L`euthanasie à nouveau en discussion au Parlement

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L`euthanasie à nouveau en discussion au Parlement
L'euthanasie à nouveau en discussion au Parlement
LEMONDE.FR | 16.11.09 | 11h19 • Mis à jour le 16.11.09 | 11h19
L'euthanasie est-elle de gauche ? par Isabelle Marin et Jacques Ricot
Ma femme vient de mourir, par Jean Sautereau
n présentant des propositions de loi pour légaliser l'euthanasie, les socialistes sont plus
désorientés qu'on ne le croyait. En effet, sauf à épouser un libéralisme anthropologique
libertaire, on ne peut se réclamer de la gauche et de sa tradition de fraternité quand on
revendique la légalisation de l'euthanasie. Rappelons l'opposition de Robert Badinter ou
encore de François Mitterrand.
Souvent, en France, le débat sur l'euthanasie est présenté comme l'affrontement entre le
respect religieux archaïque de la sacralité de l'existence humaine et la liberté individuelle de
maîtriser sa vie et donc sa mort. Selon cette dernière perspective, deux ennemis du progrès,
alliés objectifs, sont identifiés : les médecins et les Eglises, soutenus par les forces
politiques réactionnaires, c'est-à-dire la droite toujours en retard d'une évolution des
mœurs et sourde aux demandes sociales du peuple toujours en avance, lui, sur les élites
conservatrices. Nous voudrions dire ici qu'une certaine gauche trahit ses propres
fondamentaux en caricaturant de la sorte le débat au détriment du combat pour plus de
justice, et qu'elle s'interdit d'être aux avant-postes d'une lutte pourtant urgente sur le
terrain de la solidarité et des soins dus aux plus démunis.
Fustiger la religion des clergés permet de faire l'impasse sur le type de foi et de croyance qui
nous gouverne désormais, droite et gauche confondues : la religion du progrès et du
bonheur unies dans le songe d'une maîtrise du monde et de soi. "Et certes, la souffrance, la
déchéance, ne sont pas 'dignes', ne sont pas conformes à l'image lisse, jeune, bien nourrie,
que nous nous faisons de l'Homme et de ses droits. Qui ne voit que le 'débat' sur
l'euthanasie désigne surtout le défaut radical de symbolisation où se trouvent aujourd'hui
la vieillesse et la mort ? Le caractère insupportable de leur vision pour les vivants ?"
(Alain Badiou, L'Ethique, 1993). Beaucoup se sont déjà fourvoyés, dans la première moitié
du XXe siècle, aveuglés par la lutte contre l'obscurantisme, en défendant les honteuses
thèses eugénistes, et il a fallu le nazisme pour nous dégriser et briser les enthousiasmes de
nos savants éclairés et progressistes, tous pays occidentaux confondus.
L'exigence de "mourir dans la dignité" semble transcender les positions politiques. Mais de
quelle dignité parle-t-on ? A ceux qui célébraient non sans indécence le suicide annoncé de
Mireille Jospin, Delfeil de Ton avait répliqué simplement et sainement : "Pourquoi
semblent-ils, avec cette formulation, dénier la dignité de la mort des autres ? Qui meurt
indigne ? La souffrance rend indigne ? Une fin de vie misérable, c'est une fin de vie
indigne ? Chacun meurt comme il peut, il n'y a pas plus de dignité chez l'un que chez
l'autre" (Nouvel Observateur du 18 décembre 2002).
La demande d'euthanasie ou de suicide assisté est aujourd'hui précisément une demande
de mourir dans la liberté, c'est-à-dire en fonction de l'idée que chacun se fait de l'intérêt ou
de l'utilité de continuer à vivre. Sans doute cette liberté est-elle toujours étrange,
puisqu'elle consiste contradictoirement à se nier au moment où elle pense se réaliser. Mais
l'acte de mettre fin à ses jours soi-même (que notre société ne pénalise pas mais ne peut
encourager) est d'une tout autre nature que celui de donner la mort à autrui (euthanasie) :
alors, un tiers – individu, médecin ou Etat – donne sa caution à la plainte de celui qui veut
en finir et lui murmure ce message : "Oui, ta vie doit s'arrêter, il n'y a pas d'autre solution
dans la situation où tu te trouves que la mort délibérément donnée." Imagine-t-on les
dommages collatéraux et particulièrement ravageurs que cela provoque chez ceux qui
souffrent, les handicapés lourds, les victimes de longue maladie sans espoir de guérison, les
personnes âgées ? Comment ne pas voir l'effet délétère de ces "affaires" compulsivement
répétitives et jetées en pâture à l'opinion sans aucun examen critique (sinon trop tardif), à
laquelle on affirme qu'elles "relancent le débat sur l'euthanasie" ? Comment mieux dire à
celui qui souffre que nous ne voyons en lui que le mort à venir, et que la société n'a rien à
lui offrir ?
