Synthèse adoption 30 septembre 2011

Transcription

Synthèse adoption 30 septembre 2011
Université catholique de Louvain
Centre interdisciplinaire de recherche sur
les familles et les sexualités
IACCHOS – UCL
Recherche relative à la procédure d’adoption
en Communauté française de Belgique
Recherche réalisée à la demande de Madame la Ministre Evelyne
HUYTEBROECK, Ministre de la Jeunesse et de l'Aide à la jeunesse
Florence Vandendorpe
Jacques Marquet (promoteur)
Jehanne Sosson (promotrice)
Avec la participation de Nathan Gurnet
Le 15 septembre 2011
Synthèse
Introduction
Dans le cadre plus large d’une réflexion sur le processus d’adoption en Communauté
française de Belgique, une recherche tant quantitative que qualitative a été confiée au Centre
interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités de l’Université catholique de
Louvain (CIRFASE – UCL – Louvain-la-Neuve) avec pour objectif de recueillir le point de
vue des candidats impliqués dans une procédure d’adoption ainsi que celui des parents ayant
adopté un enfant. Elle constitue le second volet d’une évaluation globale des différentes
étapes de la procédure relative à l’adoption en Communauté française et fut menée de mars à
septembre 2011. C’est de cette recherche qu’il est question dans ce document.
La présente synthèse présente dans l’ordre :
I. La méthodologie
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II. Les résultats de l’analyse des questionnaires d’évaluation du processus d’adoption
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III. Les résultats de l’analyse qualitative du point de vue des adoptants
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IV. Les conclusions et recommandations
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I. Méthodologie
Le matériau qui a servi de base à cette évaluation est composé de deux sources distinctes :
a) l’analyse quantitative porte sur les données récoltées via les questionnaires distribués par
l’ACC aux candidats adoptants et parents adoptifs à différents moments de la procédure ;
b) l’analyse qualitative porte sur le matériau rassemblée lors de groupes focaux, d’entretiens
téléphoniques, via questionnaires avec des candidats à l’adoption et des parents adoptifs.
A/ Partie quantitative
Afin de prendre la mesure de la façon dont la procédure d’adoption est vécue par les candidats
à l’adoption, l’ACC a produit plusieurs questionnaires qu’elle leur soumet. Ceux-ci sont
distribués à différents moments de la procédure : à l’issue des séances d’information ; à la
suite des séances de sensibilisation ; à l’issue de l’ensemble de la procédure d’adoption ; à la
suite de l’arrêt de la procédure1. Ce sont les données récoltées via ces questionnaires au cours
des années 2009-2010 qui furent transmis au CIRFASE pour analyse.
1. Comment lire les pourcentages présentés ?
Les différents questionnaires comptent une ou plusieurs questions fermées destinée à mesurer
un degré de satisfaction (de très satisfait à insatisfait) relativement à une étape ou un aspect de
la procédure et un ensemble de questions ouvertes laissant davantage de latitude de réponse
aux candidats adoptants ou aux parents adoptifs. Si la quasi-totalité des répondants indique
bien un degré de satisfaction relativement à telle ou telle étape, à tel ou tel aspect de la
procédure d’adoption, nombre de questions ouvertes restent sans réponse. Les pourcentages
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Ce questionnaire n’émane pas directement de l’ACC, mais a été produit dans le cadre de la réalisation des deux
mémoires produits à l’ULg.
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enregistrés et présentés pour ces deux types de questions sont donc difficilement comparables.
Répondre à une question ouverte demande aussi plus d’implication dans l’exercice. On
considère généralement que les pourcentages reconstitués à partir de réponses à des questions
ouvertes constituent des minima ; en effet, puisqu’aucune réponse n’est suggérée par la
question, un élément ne sera indiqué que par ceux qui y pensent au moment de répondre, ce
qui ne signifie nullement que d’autres ne partagent pas ce point de vue.
2. L’analyse catégorielle des réponses
Pour les questions ouvertes, plutôt que de suivre les rubriques (sous-questions) des
questionnaires, nous avons parfois pris l’option de regrouper les réponses d’un même individu
pour un bloc de sous-questions et de procéder à une analyse catégorielle. La raison en
apparaîtra directement en déployant un exemple. Le premier questionnaire traité est le
questionnaire « information ». Il propose aux répondants d’indiquer les points forts (et ensuite
les points faibles) des séances d’information en ce qui concerne le contenu, la méthodologie,
l’animation et l’organisation. Si ces quatre rubriques sont parlantes pour les concepteurs du
questionnaire, il n’en est de toute évidence pas de même pour les répondants qui vont à
plusieurs reprises évoquer les mêmes faits mais en les plaçant tantôt dans une rubrique, tantôt
dans une autre. À titre d’exemple, le manque temps renvoie pour certains à un problème de
« contenu » (lorsque l’on traîne sur des détails), pour d’autres à un problème de « méthode »
(lorsque certains exercices prennent trop de temps), pour d’autres encore à un mode d’
« animation » (lorsque certains occupent tout l’espace) et pour d’autres enfin à une problème
d’ « organisation » (lorsque les séances regroupent un public trop hétérogène). Les réponses
suffisamment fines que pour pouvoir distinguer ces niveaux de réponses sont cependant
exceptionnelles ; la plupart du temps ceux qui estiment avoir manqué de temps se contentent
d’inscrire « manque de temps » dans l’une ou l’autre rubrique. Ce que nous appelons
« analyse catégorielle » vise donc à faire émerger les thèmes exprimés au-delà de légères
variantes dans l’expression.
B/ Partie qualitative
1. Recueil des données
En complément à l’analyse des questionnaires utilisés par l’ACC pour évaluer la satisfaction
des candidats adoptants et candidats adoptifs à différents moments de la procédure
d’adoption, une démarche qualitative a été entreprise pour connaître de manière plus
approfondie l’expérience des parents inscrits dans une procédure d’adoption. Celle-ci a
emprunté trois chemins :
a. Une série d’entretiens collectifs, ou « groupes focaux », ont été organisés. Ceux-ci ont
permis de rassembler des parents inscrits dans une démarche similaire ;
b. En complément à ces groupes focaux, des entretiens individuels ont eu lieu par téléphone ;
c. Enfin, l’ensemble des participants ont été invités à nous renvoyer également un
questionnaire afin de nous faire parvenir les informations qu’ils souhaitaient ajouter.
a. Les groupes focaux
Les groupes focaux consistent à rassembler un petit groupe de participants (8 à 12 en
moyenne) pour leur permettre de s’exprimer tour à tour et débattre collectivement de
thématiques qui les concernent. Ces groupes n’ont pas la prétention d’être « représentatifs de
la population des candidats adoptants et des parents adoptifs » au sens statistique du terme,
mais bien d’apporter une contribution « significative » à la problématique étudiée en visant à
multiplier les points de vue à son égard. Cette formule présente l’avantage d’offrir à des
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personnes dont la situation est minoritaire, voire marginale, un espace d’expression égal à
celui dont disposent les autres individus.
Les participants ont été sélectionnés en plusieurs temps :
Dans un premier temps, le Cabinet a adressé un courrier à 500 personnes sur base de listes
que lui avait au préalable communiquées l’ACC. La composition de ces listes est la suivante :
- Une première liste reprenait les coordonnées de candidats se trouvant dans la
situation suivante : abandon du projet d’adoption ; adoption terminée avant la mise en
place de la réforme ; candidats célibataires ayant adopté ; candidats célibataires ayant
abandonné leur projet d’adoption.
