depenalisation de l`euthanasie, 10 ans apres

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depenalisation de l`euthanasie, 10 ans apres
DEPENALISATION DE L’EUTHANASIE,
10 ANS APRES
Sotieta NGO
Décembre
Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles
2012
A.
Définitions, lois nationales et chiffres ............................................ 3
1. La Belgique ................................................................................... 3
1.1
La loi du 28 mai 2002 ........................................................ 3
1.2
Avant la loi du 28 mai 2002 ................................................ 3
1.3
La Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de
l’euthanasie ............................................................................. 4
1.4
Les chiffres ...................................................................... 5
2. Les Pays-Bas ................................................................................. 6
3. Le Luxembourg et la Suisse ............................................................ 7
4. Les autres Etats ............................................................................. 8
B.
La loi du 28 mai 2002 – rétroactes politiques en Belgique ............. 8
C.
Le débat éthique........................................................................... 11
1. Palliativisme versus euthanasie ? – L’exemple français ..................... 11
2. Le droit de tuer versus le droit à la vie ? ......................................... 13
3. Les dérives de la dépénalisation .................................................... 15
D.
En Belgique : les nouveaux enjeux ............................................... 15
1. Une évaluation de la loi ................................................................ 15
2. Les cliniques de l’euthanasie ......................................................... 16
3. Un élargissement de la loi aux mineurs........................................... 18
4. Un élargissement de la loi aux personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer et de dégénérescence cérébrale ....................................... 20
E.
Le Conseil de l’Europe .................................................................. 21
F.
La loi du 14 juin 2002 relative aux soins palliatifs ........................ 21
G.
La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient ................... 22
Conclusion ............................................................................................. 22
Bibliographie ......................................................................................... 24
1
Institut Emile Vandervelde – www.iev.be - [email protected]
Introduction
La loi belge dépénalisant l’euthanasie a récemment célébré ses 10 ans. Cet
anniversaire a été l’occasion pour les opposants à la loi de rappeler leurs
objections au principe de l’euthanasie et d’en appeler à son évaluation. Faisant
écho à cet appel, les partisans de la loi ont quant à eux plaidé à son
élargissement notamment en ce qui concerne les mineurs.
Après de longs débats dans tous les cénacles et pendant des années, la Belgique
a opté il y a dix ans pour la voie osée de la dépénalisation, dépassant les
blocages des uns et les craintes des autres. Pourtant le clivage entre les
praticiens apparaît encore bien présent, traduisant la diversité des sensibilités
philosophiques au sein de la population.
Comme pour d’autres questions éthiques ou bioéthiques, les débats qui agitent
aujourd’hui la France nous rappellent quasiment mot pour mot les discussions
qui ont abouti à la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique. Dépénalisation
qui, faut-il le rappeler, n’existe qu’en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas.
La Belgique a ainsi résolument adopté une voie progressiste quasi unique au
monde qui consacre le droit de mourir dans la dignité1.
Bien que célébrant ses 10 années d’existence, la loi n’apparaît pourtant pas à
l’abri de toute velléité de retour en arrière. Les situations individuelles parfois
très médiatisées provoquent inlassablement le même émoi au sein de l’opinion
publique. Le débat déchaîne les passions car il mélange l’éthique, le juridique, le
médical et les convictions personnelles. Chaque citoyen se sent concerné. Et les
professionnels se déchirent régulièrement en fonction de leur réalité quotidienne
pour demander des aménagements de la loi ou sa révision.
Le monde politique observe prudemment ces discussions et chaque parti dépose
régulièrement des propositions de loi en la matière. Aucune n’a jusqu’ici fait
l’objet d’une discussion concrète. Si chaque jour des euthanasies sont
pratiquées, le temps presse pour assurer à tous les citoyens le respect de leur
dignité et de leurs volontés en fin de vie. Dix années après avoir pris le chemin
de la dépénalisation, les autorités doivent reprendre les discussions et peut-être
oser franchir d’autres étapes en matière d’euthanasie.
Plus qu’une simple rétrospective des débats entourant la question de
l’euthanasie, cette contribution vise également à éclairer le lecteur sur les grands
principes figurant dans la loi du 28 mai 2002 et ses nouveaux enjeux.
1
L’ADMD, association pour le droit de mourir dans la dignité, a repris ces termes dans son appellation pour
illustrer son combat. L’ADMD est membre de la Fédération mondiale WFRDS, World Federations of Right to Die
Societies. Site de l’ADMD : http://www.admd.be/ et site de la WFRDS : http://www.worldrtd.net/
2
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A.
Définitions, lois nationales et chiffres
1. La Belgique
1.1
La loi du 28 mai 2002
La Belgique a dépénalisé l’euthanasie par une loi du 28 mai 2002, devenant le
second pays au monde à autoriser l’euthanasie après les Pays-Bas.
La loi belge prévoit plusieurs conditions cumulatives.
Le patient doit être majeur ou mineur émancipé2, capable et conscient au
moment de sa demande. La demande doit être formulée de manière volontaire,
réfléchie et répétée. Elle doit être confirmée par un écrit daté et signé. Un tiers
peut retranscrire la volonté du patient
Le patient doit être dans une situation médicale sans issue et faire état d’une
souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être
apaisée et qui résulte d’une affection grave et incurable, incurable ne signifiant
pas forcément mortelle. Il appartient dans tous les cas au médecin d’apprécier la
gravité de la situation comme le caractère insupportable de la douleur.
Le médecin doit avoir plusieurs entretiens avec le patient et a l’obligation de
consulter un confrère notamment concernant les éléments médicaux. Ce second
médecin n’a pas à se prononcer sur l’opportunité de pratiquer une euthanasie. Il
n’est consulté que pour confirmer le caractère grave et incurable de l’affection du
patient ainsi que le caractère inapaisable et insupportable de la douleur.
Si le patient est en phase terminale, un délai minimal d’un mois doit s’écouler
entre la demande du patient et l’euthanasie.
Enfin, si le patient est inconscient, l’euthanasie ne peut être pratiquée que s’il a
signé une déclaration anticipée préalable, en présence de 2 témoins. La
déclaration anticipée est un document par lequel une personne exprime sa
volonté de bénéficier d’une euthanasie si elle venait à se trouver dans les
conditions légales mais serait incapable d’exprimer son souhait. Cette déclaration
n’est valable que 5 ans et peut être enregistrée à la commune.
1.2
Avant la loi du 28 mai 2002
Avant la dépénalisation, un médecin qui pratiquait une euthanasie pouvait être
poursuivi pour homicide volontaire avec préméditation. Malgré cette qualification
pénale grave, on relève peu de poursuites pénales et de procès médiatisés
condamnant un médecin ou un autre praticien pour de tels faits.
2
L’émancipation est une procédure par laquelle le tribunal de la jeunesse accorde à un mineur âgé de 15 ans
minimum une majorité avant l’âge. Il est alors assimilé à un majeur, sauf pour ce qui concerne le droit pénal.
L’émancipation d’un mineur est une procédure exceptionnelle.
3
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En 2000, relevons le cas emblématique de deux médecins du CHR de la Citadelle
à Liège, les Docteurs Radoux et Chevolet qui furent inculpés pour assassinat
après avoir débranché le respirateur d’un patient à sa demande, après lui avoir
injecté notamment de la morphine. Un non lieu fut finalement prononcé après
l’entrée en vigueur de la loi. La même année, une infirmière accusée
d’euthanasie sur une patiente en phase terminale du cancer a été traduite devant
la Cour d’Assise et finalement acquittée.
En 2001, deux affaires concernent respectivement un médecin inculpé et un
infirmier inculpé pour avoir mis un terme à la vie de trois patients inconscients et
en phase terminale. L’infirmier a été acquitté pour les deux arrêts de traitement
mais condamné pour l’injection létale3.
