Annexe 1 à l`avis du 22 octobre relatif à la recherche des origines

Transcription

Annexe 1 à l`avis du 22 octobre relatif à la recherche des origines
Les adoptés
en quête de leurs origines
Michèle van Egten
Projet Pilote ITINERANCES
1
Le Service d'Adoption Thérèse Wante asbl
Du nom de la fondatrice de l'Oeuvre d'Adoption en 1950, le Service d’adoption
Thérèse WANTE asbl a été restructuré en 1987 et agréé par la Communauté
française en tant qu'organisme d'adoption interne. Il a réalisé à ce jour plusieurs
milliers d'adoptions. L'organisme a pour mission d’organiser l’adoption d'enfants
nés ( ou se trouvant) en Belgique, dans le meilleur intérêt de l’enfant, tout en
respectant les autres membres du triangle adoptif.
L'équipe pluridisciplinaire apporte accueil et information aux familles d'origine
en veillant, en collaboration étroite avec le service social concerné , à les
accompagner dans leurs démarches, tant au niveau psychologique que juridique.
En collaboration avec l’Autorité centrale communautaire ( ACC), les membres de
l'équipe interviennent dans la préparation des candidats à l’adoption. L'organisme
offre ensuite conseil et aide tant durant le temps d’attente que lors de l’arrivée
de l’enfant, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal de la Jeunesse et
lors du suivi en offrant un soutien à la parentalité adoptive.
L'enfant est au centre du travail de l'équipe. Celui-ci est préparé, accompagné,
écouté , quelque soit son âge, et ce, pendant toute la procédure d'adoption.
L'équipe reste disponible pour toute demande ultérieure venant d'un membre du
triangle adoptif.
Au fil du temps l’asbl, connue et appréciée des milieux institutionnels et des
services de l’Aide à la Jeunesse, s’est spécialisée dans le placement d’enfants
plus grands se trouvant en institution et pour qui un projet d’adoption est
possible. Ces situations, difficiles et délicates, demandent un investissement
important afin de permettre à l’enfant, à sa famille d’origine, a sa famille
adoptive et aux intervenants qui s’en occupent, de vivre ce placement dans les
meilleurs conditions.
Le Service est aussi connu pour son travail dans le domaine de la recherche des
origines. Le projet pilote Itinérances est né de cette expérience.
L’équipe pluridisciplinaire est en perpétuelle recherche d’informations afin
d’améliorer le travail avec les enfants et les familles, aussi bien au niveau de la
pratique que dans sa dimension éthique et relationnelle. Elle est à la disposition
de tous ceux qui sont confrontés aux situations d'adoption.
Le Service fait partie de la Fédération belge francophone des services
d’adoption.
2
Sommaire
Introduction............................................................................................................... 5
Quelques thèmes psychologiques liés à la recherche des origines............... 8
•
La construction identitaire et l’adoption
•
Les loyautés familiales et la recherche des origines
•
La transmission d’informations sur les origines et l’effet pathogène du secret
Qui cherche et pourquoi ?..................................................................................... 21
Déroulement d’une recherche ............................................................................. 25
•
Le parcours de recherche de l’adulte adopté
•
Les enfants et adolescents veulent juste savoir
Quand adopté et parents d'origine se rencontrent....................................... 29
Après les retrouvailles........................................................................................... 30
Quelques recommandations adressées aux professionnels confrontés à une
demande de recherche........................................................................................... 31
Conclusions................................................................................................................ 32
Bibliographie............................................................................................................. 37
Législation................................................................................................................. 40
3
Editeur responsable :
Mars 2009
4
Introduction
La question des origines est au cœur des interrogations humaines. Nous
avons tous besoin de savoir qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons et à
qui nous appartenons, aussi bien biologiquement, socialement que culturellement.
Pour ceux qui ont été confiés en adoption, ce questionnement est d’autant plus
intense qu’il contient, dans la plupart des cas, des zones d’ombres et des
inconnues. Dès lors, à un moment ou un autre de leur existence, un grand nombre
d’ adoptés manifesteront le désir d’en savoir plus sur leurs antécédents
biologiques.
Alors que ce phénomène fait déjà partie des interrogations anglo-saxonnes
depuis le début des années ’70, il a fallu attendre la fin des années ’80 pour que
notre pays connaisse également une très nette évolution dans le monde de
l’adoption et tout particulièrement en ce qui concerne le domaine de la recherche
des origines. Le mouvement américain autour du concept de l’adoption
« ouverte »1, les réflexions approfondies sur les droits de l’enfant, l’importance
de plus en plus grande accordée aux premiers temps de l’enfance et à
l’implication de ceux-ci dans le devenir de l’homme, ont amené les professionnels
de l’adoption ainsi que toute personne impliquée dans ce domaine à s’interroger
sur la meilleure façon de considérer chaque acteur du triangle adoptif 2 comme
un partenaire à part entière de ce processus.
En 1989, les services d’adoption interne en Communauté française ont
commencé à être sollicités par des adoptés adultes en quête de leurs origines. Le
courant de la recherche des origines vient en majorité des pays anglo- saxons et
des associations de mères d’origine situées aux Pays-Bas. Ce courant s’est
introduit en Flandre bien avant d’arriver chez nous et a stimulé la formation de
groupes de parole de femmes ayant confié un enfant en adoption3.
Les médias ont également influencé cette démarche, tant au niveau
journalistique qu’en diffusant des émissions où les rencontres life font la joie
d’un public friand d’émotions.
1
L’expression « adoption ouverte » vient des Etats-Unis ( open adoption), où elle est couramment utilisée
depuis plus de trente ans. Dans la pratique on rencontre plusieurs degrés d’ouverture, allant d’un simple
échange de renseignements entre parents d’origine et parents adoptifs à des contacts post-adoption sous
toutes les formes. Voir notamment D. GOUBAU et S. BEAUDOIN, Adoption « ouverte » : quelques enjeux
et constats, Droit et pratiques sociales, Service Social, vol 45, Québec, 1996, pp. 51-73 .
2
Le triangle adoptif est composé de l’enfant, de sa famille d’origine et de sa famille adoptive.
3
Groupement « Stichting afstandmoeders » Eindhoven.
5
C’est ainsi qu’appels et demandes de consultations autour de la recherche des
origines font actuellement partie du travail journalier du service d’adoption
Thérèse WANTE asbl, organisme d’adoption interne agréé par la Communauté
française et pratiquant depuis 1950 l’adoption d’enfants se trouvant en Belgique.
Les demandes parviennent également au service d’adoption de la part des mères
d’origine à la recherche de leur enfant, confié jadis en adoption par
l’intermédiaire d’un organisme. Elles viennent témoigner de toute la souffrance
et des humiliations qu’elles ont subies lors de la mise en adoption de leur enfant à
l’époque. Certaines ont pu reconstruire une vie familiale, d’autres ont vécu une
existence morne et très pauvre sur le plan affectif. Elles veulent être rassurées
sur le sort de leur enfant et se débarrasser de cette chape de culpabilité qui les
étouffe.
La démarche des adoptés en recherche pose plusieurs questions, aussi bien
d’ordre pratique que d’ordre déontologique ou psychologique.
Malgré le fait que chaque individu ait une histoire spécifique, ait vécu son
adoption d’une manière particulière et vienne consulter le service d’adoption à un
moment donné de son histoire avec son vécu émotionnel propre, nous tenterons
dans cette brochure de définir une ligne de conduite qui pourrait être utile aux
travailleurs des services d’adoption, à défaut d’une réglementation spécifique
venant du législateur4.
Si les demandes de recherches et/ou de rencontres concernent majoritairement
des adoptés adultes et des membres de la famille d’origine ayant confiés leurs
enfants en adoption avant 1970, force est de constater que de plus en plus
d’enfants et d’adolescents nous consultent pour recevoir des informations sur
leurs origines. Quand les demandes de recherche ont commencé à affluer,
l’équipe du service d’adoption Thérèse WANTE s’est interrogée sur la légitimité
d’une aide pour organiser des retrouvailles. Depuis, l’expérience et les lectures
ont fait que la question ne se pose plus en tant que telle. Persuadés que chaque
personne a le droit de connaître une vérité qui le concerne, conscients de
l’importance d’une telle recherche pour la construction de l’identité, les membres
de l’équipe ont tenté d’aider au mieux les consultants dans ce qui leur paraît être
un droit essentiel. Dès lors, conscient de l’importance d’accompagner au mieux
cette quête d’identité, le Service d’Adoption Thérèse Wante a présenté en
décembre 2004 un projet pilote appelé « ITINERANCES ».
4
La législation internationale reconnaît certains droits à l’enfant, qui sont liés au droit à connaître ses
origines personnelles. La Belgique, et plus spécifiquement la Communauté française, a inscrit
l’accompagnement post-adoptif dans la législation de 2005. La recherche des origines fait partie de cet
accompagnement mais elle n’est pas réglementée en tant que telle. Nous avons effectué une analyse de ces
textes mais ne l’avons pas incorporée dans cette publication afin de ne pas alourdir celle-ci. Néanmoins, en
fin de livret le lecteur pourra trouver une liste de références législatives concernant cette matière.
6
Cette publication est un premier aperçu du travail de recherche et de
consultations entrepris dans le cadre du projet pilote. Elle n’en présente qu’une
partie, essentiellement consacrée à la revue de la littérature à ce sujet et à
l’étude des demandes de consultations de recherches adressées à notre Service.
Elle tente d’éclairer le sujet de la recherche des origines et de son nécessaire
encadrement par des professionnels. Les trois membres du triangle adoptif sont
concernés mais nous avons choisi de mettre essentiellement l’accent sur le vécu
de l’adopté en recherche.
7
Quelques thèmes psychologiques liés à
la recherche d’origines
La construction identitaire et l’adoption
______________
La démarche de recherche pourrait être interprétée comme une quête
identitaire, voire comme une crise d’identité. Le profil psychologique des
adoptés adultes serait-il différent de tout individu ? Une revue de la littérature
indique que les adoptés seraient plus vulnérables que la majorité de la population
dans le développement de problèmes d’identité en fin d’adolescence ou dans les
jeunes années d’adulte.
Pour devenir adulte, l’enfant adopté doit se retrouver soi-même, adopter ses
parents adoptifs et se réconcilier avec ses parents d’origine. Ce parcours de
construction identitaire est quelque peu différent de celui d’une personne nonadoptée, dans la mesure où l’enfant adopté a à accomplir certaines tâches
psychologiques supplémentaires.