- Une seconde liste reprenait les coordonnées de candidats célibataires ou en couple
ayant terminé une procédure d’adoption ;
- La troisième liste reprenait les coordonnées de candidats célibataires ou en couple en
cours de procédure d’adoption.
100 noms ont été choisis de manière aléatoire à partir de la première liste ; 250 à partir de la
seconde ; et 150 à partir de la troisième. Ces 500 personnes furent invitées par courrier par la
Ministre à prendre part à la recherche sur base volontaire. Les personnes désirant s’impliquer
dans la recherche étaient invitées à remplir un formulaire de participation et à le faire parvenir
au centre de recherche chargé de l’étude (CIRFASE/UCL). Les chercheurs s’étaient pour leur
part engagés à ne communiquer les noms des participants ni à l’Administration, ni au Cabinet.
Un courrier de l’équipe de recherche présentant les objectifs de l’enquête était joint au
courrier de la Ministre.
Sur base de ces courriers, dans un premier temps, 46 formulaires de participation ont été
renvoyés à l’équipe de recherche. Afin d’agrandir l’échantillon, un second courrier a été
envoyé par la Ministre un mois plus tard environ. Celle-ci s’est alors adressée à l’ensemble
des parents engagés dans un projet d’adoption interne repris sur la liste dont elle disposait, car
ceux-ci étaient sous-représentés dans le groupe des personnes qui avaient manifesté leur
intérêt pour la recherche. À l’issue de ces deux appels à participation, 74 formulaires ont été
réceptionnés par l’équipe de recherche.
Dans un second temps, sur base de ces formulaires, quatre groupes focaux ont été constitués.
Ils rassemblent :
-
des parents qui ont adopté un ou plusieurs enfants par la voie de l’adoption
internationale (groupes A et B) ;
-
des parents qui se sont inscrits dans le cadre d’une procédure d’adoption interne, que
celle-ci ait abouti ou qu’elle soit encore en cours (groupe C) ;
-
des parents candidats à l’adoption d’un ou plusieurs enfants par la voie de l’adoption
internationale (groupe D).
Pour des questions de logistique, mais aussi de dynamique de groupe, les couples ont été
invités à se faire représenter par une seule personne. Les participants aux deux premiers
groupes focaux ont été choisis de manière à nous permettre de rencontrer des parcours aussi
diversifiés que possible. Nous avons veillé à rassembler des personnes d’âges différents,
résidant dans différentes provinces et ayant adopté des enfants d’âges différents, en veillant en
outre à ce que tous les OAA soient représentés. Nous avons veillé, également, à ce que les
expériences de ces participants témoignent tant de l’adoption d’enfants isolés que de fratries,
d’adoptions uniques que d’adoptions multiples (1 ou 2 enfants), d’adoptions d’enfants sans
/avec particularités, etc. Nous avons veillé, enfin, à inclure dans les groupes quelques parents
célibataires. Pour ce qui concerne les groupes C et D, faute d’avoir reçu suffisamment de
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formulaires, l’ensemble des parents qui se sont manifestés ont été invités à prendre part à la
discussion. Étant donnée la manière dont ils ont été constitués, ces groupes ont été moins
diversifiés qu’initialement espéré. Néanmoins, ils nous permettent quand même d’avoir accès
à de multiples situations susceptibles d’être rencontrées par les candidats adoptants.
Les groupes focaux se sont déroulés entre le 31 mai et le 21 juin dernier à raison d’un par
semaine, le mardi en soirée. Les trois premiers, qui ont rassemblé de 10 à 12 participants
chacun, ont duré 3 heures. Seuls 6 parents ont accepté de participer à la dernière rencontre
rassemblant les parents candidats à l’adoption internationale ; cette rencontre a duré 2 heures.
Pour une raison qui nous échappe, deux des participantes à cette table ronde sont venues
accompagnées de leur compagnon.
Les lieux de rencontre ont été choisis de manière à convenir au mieux aux participants. Les
tables rondes consacrées aux parents qui ont adopté par la procédure internationale ont eu lieu
à Louvain-la-Neuve et à Namur. La table ronde rassemblant les parents qui ont adopté par la
procédure interne a eu lieu à Louvain-la-Neuve. Les candidats à l’adoption ont quant à eux été
invités à Bruxelles. De manière à ne pas décourager les parents résidant loin du lieu de
rencontre, une participation aux frais de déplacement a été proposée, de même qu’un buffet
sandwiches et des boissons. Toutes les personnes qui s’étaient engagées à participer à ces
tables rondes y sont venues, même celles qui venaient de loin. Des parents n’ont pas hésité à
parcourir plus de 150 km pour venir participer. C’est dire s’ils étaient motivés !
Nous avons veillé à ce que les participants aux groupes focaux puissent s’exprimer aussi
librement que possible, quand bien même leurs préoccupations ne rejoignaient pas celles qui
avaient fait l’objet des discussions des professionnels. Dans ce but, les échanges ont été
organisés en 2 temps :
a) Lors d’un premier tour de table, les participants étaient invités à se présenter
brièvement et à partager ce pour quoi ils avaient décidé de prendre part à la rencontre.
La question que nous leur avons posée est la suivante : « S’il ne devait y avoir qu’une
seule chose que vous voudriez vraiment dire ici, de quoi s’agit-il ? »
b) Le second tour de table visait à entrer plus en profondeur dans les différentes
thématiques évoquées. Les participants étaient invités à prolonger leur première
intervention et à réagir aux propos des autres. Lorsque, dans les débats, était abordé un
point spécifique qui avait fait l’objet de propositions concrètes dans le cadre des tables
rondes organisées auprès des professionnels, ces propositions étaient mentionnées afin
d’enregistrer les réactions des parents et voir si elles étaient, selon eux, de nature à
répondre à leurs besoins.
Les groupes focaux ont été animés par les deux chercheurs. Jacques Marquet a initié les
rencontres et dirigé les tours de table. Florence Vandendorpe est intervenue de manière plus
spécifique, notamment lorsque les participants évoquaient des points qui avaient fait l’objet
de discussions dans le cadre des tables rondes réunissant les professionnels.
Ce serait mentir que d’affirmer que les débats furent toujours calmes et sereins. Le ton est
souvent monté parmi les parents qui ont adopté par la voie internationale, surtout lors de la
première rencontre. Ce groupe était composé de quatre parents ayant adopté un enfant de
Russie. Plusieurs d’entre eux étaient en colère et tenaient à le faire entendre. Certains
témoignages furent lourds. Ce sous-groupe a, à certains moments, pesé lourdement sur la
dynamique du groupe dans son ensemble. L’expression de ces inquiétudes et/ou frustrations
n’a toutefois pas empêché les échanges de suivre leur cours de manière respectueuse et
constructive. Le climat était nettement plus serein lors de la rencontre qui a rassemblé les
candidats et les parents adoptifs inscrits dans la procédure interne.
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b. Les entretiens téléphoniques
Les entretiens téléphoniques ont été réalisés dans le but de disposer d’un groupe de contrôle à
l’égard des informations récoltées dans le cadre des groupes focaux. À l’inverse des parents
ayant participé aux tables rondes, les parents qui furent interviewés par téléphone n’ont pas
été sélectionnés parmi ceux et celles qui avaient manifesté le souhait de participer à cette
recherche, mais ils furent choisis de manière aléatoire à partir des listes reprenant les noms
des parents engagés dans une procédure d’adoption depuis 2009, et ce tant pour la procédure
interne que pour la procédure internationale.