1.3
La Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de
l’euthanasie
La loi du 28 mai 2002 a créé la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation
de l’euthanasie. Chaque euthanasie doit faire l’objet d’une déclaration a
posteriori auprès de la Commission, laquelle fait rapport tous les deux ans au
Parlement. Dans son rapport, la Commission présente les statistiques
enregistrées sur la période observée et y formule le cas échéant des
recommandations notamment de modifications législatives.
Le législateur a assuré à la Commission une composition reflétant un équilibre
entre les professionnels concernés par les questions de fin de vie. En effet, la
Commission se compose de seize membres désignés sur base de leurs
connaissances et de leur expérience en la matière. Huit membres doivent être
docteurs en médecine dont quatre au moins sont professeurs dans une université
belge. Quatre membres doivent être professeurs de droit dans une université
belge ou avocats. Enfin, quatre membres doivent être issus des milieux chargés
de la problématique des patients atteints d’une maladie incurable.
Chaque déclaration d’euthanasie est réalisée dans un document d’enregistrement
complété par le médecin. Ce document comprend deux volets confidentiels. Le
premier est scellé par le médecin et comprend des informations telles que
l’identité de la personne euthanasiée, l’identité du médecin et des personnes
consultées ainsi que l’identité de la personne de confiance éventuellement
désignée. Le second volet du document contient notamment les informations
factuelles relatives à la pathologie de la personne euthanasiée, la nature de la
souffrance, les motifs pour lesquels celle-ci a été qualifiée d’inapaisable, les
précisions sur l’heure du décès et la procédure suivie par le médecin.
Les membres de la Commission examinent dans un premier temps le second
volet de la déclaration d’enregistrement et vérifient sur base des informations qui
y sont reprises, si l’euthanasie a été effectuée dans le respect des conditions
légales. Ce n’est qu’en cas de doute que la Commission peut décider de lever
l’anonymat du dossier et consulter le premier volet de la déclaration. Si la
Association pour le droit de mourir dans la dignité, bulletin trimestriel n°123, p. 13. En ligne
http://www.admd.be/Bulletins/Bulletin%20123.pdf
3
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Commission juge que les conditions légales n’ont pas été respectées, elle
transmet le dossier au Procureur du Roi.
Dans la grande majorité des cas, la Commission se limite à l’examen du second
volet de la déclaration d’enregistrement. Lorsque le premier volet est consulté
c’est dans la plupart des cas pour attirer l’attention du médecin sur des
imperfections dans le respect de la procédure mais qui ne mettaient pas en
cause le respect des conditions légales.
A ce jour, aucun dossier n’a été transmis à la Justice.
1.4
Les chiffres
En 2011, 1.133 euthanasies ont été déclarées en Belgique. Depuis l’adoption de
la loi, on constate une lente augmentation des euthanasies mais la crainte de
voir les cas d’euthanasie devenir légion ne s’est PAS vérifiée. Au contraire, la loi
sur les soins palliatifs4 adoptée parallèlement à la loi dépénalisant l’euthanasie a
assuré un équilibre dans la législation consacrée à la fin de vie.
Un élément à souligner est l’importante différence existant entre le nord et le sud
du pays. En effet, pour les années 2010 et 2011, sur les 2.086 déclarations
d’euthanasies enregistrées par la Commission fédérale de contrôle et
d’évaluation de l’euthanasie, 82% ont été formulées en néerlandais. Un tel écart
entre le nord et le sud du pays est remarqué dans chaque rapport de la
Commission qui formule plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène. Une
des explications concerne la différence dans l’information fournie aux médecins
mais aussi au public. Dans son premier rapport, la Commission signale
l’importance du rôle des médecins LIEF5, qui encadrent et soutiennent les
médecins moins ou pas aguerris à la pratique de l’euthanasie. Le Forum EOL6 en
Belgique francophone équivalent au Forum LIEF a été mis en place après celui-ci.
Le soutien apporté aux médecins moins aguerris à l’euthanasie assure
probablement une meilleure compréhension de la procédure et du respect de
l’obligation de déclaration. Cette assistance par les Forum EOL ou LIEF dépasse
la simple information procédurale ou juridique. Elle offre également un lieu de
parole pour échanger ses réflexions et sa pratique en matière d’euthanasie. La
communication utilisée dans ces circonstances mais aussi la spiritualité en fin de
vie sont également des thèmes abordés.
On retiendra également des différences dans les attitudes socioculturelles par
rapport aux pratiques médicales en fin de vie mais aussi concernant des
différences dans le respect de l’obligation de déclaration.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, près de 5.000 euthanasies
ont été pratiquées en Belgique. Le dernier rapport de la Commission fédérale de
contrôle mentionne qu’en moyenne 64 euthanasies sont réalisées chaque mois.
4
5
6
Voir infra, Loi sur les soins palliatifs du 14 juin 2002
Voir infra, La clinique de l’euthanasie
Voir infra, La clinique de l’euthanasie
5
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Près de 80% des euthanasies réalisées concernent des personnes atteintes d’un
cancer généralisé dont le décès était attendu dans les jours ou semaines.
Dans 97% des cas, l’euthanasie a été réalisée suite à une demande consciente
de la personne, et dans 3%, sur base d’une déclaration anticipée.
Les personnes qui ont bénéficié d’une euthanasie se situaient en majorité dans la
tranche d’âge entre 60 et 79 ans. La tranche d’âge de 40 à 59 ans est la seconde
en ordre d’importance.
L’euthanasie est pratiquée à domicile ou à la résidence7 du malade dans 52% des
cas et en milieu hospitalier dans 45% des cas8.
9
2. Les Pays-Bas
La législation néerlandaise, pionnière en la matière, a été adoptée le 10 avril
2001. Elle dépénalise l’euthanasie et l’assistance au suicide.
Le patient doit faire état d’une souffrance insupportable sans espoir
d’amélioration. Il doit formuler sa demande volontairement et doit être informé
de toutes les possibilités. Les mineurs, à partir de 12 ans, peuvent bénéficier
d’une euthanasie. Si le mineur n’a pas atteint l’âge de 16 ans, ses parents
7
Domicile privé ou maison de repos
Association pour le droit de mourir dans la dignité, Bulletin trimestriel n°123, p.42 et s. En ligne
http://www.admd.be/Bulletins/Bulletin%20123.pdf
9
Schéma repris du cinquième rapport de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie du
24 juillet 2012, relatif aux années 2010 et 2011. En ligne
http://www.health.belgium.be/eportal/Healthcare/Consultativebodies/Commissions/Euthanasia/Publications/ind
ex.htm
8
6
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doivent donner leur consentement. Entre 16 et 18 ans, les parents sont consultés
mais la décision est prise par le patient.
3.695 euthanasies ont été déclarées pour l’année 2011. Comme en Belgique, les
demandes d’euthanasie sont en augmentation mais aucune dérive n’a jusqu’ici
été constatée.
3. Le Luxembourg et la Suisse
Depuis les prises de positions belge et néerlandaise, en Europe, seul le
Luxembourg a fait le pas tandis que la Suisse avance timidement sur les
questions de fin de vie.
La loi luxembourgeoise du 16 mars 2009 vise l’euthanasie et l’assistance au
suicide10. Elle autorise l’euthanasie dans des conditions quasiment similaires à la
législation belge. Notons que comme le Roi Baudouin au moment de l’adoption
de la loi belge sur l’avortement, le Grand Duc Henri avait trouvé le moyen de ne
pas signer cette législation. La comparaison avec la situation belge est entière
puisque le Luxembourg a promulgué le même jour que sa loi consacrée à
l’euthanasie, une loi relative aux soins palliatifs, à la directive anticipée et à
l’accompagnement en fin de vie11.
Le Luxembourg s’est distingué de la Belgique en ce que l’assistance au suicide y
est clairement définie et autorisée dans les mêmes conditions que l’euthanasie.
La législation belge ne vise quant à elle pas spécifiquement le suicide assisté qui
est implicitement autorisé.