John TRISELIOTIS 5 présente ce parcours comme l’accomplissement de trois
tâches principales. Il s’agit :
•
•
•
de l’attachement aux nouveaux parents : re-attachment ;
de la conscience d’être adopté : awareness of being adopted.
1. Ce sentiment comprend la connaissance du statut d’adopté et la
compréhension du sens de ce statut ainsi que ses implications ;
2. l’accès à la généalogie et aux informations qui s’y rattachent ;
3. la notion de deux paires de parents et ce que cette notion implique ;
4. la possibilité de gérer le sentiment d’abandon et de résoudre le
sentiment de rejet qui l’accompagne.
de la formation identitaire qui est liée aux points 1 et 2.
Les informations graduelles et détaillées de l’histoire de l’adopté, de sa
généalogie, des circonstances de l’adoption, de sa race, de son identité ethnique
et de son bagage culturel sont indispensables à la formation de son identité
personnelle, culturelle et sociale, même s’ils n’en représentent qu’un aspect.
Il s’agit d’un aspect tout à fait vital.
TRISELIOTIS J., SHIREMAN J., HUNDLEBY M., Adoption : Theory , Policy and Practice Cassell, London,
1997, p. 35, trad. pers.
5
8
L’auteur attire également l’attention sur le fait que l’identité n’est jamais fixée,
qu’elle n’est pas non plus donnée par les parents d’origine ou adoptifs mais qu’elle
fait partie d’un processus de développement continu.
Une revue de la littérature américaine 6sur les conflits identitaires chez les
adoptés classe les difficultés psychologiques propres aux adoptés en 4
catégories.
• Des problèmes dans la relation d’objet précoce : il y aurait une corrélation
entre la gravité des problèmes de comportement et des problèmes
émotionnels chez l’enfant et l’adolescent adopté, et l’âge du placement en
famille adoptive ainsi que la durée de la séparation maternelle précoce.
• Des complications dans la résolution du complexe d’Œdipe : l’adopté
adolescent aurait des problèmes de développement émotionnel qui pourraient
à leur tour influencer le développement d’une identité sexuelle stable
d’adulte :
 au niveau du processus d’émancipation de l’adopté adolescent par
rapport à ses parents adoptifs ;
 dans la résolution des désirs incestueux au sein de la relation
adoptive ;
 dans l’identification finale avec le parent du même sexe et
l’établissement d’une relation constructive avec le parent du sexe
opposé.
• Le roman familial7 serait renforcé et prolongé chez les enfants adoptés.
Certains auteurs pensent que cet état imaginaire pourrait être renforcé par
une attitude de rejet de la part de la mère adoptive. D’autres avancent que
l’enfant adopté a de la chance de pouvoir scinder l’image parentale et de
pouvoir de ce fait attribuer les bons éléments aux uns et les mauvais aux
autres.
• Le terme de genealogical bewilderment a été avancé par SANTS J.H. (1964).
Il décrit un état de confusion et d’incertitude chez un enfant qui grandirait
sans informations par rapport à son passé. Cet état peut mener au
développement d’une pauvre estime de soi et d’un sentiment d’identité très
confus. L’adopté ne peut incorporer des ancêtres connus dans son image de
soi et développerait inconsciemment une peur de commettre l’inceste avec ses
proches parents de sang.
Les auteurs américains présentent également la rencontre des adoptés avec des
groupes sociaux souvent très différents des leurs et d’un niveau social
SOROSKY A.D., BARAN A., PANNOR R., Identity conflicts in adoptees, Amer. J. Orthopsychiatry, 45 (1),
1975, pp.18-25., trad. pers..
7
Freud a défini le roman familial comme une fantaisie commune à toutes les destinées : voir : FREUD S.,
Lettres à Fliess n°67 (1897) et 91 (1898), PUF, Paris, 1973 ; FREUD S., Der Familieroman des Neurotikers,
Ges Werke Bd VII,1972 ; RANK O., Das Mythus des Geburts der Helden (1909) (Le mythe de la naissance
du héros), Payot, Paris,1983 ; SOULE M.et coll., La vie de l’enfant : le nouveau roman familial, ESF, 1971.
6
9
nettement plus bas comme une poursuite instinctive afin de trouver le groupe
identitaire qui correspond au groupe auquel ils pensent appartenir8.
Par ailleurs, Françoise DOLTO aborde le complexe d’Œdipe chez les enfants
abandonnés comme ne pouvant pas vraiment se résoudre, parce qu’ils restent
prisonniers d’une énigme9. L’enfant abandonné, même adopté, ne connaîtra jamais
le visage ni l’histoire de ses géniteurs. Même si l’adulte adopté retrouve ses
parents d’origine à un moment donné, ceux-ci ne pourront rien lui dire de son
histoire quand il était petit. Ils n’en ont pas été complices. L’adopté est
prisonnier d’une énigme. Il va résoudre un certain Œdipe vis-à-vis des
personnes qui l’ont élevé. Mais il sera toujours à la recherche de ses géniteurs et
de ses frères. De là, le fantasme des enfants abandonnés ou adoptés : celui du
risque de tomber amoureux de leur sœur ou de leur frère. Pour échapper à ce
tabou de l’inceste, ils choisissent comme partenaire quelqu’un de tout à fait
étranger.
Le psychiatre français Michel SOULE a constaté que l’élaboration du roman
familial dans les familles adoptives, pour peu que l’enfant ait été adopté
précocement et plénièrement, se passe de la même façon que dans les autres
familles. L’enfant adopté élabore des fantaisies selon le mode habituel à tout
enfant. Son double réseau de référence parentale n’intervient que tardivement
dans le champ de sa compréhension et bien après ce qui fonde ses identifications
et son assise narcissique10.
Les auteurs américains11 dénoncent les lacunes au niveau des recherches dans le
domaine de l’adoption et tout particulièrement en ce qui concerne les conflits
identitaires chez les adultes adoptés. Les quelques cas cliniques mentionnés ne
peuvent être représentatifs. Pour leur part, ils constatent qu’à l’âge adulte, les
effets psychologiques de l’adoption se manifestent de façon tardive. Ils font
état du « maintien d’une situation infantile (perennial child), avec appréhension
et difficultés dans le domaine sexuel, de la procréation et de l’établissement de
liens conjugaux. Persistance du désir de retrouver les parents d’origine, peur
d’être eux-mêmes des parents imparfaits et donc ’ illégitimes’, … »12.
La formation identitaire des adoptés doit être vue dans le contexte du « cycle
de vie »13, où la naissance et la mort sont intimement et inconsciemment liées. La
plupart des études ont démontré que certains événements comme le mariage, la
SOROSKY A.D., BARAN A., PANNOR R., art. cit., p.21.
DOLTO F., La cause des enfants, Robert Laffont, Paris, 1985, p.207.
10
SOULE M., Le Fantasme de la recherche de ses géniteurs par l’enfant adopté ou le roman familial, in
Neuropsychiatrie de l’Enfance, 1995, 43 (10-11), pp.465-469.
11
SOROSKY A.D., BARAN A., PANNOR R., The Adoption Triangle ,op. cit..
12
Analyse du livre The Adoption Triangle par M.BOURGEOIS, Annales Médico-psychologiques, 1979, 137,1,
p.206.
13
ERIKSON E., Identity and the Life Cycle, Psychological issues, New York, International University Press,
1959.
8
9
10
naissance d’un enfant, la mort d’un parent adoptif … peuvent déclencher un
sentiment intense de genealogical bewilderment et activer le désir de recherche
de parents biologiques.
La quête de ses racines par l’adulte adopté peut être considérée non seulement
comme une marque d’intérêt pour sa généalogie, mais également comme une prise
de risque, une remise en question fondamentale, qui lui permettrait d’accéder
à une plus grande connaissance de soi.
Les loyautés familiales et la recherche des origines
______________
Notre expérience nous montre que certains vivent cette recherche
d’antécédents comme une trahison vis-à-vis de leurs parents adoptifs. Ils vivent
avec le sentiment d’avoir une dette envers les adoptants, tout en voulant aussi
être loyaux avec leurs géniteurs. Dans la pratique, nous constatons que plusieurs
adoptés adultes prennent la décision de faire des recherches concernant leurs
parents d’origine après le décès des parents adoptifs. Cette décision tardive est
souvent motivée par les arguments suivants :
« J’ai trop peur de leur faire du mal…
Ils en seront ‘malades’ …
Je vais la tuer en lui parlant de ça ; elle est trop âgée (en parlant de la
mère adoptive)
Je ne vais pas leur faire ça, surtout ‘après tout ce qu’ils ont fait pour
moi ».
Il arrive fréquemment que des jeunes femmes adoptées ne puissent imaginer
avoir un enfant qu’après avoir rencontré leur mère de naissance. Nous avons
rencontré des adoptés adultes masculins ne pouvant se résoudre à fonder une
famille.
Lors de ces rencontres nous avons pu mesurer l’importance de la notion de
loyauté transgénérationnelle, notion proposée et utilisée par le psychiatre
américain d’origine hongroise Ivan BOSZORMENYI-NAGY 14. Il est intéressant
de s’attarder quelque peu sur ce principe de loyauté pour mieux comprendre la
Sources : HEIREMAN M., Du côté de chez soi : la thérapie contextuelle d’Ivan Boszormenyi-Nagy, ESF,
Paris, 1989 ; ROEGIERS L., Les cigognes en crise : désir d’enfant, éthique relationnelle et fécondation in
vitro, De Boeck Université, Bruxelles, 1994 ; P. VERDIER, et DELAISI G., Enfant de personne , Ed. Odile
Jacob, Paris, 1994 ; Actes de la journée d’étude du 6 février 1996 : « Les intervenants de l’Aide à la
jeunesse mobilisés par les loyautés familiales des jeunes », sous la conduite d’Ivan BOSZORMENYI- NAGY
et de Catherine DUCOMMUN- NAGY, organisée par Synergie et l’ILTF, Bruxelles.
14
11
dynamique psychologique de l’adopté, même si cette notion s’applique à tout un
chacun.
Le fondement de la loyauté familiale est généralement la consanguinité.