Signalons qu’entre le moment où les rendez-vous étaient pris par téléphone et celui où le
chercheur contactait les parents concernés pour réaliser l’entretien, plusieurs parmi ceux-ci
ont changé d’avis : le téléphone a sonné dans le vide à plusieurs reprises. Ces absences, pour
lesquelles les participants n’ont pas jugé utile de prévenir le chercheur, concernaient presque
toutes des candidats ayant renoncé à un projet d’adoption faute de le voir aboutir. La
répétition de ces situations laisse supposer que, pour des personnes dans cette situation, parler
de leur expérience n’est pas chose aisée. Nous ne pouvons toutefois, à cet égard, faire que des
suppositions.
Seize entretiens par téléphone ont été réalisés. Les personnes ayant accepté de prendre part à
ces entretiens se trouvent dans les situations suivantes :
-
adoption internationale : 8 candidats en cours de procédure et 1 abandon du projet
d’adoption ;
-
adoption interne : 1 candidat en cours de procédure, 4 adoptions terminées et 1
abandon.
Tous ces entretiens ont duré une demi-heure en moyenne. Les questions qui furent posées aux
parents lors de ces entretiens sont les mêmes que celles qui furent posées lors des tables
rondes, et les mêmes également que celles qui furent envoyées par questionnaire à l’ensemble
des parents ayant souhaité prendre part à la recherche. Ils ont fait l’objet d’une retranscription
intégrale. Ces témoignages ont été analysés de manière commune avec les témoignages
récoltés dans le cadre des groupes focaux.
c. Questionnaires complémentaires
Afin de contrebalancer l’effet entraînant bien connu des groupes focaux, où selon la
dynamique qui se crée les participants peuvent se sentir entraînés à exagérer leurs propos dans
un sens ou dans l’autre, nous avons informé tous les parents qui ont participé aux rencontres
qu’il leur était possible, s’ils le souhaitaient, de nous faire parvenir par écrit des réflexions
complémentaires afin de nuancer ou préciser les propos qu’ils avaient tenus lors du groupe
focal. Dans ce but, nous leur avons adressé par email un questionnaire. Ce même
questionnaire a été envoyé aux parents qui avaient manifesté leur souhait de participer à la
recherche mais qui, faut de place, n’ont pu être invités à prendre part aux groupes focaux.
Les formulaires que nous avons recueillis par ce biais concernent : 2 candidats à l’adoption
internationale ; 3 parents ayant adopté un enfant par la procédure d’adoption internationale ; 3
parents inscrits dans une procédure d’adoption interne (candidats et/ou parents adoptifs).
2. Analyse des données recueillies
Pour analyser le matériau récolté, qui compte plusieurs centaines de pages, nous avons utilisé
l’analyse thématique. Celle-ci consiste à parcourir le matériau dans son ensemble et reprendre
tous les moments où sont évoqués de mêmes thèmes. Par le biais de copier/coller, tous ces
éléments sont regroupés dans de mêmes fichiers thématiques où ils sont ensuite classés par
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contenu : les témoignages allant dans le même sens sont regroupés, de manière à pouvoir
repérer l’éventail des positionnements.
L’analyse consiste à rendre compte des différentes positions énoncées en les mettant en
relation, lorsque cela est possible, avec les caractéristiques de ceux et celles qui les ont
énoncés. Dans le cas de ce matériau-ci, une telle analyse des correspondances entre les avis
énoncés et les circonstances dans lesquelles les parents qui les énoncent se sont trouvés est
cependant limitée dans la mesure où, sauf exception, nous ne sommes pas en mesure
d’identifier les auteurs des positions énoncées. Nous ne sommes donc pas en mesure
d’associer leur avis aux circonstances particulières dans lesquelles ils se sont trouvés. Par
conséquent, le document qui suit consiste principalement en une synthèse des témoignages
récoltés.
En analyse qualitative, on utilise habituellement le critère dit de « saturation » pour juger du
moment où un matériau est complet. On définit ce seuil comme le moment où les
témoignages supplémentaires n’apportent plus aucune information nouvelle par rapport aux
préoccupations des chercheurs. Vu les nombreuses répétitions que nous avons entendues tant
lors des tables rondes que lors des entretiens téléphoniques, nous avons le sentiment que le
matériau récolté a effectivement atteint ce seuil de saturation. En d’autres mots, il devrait
nous permettre de nous faire une idée relativement adéquate des situations rencontrées par les
parents qui s’inscrivent dans un projet d’adoption sur le territoire de la Communauté
française.
II. Résultats des analyses des questionnaires
d’évaluation du processus d’adoption
On présente ici quelques éléments de synthèse des résultats de l’analyse statistique des
données produites via les différents questionnaires utilisés à différents stades du processus
d’adoption par l’ACC afin d’avoir un feed-back des candidats à l’adoption ou parents
adoptifs. On ne reprend ici en détail aucun élément relatif ni aux questionnaires
« sensibilisation » (n=12), ni au questionnaire « procédure d’adoption interne » (n=9), vu les
effectifs très limités.
L’intérêt de ces résultats est double : d’une part, ils constituent une première « mesure » de
l’opinion (degré de satisfaction, suggestions, difficultés rencontrées…) des parents adoptifs et
des candidats à l’adoption ; d’autre part, par comparaison avec les analyses du matériau
récolté lors des focus groupes et des entretiens individuels, ils nous invitent à réfléchir à la
pertinence de ces différents questionnaires comme instruments pour un monitoring des
procédures d’adoption.
Soulignons que le nombre de questionnaires est parfois très faible et qu’il convient dans ces
cas d’interpréter les données avec beaucoup de prudence. Dans cette perspective, aucun
pourcentage ne sera calculé pour des populations inférieures à 25 personnes.
A/ Les questionnaires « information »
Les questionnaires « information » sont remplis par les participants à la fin des séances
d’information. Les questionnaires soumis à l’analyse concernent les années 2009 et 2010.
Cent-dix-huit (118) questionnaires concernent l’adoption intrafamiliale, 510 l’adoption
extrafamiliale. Nous distinguons ces deux populations pour la suite du traitement.
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1. L’adoption intrafamiliale (n=118)
Dans ce premier groupe 76,3% se disent « très satisfaits » des séances d’information ; 23,7%
se déclarent « satisfaits ». Les points forts de ces séances, tels que relevés par les répondants
dans les questions ouvertes, sont principalement : 1/ la clarté et la richesse (complétude) des
informations soulignées par 89% d’entre eux ; 2/ le caractère adapté de la méthodologie
(73.7%) ; 3/ l’organisation jugée satisfaisante (76,3%) ; 4/ et la sympathie des animatrices et
leur capacité d’animation (66,9%).
Les autres points cités restent tous en dessous des 10%. On notera cependant que les
commentaires sont généralement très brefs, un peu comme s’il s’agissait de donner vite une
réponse avant de s’en aller.
Ces mêmes répondants avancent parfois aussi quelques points faibles, notamment : 1/ le
manque de temps pour les questions ou pour développer certains points (cité par 8,5% d’entre
eux) ; 2/ et le timing des séances (4,2%). Toutes les autres réserves sont évoquées par moins
de 3% des individus. À nouveau, ici aussi les commentaires restent lacunaires.
2. L’adoption extrafamiliale (n=510)
Dans ce second groupe 51,6% se disent « très satisfaits » des séances d’information ; 46,1%
se déclarent « satisfaits ». Les points forts de ces séances, tels que relevés par ces répondants,
sont principalement : 1/ la clarté et la richesse (complétude) des informations soulignées par
76,9% d’entre eux ; 2/ l’organisation jugée satisfaisante (52,9%) ; 3/ la sympathie des
animatrices et leur capacité d’animation (50%) ; 4/ le caractère adapté de la méthodologie
(48,6%) ; 5/ l’existence de débats ouverts est (22,4%) ; 6/ la qualité des interactions (19%) ; 7/
le fait d’être face à des personnes de terrain ou ayant une bonne connaissance du sujet
(10,8%).