La loi du 22 avril 2005 demande que soit soulagée la souffrance, même si elle devait
provoquer l'abrègement de la vie ; elle condamne l'obstination déraisonnable et la
médicalisation outrancière dont l'euthanasie est le dernier avatar (car c'est encore une
manière insidieuse de restaurer le pouvoir médical). Elle consent à la mort qui vient, mais
refuse qu'on la provoque délibérément, fût-ce à la demande du malade. Ces principes
éthiques sont en accord avec l'humanisme dont la gauche se réclame ; ils permettent aux
personnes vulnérables d'éviter d'intérioriser le regard social selon lequel leur vie ne
vaudrait pas d'être vécue, intériorisation qu'on peut constater dans des pays voisins.
Pourquoi ne s'interroge-t-on pas sur le développement des euthanasies clandestines aux
Pays-Bas alors qu'on sait qu'elles sont presque aussi nombreuses que les milliers
d'euthanasies officielles annuelles ? Que la gauche abandonne donc à d'autres
l'ultralibéralisme individualiste et la politique du "tout compassionnel".
Il nous apparaît que la société se doit de penser la place qu'elle fait aux démunis et aux
malades en termes politiques et économiques : quels moyens nous donnons-nous pour
faire place aux fragiles, aux souffrants et aux précaires, quel hôpital construisons-nous,
plateau technique ou lieu de soin et d'accueil ? Il est devenu consensuel d'approuver les
soins palliatifs, mais ce supplément d'âme ne modifie en rien les tendances lourdes de
notre système de santé et de son financement : les séjours hospitaliers comportant des
actes techniques lourds sont beaucoup plus rentables pour les établissements que ceux dits
de répit. Comment dire autrement aux malades qu'ils ne peuvent trouver de place dans le
système qu'à condition de consommer de la technique, de subir des interventions, ou des
chimiothérapies, de se sacrifier en quelque sorte à la médicalisation ? La légalisation de
l'euthanasie complèterait le dispositif de rejet et d'exclusion sous couvert de respecter le
désir individuel, mais comment ne pas désirer la mort quand vous n'avez plus de place dans
le monde et aux yeux de tous ?
Isabelle Marin est médecin, responsable de l'équipe mobile de soins palliatifs de hôpital
Delafontaine, coordinatrice d'Onconord, Saint-Denis, auteur d'"Allez donc mourir
ailleurs !" (Buchet/Chastel).
Jacques Ricot est philosophe, chargé de cours de bioéthique à l'université de Nantes,
auteur de "Philosophie et fin de vie" (ENSP).
Le PS veut relancer le débat sur l'euthanasie en légalisant l'« aide active à
mourir »
Article paru dans l'édition du 19.11.09
Défendu par Manuel Valls, un projet de loi sera débattu, jeudi 19 novembre, à l'Assemblée
ranchir une étape de plus vers la légalisation de l'euthanasie : tel est l'objectif du groupe socialiste, qui
défendra à l'Assemblée nationale, jeudi 19 novembre, une proposition de loi sur le « droit de finir sa vie dans
la dignité ». Un texte qui autorise l' « aide active à mourir », et dont l'objectif affiché et de rouvrir le débat
l'euthanasie.
Manuel Valls est le rapporteur du texte, signé par 129 autres députés socialistes sur 188, dont Laurent Fabius,
Jean-Marc Ayrault ou Marisol Touraine. Mais au PS, comme ailleurs, il n'y a pas consensus sur la question.
Le député-maire d'Evry (Essonne) considère que la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie est une « avancée
appréciable », mais une « démarche inaboutie ». Ce texte interdit l'acharnement thérapeutique et autorise le
soulagement de la douleur au risque d'abréger la vie, ce qui peut être assimilé à une euthanasie passive.