L’enfant se vit comme redevable de ses parents par le simple fait d’avoir reçu la
vie. C’est la loyauté existentielle. L’enfant adopté se sent redevable de cette
dette envers deux paires de parents. Il doit la vie à ses parents d’origine ; il a
reçu l’éducation, la tendresse et la possibilité de devenir adulte de ses parents
adoptifs. L’enfant est pris dans un conflit entre sa loyauté verticale envers ses
parents biologiques et sa loyauté horizontale envers ses parents adoptifs.
Cette crise de loyauté est inévitable parce qu’il y a fragmentation entre, d’une
part l’origine biologique, le vécu de la grossesse et l’appartenance, et d’autre
part, la reconnaissance psychologique et symbolique.
La transparence et l’honnêteté sur la question des origines sont des attitudes
saines qui empêcheront l’enfant adopté d’être pris dans des comportements de
loyauté clivée. Si, par contre, l’enfant ne peut manifester ouvertement sa loyauté
envers ses parents d’origine, il risque de sombrer dans la dépression ou
l’autodestruction. Il arrive que des adolescents adoptés manifestent ainsi
certains symptômes, parfois dramatiques, qui sont des tentatives maladroites
pour exprimer cette loyauté. Ce sont les invisible loyalties (loyautés invisibles).
L’auteur qui a traduit la théorie contextuelle de NAGY en français15 mentionne le
domaine de l’adoption comme un sujet cher au psychiatre hongrois. Sa position
sur le sujet se résume comme telle :
« Quand on choisit uniquement pour l’enfant, on choisit fatalement contre lui. On
le ’sauve de son milieu’ mais on sous-estime sa loyauté envers ses parents
biologiques. Quand les parents adoptifs sont capables d’aider l’enfant à se faire
une idée exacte de ses parents naturels, ils acquièrent du mérite à ses yeux. Il
en résulte une meilleure entente entre eux. Les conséquences positives
rejaillissent sur la génération suivante ; les enfants adoptés qui ont pu se former
une image de leurs parents biologiques ont plus de facilités à devenir parents
eux-mêmes ».
La thérapie contextuelle16, créée par NAGY il y a une vingtaine d’années, vise
surtout à rétablir l’équité dans les relations humaines. L’équité constitue le
fondement majeur des relations durables et fiables entre parents adoptifs et
enfants adoptés. L’équilibre de la justice dans les relations humaines, terme
HEIREMAN M., op. cit., p.30.
L’approche de NAGY est contextuelle dans le sens où « la souffrance ou le symptôme d’une personne ne
peut être abordé par le thérapeute sur le plan strictement individuel mais doit, au contraire, être envisagé
à la lumière de son contexte relationnel (…) Travailler avec l’entourage du patient, pour Nagy, rend possible
la restauration de la confiance au sein de l’entité familiale », in. ROEGIERS L, Les cigognes en crise, op. cit.,
p.118.
15
16
12
particulièrement important dans le domaine de la procréation et de la filiation,
doit tenir compte de la nature symétrique ou asymétrique des droits et des
devoirs de chacun. Les parents adoptifs ne peuvent s’attendre à recevoir autant
qu’ils donnent à l’enfant qu’ils adoptent. Ceci est également valable pour toute
relation parents-enfants. Ils acquièrent par contre un certain mérite17 qui leur
donne confiance en eux-mêmes. L’enfant, de son côté, doit pouvoir exprimer
sa loyauté envers toute personne qui a contribué à le faire vivre. D’autre
part, il voudrait une réparation du dommage qui lui a été fait parce qu’il y a eu
carence affective, « abandon » et « rejet vécu »18. Il existe donc une
comptabilité familiale implicite, un grand livre des comptes de la famille où
chacun voit s’il a des dettes, des obligations ou des mérites.
Pour NAGY, l’individu sera toujours loyal envers ses origines. La rupture, la
négation de la loyauté verticale occasionnera des souffrances dans de nouvelles
relations.
Certains parents adoptifs stériles ont des difficultés à se sentir assurés dans
leurs fonctions parentales. Les pratiques antérieures des services d’adoption
ne donnaient à ces parents que peu ou pas l’occasion d’exprimer leurs
questionnements et leurs doutes, ce qui augmentait encore leur fragilité. Cette
fragilité se manifestait dans leur difficulté à investir l’enfant adoptif, témoin
vivant de leur impossibilité à procréer. Elle les amenait aussi à noircir l’image des
géniteurs, ce qui empêchait la manifestation de loyauté de l’enfant vis-à-vis de
ceux qui lui avaient donné la vie19.
L’apport de NAGY réside aussi dans le fait que sa théorie valorise le crédit qu’on
peut accorder à la mère d’un enfant de l’avoir porté, accouché de lui et donc de
ne pas avoir avorté.
Par ailleurs il est très important de ne pas sous-estimer la loyauté de l’enfant
adopté envers ses parents adoptifs. En donnant à celui-ci la possibilité d’avoir
des renseignements sur ses géniteurs, les parents adoptifs pourront
expérimenter l’apport positif de ces informations sur l’évolution favorable de
leurs relations avec l’enfant.
Entitlement. Pour le parent qui donne à l’enfant tout en sachant qu’il ne recevra pas en retour dans une
mesure directe, il accumule et emmagasine quelque chose d’autre (surplus éthique), qu’il peut mettre en
réserve mais qui n’est pas de la même nature. Ce surplus est appelé « entitlement ».
18
ANCELIN SCHUTZENBERGER A., Aïe, mes aïeux, Desclée de Brouwer, Paris, 1993, p.51.
19
La parole vraie de Françoise Dolto peut éviter ce conflit de loyauté : « Avant toi, c’est toi qui le sais, tu
peux t’en souvenir peut-être…Ta maman a souffert et ne pouvait te garder.(…) Quel que soit l’acte commis
dans la réalité par un adulte responsable d’un enfant… cet enfant a en lui un trésor de pardon, à condition
qu’on lui donne les moyens d’admirer son géniteur non pas dans sa faute, mais dans l’être qui en lui souffre »
in DOLTO F., Quand les parents se séparent, Le Seuil, 1988.
17
13
La transmission d’informations sur les origines et l’effet pathogène du
secret
______________
Les études et les théories que nous venons de citer plus haut, démontrent bien
que l’enfant adopté qui est au courant de son statut ‘depuis toujours’ et à qui on a
transmis les éléments de son histoire d'origine, grandira avec plus de confiance.
Il développera également un sentiment d'existence plus important ainsi qu’une
identité plus sécurisante que celui qui restera dans l’ignorance de son passé.
Sans vouloir faire une analyse psychanalytique approfondie de la question du
secret, il nous a semblé intéressant d’approcher ce sujet de façon succincte,
ainsi que la notion de révélation et de transmission d’informations.
• La révélation de l’adoption et la transmission d’informations : qui transmet
et comment ?
La transmission d’informations peut se faire à différents niveaux.
La responsabilité première incombe aux adoptants. Ce sont eux qui ont la
responsabilité de transmettre à l’enfant qu’il est adopté et, par le biais de
paroles authentiques et vraies, semées ça et là pendant tout le processus
d’adoption, de lui faire part de ce qu’ils savent sur les circonstances de l’abandon.
Tous les auteurs s’accordent sur le fait que l’adoption doit être dite dès son
début.
Si le fait de dire à l’enfant qu’il est adopté, et ce depuis son plus jeune âge,
semble une évidence à notre époque, nos rencontres avec les adoptés adultes
démontrent qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Entre la tendance à garder le
statut de l’adopté secret et celle de révéler celui-ci le plus tôt possible, on peut
observer plusieurs nuances dans la question de la révélation.
La révélation tardive
Des « révélations » tardives, traumatiques, ont marqué plus d’un adopté et ont
fortement influencé leur vécu ultérieur. C’est une source de grande souffrance
pour l’enfant que d’apprendre par des tiers, à l’école, lors d’une réunion de famille
ou au détour d’une conversation qu’il n’est pas l’enfant naturel de ses parents
adoptifs. Certains adoptés ont appris leur statut lors d’une demande de copie
conforme de leur acte de naissance, à l’occasion de leur mariage. La découverte
soudaine et non accompagnée d’un mensonge perçu comme ‘organisé’, a presque
toujours occasionné une perte de confiance en soi et en autrui, ainsi qu’un vif
sentiment d’insécurité et de solitude. Il est souvent trop tard, à ce moment-là,
14
pour entamer des discussions avec les parents adoptifs ; il arrive même qu’il n’y
ait plus aucun contact entre ceux-ci et l’adopté, suite au traumatisme d’une
révélation trop tardive.
« Savoir » et « comprendre »
Dans l’hypothèse où l’enfant a appris très tôt son statut d’adopté, il convient
toutefois de faire la distinction entre savoir et comprendre. En effet, il
semblerait que l’enfant qui est au courant de son statut dès son arrivée dans la
famille adoptive, ne comprendra qu’à partir de sept, huit, voire neuf ans ce que
cela implique réellement20.
Un prochain niveau de compréhension est atteint au moment de l’adolescence.
C’est alors qu’il est important de pouvoir en discuter, d’ « offrir » un temps de
parole au jeune en recherche. Certains parents adoptifs, ayant révélé son statut
à l’enfant dès son plus jeune âge, pensent que cette révélation suffit et n’en
parlent plus jamais par la suite.
L’adolescent peut alors avoir un comportement agressif, marginal, qui témoigne
de son mal-être. Plutôt que de réagir face à ces difficultés comportementales,
les parents adoptifs devraient pouvoir comprendre cette confusion émotionnelle
et reprendre le dialogue21.
Quelles paroles ?
Il s’agit bien d’un dialogue, de paroles authentiques et vraies verbalisées ça et là
tout au long de l’existence de l’enfant adopté. La plupart des auteurs anglosaxons et francophones22 sont d’accord pour dire que les discussions avec
l’enfant adopté sur son statut et ses origines font partie du processus d’adoption
et qu’il n’y a donc pas un moment précis de grande révélation solennelle. La mise
en mots du phénomène de l’adoption peut être une réponse aux questions de
l’enfant, mais elle peut aussi s’énoncer spontanément.
Selon Cassiers : « Le récit des parents est donc nécessaire à un double plan.
Cognitif d’abord, c’est-à-dire conforme à la vérité, intelligible et vérifiable.
HOWE D., Patterns of Adoption : Nature, Nurture and Psychosocial Development, Blackwell Science Ltd,
Great Britain, 1998, p.107.