Les autres points cités restent tous en dessous des 10%. On notera également que les
commentaires sont généralement très brefs.
Ces mêmes répondants avancent parfois aussi quelques points faibles, notamment : 1/ la
gestion inadéquate du temps fait de longueurs et répétitions (10,6%) mais aussi le manque de
temps pour les questions ou pour développer certains points (9,8%) et de façon globale le
timing des séances (9,2%) ; 2/ la difficile conciliation des séances avec les horaires de travail
(6,7%) ; 3/ le caractère abstraits et théoriques de certaines informations (6,1%), ou trop
condensé (4,1%), mais aussi le caractère trop général d’autres informations relatives à
l’adoption internationale (5,9%) ; 4/ les problèmes liés au support vidéo (8,4%) ; 5/
l’inadéquation des locaux (6,3%) ; 6/ les lieux retenus pour les séances (3,7%).
Toutes les autres réserves sont évoquées par moins de 3% des individus. À nouveau, les
commentaires restent lacunaires.
B/ Les questionnaires « procédure d’adoption » (n=64)
Neuf (9) questionnaires concernaient l’adoption interne ; vu l’effectif très réduit, nous n’en
traitons pas dans cette synthèse. Les questionnaires analysés ci-dessous sont au nombre de
soixante-quatre (64) et sont relatifs à des procédures d’adoption internationale. Cinquante et
une (51) sont des premières adoptions, treize de nouvelles adoptions. La présentation
globalise ici ces deux sous-populations.
Après quelques questions générales, le questionnaire aborde successivement : 1/ la phase de
préparation (en ce inclus les séances d’information, les séances de sensibilisation et les
entretiens individuels) ; 2/ la phase d’évaluation des aptitudes ; 3/ la phase d’apparentement ;
4/ la phase post-adoptive.
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Les différents contacts avec l’ACC tout au long de la procédure sont évalués globalement
positifs : 56,3% de satisfaits et 37,5% de très satisfaits. Les principales pistes d’amélioration
pour les contacts entre l’ACC et les candidats adoptants suggérées sont : 1/ avoir une ACC
opérant moins comme une « administration » (12,5%) et davantage disponible (3,1%) ; 2/ être
plus avenant avec des candidats qui au départ ignorent beaucoup de choses (10,9%) ; 3/ revoir
la composition des groupes (trop grands, trop hétérogènes) (4,7%).
1. Relativement à la phase de préparation, la majorité des personnes se déclarent satisfaites
(59,4%), voire très satisfaites (18,8%), des séances d’information, mais on note néanmoins
21,9% de personnes peu ou pas du tout satisfaites ; les résultats sont assez semblables pour
l’évaluation des séances de sensibilisation avec 40,6% de satisfaits, 35,9% de très satisfaits et
23,4% de peu ou pas du tout satisfaits ; les entretiens individuels auprès de l’OAA sont
évalués plus positivement encore avec 48,4% de personnes qui se déclarent très satisfaites et
43,8% qui se disent satisfaites. Pour l’essentiel, le cycle de préparation à l’adoption a permis :
1/ d’être mieux informés (31,3%) ; 2/ des rencontres et d’échanges (31,3%) ; 3/ de développer
l’esprit d’ouverture (28,1%).
Les principales suggestions d’amélioration à apporter aux cycles de préparation sont : 1/
réduire la longueur des démarches (20,3%) ; 2/ donner davantage d’exemples et
d’informations pratiques (17,2%) ; 3/ éviter les informations trop négatives qui démotivent
(12,5%) ; 4/ homogénéiser les groupes (10,9%) ; 5/ éviter que les questions individuelles ne
prennent trop de place (6,3%).
2. Pour la phase d’évaluation des aptitudes, la manière dont l’enquête sociale a été réalisée par
le travailleur social de l’ACC est globalement positive : 45,3% de satisfaits et 43,8% de très
satisfaits, ce qui laisse 10,9% de peu ou pas du tout satisfaits. Les principales pistes
d’amélioration de l’enquête sociale sont les suivantes : 1/ accélérer la procédure (12,5%) ; 2/
revoir l’enquête policière jugée inadaptée (10,9%) ; 3/ revoir la procédure administrative
(6,3%) ; 4/ veiller à avoir des agents plus compétents (6,3%).
L’évaluation de la manière dont la procédure judiciaire s’est déroulée devant le tribunal de la
jeunesse est la suivante : 51,6% de satisfaits, 28,1% de très satisfaits, 18,9% de peu ou pas du
tout satisfaits.
3. Pour la phase d’apparentement, une majorité (51,6%) se dit très satisfaite de
l’accompagnement offert par leur OAA pendant la période d’attente ; 32,8% se déclarent
satisfaits, 14% sont peu ou pas du tout satisfais. Sont d’abord appréciés : 1/ le contact humain
avec l’équipe (46,9%) ; 2/ les rencontres (7,8%). Sont surtout regrettés : 1/ le manque
d’informations (6,3%) ; 2/ le peu de contacts avant l’adoption (4,7%) ; 3/ la longueur du
processus (3,1%) ; 4/ les difficultés de procédure (3,1%).
Le degré de satisfaction de l’accompagnement offert par l’OAA et ses collaborateurs locaux
pendant le séjour dans le pays d’origine de l’enfant est encore plus net : 65,6% de très
satisfaits, 23,4% de satisfaits et 6,3% de peu ou pas satisfaits. A cette période sont
particulièrement appréciées : 1/ la présence de l’OAA (40,6%) ; 2/ son expérience et les
informations fournies (15,6%). Sont surtout regrettés : 1/ l’absence de l’organisme (9,4%) ; 2/
le manque d’informations (7,8%).
Les principales suggestions d’amélioration de l’accompagnement offert par les OAA pendant
cette phase sont : 1/ une augmentation des informations pratiques (17,2%) ; 2/ un
accompagnement plus adapté lors du voyage (7,8%).
4. Pour la phase post-adoptive, l’évaluation de l’accompagnement psycho-social et
administratif offert par l’OAA lors des premiers temps suivant l’accueil de l’enfant est
positive : 46,9% de très satisfaits, 29,7% de satisfaits, 14,1% de peu ou pas satisfaits. Sont
particulièrement appréciées : 1/ la confiance et la disponibilité de l’OAA (39,1%) ; 2/ les
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visites post adoption (12,5%). Est regretté par certains (9,4%) l’apparent manque d’intérêt de
l’OAA l’adoption une fois réalisée.
La principale piste d’amélioration de l’accompagnement post-adoptif offert par l’OAA
renvoie à une demande d’information accrue.
C/ Les questionnaires « arrêts de procédure »
Ce questionnaire n’émane pas directement de l’ACC. Il a été produit dans le cadre d’une
recherche menée par deux mémorantes de l’Université de Liège. Le nombre de questionnaires
destinés aux personnes ayant initié un projet d’adoption sous couvert de la nouvelle loi et
l’ayant arrêté ici traité est de 28.
Les principaux moments d’arrêts des projets sont : après ou pendant les séances d’information
(39,3% = 11 personnes) ; après ou pendant les séances de sensibilisation collective (25% = 7
personnes) : après ou pendant les entretiens (25% = 7 personnes).