La Suisse n’a pas adopté de législation concernant l’euthanasie active qui reste
assimilée à un homicide. L’assistance au suicide y est néanmoins autorisée. La
législation pénale suisse distingue en effet le meurtre « sur la demande de la
victime » (article 114 du code pénal) de l’incitation et l’assistance au suicide
(article 115 du code pénal). Cette législation de 1918 nuance les deux situations
par les actes posés par l’auteur de l’infraction: soit il aura donné la mort auquel
cas un emprisonnement est prévu, soit il aura prêté son assistance en vue du
suicide, un emprisonnement n’étant prévu que si l’auteur a été poussé par un
mobile égoïste12.
En juin 2012, le canton de Vaud a fait un pas supplémentaire en approuvant la
mise en place d’un cadre légal pour le suicide assisté dans les établissements
médicaux.
Loi
luxembourgeoise
du
16
mars
2009
sur
l’euthanasie
et
l’assistance
au
suicide ;
http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2009/0046/a046.pdf
11
Association pour le droit de mourir dans la dignité. En ligne http://www.admd.net/international/leluxembourg.html
12
Mock, H. (2004). Euthanasie et suicide assisté en Suisse. Etat des lieux et perspectives. Revue trimestrielle
des droits de l’Homme, 57/2004, pp53. En ligne http://www.rtdh.eu/pdf/200451.pdf
10
7
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4. Les autres Etats
Aux Etats-Unis, l’euthanasie est illégale et est toujours qualifiée de meurtre ou
d’assassinat. Depuis 1997, l’Etat de l’Oregon a néanmoins adopté l’« Oregon
death with dignity Act » autorisant le suicide médicalement assisté. Peuvent en
bénéficier, les patients majeurs atteints d’une maladie incurable et dont la mort
est prévue dans un délai de 6 mois. Cette législation permet à un médecin de
prescrire des doses mortelles de médicaments à ces patients13.
Les Etats de Washington et du Montana ont adopté une législation similaire en
2009.
B.
La loi du 28 mai 2002 – rétroactes politiques en
Belgique
Bien qu’adoptées à une année d’intervalle, les législations belge et néerlandaise
se distinguent fondamentalement par le contexte qui les a vues naître. Aux PaysBas, l’objectif de la législation était essentiellement la régulation de la pratique.
Le procès de Leeuwarden qui a lieu aux Pays-Bas en 1973 ouvre le débat. Entre
1973 et le début des années 80, une jurisprudence se développe pour mesurer la
légitimité de l’intervention du médecin qui pratique une euthanasie. Des critères
émergent de cette jurisprudence et sont même recommandés par l’Association
royale néerlandaise des médecins, de sorte que depuis 1980, la pratique de
l’euthanasie y est, à certaines conditions, largement tolérée et des poursuites
pénales ne sont pas engagées14.
En Belgique par contre, les questions de bioéthique clivent fortement l’opinion
publique et les partis politiques15. Ce clivage illustre probablement les
positionnements catholique et laïc qui se retrouvent dans une partie importante
des questions de société en Belgique. La fracture existant entre les partis
socialistes et socio-chrétiens sur ces questions est omniprésente. Le timing des
débats sur l’euthanasie ainsi que les arguments utilisés en témoignent.
En 1992, au lendemain des discussions sur la dépénalisation de l’avortement16 et
le positionnement délicat du Roi Baudouin17, le CVP cadenasse dans l’accord du
Gouvernement Dehaene réunissant les socialistes et les socio-chrétiens, tout
risque de débordement en matière de bioéthique. L’accord de gouvernement
http://droit-medecine.over-blog.com/article-28648768.html
Voir l’exposé de Mr Yvon Englert, vice-président du Comité consultatif de bioéthique au Sénat,
http://www.senate.be/www/webdriver?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=2&NR=244&VOLGNR
=22&LANG=fr
15
Voir notamment les débats entourant les autres questions de bioéthiques telles que l’avortement ou la
procréation médicalement assistée.
16
Loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption volontaire de grossesse publiée au Moniteur belge le 5 avril 1990
17
Le Roi Baudouin avait été mis en incapacité de régner pendant 36 heures pour ne pas devoir signer la loi
dépénalisant l’avortement approuvée par le Parlement qui allait à l’encontre de ses convictions philosophiques.
Ce subterfuge avait permis d’éviter une abdication du souverain et une crise politique majeure.
13
14
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exclut qu’un enjeu éthique non spécifiquement précisé ne puisse être abordé au
Gouvernement de même qu’au Parlement18.
Plusieurs propositions de loi sont déposées mais n’aboutissent pas19 en l’absence
de majorité politique. En 1997, une première ouverture a lieu lorsque les
présidents de la Chambre et du Sénat sollicitent le Comité Consultatif de
Bioéthique sur l’opportunité d’un règlement légal de l’euthanasie. Dans son
premier avis du 12 mai 1997, le Comité y définit l’euthanasie comme un « acte
pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la
demande de celle-ci »20. Il formule 4 propositions dont 3 encouragent à
légiférer21.
La première propose de dépénaliser l’euthanasie sur base du « droit de tout
individu de disposer lui-même de sa vie et de vivre selon ses convictions propres,
dans le respect de celles des autres »22. La deuxième proposition suggère une
régulation a posteriori de l’euthanasie décidée en colloque singulier. Il s’agit
d’une régulation sociale via un formulaire rempli par le médecin et soumis à des
instances judiciaires. La troisième envisage une régulation procédurale a priori
des décisions d’euthanasie envisagées dans un ensemble plus global des
décisions médicales concernant la fin de vie. Selon cette proposition, des
procédures impliquant une concertation du patient, de l’équipe soignante et de la
famille avec l’assistance éthique d’une personne tierce seraient rendues
obligatoires. Enfin la quatrième proposition maintient l’interdit légal de
l’euthanasie au nom de « la valeur éminente de la vie comme support naturel de
tous les autres droits de la personne »23.
Le Comité conclut par son incapacité à trancher entre ces propositions « dans un
débat où les orientations éthiques et les conceptions de la vie sont
fondamentalement divergentes ». Il engage les autorités à susciter un large
débat démocratique entre les acteurs concernés et plus largement entre tous les
citoyens.24
A la suite d’une proposition de résolution du sénateur socialiste Roger Lallemand
visant à initier une recherche d’informations et une discussion à propos des
problèmes de fin de vie25, des débats sont initiés au Sénat les 9 et 10 décembre
1997. La famille sociale-chrétienne y défend fermement le maintien de l’interdit
légal de l’euthanasie, tout comme le Vlaams Belang. Les socialistes, le VLD26, la
N. Schiffino, Cellules-Souches et clonage en Belgique : quelle régulation ? Louvain med. 122: S194-S209,
2003. http://sites.uclouvain.be/loumed/CD/DATA/122/S194-209.PDF
19
Voir notamment les propositions déposées par Edgar D’Hose en 1984, par Edouard Klein en 1988 et par
Serge Moureaux en 1995.
20
Avis du Comité Consultatif de Bioéthique n°1 du 12 mai 1997 concernant l’opportunité d’un règlement légal
de l’euthanasie. En ligne
http://www.health.belgium.be/eportal/Healthcare/Consultativebodies/Commitees/Bioethics/Opinions/index.htm
21
Avis du Comité consultatif de bioéthique n°1, op cit
22
Avis du Comité consultatif de bioéthique n°1, op cit
23
Avis du Comité consultatif de bioéthique n°1, op cit
24
Avis du Comité consultatif de bioéthique n°1, op cit
25
Annales du Sénat :
http://www.senate.be/www/webdriver?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=2&NR=244&VOLGNR
=22&LANG=fr
26
Le VLD défendait le droit à l’autonomie et la liberté de conscience individuelle.
18
9
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Volksunie, Ecolo et Agalev souhaitent légiférer et autoriser l’euthanasie. Le PRLFDF a une attitude non univoque27.
C’est avec le départ des sociaux-chrétiens en 1999 et la composition du
Gouvernement fédéral composé des libéraux, des socialistes et des écologistes
que les enjeux en matière de bioéthique peuvent enfin évoluer. L’euthanasie
allait faire l’objet de vrais débats.