21
Soyons toutefois attentifs à ne pas tomber dans le travers d’accuser l’adoption lors de difficultés
rencontrées à l’adolescence. En effet, si certains auteurs ( Schachter 1980 ; Jardin et Launay 1981)
signalent la plus grande proportion relative d’adoptés que d’enfants élevés par leurs familles d’origine dans
la population des consultations psychiatriques, d’autres, par contre (Cassiers 1990), ont rencontré parmi les
enfants adoptés une diversité exactement égale à celle qu’on rencontre chez tous les enfants. Malgré tout,
les préoccupations existentielles de l’adolescence peuvent être accentuées chez les adoptés du fait de la
rupture de la continuité à travers les générations que représente l’adoption ( Steck 1993).
22
Sources : HAYEZ J.Y., Education quotidienne de l’enfant adopté, Neuropsychiatrie de l’Enfance, 1995, 43
(10-11), 470-476 et du même auteur : Un jour l’adoption, Fleurus, Paris, 1988 ; HOWE D., op. cit.;
TRISELIOTIS J., SHIREMAN J. and HUNDLEBY M., Adoption : theory, policy and practice, Cassell,
London, 1997 ; HAINES E. and TEIMMS N., Adoption, Identity and Social Policy. The search for distant
relatives, Gower, Alderschot, Nants(England), 1985.
20
15
Affectif ensuite, en tant que cette histoire dit le désir qui soutient l’enfant
d’une manière cohérente et positive, de telle sorte qu’elle devienne pour lui
créatrice de sens23 ».
Parler à l’enfant de l’adoption amène tout naturellement le couple à parler de la
sexualité. Il est important, pour des parents adoptants stériles, de pouvoir ici
parler de leurs limites au niveau de la procréation. L’enfant doit comprendre que
le désir continue à circuler entre ses parents et que l’absence de capacité à
procréer ne va pas de pair avec l’absence de capacité à s’aimer.
La sexualité existe en tant que rencontre 24. Ceci vaut aussi bien chez le couple
de géniteurs que chez le couple adoptant. Il est important de dire à l’enfant que
son arrivée représente également une réponse au désir du couple adoptant et que
l’enfant n’appartient pas à ses parents, qu’il est libre de les aimer comme il
l’entend.
Parler d’adoption à l’enfant, c’est parler de son histoire avant l’adoption,
mais aussi de celle de la famille adoptante, avant et après son arrivée. Ce
que l’enfant a vécu avant son adoption peut donc faire partie de ce qu’on pourrait
appeler la préhistoire de la famille adoptive, au même titre que les démarches
des futurs parents pour obtenir un enfant, si chacun sait respecter l’autre dans
son désir et son individualité25.
Life story books26, carnets de route, albums de vies…
Le life story book est un carnet qui retrace l’histoire de l’enfant dès sa
conception et que parents adoptifs et enfant peuvent élaborer ensemble. Ce
livret est particulièrement intéressant pour les enfants qui ont été adoptés en
étant déjà plus grands, mais il peut être tout aussi primordial pour un enfant
confié en adoption à sa naissance. Il peut aider l’enfant à se localiser lui-même
dans le temps et dans l’espace.
Ce récit peut être adapté à chaque cas et à chaque situation, mais il doit
répondre en tous cas aux questions suivantes :
Qui suis-je ?
Qui sont les membres de ma famille d’origine ?
CASSIERS L., Le vécu de l’adoption, in MEULDERS-KLEIN M.T. (Ed.) Adoption et formes alternatives
d’accueil, Story scientia, pp. 13-23.
24
Françoise Dolto insiste sur le désir qui est toujours à la base d’un début de vie . La psychanalyste illustre
ce propos dans La Cause des enfants , p.247 : « Il a eu un sens , ce coït fondateur où le langage parlé entre
amants s’arrête et où un être humain en naît. Il est ce nouveau venu, la parole riche de rencontre de deux
interpsychismes au moment de sa conception : c’est ça qui doit être rendu à un être humain de manière
symbolique parlée à sa personne, sinon il reste dans le deuil de son placenta et il ne se développe pas
totalement, retenu à son passé par des potentialités mortifères (…) ».
25
VERDIER P.et DUBOC M., Face aux secrets de ses origines ; Le droit d’accès au dossier des enfants
abandonnés, Pratiques Sociales, Ed. Dunod, Paris, 1996.
26
TRISELIOTIS J., SHIREMAN J., HUNDLEBY M., op. cit., p.125.
23
16
Où sont-ils maintenant ?
Où ai-je vécu jusqu’à présent ?
Avec qui ai-je vécu jusqu’à présent ?
Quand suis-je parti(e) de cet endroit ?
Qui fait partie de ma nouvelle famille ?
Que veut dire « adoption » ?
Ce carnet de route ou album de vie peut aussi avoir deux entrées : l’une
représente l’histoire des parents de naissance, l’autre celle de la famille qui
attendait l’enfant. Ensuite l’histoire commune continue et est agrémentée de
photos, de dessins, selon l’imagination de chacun. Ce support graphique peut aussi
aider les parents à avouer leur ignorance sur l’histoire de l’enfant à son origine.
Ils peuvent écouter ce que l’enfant imagine sur ses parents de naissance et
imaginer avec lui ce qu’ont été ses premiers moments de vie.
Ces constructions imaginaires peuvent donner à l’enfant un point d’ancrage pour
l’élaboration de fantasmes structurants sur ses origines27.
Les difficultés
Même si les relations parents-enfants sont satisfaisantes, il est parfois difficile
d’aborder le sujet. En outre, la demande qui est faite aux parents adoptifs est
paradoxale : ils doivent considérer l’enfant comme le leur, mais en même temps
ne pas oublier qu’il n’est pas né d’eux et tenir compte de son histoire d’origine.
Il peut y avoir des difficultés pour parler d’adoption chez les parents adoptifs
stériles lorsqu’ils se trouvent dans le processus non encore achevé du deuil de
leur stérilité. Il est également délicat pour l’enfant adopté d’aborder la question
de ses parents de naissance, étant pris dans un conflit de double loyauté et
craignant donc de blesser ses parents adoptifs. Certains enfants sentent que le
sujet est délicat pour les parents et ils refoulent leurs sentiments et leurs
pensées. Ce n’est qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte qu’un événement fera revivre
ce qu’ils ont refoulé.
L’adopté lui-même hésite parfois à poser des questions, car il a peur d’apprendre
certaines vérités qu’il ne désire pas connaître. Cela fait dire à HAINES et
TEIMMS que les torts sont partagés 28. Les auteurs appellent « shared blame »
la tendance, aussi bien pour les parents adoptifs que pour les adoptés, de ne pas
parler de ce que chacun sait et de ce que chacun sait que l’autre sait. (Ils
comparent cette situation à l’éléphant qui est dans un coin de la pièce et que
personne ne semble voir).
HAYEZ J.Y., op.cit.,p.56.
HAINES E. and TEIMMS N., Adoption, Identity and Social Policy. The search for distant relatives,
Gower, Alderschot, Nants (England), 1985.
27
28
17
Le concept de « telling29 » est plus complexe qu’on ne le pense. Les chercheurs
HAINES et TEIMMS30 préfèrent le terme « disclosure » pour parler du
processus interactif qui a lieu dans les familles adoptives. Ce terme réfère au
processus de communication qui doit avoir lieu dans les deux sens. L’adopté a
donc également un rôle actif à jouer dans la transmission.
L’idéologie de la vérité
Certains auteurs demandent aux parents adoptifs et à l’entourage de relativiser
l’importance du phénomène de l’adoption. Une certaine objectivité annihile chez
l’enfant adoptif sa conviction d’être un individu hors norme31.
Tout en ne niant pas la nécessité pour l’enfant adopté d’avoir eu la révélation de
sa filiation, Robert NEUBURGER met en garde contre une certaine idéologie de
la vérité32. L’auteur pense qu’il ne faut pas considérer l’enfant adopté comme
ayant un statut particulier ; il est simplement entré dans la famille par adoption.
C’est donc le mode d’entrée dans le groupe familial qui est différent. L’enfant
doit avoir acquis une certaine sécurité quant au lien d’appartenance familiale ; la
« greffe mythique » doit exister avant qu’on ne lui dise la vérité sur sa filiation.
Ainsi on assure la réussite de la greffe adoptive.
L’organisme d’adoption agréé
Si les parents sont prioritairement responsables d’une transmission efficace, le
rôle de l’organisme d’adoption qui est intervenu comme tiers dans le placement
de l’enfant est primordial. Outre l’obligation, contenue dans le décret de l’Aide à
la Jeunesse de la Communauté française réglementant les organismes agréés, de
préparer les parents adoptifs à la tâche ‘d’information précoce de l’enfant sur
son adoption’, rien n’est encore prévu dans la loi en ce qui concerne la
transmission d’informations. L’organisme est en possession du dossier de l’enfant,
donc de l’histoire de sa famille d’origine.
Malgré toutes ces précautions prises par les uns et les autres, il arrive parfois
que l’adopté soit maintenu dans l’ignorance de son histoire. Le secret ainsi
protégé risque d’avoir des conséquences négatives sur la génération suivante.
29
30
31
32
to tell : révéler.
HAINES E. et TEIMMS N., op. cit., p.67.
HAYEZ J.Y, op. cit.
NEUBURGER R., Adoption et mythe de vérité, in Le mythe familial, Paris, 1996, pp.63-72.
18
• Le secret sur les origines
« Certains parents adoptifs désirent garder le secret concernant les origines
des enfants, ce qui me semble relever essentiellement de l’imaginaire. Comme si
l’ignorance de ses origines rapprochait d’avantage l’enfant de ses parents
adoptifs ou, dans un autre sens, comme si l’enfant qui ne sait rien de ses parents
était l’enfant biologique du fantasme des parents adoptifs ! L’expérience nous
dit le contraire. La thérapie des enfants nous apprend que, consciemment ou
inconsciemment, ils savent tout de leur histoire, et que seul le non-dit, le
mutisme des intervenants et de leurs parents, ne les autorise pas à en prendre
conscience. Le non-dit, les lacunes dans l’histoire personnelle engendrent des
traumatismes graves, qui sont souvent à la base de névroses, voire de psychoses,
chez ces enfants »33.
Le secret peut se situer au niveau du statut d’adopté, mais il peut
également se présenter au niveau de l’identité d’origine de l’enfant adopté.