Mais depuis la mort de Chantal Sébire, cette femme atteinte d'une tumeur incurable au visage qui avait demandé
en 2008 le droit de se voir prescrire une substance létale, le débat a rebondi. « La société avance plus vite que les
parlementaires. Nous devons sortir de l'hypocrisie et légiférer », estime M. Valls. Avec un argument phare : « Sans
qu'elle n'ait jamais été reconnue par la loi, l'euthanasie est une pratique courante, jugée avec clémence par les
tribunaux. » Il estime que le législateur ne peut laisser la jurisprudence « dire le cas par cas ».
Si ces députés plaident pour le développement des soins palliatifs, ils considèrent que « cela ne répondra jamais à
toutes les demandes des malades », citant ceux dont on ne parvient pas à soulager les souffrances et ceux refusant,
comme Chantal Sébire, d'être plongés dans un état comateux.
Leur texte encadre donc l' « aide active à mourir » qui, contrairement à l'euthanasie passive, implique un geste
actif administrant la mort. Serait concernée toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une
affection grave et incurable, qui lui inflige une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou serait
jugée insupportable. Le malade ferait sa demande auprès de son médecin, qui devrait saisir trois autres praticiens
pour vérifier le caractère libre, réfléchi et éclairé de la démarche. Chaque dossier, après le décès, serait adressé à
une commission de contrôle.
La proposition de loi crée aussi un registre national des « directives anticipées ». Tout majeur pourrait engager
cette démarche pour le cas où il serait un jour hors d'état de dire sa volonté, comme pour le don d'organes.
De plus, un professionnel pourrait refuser d'apporter son concours, mais serait tenu d'orienter le patient vers un
autre médecin. Enfin, une formation sur les conditions de réalisation de l'euthanasie serait assurée.
La démarche du PS, qui s'inspire des législations néerlandaise et belge, est soutenue par l'Association pour le droit
de mourir dans la dignité (ADMD), qui milite pour la légalisation de l'euthanasie. « Ce texte ne sera bien sûr pas
adopté, mais c'est extrêmement symbolique qu'il soit débattu », estime Jean-Luc Romero, son président.
Il est au contraire combattu par les partisans des soins palliatifs. « Ce texte néglige la réalité sur le terrain et est
très éloigné des besoins », estime ainsi le docteur Sylvain Pourchet, pour la Société française d'accompagnement
et de soins palliatifs (SFAP). Responsable de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif (Valde-Marne), le docteur Pourchet estime que l'aide active à mourir pourrait constituer un danger, parce qu'un
malade peut être en « situation d'influence considérable, et que les familles ne sont pas forcément bienveillantes
».
Le député UMP Jean Leonetti juge quant à lui que la proposition de loi socialiste ne permet pas d'aller plus loin
que le texte qui porte son nom : « Il s'agit d'une autre loi. L'une accompagne le malade, l'autre abrège la vie. Les
deux sont incompatibles. »
Laetitia Clavreul
L'Assemblée rejette un texte légalisant l'euthanasie
LEMONDE.FR avec AFP | 24.11.09 | 20h18
L
es députés français ont rejeté mardi par 326 voix contre 202 une proposition de loi visant à légaliser l'euthanasie dans certaines conditions. Ce
texte, présentée par le député socialiste Manuel Valls, a pour objectif affiché de rouvrir le débat sur l'euthanasie en France.
Ce texte transcendait les clivages politiques, les quatre groupes ayant accordé la liberté de vote à chacun de leurs membres. Les groupes UMP et du
Nouveau Centre (NC) ont néanmoins très majoritairement voté contre, comme les centristes du MoDem. Le groupe socialiste, radical et citoyen
(SRC) a quant à lui voté pour.
Le texte dispose que "toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, infligeant une souffrance physique
ou psychique qui ne peut être apaisée et qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes" prévues dans le code de
la santé publique, "d'une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité". "Ce texte place la personne humaine au centre de toute décision", a dit
Laurent Fabius (PS), affirmant que cette proposition de loi proposait "davantage de fraternité", "davantage d'égalité", et "davantage de liberté".
"Cette proposition de loi conduit à un changement de repères dans notre société", a pour sa part affirmé l'UMP Jean Leonetti qui a mené la bataille
contre ce texte. Plusieurs dizaines de militants de l'Alliance pour les droits de la vie étaient venus manifester jeudi dernier aux abords de l'Assemblée
nationale pour dénoncer cette proposition de loi qui, affirment-ils, "vise à ouvrir la porte à l'euthanasie dans notre pays". En revanche, l'Association
pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), que préside Jean-Luc Romero, a apporté, dans un communiqué, son soutien à cette proposition de loi.

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