La nouvelle mode : le classement des salariés (rating)

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La nouvelle mode : le classement des salariés (rating)
La nouvelle mode: le classement des salariés (rating)
Finie l’évaluation individuelle en fonction des performances, les employés sont
maintenant classés par rapport à leurs collègues. L’objectif: mettre en évidence
les talents que s’arrachent les entreprises (war for talents) et susciter une
(saine?) compétition entre collègues. A l’UBS, mais aussi dans d’autres sociétés,
notamment d’origine américaine, ces méthodes à la McKinsey se développent et
mettent le personnel fortement sous pression dans le but d’augmenter leur
productivité et, par ricochet, le profit économique de l’entreprise.
De quoi parle-t-on?
L’évaluation en fonction des objectifs définis l’année précédente, c’est du passé.
Désormais les employés sont jugés les uns par rapport aux autres. Les comparaisons se
feront au sein d’un groupe de pairs, collègues de rang et de rôle identiques de tous les
pays. Ils seront classés en cinq groupes de tailles prédéfinies: 5 à 10% d’entre eux
auront des performances jugées insuffisantes, 20% devront s’améliorer, 40% auront de
bonnes performances, 20% des performances supérieures et 10% des performances
extraordinaires. Ces derniers seront considérés comme les talents qui doivent être
particulièrement choyés en terme de salaire, de formation, de promotion, afin qu’ils
n’offrent pas leurs services à la concurrence.
Le conflit du 21ème siècle: la guerre des talents
Selon les concepteurs de ce système, les talents jouent un rôle décisif dans les résultats
des entreprises. Ils seraient la clé du succès. Pour cette raison, elles veulent cibler les
talents, les promouvoir en espérant ainsi les conserver au sein de l’entreprise. La saine
émulation qui en résulterait pousserait en outre tous les collaborateurs à donner le
meilleur d’eux-mêmes à leur banque. Les spécialistes en gestion des ressources
humaines sont plus dubitatifs: ce système risque surtout de décourager ou démotiver
celles et ceux qui ne sont pas les meilleurs et de favoriser des stratégies individuelles au
détriment des objectifs communs et à long terme.
Un système condamné à s’autodétruire
Poussé à l’extrême ce système ne peut que s’autodétruire: les talents seront promus
aussi longtemps qu’ils sont jugés les meilleurs, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur niveau
d’incompétence (Principe de Peter). Ce sera alors pour eux la chute vers les niveaux
inférieurs. A moins d’avoir été appâtés avant par une meilleure offre de la concurrence
qui cible les mêmes «produits». C’est la guerre des talents avec ses risques collatéraux:
explosion des salaires, prises de risques inconsidérés, comportements dangereux pour
soi et pour l’entreprise, voire pour l’ensemble de la société. Ne sont-ce pas des
ingrédients semblables qui ont provoqué la dernière crise financière puis économique?
Les employés jugés insuffisants bénéficieront-ils d’un soutien pour qu’ils puissent se
hisser vers les hauteurs talentueuses? Probablement pas, puisque l’argent et l’énergie
seront concentrés vers les talents. Pour eux ne restent que la peur constante de perdre
leur emploi, la frustration concernant la stagnation de leur salaire et le risque de
développer une mauvaise image de soi. Quant aux employés moyens, ils craindront sans
cesse la déchéance. C’est le cocktail qui conduit aux dépressions, burn out, maladies
diverses et même à la mort.
Un système foncièrement malsain
La sagesse populaire dit qu’on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Il en découle la
conviction que chacun a son utilité et qu’en tant que tel il mérite respect. Le rating
écrase le plus petit dont l’avenir semble pour le moins très incertain. Pire, il exige qu’un
certain nombre soit jugé a priori insuffisant, indépendamment des performances
individuelles et du fait que les objectifs fixés préalablement ont été atteints ou non.