Les Commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat
consacrent plus de 80 réunions à l’euthanasie et aux soins palliatifs. Les travaux
commencent le 20 octobre 1999 et sont clôturés le 9 juillet 2001. Au cours de
ceux-ci, de nombreuses auditions ont lieu. Elles donnent la parole aux membres
du Comité consultatif de bioéthique28, à des éthiciens, des juristes, des
représentants d’associations et des praticiens.
En décembre 1999, trois propositions de loi sont déposées conjointement par 6
sénateurs issus de 4 partis différents: le PS, le SP, le VLD, le PRL-FDF-MCC et
Ecolo29. Présentées comme un ensemble cohérent, les 3 propositions visent
respectivement l’euthanasie, la création de la Commission fédérale de contrôle et
d’évaluation de l’euthanasie et les soins palliatifs.
En juillet 2001, le Conseil d’Etat rend un avis concernant les 3 propositions de
loi. Certains passages de cet avis méritent d’être soulignés :
« examinant la conformité des propositions de loi avec le droit à la vie, la haute
juridiction rappelle que « la jurisprudence (…) indique que l’importance de
l’obligation de protéger le droit à la vie qui incombe aux autorités doit
s’interpréter notamment au regard du droit à l’autodétermination. (…) Le fait
qu’une personne demande à ce qu’il soit mis fin à ses jours ne signifie pas qu’elle
renonce au droit de protection de sa vie. Il semble au contraire que cette
personne « exerce » elle-même ce droit en fixant les limites de protection qu’elle
souhaite personnellement. (…) les articles 2 de la CEDH et 6 du PIDCP
n’impliquent nullement l’obligation pour l’Etat de protéger la vie en toute
circonstance contre le gré de l’intéressé (…) cela signifie que l’obligation des
autorités de protéger le droit à la vie (…) doit être mise en balance avec le droit
de l’intéressé d’être protégé contre les traitements inhumains et dégradants (…)
et avec son droit au respect de son intégrité physique et morale (…)
examinant l’éthique de la législation envisagée, le Conseil d’Etat cite les
considérations de la Cour suprême norvégienne concernant la législation sur
l’avortement : « il n’appartient pas aux tribunaux de décider si la solution à un
problème législatif difficile, et que le législateur a choisie (…) est ou non la
meilleure. L’appréciation du caractère légitime ou non d’une proposition visant à
Selon l’orateur, le PRL-FDF défendait qu’il n’était pas opportun de légiférer ou qu’il ne fallait pas créer de
brèche dans le principe fondamental du respect de la vie. En conclusion, le PRL-FDF suggérait que si législation
il devait y avoir, les propositions qu’il avait déposées pouvait servir de base, or une des propositions tendait à
dépénaliser l’euthanasie.
28
Par son avis n°9 rendu le 22 février 1999, le Comité consultatif de bioéthique se prononce sur l’arrêt actif de
la vie des personnes incapables d’exprimer leur volonté ;
http://www.health.belgium.be/eportal/Healthcare/Consultativebodies/Commitees/Bioethics/Opinions/index.htm
29
6 sénateurs portent conjointement ces propositions : Philippe Mahoux pour le PS, Myriam Vanlerberghe et et
Jacinta De Roeck pour le SPa, Jeanine Leduc pour le VLD, Philippe Monfils pour le MR et Marie Nagy pour Ecolo.
27
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dépénaliser l’euthanasie requiert également de partir du principe que c’est au
législateur qu’il appartient de concilier des conceptions éthiques opposées »30.
Trois législations complémentaires seront finalement adoptées en 2002 : la loi
relative à l’euthanasie, la loi relative aux droits du patient31 et la loi relative aux
soins palliatifs32.
Au moment de l’entrée en vigueur de la loi, le sénateur socialiste Philippe
Mahoux, coauteur des propositions de loi déclare: « Il ne s’agit pas de la victoire
d’une morale sur une autre, de la prééminence d’une conception philosophique
au mépris de toutes les autres. C’est la reconnaissance de l’autonomie de la
volonté de l’homme, seul juge face à ses souffrances, de la qualité et de la
dignité de ses derniers instants de vie. D’une part la parole est libérée de
l’interdit pénal et le dialogue réengagé avec le médecin qui soigne et qui, le cas
échéant, sera amené à accomplir ce dernier geste d’humanité envers son patient
qu’est l’euthanasie »33.
C.
Le débat éthique
1. Palliativisme versus euthanasie ? – L’exemple
français
L’actualité du débat initié en France sur l’euthanasie permet d’aborder les enjeux
majeurs d’une législation relative à l’euthanasie.
Depuis 2005, la France s’est dotée d’une loi sur la fin de vie, plus connue sous le
nom de loi Leonetti34. Cette législation comporte plusieurs principes
fondamentaux. Elle interdit formellement l’euthanasie et le suicide assisté. Elle
interdit
également
« l’obstination
déraisonnable »,
entendue
comme
l’administration d’actes « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que
le seul maintien artificiel de la vie ». La loi érige en principe le respect de la
volonté des patients, la préservation de leur dignité. Enfin elle met à charge du
médecin l’obligation de dispenser au patient des soins palliatifs.
La France a vu le débat sur l’euthanasie s’enflammer récemment depuis la
dernière élection présidentielle et les déclarations du candidat socialiste, François
Hollande pendant sa campagne. S’engageant à développer les soins palliatifs et
s’interrogeant sur le cadre de la loi Leonetti, l’actuel Président français a déclaré
en juillet 2012: « Peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où
l'abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec
Avis du Conseil d’Etat du 30 mai 2001, http://www.ieb-eib.org/fr/pdf/avis-conseil-etat-euthanasie.pdf
Loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient publiée au Moniteur belge le 26 septembre 2002,
http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2002082245
32
Loi du 14 juin 2002 relative aux soins palliatifs publiée au Moniteur belge le 26 octobre 2002,
http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2002061446&table_name=loi
33
http://www.philippe-mahoux.be/050_actualites.php?show_article=33
34
Loi française n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ;
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000446240&dateTexte=&categorieLien=id
30
31
11
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une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d'une
décision partagée et réfléchie ? »35. Il n’en fallait pas plus pour relancer le débat.
En France aujourd’hui comme en Belgique hier, les soins palliatifs sont
présentés comme une alternative à l’euthanasie. Un certain discours consiste à
présenter les personnes qui désirent bénéficier d’une euthanasie comme des
personnes esseulées et essoufflées de devoir se battre seules contre la maladie
sans le soutien de proches. Certains laissent parfois entendre que les proches,
lassés de la longueur du traitement, encourageraient même à faire le pas de
l’euthanasie.
Issu d’une déviance des soins palliatifs, le courant des « palliativistes » s’oppose
aux défenseurs de l’euthanasie. Comme le rappelle le sociologue Philippe
Bataille, les soins palliatifs proviennent du combat des praticiens contre
l’acharnement thérapeutique dans les années 70. Conçu comme l’alternative à
l’acharnement thérapeutique, le recours aux soins palliatifs semble aujourd’hui
être erronément considéré comme pouvant répondre entièrement aux écueils de
cet acharnement. Pourtant, si la prise en charge de la douleur est évidemment
essentielle, ce que le sociologue qualifie d’abandon médical ne suffit pas à
respecter la volonté du patient en fin de vie.
La loi Leonetti est construite sur l’idée que les soins palliatifs répondent
intégralement aux situations de fin de vie puisque les douleurs sont prises en
charge et le malade entouré de l’accompagnement médical et psychologique
destiné à apaiser ce que les soins ne parviennent éventuellement plus à
atteindre. Philippe Bataille reproche au palliativisme l’idéologie biaisée attribuée
aux défenseurs de l’euthanasie. Ceux-ci prôneraient selon eux l’individualisme du
patient qui imposerait son droit à mourir à la société, là où les soins palliatifs
assureraient une solidarité à la société qui entoure ses malades jusqu’à la fin,
sans la hâter36.