Les informations concernant les circonstances du placement peuvent ne pas être
dévoilées et maintenir l’adopté dans l’ignorance de son histoire.
L’enfant de personne
L’enfant « né sous X » ou né par insémination artificielle par tiers donneur est
appelé par Geneviève DELAISI et Pierre VERDIER un ‘enfant de personne’. Les
auteurs insistent sur les effets pervers d’un secret institutionnel en matière
de filiation. Ces secrets de filiation, « secrets de famille », seront transmis de
génération en génération et pourraient donner accès à des « transmissions
psychiques transgénérationnelles pathologiques »34. Les auteurs ne déplorent pas
le principe des ‘secrets de famille’, qui font partie de toutes les histoires, mais
contestent le fait d’en créer artificiellement.
Le non-dit devient secret
Tous les systémiciens savent que le contenu du secret est souvent moins
important que sa fonction. Les enfants porteurs de secrets risquent d’avoir euxmêmes une communication perturbée avec leurs propres enfants. Les théories
psychanalytiques emploient le terme de fantôme en parlant du secret qu’on ne
peut dévoiler et qui s’installe à l’intérieur de soi. Ce secret peut se transmettre
de l’inconscient d’un parent à l’inconscient d’un enfant, d’une génération à
l’autre.
DOLTO F.et HAMAD N., Destins d’enfants. Adoption, familles d’accueil. Travail social. Entretiens,
Gallimard, 1995, p.79-80.
34
VERDIER P.et DELAISI G., Enfant de personne, Odile Jacob, Paris, 1994, p.248.
33
19
Dans l’optique transgénérationnelle, une personne souffrant d’un tel fantôme
souffre d’une « maladie généalogique familiale », d’une loyauté inconsciente, des
conséquences d’un non-dit devenu secret35. Ce fantôme se manifeste parfois sous
forme d’idées ou de sensations, mais également sous forme de symptômes.
Les cures psychanalytiques d’enfants et d’adultes ont également bien montré à
quel point le non-dit sur les origines peut être mortifère. Françoise DOLTO
rappelle que tout être humain a le droit de savoir à qui il doit la vie. Le non-dit
porte atteinte à la nature symbolique de la transmission de la vie.
L’adopté est sujet de son histoire et doit le rester. Peut-on le priver de la
dimension existentielle de sa venue au monde ? Tout secret ou non-dit sur ses
origines peut provoquer des troubles sur plusieurs générations. Ce qui est
inacceptable pour l’individu à la recherche de ses origines, c’est moins le fait de
ne pas savoir, que le fait de ne pas savoir quelque chose d’essentiel sur lui que
d’autres savent36. Ce sentiment renforce le statut de perrenial child évoqué plus
haut par les adultes adoptés. Ils se doivent de découvrir les choses essentielles
que d’autres savent d’eux.
Le secret : nécessaire pour la mère d’origine ?
Selon R.R. GEADAH, psychiatre français, le secret de l’identité de la mère
d’origine protégerait celle-ci de la dépression, voire de la décompensation
psychotique. Le secret de l’accouchement, dans la mesure où les femmes le
demandent, leur permettrait également de surmonter la culpabilité, la révolte et
l’angoisse, de faire le deuil de l’enfant et de se réintégrer socialement37.
L’auteur pense que, devenir un élément « X » dans la chaîne de reproduction
humaine, sauve symboliquement de la dette fondamentale vis-à-vis de l’enfant à
naître.
N. PELTIER considère quant à elle le secret comme à la fois nécessaire et
nuisible. Il est nécessaire pour protéger la mère au moment de l’accouchement
contre la réaction familiale ou sociale. Il est en même temps nuisible car il est
source de culpabilité et accentue la douleur du ‘jamais plus’38.
ANCELIN SCHUTZENBERGER A., Aïe mes aïeux, Desclée de Brouwer, Paris, 1993, pp.61-63.
VERDIER P.et DUBOC M., op. cit., p.273.
37
GEADAH R.R., Accouchement anonyme : enjeu du secret, in VERDIER P. et SOULE M., Le secret sur les
origines, Ed. E.S.F., Paris, 1986, pp. 91-119. GEADAH R.R., psychiatre français rencontrant majoritairement
des femmes arabo-musulmanes, constate que l’enjeu du secret de la naissance pour ces femmes
illégitimement enceintes est leur survie physique et morale. En effet, la maternité célibataire est
considérée comme une transgression des lois les plus fondamentales et peut, dans certains milieux, être
punie par la mort. L’enfant illégitime sera désigné du doigt et rejeté, connaîtra de graves difficultés
affectives et de grands problèmes d’intégration socio- professionnelle.
35
36
38
PELTIER N., Les mères de l’ombre. Faire adopter son enfant ?, Ed. Cerf, Paris, 1995.
20
Qui cherche et pourquoi ?
Si le souhait de « savoir » a toujours été présent chez un grand nombre d’adultes
adoptés, des événements particuliers déclenchent la recherche active de
renseignements sur la mère d’origine et les circonstances de l’abandon. Une
séparation, un mariage ou la venue d’un enfant ravive ce sentiment
d’incomplétude évoqué par bien des consultants.
Néanmoins, plusieurs facteurs simultanés interagissent avec la décision de
recherche. Si la révélation tardive du statut de l’adopté intervient dans la
motivation de recherche, les auteurs ne sont pas unanimes quant au lien entre un
vécu relationnel difficile avec les parents adoptifs et un besoin accru de vivre
des retrouvailles avec ses géniteurs. Tous les adoptés adultes ne désirent pas
nécessairement rencontrer leurs parents d’origine. Certains sont satisfaits
des renseignements obtenus lors d’une consultation avec des professionnels,
d’autres ne désirent pas vivre des retrouvailles par peur d’être déçus ou
traumatisés. Il semblerait que le vécu des retrouvailles, malgré certaines
difficultés éprouvées durant les premiers contacts, procure généralement un
bien-être psychologique évident et augmente l’estime de soi. Des
informations ’non-identificatoires’ sur les géniteurs de l’adopté peuvent parfois
donner à la personne adoptée l’apaisement désiré.
L'analyse des demandes
______________
Une étude fût réalisée en 1999 par notre service sur base des demandes de
44 adultes adoptés39 a pu dégager les conclusions suivantes :
L’analyse du profil socio-économique des adultes adoptés met en évidence que
les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à prendre la décision
d’entamer des recherches concernant leurs antécédents. Ce taux plus élevé chez
les femmes est confirmé par toutes les études déjà réalisées sur le sujet. La
moitié des consultants sont mariés et plus de la moitié possèdent un diplôme
d’enseignement supérieur. La plupart d’entre eux (61%) avait moins d’un mois au
moment du placement en adoption et 73% font partie d’une fratrie adoptive.
L’âge moyen des consultants est de 37 ans pour les hommes et 33 ans pour les
femmes.
VAN EGTEN M., Les adoptés adultes en quête de leurs origines- Analyse critique de la pratique belge,
UCL, Louvain-la-Neuve, 1999.
39
21
Compte tenu des théories connues sur la construction identitaire et les loyautés
familiales, cet âge tardif peut s’expliquer par la remise en question qu’effectue
l’adulte devenu parent et s’interrogeant sur la généalogie, la naissance, la mort et
le sens de sa vie. Cet âge tardif correspond aussi avec le décès d’un parent, ce
qui libère l’adopté de sa loyauté envers lui. C’est aussi à ce moment-là que l’adulte
prend du recul par rapport à sa famille adoptive et vit une certaine indépendance
sociale et financière40.
« Je ne peux pas affronter le futur avec un trou dans mon passé »
Même si le besoin de ‘savoir’ est présent ‘depuis toujours’ chez 84% des
consultants, l’événement qui actualise ce besoin de recherche est
principalement lié aux situations de naissance, de perte ou de rupture et de
difficulté de vivre. Ce résultat confirme également les études réalisées sur le
sujet.
« J’ai besoin de savoir pour moi, mais surtout pour mes enfants »
L’adopté cherche essentiellement à recevoir des informations sur ses parents
d’origine et sur les circonstances de son abandon. De façon plus subtile, d’autres
besoins apparaissent tout au long de l’entretien : notons surtout le besoin
d’affranchissement, de renaissance et de libération, celui de mieux se connaître
et se comprendre par la clarification des ressemblances avec les parents
biologiques aussi bien sur le plan physique, que sur le plan de la personnalité et
des intérêts.
« Je serais plus libre si je savais, je me donnerais davantage le
droit de vivre »
« Je me suis toujours sentie différente des autres enfants, comme
si ma place sur terre devait continuellement être justifiée ».
« Chaque fois que je me regarde dans la glace, je me demande à qui
je ressemble… »
Il est utile de constater ici que ce sentiment d’incomplétude personnelle, de
« manque », est évoqué dans toutes les études précédentes comme étant le
sentiment principal des consultants, qui déterminerait inconsciemment cet élan
de recherche d’antécédents biologiques.
40
La pratique actuelle du service d’adoption Thérèse WANTE concernant les enfants placés en adoption
depuis ces quinze dernières années, démontre une diminution nette de l’âge de la demande de recherche.
Ceci peut s’expliquer par la plus grande ouverture témoignée lors du processus adoptif, aussi bien en ce qui
concerne la nature des informations qu’autour de la transmission d’informations concernant les origines de
l’enfant adopté.
22
Mais c’est plutôt le climat qui a accompagné la révélation du statut adoptif que
la révélation elle-même qui a pu influencer l’intensité du besoin de recherche. En
effet, les secrets et non-dits véhiculés, souvent inconsciemment, par les
parents adoptifs et l’entourage, ont accentué chez l’enfant adopté le sentiment
d’étrangeté ressenti durant l’enfance et l’adolescence, et rapporté lors des
entretiens.
« Mes parents disaient ne rien savoir sur mes parents biologiques
mais je sentais que ce n’était pas vrai ».
« J’ai toujours su que j’étais adoptée, mais il ne fallait jamais en
parler. D’où l’impression qu’être adoptée était une tare ».
Paradoxalement, même si les adoptés témoignent par ailleurs d’une adoption
‘réussie’ et d’une bonne éducation, ils sont nombreux à avoir vécu des relations
difficiles, tout particulièrement avec la mère adoptive. Un manque d’affection et
de communication est exprimé de manière récurrente.