Le but de ce système est de pousser les employés à donner toujours plus pour que la
banque fasse toujours davantage de profit. L’être humain ne peut pas donner toujours
plus, il doit aussi se régénérer parfois. Même les machines perdent en efficacité si elles
ne sont pas régulièrement arrêtées, nettoyées, rechargées. Dans ce système, la recharge
est-elle prévue, ou table-t-on plutôt sur la décharge?
Un système qui favorise les inégalités
Le contrôle des évaluations est encore plus difficile avec ce système qu’avec les
méthodes antérieures : le cercle des pairs comparés les uns aux autres n’est pas
communiqué, ni le nom des « juges », pas plus que les critères d’évaluation. On peut
supposer sans grand risque d’erreur que les juges seront majoritairement des hommes
ayant intériorisé les valeurs dominantes actuelles : concurrence, goût du risque etc. Ils
récompenseront celles et ceux qu’ils perçoivent comme les meilleurs selon ces critères.
Qu’en sera-t-il de valeurs comme la durabilité, l’esprit d’équipe, la loyauté, la fidélité à
l’entreprise?
L’écart salarial va encore augmenter. Avec un tel système, il est évident que l’explosion
des bonus est programmée, tandis qu’à l’autre bout de l’échelle la stagnation guette. Les
femmes risquent d’être pénalisées parce qu’elles travaillent plus souvent à temps partiel
et qu’elles n’ont pas toujours le même mode de fonctionnement que les hommes.
Les premiers échos reçus confirment ce risque : il semble que les femmes enceintes, les
personnes malades et plus particulièrement celles avec une longue absence pour cause
de maladie, celles proche de l’âge de la retraite ou en formation seraient particulièrement
désavantagées.
Inéluctable, la concurrence partout et toujours?
Rien n’est inéluctable. En France, ce système d’évaluation du personnel imposé au niveau
international ne pourrait être appliqué tel quel, car il violerait la loi. Et chez nous? La loi
n’est pas aussi claire: y-a-t-il une violation de l’obligation de protéger la personnalité de
l’employé (art. 328 CO) ou de l’obligation de protéger la santé des salariés (art. 6 LTr,
art. 82 LAA et art. 2 de l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail - OLT3). L’Association
suisse des employés de banque (ASEB) examinera attentivement la question du point de
vue juridique.
Cependant même si l’arsenal juridique suisse est insuffisant, nous ne devons pas baisser
les bras. Quand un système est perçu comme injuste, il faut chercher des alliés, informer
et continuer à mettre la pression pour modifier ce système. Nous exigeons notamment:
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La prise en compte des remarques et propositions de la représentation interne des
travailleurs pour tous les systèmes d’évaluation et les systèmes salariaux
La transparence totale sur les critères d’évaluation et la liste des personnes qui
évalueront les collaborateurs
Des systèmes d’évaluation et salariaux qui tiennent aussi compte des besoins des
employés, notamment du droit légitime de ceux-ci à ne pas vouloir être
impérativement les meilleurs, à ne pas être ambitieux. Des systèmes qui assurent
le respect de celles et ceux qui ont d’autres centres d’intérêt que le travail. Des
systèmes qui prennent en compte les besoins en formation continue pour tous les
employés, aussi et surtout pour ceux qui sont moins performants.
La participation des partenaires sociaux à la définition des objectifs des systèmes
d’évaluation et de salaire.
Sans vous, l’ASEB ne peut rien
Non seulement, l’ASEB ne peut rien sans vous, mais elle ne veut rien. En effet l’ASEB est
là pour défendre les intérêts des employés de banque. Elle doit donc connaître leurs
attentes. Ensuite pour défendre les intérêts des employés, elle doit bien connaître le
problème. Pour cette raison, l’ASEB vous demande de prendre position sur ce
modèle, de nous faire part de vos expériences et aussi de vos attentes et
suggestions à l’adresse suivante: [email protected]
Nous informerons sur l’évolution de nos démarches. Naturellement nous assurons la
stricte la confidentialité des informations reçues. C’est notre éthique de travail.
Ensemble, nous pouvons améliorer les conditions de travail dans les banques. Faitesnous confiance, nous sommes avec vous.
Denise Chervet
Secrétaire centrale