Les opposants à l’euthanasie persistent à penser qu’elle n’est pas le moyen
approprié d’accompagner des personnes condamnées par une maladie incurable
et endurant des souffrances insupportables. Ils considèrent qu’un patient entouré
de personnes aimantes et bénéficiant d’un accompagnement médical et
psychologique approprié n’opte pas pour une euthanasie. En d’autres termes,
l’euthanasie serait encore aujourd’hui une demande illustrant la faiblesse d’une
personne esseulée.
Certains rassemblent leurs pensées autour d’un principe : la société doit-elle
entendre la souffrance d’une fin de vie au lieu d’écouter « le désir de vivre qui se
manifeste dans toute expression d’une demande de mort » ? 37.
Ce qui fait dire à Philippe Bataille, à partir notamment des travaux des
commissions législatives consacrées à ces questions : « On apprend que l’agonie
Le Monde (2012), Hollande relance le débat sur l’euthanasie. En ligne
http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/07/17/hollande-relance-le-debat-sur-leuthanasie_1734817_823448.html, consulté le 5 décembre 2012.
36
Bataille, Ph. (2012), A la vie. A la mort. Euthanasie : le grand malentendu. Paris : Autrement. p. 120 et s
37
Bataille, op cit
35
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n’existe plus en soins palliatifs. Attendre la mort, soulagé de ses douleurs, l’a
(sic) fait disparaître. Ailleurs, ce type d’affirmation fait débat, mais pas en
France. Le palliativisme français a accumulé depuis une vingtaine d’années une
connaissance de la mort médicalisée, qui nourrit surtout son opposition radicale à
l’euthanasie. Médecine et soins palliatifs soulagent les douleurs de l’agonie pour
libérer la mort qui combat encore. En régime palliativiste, seuls la maladie et
l’âge tuent »38.
Contrairement à ce mouvement palliativiste, le Docteur Yvon Kennis considère
que « l’absence de souffrance et un entourage aimant et chaleureux représentent
sans doute, pour la majorité des humains, des conditions suffisantes pour
accepter, sans révolte, une fin naturelle. Cela autorise-t-il à refuser à d’autres un
choix différent ? N’avons-nous pas au contraire le devoir d’aider ceux qui ont fait
un autre choix et qui ne peuvent le réaliser seuls ? »39
En matière de fin de vie, s’écartant de la voie montrée par les Pays-Bas, la
Belgique et le Luxembourg, la France a développé une philosophie du « laissermourir ». La loi Leonetti de 2005 condamne tout geste actif d’euthanasie, même
si elle autorise l’arrêt des traitements qui maintiennent en vie comme l’arrêt de
l’alimentation et de l’hydratation lorsqu’il n’y a plus d’espoir de guérison et que le
patient le demande. Tout au plus, la loi oblige le médecin dans ces circonstances
à soulager les douleurs du patient.
2. Le droit de tuer versus le droit à la vie ?
Une des pierres d’achoppement dans le débat sur l’euthanasie porte sur le droit
ou la faculté pour un médecin de mettre fin à la vie. Un médecin est en principe
investi de la mission de soigner voire de guérir. Lui confier la mission
d’accompagner le patient, même condamné, vers l’issue fatale n’apparaît pas
comme une évidence dans l’opinion publique.
Le patient, comme tout être humain, dispose du droit à la vie. Qu’en est-il
lorsqu’il revendique d’y mettre un terme ? La société, la famille ou le corps
médical doivent-ils s’ériger en garants de ce droit à la vie, indépendamment de
la volonté du patient ou des souffrances qu’il endure ?
A supposer qu’on accepte que la mission de soins du médecin vise autant la prise
en charge de la douleur que sa disparition, éventuellement par un traitement
létal, comment aménager l’exercice de cette mission avec l’interdiction suprême
de tuer ?
Les opposants à l’euthanasie réfutent l’ultime liberté réclamée par ses défenseurs
au motif que cette liberté ne pourrait s’exercer que par un acte médical posé par
Bataille, op cit, p. 13
Kenis, Y. (1986). Le médecin et la demande d’euthanasie. Actes du colloque européen de la Fédération
mondiale des ADMD, pp17-19 (Paris) La Sorbonne. En ligne
http://www.bordet.be/fr/services/general/biblio/kenis/Docvrai6le%20medecin%20et%20la%20demande%20d%20euthanasie.pdf
38
39
13
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un professionnel dont l’autonomie de pensée et d’action serait de facto limitée
par cette revendication. On retrouve l’argument de la mission originelle de soins
du médecin et son « art de guérir ».
A cette conception de la médecine et de la mission du médecin, on peut opposer
une conception équivalente qui se résume en une question autour du rôle que la
loi Leonetti confie au corps médical : un médecin est-il meilleur lorsqu’il regarde
la maladie tuer son patient ou bien lorsqu’il l’accompagne dignement dans ce
combat ? Selon le professeur Didier Sicard désigné en juillet 2012 par le
Président français pour mener une mission sur la fin de vie40, « la question sur la
fin de vie n’appartient pas aux médecins »41.
Si une euthanasie implique effectivement un acte du médecin, l’euthanasie ne
peut être réduite à ce geste et à sa compatibilité avec la mission du médecin. La
mission du médecin doit être comprise comme l’accompagnement médical sur
une plus longue durée, dans une relation de confiance entre le médecin et son
patient. Cette relation de confiance doit permettre aux deux individus de faire
preuve de sincérité. L’arrêt du traitement éventuellement considéré comme de
l’acharnement thérapeutique est une décision qui appartient au patient, après
que son médecin l’eut complètement informé de la situation. L’euthanasie doit
probablement être une décision qui implique davantage le médecin dans son
processus, plutôt qu’une décision qui s’impose à lui et pour laquelle il n’aurait pas
été consulté42.
Ce nécessaire dialogue entre le patient et son médecin répond adéquatement à
l’argument des pourfendeurs de l’euthanasie qui considèrent que le « droit de
tuer » précité qu’aurait le médecin dégraderait la confiance nécessaire qu’il a
avec son malade. Cette rupture de confiance se constate parfois dans une autre
relation : entre le corps médical et les membres de la famille.
Les membres de la famille qui défendent la volonté de leur proche et le
représentent parfois pour faire respecter sa demande d’euthanasie sont parfois
taxés de soutenir l’euthanasie pour en réalité se débarrasser plus rapidement de
la souffrance de leur parent.
Il nous paraît superflu d’argumenter sur ce sujet qui est étranger aux questions
philosophiques ou éthiques liées à l’euthanasie. L’importance donnée au respect
de la volonté d’un proche devrait suffire à tordre le cou à ce genre d’accusations.
Les conclusions de cette mission n’ont pas encore été rendues publiques et sont attendues pour le moins
décembre 2012.
41
Clavreul, L. (2012). Le Monde, 18 juillet 2012. En ligne http://www.lemonde.fr/sante/article/2012/07/18/laquestion-de-la-fin-de-vie-n-appartient-pas-aux-medecins_1735072_1651302.html , consulté le 6 décembre
2012.
42
Kenis, Y. (1985), Problèmes éthiques en rapport avec l’euthanasie. Bulletin de la Société belge d’éthique et
de morale médicale, 1985, 10, 192-194. En ligne
http://www.bordet.be/fr/services/general/biblio/kenis/Docvrai3problemes%20ethiques%20en%20rapport%20avec%20l%20euthanasie.pdf
40
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3. Les dérives de la dépénalisation
D’après les détracteurs de l’euthanasie, une dérive à craindre de législation en la
matière serait l’augmentation non maitrisée des euthanasies. Les Pays-Bas ont
essuyé les premiers ce genre d’affirmation. La Belgique et le Luxembourg les ont
rejoints. Cette crainte s’accompagnerait de pratiques peu contrôlées et
d’euthanasies réalisées trop rapidement surtout sur des personnes âgées dont
les institutions hospitalières notamment seraient intéressées de récupérer le lit.