« Chez nous, il y avait peu de paroles, peu d’affection »
Les adoptés adultes ont vécu et vivent encore des conflits de loyautés. Même
quand les parents adoptifs approuvent et soutiennent les démarches de
recherche, il persiste chez les adoptés une crainte de les blesser. Certains
attendent le décès des parents pour les entreprendre.
« Je ne veux pas parler de cette recherche à ma mère car elle a une
peur bleue que je la quitte »
La recherche des origines semble donc bien provenir d’un sentiment de mal-être
et d’incomplétude et d’un souhait de reconstruction identitaire, plus sécurisante
et plus complète.
L’analyse des entretiens a également fait ressortir les souhaits des adoptés
adultes face à l’aide que peut leur apporter le service d’adoption. Les
adoptés « nés sous X » sont unanimement révoltés devant cette page blanche qui
représente leur passé. La déception, l’incompréhension et la tristesse
caractérisent le premier entretien autour d’un dossier vide.
« Ce n’est qu’à 15 ans que j’ai compris que je n’avais pas d’identité
d’origine. C’était un choc terrible et j’ai eu beaucoup de mal à
comprendre. Je ne pouvais pas croire qu’on m’avait abandonné sans
laisser aucune trace pour plus tard. J’étais aussi très fâché et très
triste. C’était incompréhensible. »
23
Ce résultat conforte les professionnels de l’adoption dans leurs réactions
négatives face aux projets législatifs éventuels concernant la possibilité de
« l’accouchement sous X » en Belgique. Malgré tout il faut rester prudent dans
l’interprétation des résultats. En effet, les adoptés adultes qui se sont adressés
au service d’adoption dans le but de commencer des recherches n’ont eu accès à
aucune information concernant leurs origines, le dossier étant vide. Ceci veut
donc dire qu’il est impossible d’affirmer, en ce qui concerne ces consultants « nés
sous X », que des informations non-identificatoires concernant leurs géniteurs
auraient pu leur apporter un certain apaisement. Les adoptés adultes nés en
Belgique, apprenant leur nom d’origine et le nom de leur mère, ont, dans 80% des
cas, le souhait de la rencontrer ou, du moins, de savoir ce qu’elle est devenue.
La demande adressée au service est dès lors multiple. Les adoptés attendent
de celui-ci qu’il soit un lieu de parole et d’écoute, d’information, de médiation
au centre du triangle adoptif, de transfert d’informations ainsi qu’un lieu
d’accompagnement et de suivi. L’intervention du service dans la recherche des
origines semble donc justifiée par la demande importante exprimée lors du
premier entretien.
L'évolution des demandes de recherche
_______________
Il y a quelques années, le service intervenait essentiellement aux demandes
d’adultes adoptés. Depuis 2005, nous constatons une demande grandissante de
la part d’enfants et d’adolescents adoptés. Les questions posées se
rapprochent beaucoup de celles formulées par les adultes. Cette augmentation
de demandes émanant de jeunes enfants et d’adolescents correspond aux
adoptés de la nouvelle génération, placés en famille adoptive depuis 1987, date à
laquelle notre Service a connu une restructuration importante ainsi qu’une
nouvelle philosophie de travail, basée sur une plus grande ouverture et une
préparation approfondie du couple d’adoptants. En effet, sensibilisée aux thèmes
abordés dans la première partie de cette brochure, l’équipe a pu préparer au
mieux les parents adoptifs au travail de transmission d’informations et
d’accompagnement sur la question des origines.
Les demandes de jeunes enfants et d’adolescents soulèvent d’autres questions
éthiques dans le domaine de l’accès aux informations, dans le domaine de la
protection de la vie privée, le droit des jeunes adoptés à avoir accès aux données
identificatoires concernant leurs parents biologiques, etc. La liste des questions
soulevées à ce propos est très longue et témoigne de la complexité du travail.
Travaillant actuellement sans filet, les professionnels se réunissent et
s’interrogent sur les meilleures réponses à donner aux demandes actuelles.
24
Déroulement d’une recherche
Le parcours de recherche de l’adulte adopté…
______________
« Je veux dire à ma mère que je ne lui en veux pas ».
« Je veux savoir si elle est heureuse, lui dire que je la respecte ».
« Je voudrais lui exprimer ma reconnaissance de m’avoir laissé
vivre ».
« Il me tient aujourd’hui à cœur d’exprimer à ma mère naturelle le
sentiment de profonde gratitude que j’éprouve à son égard de
m’avoir donné la vie, d’avoir assumé et fait au mieux pour nous
deux ».
En ce qui concerne les recherches sollicitées par des adultes adoptés, le Service
d’Adoption Thérèse WANTE ne dispose généralement que d’une seule fiche, qui
représente le dossier entier de l’enfant confié en adoption entre les années 1946
et 1987. Les documents officiels, enquêtes sociales ou autres ont été
« supprimés » volontairement par les prédécesseurs responsables, dans le souci
de préserver « la paix des familles ». Quelques dossiers ont été gardés. Ces
dossiers, bien que très importants pour les enfants concernés, ne représentent
qu’une partie infinitésimale du nombre d’adoptions réalisées depuis 1946.
Il est utile de rappeler ici que l’Oeuvre d’adoption a largement utilisé la
possibilité de l’accouchement sous X en France dans les années ‘50-70’, en
toute bonne foi et dans la logique de l’époque. En effet, à l’époque, bon nombre
considérait que cette procédure assurait à tous les partenaires les meilleures
conditions pour l’adoption ainsi réalisée. Nous constatons actuellement les
difficultés insupportables et insurmontables que cette procédure a entraînées.
La consultation proposée permet aux consultants d’exprimer le vécu de
l’adoption, ses joies et ses souffrances, l’ambiguïté des sentiments qui les
habitent.
La fiche, seul élément restant du dossier d’adoption de ces adultes nés sous le
signe de l’anonymat est totalement vierge et ne leur donne donc aucun indice sur
les circonstances de leur abandon ni sur l’identité, l’origine sociale ou l’état civil
de leurs parents d’origine. La consultation va, en ce sens, leur apporter
uniquement une information générale sur les pratiques qui étaient d’application à
l’époque et sur le vécu général des mères d’origine venues témoigner de leurs
souvenirs.
25
Par miracle, il peut arriver qu’une mère ayant accouché en France nous ait fait
part de son identité et de son adresse actuelle afin que son enfant, si un jour il
la recherche, puisse la contacter. Malheureusement, il arrive rarement que mère
et enfant soient à la recherche l’un de l’autre au même moment. Dans ce sens, il
serait utile d’établir une liste de recherche en collaboration avec tous les
services d’adoption confrontés au même problème, qui pourra être consultée à
tout moment par les différents intervenants41.
Le service d’adoption peut également proposer aux consultants nés sous X
d’insérer une annonce dans des journaux ou des périodiques, en proposant le
numéro de téléphone du service comme lieu de contact. Les adoptés, seuls ou
avec l’aide du service, peuvent aussi entreprendre des démarches en France.
Malheureusement, il ressort de la pratique que toutes les tentatives pour
retrouver des traces d’un dossier en France ont, jusqu’à présent, été vaines. Les
enfants confiés en adoption par l’intermédiaire de l’œuvre d’adoption Thérèse
Wante n’étaient pas déclarés pupilles de l’Etat français et ne possèdent donc pas
de dossier à la DDASS42. Par ailleurs, les démarches entreprises auprès des
hôpitaux et maternités par l’intermédiaire de médecins belges, afin d’obtenir des
dossiers médicaux indispensables à la prise en charge de certains adoptés
atteints de maladies graves, ont connu la même issue.
Les consultations proposées aux adoptés nés en Belgique se passent dans le
même esprit d’écoute et de respect, mais leur offrent également la possibilité
d'apprendre leur nom d'origine, s'ils ne le connaissent déjà, ainsi que quelques
indices sur le profil socio-économique de leur mère d’origine, voire de leur
géniteur. Le peu d’information contenue dans ce document laisse aussi beaucoup
de place à l’imagination du consultant. S’il désire aller plus loin dans sa
recherche, le service est prêt à lui offrir son aide dans la mesure de ses
possibilités.
Si l’adopté souhaite l’intervention du service, un premier contact avec la
mère d’origine est pris par courrier. Le contenu de ce courrier est assez vague
et invite la personne à nous contacter dès que possible43. En effet, la personne à
qui le courrier est adressé peut très bien ne pas avoir mis ses proches au
courant de cet accouchement, et encore moins de l’adoption de l’enfant. Le
courrier donne une indication sur le lieu et l’endroit où la personne concernée
peut s’adresser pour de plus amples informations.
Cette liste a son intérêt, vu qu’il arrive fréquemment que la mère d’origine ne se souvienne plus du nom du
service d’adoption qui s’est occupé du placement à l’époque.
42
DDASS : Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale.
43
Cette lettre dit simplement qu’il est important que la personne prenne contact avec le service concernant
une affaire très personnelle. Le service d’adoption n’a pas toujours fonctionné ainsi. Précédemment, la
lettre mentionnait l’adoption et donnait plus d’informations, mais la pratique a révélé que les lettres
risquaient d’être ouvertes par le conjoint ou une autre personne qui n’était pas au courant de l’existence de
cet enfant et qu’elle pouvait dès lors provoquer des drames.
41
26
Si la mère d’origine ainsi prévenue nous contacte, nous insistons sur le respect
qui entoure notre démarche et celle de son enfant, ainsi que sur la liberté
décisionnelle qui lui est accordée.
Si son souhait rejoint celui du consultant, le service peut, selon les situations,
mettre les parties en contact ou proposer une rencontre préalable avec un
membre du service, afin de préparer la mère ou les membres de la famille
d’origine aux retrouvailles. Il arrive que plusieurs entretiens soient nécessaires
avant de prévoir la rencontre. Une préparation par entretiens téléphoniques est
également possible en ce qui concerne la mère d’origine. Il est important de ne
pas précipiter les choses et de laisser à chacun le temps qu’il lui faut pour faire
face au choc émotionnel que cette rencontre va provoquer. C’est ainsi qu’entre
chaque étape, même si le consultant insiste sur l’urgence de la démarche, le
service respecte ce temps de préparation psychologique des deux parties.
Il arrive également que les parents adoptifs soient partenaires actifs dans
cette recherche, et leur soutien est souvent précieux pour les consultants.
Le service reste à la disposition des uns et des autres pour laisser s’exprimer les
émotions, les questions aussi.