Une part importante de ces personnes étaient arrivées à un projet d’adoption suite à un
problème d’infertilité (46,4% = 13p.) ; d’autres motifs sont aussi invoqués : le souhait
d’élargir la famille (17,9% = 5p.), un projet humanitaire (10,7% = 3p.), une risque de santé à
concevoir un enfant biologique (7,1% = 2p.), un projet de vie en célibat (7,1% = 2p.). Dans un
cas sur deux (50% = 14p.), une autre alternative avait préalablement été envisagée, et
notamment la FIV dans 25% des cas (7p.). Dans la plupart des cas (79,6% = 22p.), le projet
ne concerne que le couple ou la personne qui le porte, aucune personne extérieure n’est
intervenue dans la prise de décision. Les cas où les démarches sont entreprises dès que le
projet a germé (dans les 6 premiers mois) sont très minoritaires (17,9% = 5p.).
Au départ, une majorité n’a pas de représentation très claire de la procédure d’adoption,
57,1% (16p.) n’en donne même aucune. Cependant, 78,6% (22p.) déclarent connaître les
critères à remplir pour entamer les démarches, 78,6% (22p.) disent aussi connaître la durée du
processus, 60,7% (17p.) estiment connaître les différentes étapes de la procédure et 67,9%
(19p.) les aspects financiers. On notera aussi que 64,3% (18p.) évoquent des craintes à l’égard
de la procédure. Pour les répondants, les implications de l’adoption d’un enfant sont d’abord :
la difficulté d’intégration de l’enfant dans la famille (25% = 7p.), une procédure longue,
difficile et couteuse (17,9% = 5p.), la nécessité d’une grande disponibilité (14,3% = 4p.).
Si, à la réception des premiers documents relatifs à la préparation à l’adoption et lors des
premiers contacts avec l’ACC, 46,4% (13p.) disent avoir été encouragés dans leur projet,
17,9% (5p.) déclarent aussi avoir été découragés dans leur projet.
Des séances d’information, et pour l’essentiel, les répondants retiennent : leur intérêt (46,4%
= 13p.), la lenteur du processus et le choix restreint de pays (14,3% = 4p.), les tentatives de
décourager les candidats (14,3% = 4p.), leur peu d’intérêt (10,7% = 3p.). Si une majorité
(53,6% = 15p.) dit ne pas avoir ressenti de découragement suite à la confrontation avec
certaines réalités d’adoption ou face à d’autres types d’information, les autres évoquent divers
motifs de découragement dont les principaux sont la lenteur du processus et le choix restreint
de pays (17,9% = 5p.), le sentiment de payer pour un enfant ou d’être jugé avant de pouvoir
être parent (10,7% = 3p.), le sentiment que l’adoption est impossible (7,1% = 2p.). Pour
certains, ces séances d’information ont permis de prendre conscience de certaines difficultés
inhérentes à l’adoption : de la longueur et de la complexité de la procédure (25% = 7p.), du
déracinement de l’enfant (21,4% = 7p.), de l’accès différencié aux pays en fonction de la
situation conjugale (7,1% = 2p.).
Entre 25,0 et 39,3% des personnes ne répondront pas aux questions relatives aux séances de
sensibilisation collective, ce qui était attendu puisque 39,3% ont déclaré avoir interrompu le
processus d’adoption avant cette étape. Le fait que certains de ceux-là aient néanmoins
10
répondu à certaines questions peut traduire des problèmes de mémoire, mais aussi le fait que
le moment où a eu lieu l’arrêt peut quelque peu s’étaler dans le temps au rythme des
hésitations des personnes. Les résultats qui suivent concernent donc ces seules 17 personnes
théoriquement toujours en procédure. Les séances de sensibilisation collective sont
diversement appréciées : 8 (sur 17) trouvent les échanges intéressants et 4 en retiennent les
expériences des enfants, mais 4 estiment aussi que la réalité casse le rêve et 3 soulignent des
problèmes d’animation (qualifiée tantôt d’infantilisante, tantôt de dictatoriale). Si 3
considèrent les échanges lors des séances en groupe inutiles, 9 trouvent cependant qu’elles
leur ont permis de prendre conscience des démarches et des situations post-adoption.
Les personnes arrivées au stade du choix d’une OAA sont au nombre de 14. On se rappellera
les réserves d’usage face à une population aussi petite. Six d’entre elles ont choisi l’OAA en
fonction des pays avec lesquels elle travaillait, deux sur base de recommandations de tiers, les
autres motifs ne sont cités que par une personne. Si huit sortent du premier entretien avec
l’OAA heureux et confiants, trois estiment cependant avoir eu le sentiment d’être évalué, et
sept disent avoir eu des craintes (de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir d’enfant, de ne
pas convenir financièrement) suite à cet entretien.
En définitive, si certains évoquent la procédure (sa lenteur, sa complexité, les tracasseries, le
coût…) pour expliquer l’abandon du projet d’adoption, les choses sont cependant plus
complexes et mêlent des dynamiques liées au processus d’adoption et des dynamiques
conjugales et/ou individuelles (1 couple s’est séparé, 1 autre a eu un enfant, 1 personne
touchée par la maladie estime avoir peu de chance qu’un enfant lui soit confié, 7 considèrent
qu’un enfant biologique reste possible). Quatre cas concernent aussi des situations où, in fine,
les personnes estiment ne pas remplir les conditions pour pouvoir adopter.
D/ Quelques éléments de synthèse
De l’analyse de ces formulaires d’évaluation et questionnaires (y compris ceux non présentés
ici, mais dans les détails figurent dans le rapport complet), on peut dégager quelques éléments
de synthèse qui seront confrontés aux enseignements de l’analyse qualitative :
1. Les informations récoltées par les formulaires d’évaluation tant pour les séances
d’information que de sensibilisation sont relativement pauvres. Les questions ouvertes qui
pourraient être des espaces d’expression privilégiés par les répondants pour s’exprimer ne
sont guère mobilisés en ce sens. Les éléments de contexte (heures tardives, fatigue des
participants… au moment où ils sont distribués) semblent insuffisants pour expliquer cela ; on
peut faire l’hypothèse que la discrétion des répondants s’explique d’une part par leur manque
de recul par rapport aux séances qui se terminent et d’autre part par leur méfiance à l’égard
des divers intervenants dont ils estiment – à tort ou à raison – que dépend l’aboutissement de
leur projet.
2. Pour l’ensemble des questionnaires, les questions fermées destinées à récolter le degré de
satisfaction des candidats adoptants à l’égard de différents aspects de la procédure
enregistrent des résultats globalement très positifs. Avec toutes les réserves d’usage liées aux
effectifs limités, il apparaît cependant que les questionnaires remplis en fin de processus
d’adoption enregistrent davantage de manifestations d’insatisfactions que les formulaires
rentrés immédiatement après les séances d’information et de sensibilisation, et ce même
relativement à ces séances. Deux hypothèses (non nécessairement exclusives) peuvent être
formulées : 1/ la procédure d’adoption terminée, les ex-candidats adoptants sortiraient de leur
dépendance à l’égard des professionnels (et de l’ACC) et retrouveraient une liberté
d’expression longtemps contenue ; 2/ en avançant dans le processus d’adoption, les candidats
adoptants prendraient progressivement conscience de manques ou de lacunes de ces séances
par la confrontation à la réalité du processus d’adoption et de ses écueils.