Au-delà du caractère choquant de certaines déclarations de ce genre, relevons
que les mécanismes de contrôle et d’évaluation mis en place dans les trois pays
concernés mettent en évidence le caractère transparent des pratiques. Si une
augmentation des pratiques est effectivement constatée, on semble loin de
dérives alléguées.
Au contraire, l’opacité des pratiques dans les Etats qui n’ont pas de législation
concernant l’euthanasie permet de s’interroger sur la réalité de celles-ci. Des
études réalisées en Europe centrale montrent qu’un médecin sur deux environ
est confronté à une demande d’euthanasie active dans son parcours et qu’en
moyenne une demande sur trois est respectée, quelle que soit la législation
nationale43. De telles euthanasies sont donc réalisées dans une totale
clandestinité, en dehors de tout contrôle sur la procédure suivie ou les
déclarations du patient. Il s’agit probablement là d’une dérive importante de
l’absence de législation concernant l’euthanasie.
D.
En Belgique : les nouveaux enjeux
1. Une évaluation de la loi
En Belgique, dix années après la dépénalisation de l’euthanasie, le débat
continue.
Les pourfendeurs de l’euthanasie souhaitent qu’une évaluation de la loi soit
effectuée44. Une évaluation permettrait selon eux de mettre en évidence l’inutilité
de la procédure de déclaration par le médecin de chaque euthanasie auprès de la
commission fédérale de contrôle, dans la mesure où un médecin qui aurait
outrepassé le cadre légal sciemment ou pas, se garderait bien de le déclarer.
L’évaluation permettrait également, selon certains, de mettre en exergue le fait
que la douleur étant un sentiment subjectif, il serait insensé d’en faire une
Kenis, Y. (1994). L’euthanasie active et les médecins : pratiques et opinions. Bulletin du Conseil National de
l’Ordre des médecins, 1994, 3 (63) : 53-61. En ligne
http://www.bordet.be/fr/services/general/biblio/kenis/Docvrai27l%20euthanasie%20active%20et%20les%20medecins-pratiques%20et%20opinions.pdf
44
Dix ans d’euthanasie : un heureux anniversaire ?, Carte blanche parue dans La Libre Belgique du 12 juin
2012 à l’initiative d’un collectif de professionnels ; http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/743333/dixans-d-euthanasie-un-heureux-anniversaire.html
43
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condition légale par définition non mesurable ou vérifiable par la Commission. De
la sorte, le contrôle qui est exercé par cette commission ne permettrait pas de
mettre en évidence une erreur ou la responsabilité du médecin.
Enfin, une évaluation serait l’occasion de mesurer la dégradation de la confiance
entre les patients et ses proches ou entre les patients et le corps médical,
dégradation qui serait induite par la pression morale de recourir à l’euthanasie.
L’évaluation préconisée sous ces divers aspects semble ne servir qu’un dessein :
l’abrogation de la loi de mai 2002 dépénalisant l’euthanasie. Faut-il rappeler
qu’outre sa compétence en matière de récolte de données et d’élaboration des
statistiques en matière d’euthanasie, la Commission fédérale de contrôle
instituée par la loi de 2002 est directement chargée de l’évaluation de la loi et
des pratiques en Belgique? Et qu’à ce titre, elle est compétente pour formuler
des recommandations susceptibles de déboucher sur des initiatives législatives ?
Dans son dernier rapport, la Commission fédérale formule d’ailleurs une
recommandation concernant les modifications éventuelles à apporter à la loi du
28 mai 2002 dans ces termes : « la commission confirme ses avis antérieurs
selon lesquels l’application de la loi n’a pas donné lieu à des difficultés majeures
ou à des abus qui nécessiteraient des initiatives législatives »45.
2. Les cliniques de l’euthanasie46
Une clinique de l’euthanasie a ouvert ses portes aux Pays-Bas en mars 2012. Elle
est le résultat d’un projet de l’association NVVE, Nederlandse Vereniging voor
een Vrijwillig Levenseinde. Elle est destinée à répondre aux nombreuses
demandes d’euthanasie qui bien que fondées et répétées, ne trouvent pas de
réponse favorable. D’après une étude néerlandaise réalisée en 2012, il apparaît
en effet que 9.100 personnes, soit plus de 6% des personnes décédées en 2010,
avaient formulé une demande d’euthanasie mais que moins de la moitié avaient
finalement été entendues47.
Les motifs pour lesquels l’euthanasie n’a pas été pratiquée sont divers. Dans
44% des cas, le décès est survenu avant de pouvoir pratiquer l’euthanasie.
Parfois le médecin a considéré que les conditions légales n’étaient pas réunies.
Dans d’autres cas, il a invoqué ses convictions personnelles pour ne pas accéder
à la demande d’euthanasie.
Toujours d’après cette étude, sur 185 institutions interrogées, 80% acceptent la
pratique de l’euthanasie mais 100% fournissent des soins palliatifs.
Ces constats ont poussé l’association NVVE à considérer qu’une réponse devait
être apportée à ces personnes qui entraient dans les conditions mais qui
45
Cinquième rapport de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie du 24 juillet 2012,
relatif aux années 2010 et 2011 ;
http://www.health.belgium.be/eportal/Healthcare/Consultativebodies/Commissions/Euthanasia/Publications/in
dex.htm
46
Levenseinde Kliniek, http://www.levenseindekliniek.nl/?page_id=254
47
45 % des demandes entendues
16
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n’étaient pas entendues dans leurs dernières volontés. La clinique de l’euthanasie
était née.
Les demandes formulées auprès de la clinique de l’euthanasie sont traitées en
plusieurs étapes. Une première vérification des conditions légales est effectuée et
un contact est pris avec le médecin traitant. Les renseignements médicaux sont
rassemblés et une visite à domicile est organisée par une équipe médicale. La
personne malade et ses proches sont alors entendus. A l’issue du processus, une
décision est prise par le médecin sur la demande d’euthanasie si le malade
persiste dans sa demande.
L’euthanasie peut avoir lieu à domicile ou bien à la clinique qui fonctionne avec
des équipes itinérantes.
Pour éviter une forme de « shopping » vers les Pays-Bas, la clinique de
l’euthanasie ne peut donner suite à une demande que si la personne dispose
d’une assurance médicale aux Pays-Bas.
Depuis son ouverture48, 51 cas sur 456 demandes introduites ont abouti à une
euthanasie ou une assistance au suicide via la clinique. Dans plus de la moitié
des cas, c’est le médecin traitant qui a pratiqué l’intervention. Dans les autres
cas49, c’est un médecin de la clinique qui est intervenu. L’association en conclut
que dans la majorité des cas, l’information et le soutien donnés par la clinique
aux praticiens a permis de dépasser certains blocages50.
Une clinique de l’euthanasie est-elle envisageable en Belgique ?
Les mêmes constats sont partagés aux Pays-Bas et en Belgique par rapport aux
difficultés qu’ont les personnes désireuses de bénéficier d’une euthanasie, de se
faire entendre. Une étude réalisée en 2009 par deux universités belges montre
qu’en Flandre, seules 48% des demandes d’euthanasie ont été entendues. En
Région wallonne et à Bruxelles, il n’existe pas de données mais les tendances
doivent être les mêmes voire plus importantes.
La raison d’être d’une clinique de l’euthanasie n’est assurément pas de répondre
à toutes les demandes formulées. Une vérification rigoureuse des conditions
légales doit être effectuée.
En Belgique francophone, le Forum EOL, End Of Life créé grâce à l’ADMD
regroupe une centaine de médecins intéressés aux questions liées à la fin de vie.
