Traduction et enseignement du lexique argotique et populaire français

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Traduction et enseignement du lexique argotique et populaire français
TRADUCTION ET ENSEIGNEMENT D U LEXIQUE
ARGOTIQUE ET POPULAIRE
ALICIA ROFFÉ GÓMEZ
UNIVERSIDAD DE MÁLAGA
1. Le langage non normalisé. Types et définition
Le français non standard ou non normalisé comprend:
Le langage populaire (voir Gadet 1992) qui désigne le dialecte social des gens
non cultivés ainsi qu'un registre très expressif employé par toutes les couches socioculturelles, et dont une partie, jugée vulgaire, est souvent classée comme un langage à
part entière. Comme le dira Seco (1970: 29): «lo que se llama vocabulario popular puede
ser todo el léxico utilizado por las capas populares; o sólo aquella parte del léxico usada
exclusivamente por ellas; o aquella que se considera más característica del pueblo,
aunque no sea exclusiva de él».
Le langage familier, un registre moins expressif que le précédent appartenant
à toute la société.
Les argots utilisés (par un groupe social exclusivement) de façon habituellement
cryptique, ainsi que les argots vulgarisés, c'est-à-dire, entrés dans le français non standard
(pop. et fam.). Le langage des malfaiteurs a reçu diverses dénominations à travers les
siècles {jargon [1270], jobelin [1489], blesquien [1596], narquois [1611], baragouin [id.],
artis [1677], bigorne [1628], argot [1701], breton [1795], langue verte [1866], latin [1827},
dont il n'est resté que: jargon, argot et langue verte (Roffé 1993). La première d'entre
elles s'applique aux langues spéciales en général ainsi qu'aux langages scientifiques et
techniques en particulier. Langue verte était au départ le jargon des tricheurs (par le
tapis vert dont ils se servaient). C'est Delvau (1866) qui a fait improprement cette
extension de sens.
Sont également argotiques les langages des métiers ambulants (imormé, rochois,
terrachuy etc.: voir Dauzat 1976), disparus de nos jours, ainsi que le loucherbem
(louchébèm[eJ ou largonji (largonjem) des bouchers de la Villette -à Paris- attesté dès
1865 et presque inexistant actuellement.
Plusieurs langues spéciales sont non normalisées, comme les jargons des jeunes
(pops, babas, b.c.b.gminets, mods, punks, new-waves, rockers, funs, skins, etc. Voir
Obalk et al. 1984). Et, en Espagne, en plus des «pijos», hooligans, siniestros, maquineros,
heavieSy sharps, b.boys, skins, motards, hardcores, rockers, okupasy mods> cités par
Fernández & Algorri 1994). Ils possèdent une base commune, qu'on a baptisée
(Doillon 1994: 1) adolang, et qui contient (selon Walter, in Obalk et al. 1984: 366-398):
I o Du français branché (voir aussi Merle 1986 et 1989, d'où viennent les définitions qui suivent):
loft\ «En anglais: grenier, ancien entrepôt ou local commercial transformé en
logement. Était très à la mode jusqu'en 1984-1985)»: loft.
un max: cantidad.
too much: demasié (pal bodi).
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c'est géant: C'est une chose tout à fait remarquable. Synonime en fr. branché:
bêtifiant (verlan approximatif de flambant) y éclatant, dément, superblime, survolta.
Traduction: dabuti, dabute(n).
s'éclater: «se faire plaisir, s'envoyer en l'air au sens le plus large»: irse de
marcha; pasarlo bien, en grande.
2° Un vocabulaire de la drogue
accro: enganchado.
coke: coca.
planer: alucinar.
poudre: «Héroïne (plus ou moins coupée ou trafiquée)»: polvo.
shit: N . m. «En anglais: merde. Haschich»: mierda.
shoot: chute.
3° D u parler intellectuel
Brétécher:
de gauchey connu à l'étranger surtout grâce à Claire
s'assumer: asumirse.
ça m'interpelle: (esto) me dice mucho.
a la limite: c o m o máximo.
au niveau de: a nivel de.
4° Des expressions familières:
dur-dur: (fréquente chez les Babas, successeurs des hippies): «expression qui
connut son époque glorieuse entre 1979 et 1982, pour disparaître aussitôt après». O n
dit actuellement dur, «vraiment pas marrant». Traduction: durillo.
là: «tic de langage inévitable dans un peu toutes les conversations et qui
n'ajoute strictement rien à la qualité [...] de la démonstration entreprise».
pas vraiment: realmente no.
j'te dis pas, j'te raconte pas: ni te cuento.
tu m'étonnes: qué me dices.
[A partir d'ici toutes les définitions et le vocabulaire proviennent de Walter
1985b].
5 o De Vargot:
bahut: «Lycée ou école»: insti, cole.
bécane: «1. Cyclomoteur. 2. Ordinateur»: burra (sens I o ).
futal: «Pantalon»: alares, arales, jarales.
grailler: «Manger»: papear, tapiñar.
mater: «Regarder»: filar, guipar.