11
3. Les points de satisfactions – les entretiens individuels, les contacts humains, les débats
ouverts, les témoignages d’adoptants et d’adoptés, les visites au domicile – d’une part et les
points d’insatisfactions, dont on rappellera à ce stade qu’ils sont exprimés par une petite
minorité, – le caractère abstrait du contenu de certaines séances, le côté scolaire de certaines
animations, le peu d’attention avec laquelle sont traitées certains candidats à l’adoption, les
grands groupes, l’hétérogénéité des groupes, le manque de temps pour aborder les questions
qui intéressent vraiment, une administration peu disponible – d’autre part dessinent comme un
axe de tension entre une prise en charge chaleureuse et individualisée et une gestion froide et
distanciée des situations. Sont ainsi valorisées les moments privilégiés parce que
« personnels » (entretiens individuels, visites au domicile) et ceux qui sans être réservés
abordent des questions qui touchent personnellement dans la mesure où ils sont en phase avec
le projet individuel ; sont dévalorisés ceux où chaque candidat adoptant a l’impression de
n’être qu’un numéro dans un ensemble hétérogène, incapable d’obtenir une reconnaissance de
sa singularité.
III. Résultats de l’analyse qualitative du point
de vue des adoptants
A/ Le profil des participants
Parmi les 55 personnes qui ont participé à l’enquête qualitative, il y a 37 parents adoptifs pour
18 candidats à l’adoption ; sur l’ensemble, 16 projets d’adoption concernent l’adoption
interne et 39 l’adoption internationale.
Parmi ces 55 adoptants, seuls trois sont célibataires. Ils couvrent toutes les catégories d’âge
entre 25 et 55 ans, avec une nette surreprésentation des personnes âgées de 40 à 45 ans. Un
tiers d’entre eux (17/55) ont un ou plusieurs enfants biologique(s).
La moitié des participants ont suivi leur préparation en 2006-2007. Nous avons toutefois
récolté des témoignages de personnes qui ont entamé une procédure d’adoption bien avant la
réforme alors que certains répondants venaient à peine de participer aux séances de
sensibilisation collective lorsque nous les avons interviewés. Les expériences des participants
en ce qui concerne le cycle de préparation à l’adoption se centrent cependant principalement
sur les années 2006 à 2009.
La grande majorité des répondants n’ont adopté qu’un enfant. Plus d’un quart (9/34) de
l’ensemble des adoptions réalisées par les participants à cette recherche concernent des
enfants dits « à besoins spéciaux ».
B/ Synthèse des informations récoltées
1. Préambule
La structure de ce compte-rendu suit une progression en entonnoir : dans un premier temps
sont présentées des remarques générales formulées par les parents à propos d’une thématique
donnée. Ensuite seulement, nous entrons dans le détail des différentes étapes de la procédure.
En lisant les pages qui suivent, il importe de garder en mémoire la manière dont ces
informations ont été collectées. Chaque méthode de récolte de données est en effet associée à
certains risques de biais. Les groupes focaux, dans la mesure où ils sont collectifs, soumettent
l’ensemble des propos aux dynamiques de groupes : certaines personnes ont tendance à
mobiliser la parole, et la place importante de leurs propos peut laisser penser que leur avis est
partagé par la majorité alors que ce n’est pas toujours le cas. Le groupe focal n’est pas
12
toujours approprié pour évoquer des avis minoritaires, lesquels n’y sont pas toujours
exprimés. A l’inverse, les entretiens téléphoniques confrontent le chercheur au risque de
recueillir des propos « lisses », convenus. Ne pouvant observer les expressions et gestes de
ses interlocuteurs, le chercheur est en outre privé d’informations susceptibles de nuancer les
paroles énoncées. Ces deux méthodes ayant été utilisées de manière parallèle, nous pouvons
espérer que les défauts de l’une compenseront ceux de l’autre.
Rappelons également que cette recherche avait pour objectif d’éclairer la Ministre dans
d’éventuels projets de révision des procédures actuelles. Dans un tel contexte, la recherche a
donné une place centrale aux difficultés rencontrées par les parents impliqués dans un projet
d’adoption. Il va de soi que de nombreux aspects des procédures actuelles ne posent de
difficultés à personne. Il va de soi, également, que de nombreux projets d’adoption se
déroulent sans heurts. Le bonheur, toutefois, est discret et ce ne sont pas ces points positifs
qui venaient les premiers à l’esprit des parents durant les entretiens. Ce sont au contraire les
pierres sur lesquelles ils ont buté, les malentendus et frustrations éventuelles qu’elles ont
causés qui ont fait l’objet de la plupart des échanges. Il est utile de garder en tête que ces
critiques n’offrent qu’une face de la réalité, la face sombre ; l’autre face, celle des
satisfactions, reste encore à explorer.
Enfin, rappelons que la démarche adoptée est tributaire des personnes ayant accepté de se
prêter au jeu. Il est évident que ces personnes ne parlent qu’en leur nom et ne sont
vraisemblablement pas représentatives des centaines de candidats adoptants que nous n’avons
pas eu l’occasion d’interviewer.
2. Les procédures d’adoption : quelques remarques d’ordre général
a. Un parcours du combattant
Les procédures relatives à l’adoption en Communauté française de Belgique ont fait l’objet de
nombreux débats. Précisons d’ores et déjà que si les propos recueillis laissent apparaître un
certain nombre de convergences, il n’y a jamais de véritable consensus car les expériences des
uns et des autres, et les regards que les participants à la recherche ont portés sur elles, varient
considérablement. Ainsi, là où certains considèrent que la procédure est « très très claire »,
d’autres trouvent qu’elle est inutilement compliquée.
Plusieurs parents ont insisté sur l’impossibilité dans laquelle ils se trouvaient de pouvoir
suivre l’état d’avancement de leur dossier. Certains regrettent de ne pas être associé ou ne fûtce qu’informé des initiatives prises par les différents intervenants impliqués dans leur dossier.
Ce sentiment d’impuissance, de dépendance vis-à-vis des intervenants est partagé par de
nombreux parents. Leur qualité, sur le plan humain, n’est pas mise en question. Mais des
parents s’interrogent sur un éventuel manque de personnel ou sur une possible mauvaise
organisation. Des parents suggèrent que les professionnels de l’adoption « n’ont aucune
idée » de la réalité dans laquelle se trouvent les parents qu’ils accompagnent. Plusieurs
parents ont l’impression d’être à la merci d’intervenants auxquels ils attribuent tous pouvoirs.
Ils se voient alors comme victimes d’un système inhumain dans lequel leur situation
particulière n’est pas prise en compte. Situation d’autant plus difficile à vivre que le parcours
de l’adoption, bien souvent, vient au terme d’un parcours déjà long et marqués de blessures.
Confrontés à des difficultés administratives ou autres dans le cadre de leur procédure
d’adoption, les candidats ne savent pas toujours à qui s’adresser. « On est toujours tous
seuls » : cette phrase, nous l’avons souvent entendue lors des groupes focaux comme des
entretiens téléphoniques. Certains considèrent ainsi avoir été « abandonnés ».
Ce sentiment de solitude et de victimisation semble en partie lié à la situation particulière
dans laquelle se trouvent pris les candidats à l’adoption. Ils voient, en effet, leur projet
13
dépendant de nombreux professionnels amenés à en juger. Face à certains discours qu’ils
jugeaient injustifiés, des parents ont eu le sentiment de devoir garder le silence et ont feint
d’être d’accord pour ne pas risquer d’entrer en conflit avec ces personnes dont, disent-ils,
dépendait l’issue de leur dossier.
Pour ces parents, une chose ne fait aucun doute : il importe de maintenir de bons contacts
avec les professionnels car c’est d’eux que dépend l’aboutissement de leur projet : « on
dépend d’eux ».
Ce vécu est entretenu par les difficultés rencontrées par certains pour entrer en contact avec
les professionnels. Certains intervenants semblent particulièrement difficiles à joindre. Et de
s’interroger : pourquoi les candidats à l’adoption sont-ils si malmenés ? Pour un participant, il
y aurait un fossé entre le soin porté par les professionnels à l’égard des enfants abandonnées
et le peu d’égards avec lequel on prend soin des parents adoptants.
