte. Cependant ces Polonais travaillant dans
l’industrie ne sont pas à l’abri de rapatriements forcés : en 1934-5, 35 000 d’entre eux sont
obligés de repartir en Pologne sur décision du ministère de l’industrie en raison de la crise
économique. Ils ont alors 48 heures pour réunir leurs affaires et ne peuvent emporter que 30 kilos
de bagages. Les syndicats restent indifférents à cette situation, contrairement aux directions des
mines qui cherchent à conserver ces travailleurs formés.
Une partie des Polonais finit cependant par rester en France, souvent parce qu’ils n’arrivent pas à
amasser assez d’argent pour acheter une terre en Pologne (notamment parce qu’il leur faut
rembourser le prix de leur voyage vers la France). La communauté polonaise en France croît
donc surtout dans le Nord et le Pas-de-Calais (200 000 Polonais en 1931 dans ces deux
départements). Mais les Polonais restent considérés comme inassimilables (ex. : en 1945 G.
Bidault refuse d’accueillir des Polonais déplacés de l’Est de la Pologne en raison des nombreux
problèmes qu’ont d’après lui posé les Polonais en France pendant l’entre-deux-guerres). Cette
vision de la communauté polonaise s’explique en partie par le fait que les Polonais vivent souvent
entre eux (ex. : jusqu’aux années 1960, les mariages ne se font qu’au sein de la communauté),
qu’ils ne souhaitent pas être naturalisés et que nombre d’entre eux espèrent en fait toujours
repartir en Pologne. De plus, leur catholicisme fervent n’est pas toujours bien vu dans une France
de moins en moins religieuse.