Les adoptés qui consultent sont partenaires actifs dans la démarche de
recherche. Le service peut offrir l’accompagnement nécessaire ainsi que l’écoute
et les conseils, mais l’acteur principal reste l’adopté lui-même.
Cette implication est symboliquement représentée par une participation
financière, qui couvre la première consultation et les démarches de recherche,
ainsi que tout entretien ultérieur jugé nécessaire au bon déroulement du
processus.
Il est important que le professionnel reste à sa juste place et ne devienne
pas le thérapeute du ou des consultants. L’adopté peut parfois être guidé vers
une aide extérieure avant d’aller plus loin dans les recherches afin d’éviter de
faire écrouler un équilibre identitaire trop fragile..
Tous les adoptés en recherche ne désirent pas toujours rencontrer leur mère
d’origine. La peur d’être déçu, de briser le roman familial qu’ils se sont construit,
empêche certains consultants d’aller plus loin dans la démarche.
Mais il s’agit parfois simplement d’un manque d’intérêt pour cette rencontre.
Les informations que le service leur donne semblent suffisantes pour
momentanément satisfaire leur curiosité, quitte à ce qu’ils reviennent nous voir
quelques années plus tard. Certains adoptés désirent principalement recevoir des
informations médicales. Il est parfois primordial pour eux de savoir quels sont
leurs antécédents génétiques afin d’expliquer une maladie dont ils souffrent ou
qui a atteint un de leurs enfants.
27
Les refus prononcés par certaines mères, pères ou membres de la fratrie
d’origine lors d’une demande de rencontre, sont difficiles à accepter par les
consultants. Mais ils ont besoin d’être respectés, car ils représentent une réalité
et, dans ce sens, ils peuvent malgré tout faire avancer l’adopté dans sa réflexion
personnelle. Il arrive également que la mère d’origine refuse de reconnaître sa
maternité. A ce moment-là, l’adopté se sent rejeté pour la seconde fois.
Ces risques de refus font partie de la recherche identitaire entamée par ceux
qui ont un jour décidé de découvrir ce que fut le début de leur histoire. Le
service d’adoption veille à les accompagner au mieux, à les préparer à
l’éventualité d’un échec comme à les soutenir après.
Les enfants et adolescents veulent juste savoir…
_______________
Les demandes faites par des enfants ou des adolescents adoptés sont traitées
différemment. La collaboration avec les parents adoptifs est indispensable et
ceux-ci bénéficient également d’un accompagnement approprié. Il arrive
également que l’équipe soit consultée par des jeunes vivant en institution, non
adoptés, mais malgré tout à la recherche de leurs origines car ayant vécu un
abandon du côté paternel et/ou maternel. A ce moment-là, l’équipe de
l’institution où réside l’enfant participe et accompagne l’enfant lors des
consultations.
Les questions posées par des jeunes enfants et adolescents sont toujours
abordées avec beaucoup de prudence. Il s’agit tout d’abord de décoder la
demande : vient-elle plutôt du parent adoptif, parfois mal à l’aise avec les
questions de l’enfant ? Peut-elle être considérée comme une simple mise aux
points, une vérification des éléments déjà donnés par le parent adoptif ou s’agitil d’apporter un élément de plus pour pouvoir compléter au mieux le puzzle de sa
venue au monde, de sa vie « avant » l’adoption ?
Leurs questions concernent principalement le pourquoi de l’abandon :
« Comment ma mère a-t-elle pu m’abandonner ? »
Leurs demandes concernent aussi les aspects identificatoires .
Des indications sur l’aspect physique de la mère biologique ou la vue d’une photo
de celle-ci permettent aux enfants de comparer les ressemblances. Il est
également important pour eux de savoir si leur mère a eu d’autres enfants, si elle
a du travail, si elle est heureuse « sans eux » et où elle habite. Les questions sur
le géniteur ne font généralement pas partie des premiers entretiens. mais sont
abordées plus tard dans l’accompagnement.
28
Une rencontre à ce stade-là est généralement prématurée. Il faut pouvoir
argumenter ce point de vue auprès des enfants et adolescents. La fragilité
affective et le manque de maturité sont deux éléments qui pourraient mettre en
péril une rencontre déjà très éprouvante en soi et génératrice de sentiments
forts et divers, souvent déjà perturbateurs pour des adultes équilibrés.
Même si la demande ne contient pas l’élément des retrouvailles, les questions
formulées par les enfants nécessitent néanmoins un accompagnement adapté et
des compétences spécifiques de la part des professionnels.
29
Quand adopté et parents d'origine se rencontrent...
Les « retrouvailles » peuvent être heureuses. Elles peuvent aussi être
décevantes ou difficiles à vivre.
Chaque histoire est unique et le vécu des retrouvailles dépend de beaucoup
d’éléments. Le service organise, à la demande des adoptés ou des mères d’origine,
des retrouvailles dans un lieu neutre ou dans les bureaux de l’organisme
d’adoption. Le professionnel peut servir de ‘tampon’ ou de traducteur lors d’un
premier contact, et laisser, dans un deuxième temps, les partenaires se
retrouver dans l’intimité. Plusieurs contacts téléphoniques sont parfois
nécessaires, plusieurs rencontres où les deux parties nous livrent leurs craintes,
nous racontent leur vécu, nous laissent des messages, des photos ou des
questions à poser à celui qui désire les rencontrer avant que les retrouvailles
puissent avoir lieu. Même si celles-ci ont été préparées de part et d’autre, elles
entraînent certains problèmes existentiels et demandent souvent un travail
psychologique important pour retrouver ensuite un nouvel équilibre.
Lors de la préparation des rencontres, nous constatons que les souhaits et les
questions des deux parties se rejoignent. Mères d’origine et adopté veulent se
rencontrer. L’adopté part du principe que sa mère biologique n’a pas pu ne pas
penser à lui. Il semble en effet que cela corresponde au vécu de la majorité des
mères : celles-ci avouent avoir souvent pensé à leur enfant.
Les adoptés souhaitent recevoir des informations sur les circonstances de la
naissance et de l’abandon et la plupart des mères sont d’accord de donner
réponses à ces demandes. La question du géniteur est également abordée lors de
cet entretien. ainsi que les ressemblances physiques mais aussi de caractère
(goûts, centres d’intérêts, manies, envies, capacités artistiques ou manuelles,
etc.)
Cette première rencontre est un choc émotionnel, un moment euphorique et
souvent vécu comme assez irréel. Cela fait tellement longtemps que chacun
rêvait de cet instant. Par contre ce moment peut aussi être source de
frustration, de déception, de tristesse.
Quand les protagonistes relatent leurs retrouvailles, ils parlent surtout de
reconnaissance, de s’être « enfin reconnu en quelqu’un ». Mère et fils vivent
parfois un sentiment proche du sentiment amoureux, la mère retrouvant dans son
fils adulte l’image du père biologique aimé mais perdu de vue.
Il est important que les adoptés puissent ensuite se confier à ceux ou celles qui
les ont soutenus pendant cette recherche.
30
Après les retrouvailles…
Un suivi de la part du service et une écoute importante seront nécessaires. En
effet, nous constatons de plus en plus que la difficulté réside surtout dans
« l’après-rencontre ». En effet, c’est à ce moment-là que chacun réalise l’impact
des informations reçues et des émotions ressenties. Chaque personne est
profondément secouée dans ses certitudes, ses sentiments, sa construction
familiale et personnelle. Parfois c’est l’occasion pour un adopté adulte de parler à
ses parents adoptifs d’un sujet toujours considéré comme tabou. Ce partage peut
parfois déstabiliser le parent ou l’adopté et remettre une série de choses en
question, parfois ce partage peut enrichir la relation, parfois c’est entre les
deux.
Deux sentiments s’expriment unanimement après toute rencontre entre un
adulte adopté et sa mère d’origine : l’adopté se sent plus « complet » plus
« solide » plus « ancré » dans la vie ; il se sent « comme les autres ».
Cette rencontre renforce sa confiance en lui et efface en partie ce sentiment
d’étrangeté mentionné au début de cet ouvrage ; le puzzle de sa vie a pu être
complété. Le parent d’origine est délivré de ce lourd fardeau de culpabilité
qui ne l’avait pas quitté depuis la naissance de l'enfant: revoir son enfant devenu
adulte, généralement en bonne santé, lui enlève ce sentiment d’avoir pris une
mauvaise décision, d’avoir commis une « faute » en confiant son enfant à une
autre famille.
D’autres sentiments peuvent émerger. Les mères biologiques peuvent traverser
un moment de grande instabilité émotionnelle. Le fait de revivre cette période
difficile et dramatique de la naissance et de l‘abandon provoque souvent une
remise en question de la vie qu’elles ont menée depuis. C’est parfois aussi le
moment pour elle d’en parler enfin à leurs autres enfants, à leur conjoint et il
s’ensuit parfois une rencontre avec toute la famille.
Les difficultés émergent aussi quand il faut ensuite régler l’espacement des
rencontres et, surtout, la place que prendra cette mère retrouvée dans la vie
familiale de l’adopté. C’est ici que chacun comprend mieux l’importance d’être
adulte au moment de la rencontre et d’avoir une certaine stabilité. En effet, il
est difficile pour l’adopté d’exprimer ses souhaits quant à la suite des
rencontres. Certains bénéficient d’une maturité suffisante leur permettant de
prendre du recul et de refuser une trop grande intrusion dans la vie familiale.
D’autres sont heureux de découvrir les différents membres de la famille
d’origine, et vont même jusqu’à inviter tout le monde aux fêtes familiales.
Mais dans la plupart des cas, la mère biologique devient une amie qu’on voit de
temps en temps avec bonheur mais sans que celle-ci ne devienne une habituée de
31
la famille de l’adopté. Les parents adoptifs sont très souvent encore plus
intensément reconnus comme parents. L’adopté se sent encore plus proche d’eux
et remet tout à sa juste place.
Quelques recommandations adressées aux
professionnels confrontés à une demande de recherche
Ce qui précède témoigne de l’importance d’un accompagnement professionnel
dans la recherche des origines.
L’approche psychosociale dans ce domaine requiert des connaissances et des
techniques spécifiques de la part de l’intervenant.