En Flandre, les LEIF-artsen agissent de la même manière que les médecins du
Forum EOL. Les médecins EOL et LEIF peuvent fournir à leurs confrères des
informations sur les pratiques, les règles déontologiques ou les procédures liées
à l’euthanasie. Des formations sont proposées au corps médical : médecins,
infirmières et psychologues sur tous les aspects de la prise en charge d’une
Données pour la période entre le 1er mars 2012 et le 1er novembre 2012
21 cas au total
50
Tous les chiffres sont disponibles dans le rapport du congrès de la Levenseindekliniek à la Haye, le 1er
novembre 2012 ;
http://www.nvve.nl/assets/nvve/nieuws/2012/121101_reader%20congres%20levenseindekliniek.def.pdf
48
49
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demande d’euthanasie. Ce faisant, un médecin démuni devant une telle demande
peut déjà en Belgique trouver le soutien d’un confrère ainsi que toutes les
informations nécessaires, qui sont fournis aux Pays-Bas, par la clinique de
l’euthanasie.
Par ailleurs, la loi du 28 mai 2002 prévoit déjà en son article 14 la possibilité
pour un médecin d’invoquer une clause de conscience : « le médecin qui refuse
de donner suite à une requête d’euthanasie est tenu, à la demande du patient ou
de la personne de confiance, de communiquer le dossier médical du patient au
médecin désigné par ce dernier ou par la personne de confiance ». Le médecin
qui invoque cette clause devrait, selon l’ADMD et la NVVE, mettre le patient en
contact avec un confrère qui ne partage pas les mêmes convictions et n’a pas les
mêmes objections de principes à l’égard de l’euthanasie51.
A cette suggestion, il faut opposer la position de certains médecins qui bien que
défendant le droit à l’euthanasie de leurs patients, refusent de devenir les
fossoyeurs des confrères qui invoquent la clause de conscience ou des hôpitaux
qui érigent cette clause de conscience en principe institutionnel.
Récemment interrogée sur cette question au Parlement52, la Ministre des Affaires
sociales et de la Santé publique a répondu que son administration suivait de près
cette expérience néerlandaise comme toutes les évolutions des législations et
pratiques concernant l’euthanasie dans les pays voisins. Elle a rappelé la
possibilité qu’un médecin itinérant pratique une euthanasie dans le strict respect
des conditions légales actuelles concernant notamment l’obligation d’avoir des
entretiens répétés avec le patient qui formule la demande.
3. Un élargissement de la loi aux mineurs
Un autre sujet de débat porte sur l’élargissement éventuel de la loi dépénalisant
l’euthanasie aux mineurs.
Actuellement, seuls les mineurs émancipés et donc âgés de 15 ans minimum, y
ont accès. Tous les autres mineurs en sont exclus. Il n’existe pas de données
officielles concernant les demandeurs d’euthanasie formulées par les mineurs. On
parle, sans pouvoir le prouver, de 100 à 200 décès de mineurs par an des suites
d’une maladie incurable. Parmi eux, une infime minorité aurait demandé une
euthanasie et aurait obtenu une injection létale en dehors de tout cadre légal et
donc de protection des praticiens contre toute poursuite pénale.
Si la conscience de la douleur et de l’issue fatale de la maladie permet en
principe à un majeur de pouvoir bénéficier d’une euthanasie, il paraît
difficilement justifiable qu’un mineur qui aurait la même conscience de l’issue,
Association pour le droit de mourir dans la dignité, Bulletin trimestriel n°123, p. 57;
http://www.admd.be/Bulletins/Bulletin%20123.pdf
52
Question écrite du député socialiste Eric Thiébaut n°0336 ;
http://www.lachambre.be/kvvcr/showpage.cfm?section=qrva&language=fr&cfm=qrvaXml.cfm?legislat=53&dos
sierID=53-B059-666-0336-2011201207477.xml
51
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qui souffrirait de la même manière et qui demanderait à pouvoir être euthanasié
ne soit pas entendu.
Par ailleurs, relevons que la loi sur les droits des patients du 22 août 2002
accorde aux mineurs aptes à apprécier raisonnablement leurs intérêts les mêmes
droits que ceux attribués aux majeurs. A ce titre, un mineur peut refuser un
traitement quelles qu’en soient les conséquences sur le pronostic vital.
Aux Pays-Bas, la loi sur l’euthanasie s’applique entièrement aux mineurs de plus
de 16 ans. Ces derniers peuvent faire une déclaration portant sur leur fin de vie.
Elle sera respectée même en cas d’inconscience ultérieure. Entre 12 et 16 ans,
les mineurs sont impliqués dans la décision de fin de vie. Cela signifie qu’entre
12 et 16 ans, le mineur peut demander une euthanasie qui sera honorée si les
parents marquent leur accord. En dessous de 12 ans, la loi n’a rien prévu.
Cependant un protocole53 envisage la fin de vie des nouveaux nés selon des
conditions et étapes bien précises, même sans l’accord des parents. Ce protocole
s’appliquerait chaque année à une quinzaine de nourrissons principalement
atteints de malformations congénitales sévères. Le respect de ce protocole ne
garantit pas les médecins contre des poursuites en justice mais aucune poursuite
n’aurait été engagée jusqu’à présent54.
Les Pays-Bas ont trouvé des balises qui permettent de s’assurer et de rassurer.
S’assurer que le mineur a, malgré sa minorité, la pleine conscience de la
situation et de la décision qu’il prend. Se rassurer également quant à
l’élargissement de la loi par rapport à ce public vulnérable. L’organisation de la
loi et des conditions en fonction de l’âge du mineur permet de s’aligner sur la
maturité du patient acquise au fil des années. Ce système permet également
d’impliquer les parents qui sont responsables légalement pour leur enfant, de
façon proportionnelle à la maturité de ce dernier. Plus le mineur se rapproche de
la majorité, plus il a la main mise sur les décisions qui concernent sa fin de vie,
et inversement.
De telles balises devraient impérativement être réfléchies si le débat sur
l’élargissement de la loi aux mineurs venait à être activé en Belgique.
Plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées en la matière. Aucune n’a
jusqu’ici fait l’objet d’une discussion.
L’association belge des intensivistes pédiatriques (Abip)55 s’est déjà prononcée à
plusieurs reprises pour que la loi soit étendue aux mineurs. Selon une étude56
53
Aux Pays-Bas, le protocole de Groningen donne un cadre pour la fin de vie des nouveaux nés. Ce protocole a
été élaboré par les professionnels des services de néonatalogie.
54
Gutierrez, R. ; Dorzee, H., Il faut élargir l’euthanasie aux mineurs, Le Soir, 9 avril 2009. En ligne
http://archives.lesoir.be/-il-faut-elargir-l-8217-euthanasie-aux-mineurs-_t-20090409-00MJ3J.html, consulté le
6 décembre 2012
55
La
Libre
Belgique
(2009).
Il
faut
élargir
l’euthanasie
aux
mineurs.
En
ligne
http://www.lalibre.be/societe/sciences-sante/article/494628/il-faut-elargir-l-euthanasie-aux-mineurs.html,
consulté le 4 décembre 2012
56
Inghelbrecht, E., Bilsen, J, Pereth, H., Ramet, J, Deliens, L, (2009. Medical End-of-Life Decisions :
Experiences and Attitudes of Belgian Pediatric Intensive Car Nurses, Étude réalisée 2009 disponible sur le site
de la Vrije Universiteit Brussel : http://www.vub.ac.be/downloads/Inghelbrecht_2009.pdf
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réalisée en 2009, 90% du personnel infirmier actif dans les services des soins
intensifs pédiatriques seraient favorables à une telle extension.
En 2005, le cas d’un enfant né grand prématuré à la Clinique Ste Elisabeth à
Namur à moins de 30 semaines a mis en évidence l’importance de donner un
cadre légal aux praticiens. Les parents avaient signé une décharge pour qu’aucun
soin ne soit prodigué à leur enfant qui est décédé quelques heures après sa
naissance. Dénoncés par un membre de l’équipe médicale, le gynécologue ainsi
que deux autres personnes ont été inculpées et placés sous mandat d’arrêt pour
infanticide, comme les parents. Le parquet de Namur a demandé le renvoi des 5
personnes inculpées devant la Cour d’assises. 7 ans après les faits, la décision
n’aurait pas encore été rendue. Comme pour les Docteurs Radoux et Chevolet57
poursuivis avant l’entrée en vigueur de la loi dépénalisant l’euthanasie et ayant
finalement bénéficié d’un non lieu, la justice attendra peut-être que la législation
évolue avant de trancher cette affaire.