6° Des abréviations:
ado: «Abréviation pour
adolescent».
bourge: «Abréviation pour bourgeois».
matos: «Abréviation pour matériel professionnel (notamment de musique,
photo, Hi-Fi).
prol: «Abréviation pour prolétaire»: proleta.
tiags: «Abréviation pour Santiagsy bottes mexicaines».
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7° Du verlan, pratiqué surtout, dès 1970, chez les Branchés, les Babas hards
et les Minets qui écoutent le chanteur Renaud (voir Walter 1985a: 40).
beun «Arabe (surtout pour la 2ème génération)».
keuf: «Flic».
keum: «Mec».
meuf: «Femme».
a oilp: «A poil».
teuf: «Fête».
zicmu: «Musique».
zomUou: «Blouson».
Un autre langage spécial serait celui que parlent les NAP'S, l'élite sociale
française, les minets qui habitent l'ouest parisien: Neuilly, Auteuil, Passy. Voici un
extrait de ce jargon (Vandel 1993: 147-165):
dingue: «Considérable, énorme». (Un boulot...): horroroso.
c'est du Zola: «Ils touchent le Smic».
donné: «Hors de prix»: regalado.
les gens: «La masse, le peuple»: las gentes, la chusma.
mauvais quartiers: «1er., 2ème, 3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 8ème, 9ème, lOème,
llème, 12ème, 13ème, 14ème, 15ème, une partie des 17ème, 18ème, 19ème et 20ème
arrondissements de Paris, et toute la banlieue sauf Neuilly».
beaux quartiers: «Vllème, XVIème, une partie du XVIIème, Neuilly».
ils ont beaucoup de problèmes: «Les parents sont divorcés».
correct: «Pas dragueur»: correcto.
malheureux: «Mari trompé»: desgraciado.
Péache: Pierre-Henri.
fibé: Jean-Baptiste.
récemment: «Il y a deux ou trois mois»: recientemente.
2. Didactique et traduction du lexique non conventionnel
La lecture de romans qui comportent ces langages s'impose. Le recensement
du lexique et sa traduction en espagnol aide à son réemploi. Le corpus littéraire
recommandé devrait contenir des œuvres de L. F. Céline (Mort à crédit), R. Queneau
{Zazie dans le métro), J. Giono (Un de Baumuges, Regain), mais aussi Renaud (Mistral
Gagnant) et même San Antonio (toute sa collection) ou des bandes dessinées de Kebra
et Jack Palmer. L'étude de morceaux choisis est très instructive. Nous conseillons
l'anthologie de textes proposés par J. Cellard (1985) ou par E. Barcia Mendo (1986).
Ce dernier inclut un relevé de termes et tournures non normalisés (voir 218-236; voir
aussi le vocabulaire, 238-249).
La méthode à Mimile. L'argot sans peine de A. Boudard et L. Etienne (1974,
1ère éd. 1970), dont le titre évoque la méthode «Assimil», nous semble la meilleure
voie d'accès au langage argotique et populaire par la traduction systématique des textes
présentés, ainsi que par la prononciation figurée que l'on note et la richesse du lexique.
L'argot en vingt leçons de L. J. Calvet (1993) utilise des extraits d'oeuvres littéraires dans
le même but que les auteurs précédents. Voici un exemple accompagné de la version
espagnole que nous en donnons (voir Boudard & Etienne 1974: 88-90). Nous avons
utilisé le Petit Robert et le dictionnaire d'Esnault pour les mentions des registres de
langue; les définitions appartiennent au Dictionnaire de l'argot de Colin et al. (1990).
Pour la traduction en espagnol nous suivons Léon (1992).
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LES FRINGUES
1. Avant même de jaspiner Pargomuche
2. y a intérêt à ce que tu te sapes impec. [...]
3. S'agit plus [...] de rouler les mécaniques ans des costards
4. qui vous font retapisser le voyou à n'importe quel poulaga.
5. A part si t'es fringue sport, vaut mieux pas te cloquer une dèfe sur le
trognon:
6. Ça fait vioc (ou), pue-la-sueur [...].
7. Le bada non plus, c'est pas tellement à se visser sur la cafetière.
8. Au cinoche, tous les malfrats se pointent avec le borsalino ramené devant
les châsses;
9. le truand moderne, j'y conseillerais plutôt le pébroque
10. s'il redoute à mort la lansquine;
11. ça fait un peu rosbif, mais ça vous pose d'autor gonze sérieux.
Traduction
1. Antes de puchar caliente
2. es mejor que vayas maqueado. [...]
3. No es cuestión [...] de fardar con ternos
4. que hacen que se quede con el maleante cualquier madero.
5. Además, si te maqueas de sport, más vale que no te encasquetes una gorra
[en el tarro]:
6. Hace carroza (o), currante [...].
7. El chapiri no es tampoco para enroscárselo en la pelota.
8. En el cine, todos los manguis se presentan con el chapiri f borsalino') hasta
los faros;
9. al chorizo moderno, le aconsejaría más bien el paraguas
10. si teme cantidad la lluvia;
11. hace un poco anglicón, pero te da categoría de fulano serio en dos patadas.
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