Un élément primordial est le temps. Il faut envisager la recherche des origines
en tant que processus, devant nécessairement s’inscrire au creux d’une
temporalité. Garantir le respect du rythme de chacun dans ce cheminement
vers une éventuelle rencontre est une donnée indispensable au bon déroulement
de celle-ci. Chacun doit pouvoir se sentir autonome et non piégé par un
encadrement trop envahissant. C’est ainsi que chacun pourra exprimer ses
souhaits quant au rythme du cheminement, selon ses capacités émotives,
intellectuelles et psychologiques.
Par ailleurs, l’intervenant doit pouvoir non seulement comprendre les facteurs qui
motivent un enfant ou les parents biologiques à se rechercher mais également
prévenir les parties des « risques psychologiques » potentiels à s’engager dans
une telle recherche. Il doit respecter le besoin de savoir chez l’un et celui d’être
rassuré chez l’autre.
Il doit avoir connaissance de la manière dont on peut préparer les requérants
aux divers résultats potentiels de la recherche.
Compte tenu des difficultés actuelles pour accéder aux informations et du
manque de données éthiques et déontologiques dans ce domaine, le professionnel
doit tenir compte des contraintes légales inhérentes à la recherche avant de
rassembler les informations pour pouvoir localiser les familles biologiques et les
enfants adoptés. Dans ce sens, il doit pouvoir respecter une certaine
confidentialité.
Ensuite, quel que soit le résultat de sa recherche il doit pouvoir, le cas échéant,
référer les adoptés ou les mères d’origine à des services d’aide psychosociale
appropriés.
32
Il est important que l’intervenant ne devienne pas le thérapeute du consultant,
mais un professionnel qui le seconde dans sa démarche: il est le lien et le
médiateur entre les parties.
Une grande capacité d’écoute est attendue par l’adopté et le parent biologique
lors de ces consultations. Au fil de celles-ci, le professionnel découvrira –
en deçà de la demande précise de renseignements- une demande bien plus forte
de reconnaissance, d’écoute, d’accompagnement dans le questionnement et les
doutes qui surgiront durant la démarche de recherche.
Ce travail est actuellement réalisé par le personnel de l’organisme d’adoption.
Ce lieu est non seulement perçu comme l’endroit où l’information concernant les
dossiers d’adoption est archivée et où la mémoire des faits a été enregistrée,
mais également comme un lieu d’écoute et de partage d’émotions.
Nous rencontrons également une forte demande de médiation lors de ces
différents entretiens. L’intervenant est ainsi médiateur entre l’adopté et ses
proches (parents adoptifs, fratrie adoptive, conjoint et enfants) mais aussi
entre l’adopté et sa famille d’origine afin d’éviter que la demande de contacts
avec celle-ci ne perturbe la vie privée de la personne recherchée.
Le service d’adoption fait également office de lieu de transfert d’informations
ou de documents entre les parties : photos, lettres, colis, poèmes vont ainsi
transiter par cet intermédiaire.
L’accompagnement lors du cheminement de l’adopté et de sa famille d’origine
durant les différentes étapes de la prise de contacts et le suivi de celles-ci
seront nécessaires pour permettre aux consultants d’extérioriser leurs émotions
ou de demander des conseils.
33
Conclusions
La recherche de ses origines est considérée par notre équipe comme un droit
fondamental de tout adopté. Chaque situation de recherche mérite une
approche personnalisée car la souffrance exprimée est propre au vécu du
consultant. La Belgique ne connaît pas le secret de l’identité originelle de l’enfant
adopté et ceci est extrêmement positif pour toutes les personnes concernées
par une recherche. La loi actuelle inclut l'accompagnement post-adoptif dans la
mission des organismes d'adoption agréés, mais ne donne aucune directive
précise dans ce domaine. Chaque organisme travaille donc selon sa propre
expérience et déontologie. Plusieurs professionnels intéressés par la question se
réunissent régulièrement pour tenter de répondre aux nombreuses questions
éthiques soulevées par ces demandes de recherches.
Un bref aperçu de celles-ci témoigne de la complexité du sujet :
Concernant la collaboration entre services :
• Quand et comment renvoyer un consultant au service qui s’est
occupé de son adoption ?
• Quelles sont les pratiques financières des services dans le cas d’une
recherche ?
• Que faire quand un adopté s’adresse à plusieurs services en même
temps ?
• Comment se passer des informations sur l’adopté sans faillir au
secret professionnel ?
• Comment se faire connaître auprès du grand public?
Concernant les consultants :
• Qui peut être le demandeur ?
• Sur base de quoi décide-t-on d’accepter une demande de
recherche ?
• Que faire quand une des parties est décédée ?
• Comment respecter la plus grande discrétion possible ?
• Comment porter le moins possible atteinte à la vie privée des
différentes personnes concernées ?
• Quand arrête-t-on la recherche ou jusqu’où peut-on aller dans la
sollicitation ?
• A partir de quel âge l’adolescent est-il capable de rencontrer ses
père et mère d'origine?
• Comment conscientiser les parents adoptifs qui ont adopté des
enfants il y a dix, vingt ou trente ans sur l’importance d’une telle
recherche ?
34
•
•
•
•
•
Comment faire comprendre au consultant qu’il ne pourra jamais
connaître ‘toute la vérité’, dans la mesure où « la vérité » est
subjective, et que chacun des acteurs de leur histoire a dû
construire au fil des années les vérités autour desquelles il a
organisé sa vie 44?
Comment aider l’adopté à intégrer ce qu’on lui apprend sur ses
origines?
Comment l’accompagner au mieux dans ses découvertes et ses
déceptions, dans ses interrogations et ses remises en question ?
Comment accompagner ses proches, amis ou conjoints, parents ou
fratrie, dans cette recherche dont la complexité effraie ?
Que faire lorsque la demande émane d’un jeune enfant ?
Le projet ITINERANCES nous a permis d’analyser et de résumer quelques
questions fondamentales dans cet ouvrage :
•
•
•
•
•
L’adopté aurait fondamentalement besoin de savoir d’où il vient, mais
l’actualisation de la démarche de recherche serait souvent
déclenchée par un événement de vie particulier.
L’adopté aurait besoin de connaître les renseignements concernant
ses origines pour pouvoir construire une identité sécurisante et
éprouver un sentiment de bien-être et de complétude.
Un conflit de loyautés empêcherait l’adopté de parler à ses parents
adoptifs de son questionnement par rapport à ses origines.
Il serait bon que le législateur établisse des règles concernant
l’accès aux dossiers contenant les informations sur les origines de
tout adopté ainsi que l’accès aux renseignements identificatoires de
ses géniteurs.
Lors de ces recherches, le demandeur doit pouvoir faire appel à un
intermédiaire, lieu neutre et professionnel, aussi bien lors de la
transmission d’informations que dans l’organisation de ‘retrouvailles’.
Il ressort également de cette recherche que les différents professionnels des
organismes d’adoption agréés ont une action préventive à mener, aussi bien lors
du placement de l’enfant en adoption que dans la préparation et l’élaboration de
projets d’adoption avec les candidats adoptants, ainsi que dans l’accompagnement
des familles d’origine et l’élaboration du dossier complet de l’enfant placé. Ce
dossier pourrait contenir, dans la partie consacrée à la famille d’origine, outre
les informations et photos éventuelles, l’avis des géniteurs sur d’éventuelles
retrouvailles lors de la majorité de l’adopté.
44
VERDIER P. et DUBOC M., Face au secret de ses origines, Dunod, Paris, 1996, p.114.
35
En résumé, quelques points essentiels :
•
•
•
•
La recherche des origines et l’accompagnement lors de ce
questionnement font partie intégrante du suivi post-adoptif.Les
témoignages des parents d’enfants souffrant des troubles de
l’attachement démontrent que c’est une période capitale pour
l’évolution favorable de l’adoption.
L’écoute que l’enfant adopté reçoit au niveau de sa demande
d’informations sur ses origines lui permet de se construire et est
ainsi une étape préventive dans certains troubles d’attachement ou
troubles d’apprentissage des enfants adoptés.
Les questions sur l’histoire d’origine de chaque enfant adoptif
doivent être abordées tout au long du suivi et cet accompagnement
fait partie de la prévention d’éventuelles difficultés d’intégration ou
d’inscription de l’enfant dans sa nouvelle famille.
L’importance de l’existence d’un lieu où les questions sur les
origines peuvent être exprimées, entendues et accompagnées est
aussi de plus en plus démontrée par les demandes d’accompagnement
émanant de jeunes non-adoptés séjournant en institution. La
reconstruction de leur histoire fait partie du travail thérapeutique
nécessaire à l’épanouissement du jeune. Ceci se fait en collaboration
avec les équipes psycho-éducatives du centre où le jeune séjourne.
Une certaine ouverture lors du placement en adoption, des réponses vraies aux
questions de l’enfant et de l’adolescent, un soutien de la part du professionnel qui
s’est occupé du placement de l’enfant à l’époque, un soutien adéquat à la
parentalité adoptive, une consultation de recherche effectuée par des
professionnels, peuvent faciliter cette quête et la rendre plus mature . En effet,
les questions essentielles seront déjà élucidées et l’incertitude en partie
effacée. L’adopté se sentira en paix, comme l’exprimait si bien cette femme en
nous envoyant ce petit mot après la consultation :
« Sachez enfin que je n’éprouve aucune impatience et que je
suis en paix avec moi-même… ».
36
Bibliographie
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Législation
Législation internationale
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sur les principes sociaux et juridiques relatifs à la protection et au bien-être
des enfants
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Charte européenne des droits de l'enfant juillet-septembre 1992
Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la
coopération en matière d'adoption internationale.
Législation nationale
Code civil
Code judiciaire
Code pénal
Décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la Jeunesse
Décret de la Communauté française du 31 mars 2004 relatif à l'adoption
Décret de la communauté française du 1e juillet 2005 modifiant le décret du
31 mars 2004 relatif à l'adoption
Loi du 24 avril 2003 réformant l'adoption
40
Je tiens à remercier Madame la Ministre Catherine Fonck, Ministre de la
Santé, de la petite enfance et de l'Aide à la Jeunesse, pour son soutien dans
l'élaboration de ce projet pilote.
Merci à Monsieur Stéphane Albessard du Cabinet de la Ministre Catherine
Fonck pour sa foi en notre travail.
Je tiens également à remercier Hélène Cornet pour sa relecture attentive,
ainsi que mes collègues francophones et néerlandophones pour le partage
d'idées et d'expériences,
et surtout, tous les adoptés qui, par leurs témoignages, ont rendu cette
réflexion possible.
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