Etre ainsi en attente n’est pas confortable, et donnait à certains le sentiment de ne pas pouvoir
s’absenter de crainte de rater un coup de fil. Le nombre de démarches à faire dans le temps
requiert en outre beaucoup d’énergie et de disponibilité.
Le parcours de l’adoption s’apparente pour certains parents à un véritable parcours du
combattant. Certains y laissent des plumes et en ressortent encore plus fragilisés. Un des
reproches formulés par les parents qui se sont retrouvés dans une situation difficile est de ne
pas avoir su vers qui se tourner pour faire part de leur désarroi. Heureusement, tous les
parents n’ont pas besoin d’aide à ce niveau. Pour beaucoup, les épreuves s’oublient lorsque
l’enfant est là.
Indépendamment des relations qu’ils ont nouées avec les professionnels, lesquelles varient
selon les expériences de chacun, la grande majorité des parents sont confrontés à la gestion du
temps. Dans le cas de l’adoption nationale, certains parents ont eu le sentiment de devoir
courir derrière une procédure qui les devançait. Mais un tel vécu est aux antipodes de celui
des parents embarqués pour l’adoption internationale : pour ceux-ci, le temps bien souvent
semble s’être arrêté. « Les délais sont interminables », soupire un participant.
Aux délais, s’ajoutent les contraintes administratives qui, pour certains, évoquent l’univers
kafkaïen. Confrontés à des règles strictes dont ils ne comprennent pas la raison d’être, des
parents se sentent malmenés. Leurs interrogations portent sur les critères en fonction desquels
les candidats à l’adoption sont évalués : âge, état civil, orientation sexuelle… Des parents
ayant décidé de se réorienter vers la procédure nationale après avoir terminé la préparation en
vue d’une adoption internationale ne comprennent pas pourquoi on leur a imposé de
recommencer une partie de la préparation. D’autres se demandent pourquoi il n’est pas
possible d’introduire un dossier d’adoption simultanément dans plusieurs pays. La validité
limitée du jugement d’aptitude, le coût de la procédure et singulièrement le coût des apostilles
suscitent aussi de nombreuses interrogations.
Confrontés à une procédure qui ne cesse de s’allonger et à une compétition croissante entre
des candidats à l’adoption dont le nombre dépasse de plus en plus celui des enfants à adopter,
certains parents s’interrogent sur les critères utilisés par la Belgique pour la sélection des pays
avec lesquels elle collabore.
b. Les OAA
Le cadre de la recherche ne permettant pas d’affirmer quoi que ce soit concernant chacun des
organismes en particulier, les commentaires des personnes interviewées sont présentés sous
une forme générale.
14
Pour l’adoption interne
Dans le cadre de l’adoption nationale, les parents ayant adopté ne tarissent pas d’éloges à
l’égard des organismes d’adoption ; ils se sentent bien informés et ont eu le sentiment de
pouvoir faire confiance à leurs interlocuteurs. Le côté loterie des listes d’inscription fut
cependant mentionné à plusieurs reprises dans les discussions.
Pour l’adoption internationale
Les discours, même lorsqu’ils sont positifs, n’ont pas le même enthousiasme en adoption
internationale.
La diversité des OAA a été soulignée par de nombreux parents, notamment en ce qui
concerner l’accompagnement qu’ils offrent aux parents. Le fait que les parents aient le choix
de l’organisme qui encadrera leur projet d’adoption est vécu de manière positive. Certains
participants ont choisi leurs interlocuteurs avec soin à l’issue de ce qui s’apparente à une
véritable étude de marché. Mais cela n’est pas toujours possible : les critères imposés par les
pays d’origine restreignent le choix des candidats à l’adoption.
Les compétences des OAA ont fait l’objet de débats animés. Des parents ayant été confrontés
à de toutes jeunes intervenantes s’interrogent sur la légitimité de celles-ci à remplir le rôle qui
est le leur. Un manque de subsides, un manque de supervision ou de formation, un excès de
pression, un manque de soutien de l’ACC… sont au cœur des hypothèses émises par les
candidats adoptants pour expliquer cet état de fait.
Plusieurs estiment que les organismes d’adoption sont ceux qui maîtrisent le mieux la réalité
de l’adoption, et souhaiteraient qu’on leur accorde davantage de responsabilités. Cependant,
la nécessité de coordonner et contrôler les interventions des OAA a toutefois été soulignée par
beaucoup qui s’interrogent sur la manière dont l’ACC pourrait renforcer son rôle à ce niveau.
Dans la situation de dépendance qui est la leur vis-à-vis de l’OAA, des parents se sentent en
effet démunis et seraient rassurés s’ils pouvaient s’appuyer sur une instance contrôlant leur
action.
c. L’ACC
C’est là que, pour les candidats adoptants, l’ACC joue un rôle central. Les appels à plus de
contrôle et de coordination ne manquent pas indiquant combien l’ACC est pour d’aucuns un
acteur essentiel. Ce contrôle, ils attendent notamment qu’il s’exerce sur les coûts financiers et
sur les engagements des OAA par rapport à l’agrément.
Nombre de parents situent toutefois l’ACC dans un rôle de surplomb vis-à-vis de l’ensemble
de la procédure. Et le fait que celle-ci intervienne directement dans la procédure ne fait pas
l’unanimité. Le rôle joué par l’ACC dans le cadre de l’enquête sociale est vécu par certains
comme une aberration, ou comme faisant double-emploi avec le travail des OAA.
L’ACC apparaît, pour nombre de parents, comme une grande machine impersonnelle, comme
une institution déconnectée des réalités auxquelles ils sont confrontés. Les actions entreprises
par l’ACC et les critères qui les motivent sont pour certains peu clairs. D’autres pointent le
manque de soutien, les maladresses. Est également posée la question du contrôle de l’ACC, et
ce d’autant plus que certains la perçoivent comme extrêmement hiérarchisée, concentrant le
pouvoir de décision dans les mains d’une seule personne : que faire face à l’absence de
réponse aux interpellations, en cas de désaccord ou d’erreur ? Des parents soulignent la
nécessité d’instaurer des formes de recours… mais auprès de qui ?
d. Les pays
L’échantillon a été constitué de manière à recueillir l’avis de parents ayant adopté dans des
contextes et des pays fort différents. Nous nous sommes toutefois retrouvés, lors d’un groupe
15
focal, avec plusieurs parents qui avaient adopté un enfant originaire de Russie. Sans
développer davantage cette question, il convient de souligner à quel point les expériences de
ces parents furent douloureuses.
3. La préparation à l’adoption
Comme le début des procédures relatives à la préparation de l’adoption sont identiques
qu’elle que soit la formule envisagée (interne ou internationale), nous les aborderons
conjointement.
a. En général
Pour la grande majorité des parents que nous avons rencontrés, la préparation à l’adoption est
vécue comme étant particulièrement longue. Plusieurs se sont demandés s’il ne serait pas
possible de réduire le nombre d’intervenants qu’ils sont amenés à rencontrer et auxquels ils
doivent se raconter. Des parents, principalement liées à des parcours d’adoption plus anciens,
se sont plaints d’avoir dû attendre plusieurs mois avant de pouvoir entamer les réunions
d’information. De nombreuses critiques ont porté sur la longueur des délais entre les
différentes étapes de la procédure ; précisons toutefois que les vécus diffèrent selon les
régions.
