Elsa Linux à St-Tropez

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III
TOUJOURS SAMEDI 16 JUILLET
JE VOUS ACHÈTERAI DES SEINS
16 h 00. Me réveille délicieusement moulue, comme si
j’avais descendu la cordillère des Andes sur les fesses.
Le soleil entre à flots par les bulbes vitrés. Mon portable
est en train de sonner.
— Elsa ?
C’est Laura. Elle est inquiète, ça fait dix fois qu’elle
m’appelle.
— Je me suis couchée très tard.
— Raconte ! Koutur t’attendait ? Il est comment ?
Je lui décris ma nuit dans les grandes lignes : les vigiles,
la chambre, la fête, la présentation à Arte, ce qu’il a fait de
mon pyjama, l’interview, les filles jalouses et les types qui
tiraient des langues de malades... J’insiste bien sur la dernière partie de ma nuit, histoire de la faire bisquer.
Une pleine Brigade d’Intervention Approfondie, ça lui
en bouche un coin :
— C’étaient des gradés, au moins ?
— Je suis de gauche, Lolo ! Avec moi, tout le monde a
sa chance !
Elle renifle avec mépris :
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— Eh bien, pendant que tu t’éclatais avec le prolétariat,
on a dormi sous la tente, entre une famille belge qui
ronfle et des caïds de banlieue qui mettent du rap à six
heures du matin !
— Sacha est furax ?
— Ben tiens !
— Un peu de patience, les filles, je devrais pouvoir
vous loger très bientôt.
— On ne peut pas passer prendre le thé ? insiste-t-elle.
C’est déjà l’après-midi, tu sais !
— Ici, l’après-midi, c’est encore la nuit, ma cocotte !
— Et les amies, c’est des boulets ! fait la voix de Sacha
en arrière-plan.
— Mais non ! C’est simplement que personne n’est
levé, ici. Ça ne servirait à rien.
Laura revient en ligne :
— Qui est-ce qu’il y avait comme pipeule ? Philippe
Gildas ? (Elle a une passion pour lui, je ne sais pas pourquoi.)
— Non.
— Benoît Magimel ?
— Pas vu.
— Philippe Torreton ?
— Absent.
— Chloé Comte ? Keira Knightley ?
— Non.
— Cécile de Ménibus ?
— Même pas. Mais j’ai croisé Carlos, et Henri
Salvador, et Johnny Hallyday...
Il y a un silence. Puis :
— T’es dans un hospice de vieillards, c’est ça ?
— Si c’étaient des vieillards, ils étaient gavés de Viagra !
je fais, pincée.
— Parce que tu t’es pas contentée des flics ? grince
Sacha dans le fond de la tente.
— Écoutez, je vous rappelle dès que j’ai un moment,
d’accord ? En attendant, si vous alliez à la plage jouer au
cerf-volant ?
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16 h 18. Comprends maintenant ce que vivent les rares
élu(e)s qui arrivent à s’en sortir : ils doivent aussi gérer
celles et ceux qui sont restés en arrière.
16 h 20. Douche froide, examen critique dans la glace (il
me semble que je suis environnée d’une sorte d’aura charnelle rose pâle). Il ne me reste rien des fatigues d’hie... de
tout à l’heure, en fait ! C’est fou comme tout va vite, ici !
Évidemment, le brushing que m’a fait Bernardo
Bernardin n’a pas tenu, mais pour le reste, ça va.
Et si j’appelais Titus ? « Titou, je me suis envoyée en l’air
avec trois Provençaux déguisés en ardents musiciens sudaméricains, tou mé manqué ! »
16 h 22. Je plaisante ; je voulais entendre sa voix, c’est
tout, mais je suis tombée sur son putain de message :
« Vous êtes bien chez Titus Lolsbech mais il est absent.
Il ne manquera pas de vous rappeler si vous lui laissez vos
mensurations et votre numéro de téléphone. »
Ce n’est pas drôle.
16 h 25. C’est pas tout, il faut la jouer show-off maintenant. Alors, « outrageous » comme Posh (Victoria Beckham) ou « vulgos-grave », comme Britney Spears ?
Finalement, enfile un jupon Sinequanone couleur tabac et
mon petit corselet en satin noir. La simplicité, il n’y a que ça.
16 h 35. Cette baraque est immense, je ne m’étais pas
rendu compte à quel point hier ! Erre un bon bout de
temps dans les couloirs avant de trouver une sortie.
Elle mène à la surface, dans un jardin démesuré planté
de palmiers comme on en voit à Hollywood. Le soleil
tape, ça sent les épices pour steaks et les cigales s’en
donnent à cœur joie : le Midi, quoi, comme on le voit
dans les journaux. Ciel céruléen (les rédactrices de journaux aiment bien ce mot-là : céruléen), bungalows crépis
à la chaux éparpillés dans le maquis...
C’est tellement beau que je me demande ce que je fais là.
Toujours pas un chat, à part deux ou trois vigiles
habillés de noir, lunettes-miroirs, oreillettes, qui fouillent
les buissons du bout de leurs fusils à pompe.
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Je ne voudrais pas être quelqu’un du fisqueu.
15 h 42. À propos du fisqueu, c’est ennuyeux tout de
même qu’on espionne mon voisin de chambre à partir de
ma penderie. Même si ce Gospici n’est pas un type très
honnête (qui l’est, de nos jours, à part moi ?), il a tout de
même droit à sa vie privée.
Je devrais peut-être en parler à Arte ? D’un autre côté,
ces trois garçons m’ont délicieusement fait jouir. Je suis
un peu leur complice maintenant.
15 h 44. Et puis ils ont mon dossier, aux Renseignements Généraux.
16 h 50. Après avoir demandé mon chemin plusieurs
fois à des vigiles déguisés en jardiniers, finis par déboucher devant une sublime piscine à débordement creusée à
même la roche. De là, on voit tout le golfe, et l’horizon
qui tremble de chaleur, au loin.
Un robuste sexagénaire emmitouflé dans un somptueux kimono garance est assis à l’ombre des palmiers
devant un buffet somptueux, deux ordinateurs portables,
sept iPod et trois téléphones à portée de main.
Il me hèle joyeusement :
— Hello, Elsa ! En forme ?
16 h 27. Je ne l’avais pas reconnu : c’est Arte ! Ses
cheveux sont redevenus noirs, son nez est plus busqué
que jamais et ses yeux perçants brillent comme du
magnésium. Il a perdu un demi-siècle en une nuit !
Me laisse tomber dans le fauteuil à côté de lui.
— J’ai cent ans, Arte. Vous, par contre, comment se
fait-il que... ?
— Je rajeunisse ? DHEA, vitamine C, extrait de
couilles de taureau camarguais et concentrés thyroïdiens
de murènes ! (Il hausse les épaules.) Mais ça ne dure
jamais : le matin, j’ai vingt ans, à midi j’en ai trente, à
seize heures, j’en ai quarante, quand la nuit tombe,
soixante. Je vais me coucher quand je frôle les cent ans.
Je le regarde, l’œil rond :
— Sans blagues ?
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