4. Un élargissement de la
atteintes de la maladie
dégénérescence cérébrale
loi aux personnes
d’Alzheimer et de
Peuvent actuellement être euthanasiées les personnes capables et conscientes
qui expriment de façon répétées leur volonté à ce sujet.
Il existe un débat concernant les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
ou d’une autre dégénérescence cérébrale. Pour avoir la certitude de pouvoir
bénéficier d’une euthanasie aujourd’hui, une personne atteinte de la maladie
d’Alzheimer doit impérativement formuler sa demande d’euthanasie dès que le
diagnostic est posé. Si elle ne formule pas sa demande à ce moment, son état
peut justifier le refus d’euthanasie car la maladie l’empêcherait de réitérer sa
demande dans les conditions légales (personnes capable et consciente au
moment de la demande). Le fait qu’elle ait signé une déclaration anticipée
(toujours valable) au moment où elle était encore en possession de ses moyens
pourrait ne rien changer rien à cela.
Toute la question tourne autour de l’interprétation de la notion d’inconscience
irréversible visée par le législateur et autorisant le médecin, le cas échéant, à
pratiquer une euthanasie en vertu d’une déclaration anticipée.
Certains médecins considèrent qu’arrivé au dernier stade de la maladie
d’Alzheimer, le patient doit bien être considéré comme étant en état
d’inconscience irréversible. Cette interprétation ne fait cependant pas l’unanimité
des professionnels.
Hugo Claus l’avait compris et s’est fait euthanasié dès qu’il a appris sa maladie
alors qu’il avait encore toute la possession de ses facultés. Son cas avait ému
l’opinion publique car la loi avait placé l’écrivain devant une décision que certains
jugeaient précoce compte tenu de son état.
57
voir infra, Avant la loi du 28 mai 2002
20
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Des médecins au nord du pays estiment que la loi actuelle permet à des
personnes atteintes de démence d’exprimer leur volonté d’être euthanasiées
pendant un moment de lucidité58. En réalité, la possibilité pour les personnes
atteintes de démence grave et incurable d’être euthanasiées sans contestation
ne se présente que pendant une relative courte période : le moment où la
maladie est suffisamment avancée pour que la condition légale liée à la
souffrance inapaisable et insupportable puisse être constatée mais pas trop
avancée pour que la demande d’euthanasie puisse être exprimée.
Seule une modification de la loi du 28 mai 2002 permettrait de préciser et le cas
échéant d’élargir les conditions dans lesquelles une déclaration anticipée peut
justifier une euthanasie. Selon Jacqueline Herremans, présidente de l’ADMD,
inclure dans la loi les cas de perte de conscience de sa personnalité permettrait
de mettre un terme à ce débat et de respecter la volonté clairement exprimée de
personnes qui atteintes par la suite de maladies dégénératives59.
E.
Le Conseil de l’Europe
Soulignons que l’assemblée du Conseil de l’Europe qui regroupe 47 Etats
membres adopte depuis plusieurs années une attitude très conservatrice dans les
matières de bioéthiques et tout particulièrement concernant l’euthanasie.
Le 25 janvier 2012, cette assemblée a adopté une résolution concernant les
directives anticipées ou testaments de vie. Après avoir regretté que de telles
directives ne soient pas toujours prévues ou permises selon les législations
nationales des Etats membres, l’assemblée déclare que « l’euthanasie, dans le
sens de l’usage de procédés par action ou par omission permettant de provoquer
intentionnellement la mort d’une personne dépendante dans l’intérêt allégué de
celle-ci, doit toujours être interdite » .
Soulignons que ces résolutions n’ont aucun effet contraignant. Les mots utilisés
sont toutefois interpellants en ce qu’ils témoignent du parti pris par le Conseil de
l’Europe manifestement engagé dans une véritable lutte contre l’euthanasie. La
prise de position de cette instance ne manque évidemment pas d’alimenter les
opposants à la loi du 28 mai 2002.
F.
La loi du 14 juin 2002 relative aux soins
palliatifs
La loi du 14 juin 2002 garantit à tout patient en fin de vie qui le souhaite l’accès
à des soins palliatifs. Discutée en même temps que la loi du 28 mai 2002 sur
l’euthanasie, elle a été pensée par le législateur comme constituant un ensemble
cohérent avec la loi dépénalisant l’euthanasie.
Trends, (2012). En ligne http://trends.knack.be/economie/nieuws/beleid/tientallen-dementerenden-kregenal-euthanasie-in-vlaanderen/article-4000093562569.htm
59
Association pour le droit de mourir dans la dignité, Bulletin trimestriel n°123, p. 47 et 49. En ligne
http://www.admd.be/Bulletins/Bulletin%20123.pdf
58
21
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Certains souhaitaient que les deux législations soient intégrées dans un même
texte et qu’un filtre palliatif soit prévu avant toute euthanasie. Cette option n’a
finalement pas été suivie.
G.
La loi du 22 août 2002 relative aux droits du
patient
La loi du 22 août 2002 donne le droit au patient, de la part du praticien
professionnel, à « toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être
nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable ».
La loi permet à tous les patients de consulter leur dossier, de demander un autre
avis médical et le cas échéant, de refuser tout traitement qu’ils jugeraient
pénible ou inutile. La loi leur permet par ailleurs de rédiger une déclaration
anticipée précisant les traitements qu’ils acceptent et ceux qu’ils refusent de se
voir administrer.
Conclusion
Quel que soit l’avancement de la législation, le débat français et les prises de
positions belges illustrent que l’euthanasie fera toujours débat. L’euthanasie ne
peut se résumer à un combat entre des opposants et des défendeurs de sa
dépénalisation ou son élargissement.
La sécurité juridique qu’apporte une législation pour les professionnels n’est pas
le seul aspect positif de celle-ci.
Le choix de l’euthanasie est individuel en ce que confronté à cette question,
chacun fera appel à son instinct, ses convictions philosophiques, son éthique et
ses connaissances scientifiques pour trouver une réponse adéquate.
Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat appelé à se prononcer sur la dépénalisation
de l’euthanasie, le législateur n’a pas à imposer une vision aux citoyens. Son rôle
est de faire un choix entre les valeurs éthiques qui s’opposent sur la question de
l’euthanasie. Ce choix ayant conduit la Belgique à se doter d’une législation
dépénalisant l’euthanasie, il n’en demeure pas moins que la liberté individuelle,
de conscience et d’agir, doit rester intacte, dans le chef de chacun.
Nul n’est contraint d’opter pour l’euthanasie comme aucun professionnel ne peut
se trouver obligé de respecter la décision prise par un patient. La clause de
conscience de chacun doit être respectée. Ce respect implique également qu’une
personne dont la souffrance est inapaisable et le mal incurable qui choisit de ne
pas en mourir et qui préfère décider du moment et de la façon de mourir soit
entendue.
Cette demande ne peut être comprise comme une violence à l’égard des
conceptions individuelles différentes au sujet de la fin de vie. Le soutien
22
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témoigné à cette occasion par les membres de la famille ou d’autres proches ne
peut donc être taxé à la légère d’individualisme.
Dans ces questions éthiques éminemment sensibles, gardons nous d’imposer à
d’autres ce que notre conception des choses ne nous permet pas d’envisager.
« Certains préfèrent mourir de mort naturelle et nous respectons ce choix. Nous
demandons simplement qu’en parallèle, le droit des personnes qui décident de
bénéficier d’une euthanasie soit tout autant respecté et garanti »60.
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60
PS (2012). En ligne http://www.ps.be/Pagetype1/Actus/Communique/Euthanasie---10-ans-apres.aspx
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