Cette longueur des différentes étapes à parcourir en début de parcours semble d’autant plus
problématique à ceux et celles qui savent que leur dossier risque ultérieurement d’être en
attente dans un pays durant plusieurs années. Le décalage entre le moment où les
sensibilisations sont suivies et celui où l’enfant arrive est fort important, à tel point que des
parents se demandent ce qu’il restera des informations reçues lors de la préparation au
moment où ils en auront besoin. A tout le moins les différentes étapes pourraient être
repensées en fonction de cette temporalité longue.
En ce qui concerne le contenu de la préparation, l’utilité du parcours de préparation est
soulignée par la majorité des parents. De nombreux parents se disent satisfaits du parcours
qu’ils ont suivi, soulignant à quel point ce parcours les a amenés à réfléchir. Les occasions de
rencontres et d’échanges avec d’autres parents candidats à l’adoption font manifestement
partie des points forts du dispositif.
Bien sûr, il y a des insatisfaits, certains estimant notamment que les informations auraient pu
être communiquées en un temps plus court. Plusieurs soulignent aussi l’hétérogénéité des
groupes et s’interrogeant alors sur l’opportunité de contraindre tous les parents à traverser un
même parcours.
Pour ce qui est des intervenants qu’ils ont rencontrés tout au long de ce parcours, un constat
fait quasiment l’unanimité : les propos tenus par les professionnels impliqués dans la
préparation du parcours de l’adoption sont très négatifs. Le tableau de l’adoption dépeint aux
candidats leur paraît excessivement sombre. Un certain nombre de parents racontent avoir eu
le sentiment qu’on les mettait à l’épreuve, voire qu’on ne leur faisait pas confiance. Comment
construire une relation de partenariat dans de telles conditions ? s’interrogent-ils alors.
De nombreux parents ont évoqué le caractère contraignant des séances de préparation quant à
leur organisation pratique : les rencontres en soirée ou le samedi matin pour les candidats
travaillant à temps plein ou ayant de jeunes enfants à la maison ; les lieux des rencontres
éloignés des domiciles ; le manque de flexibilité (horaire) des professionnels ; la durée limitée
du certificat reçu à l’issue des séances de préparation... Ces expériences donnent à certains le
sentiment de se trouver face à une machine inhumaine.
16
b. Les séances d’information
Les séances d’information semblent répondre aux attentes de nombreux parents. Ils disent
avoir apprécié la présentation de la procédure administrative ainsi que des différents acteurs
impliqués dans l’adoption en Communauté française de Belgique. Le classeur fut
unanimement salué comme une excellente initiative, même si certains pensent qu’il pourrait
être complété.
Néanmoins, plusieurs participants regrettent qu’on ne leur ait pas expliqué clairement l’enjeu
relatif au choix qu’ils étaient invités à faire entre procédure nationale / internationale. Les
possibilités de réorientation en cours de route devraient être davantage explicitées, estimentils, ainsi que leurs conséquences (démarches à recommencer, coût, etc.). Les questions du
choix des pays vers lesquels s’orienter et du choix des organismes auxquels s’adresser posent
des problèmes du même ordre.
D’autres aspects sont également épinglés : le manque d’information sur la possibilité de
suspendre la procédure ; le caractère obsolète d’informations présentées dans le classeur ou
sur le site de l’ACC ; le statut réel de la sensibilisation individuelle ; les spécificités des pays
d’origine ; le coût global de l’adoption ; le peu d’informations pratiques telles que les
coordonnées de services spécialisés dans le suivi des enfants adoptés.
c. La sensibilisation collective
Indéniablement, c’est cette étape de la procédure qui a le plus marqué les candidats. Des
parents ont beaucoup aimé ces séances, estimant qu’elles les ont nourris par la suite. Plusieurs
candidats ont souligné l’excellente atmosphère qu’ils ont rencontrée dans ces groupes où ils
se sont sentis respectés. Les liens qui se sont noués lors de ces groupes furent aussi importants
pour beaucoup, et de qualité.
Tous les groupes n’ont pas eu la même expérience. Des parents ont également émis à l’égard
de ces rencontres un certain nombre de critiques. Certains parents se sont trouvés mal à l’aise
avec la dimension collective de ces rencontres. S’exprimer dans un groupe n’est en effet pas
évident pour chacun. D’autres parents ont regretté de s’être retrouvés face à des
professionnels qui n’avaient pas d’expérience spécifique dans le domaine de l’adoption. Et si
certains candidats adoptants ont souligné la qualité des jeux de rôles auxquels ils ont
participé, d’autres les ont trouvés inutiles. De même certains estiment n’avoir rien appris au
cours de ces séances et d’autres considèrent que les informations qui leur furent
communiquées dans ce cadre étaient trop abstraites. La méthodologie est aussi décrite par
d’aucuns comme trop scolaire. Plusieurs parents soulignent qu’ils auraient aimé y rencontrer
des parents ayant adopté ou des adultes ayant été adoptés lorsqu’ils étaient enfants. Le peu de
place accordée aux enfants à particularités dans l’ensemble de la préparation est aussi relevé.
Certains pensent que la préparation devrait également varier selon l’âge de l’enfant que les
parents se destinent à adopter
Quant au formulaire distribué à l’issue des séances de sensibilisation collective, certains
soulignent qu’il arrive trop tôt dans la mesure où ils ne peuvent pas encore savoir si la
formation va s’avérer pertinente, d’autres disent aussi qu’en fin de soirée ils n’avaient plus
vraiment leur esprit à ça, mais surtout nombre de parents rappellent combien ils se trouvent, à
ce stade de la procédure, dans une situation inconfortable, en situation de dépendance...
poussant à une extrême prudence.
d. La sensibilisation individuelle
Les candidats sont libres de choisir l’organisme avec lequel ils vont réaliser ces entretiens.
Les séances d’information proposées par les organismes varient fortement : certains proposent
des séances collectives, d’autres rencontrent le couple en individuel.
17
Plusieurs des parents interviewés ont insisté sur l’utilité des séances individuelles. Les
entretiens menés par les associations ont manifestement permis à un certain nombre de
« prendre un temps de recul », pour d’autres de clarifier leur projet.
D’autres parents sont moins positifs. Certains estiment que ces séances, lorsqu’elles sont
réalisées auprès de l’organisme qui encadrera le projet d’adoption par la suite, font double
emploi avec les entretiens organisés dans le cadre de l’apparentement. Des candidats ont vu
leur projet évalué successivement par différents intervenants qui remettaient chacun en
question l’avis de ceux qui s’étaient prononcés plus tôt sur leur projet, et n’ont pas compris le
sens de ces évaluations répétées. Des parents n’ont pas mesuré assez tôt l’enjeu de ces séances
et ont été désarçonnés par le caractère qu’elles ont pris. Pour beaucoup, la perspective du
jugement à venir donnait à ces rencontres un caractère stressant. Certains les ont vécues
comme de véritables interrogatoires.
Plusieurs participants se sont interrogés sur l’opportunité de faire intervenir à ce stade l’OAA
avec lequel les candidats vont poursuivre ultérieurement leur projet d’adoption, estimant que
les propos recueillis par celui-ci lors de la sensibilisation individuelle risquent de se retourner
contre leurs auteurs au moment de l’affinement du projet. Séparer la sensibilisation de
l’évaluation permettrait ainsi, selon plusieurs candidats, qu’elle puisse jouer son rôle
pleinement.
e. La requête en constatation de l’aptitude à adopter et l’enquête sociale
Des parents ne comprennent pas pourquoi l’ACC intervient à ce niveau-là, estimant inutile
que deux acteurs différents soient impliqués dans l’évaluation de l’aptitude des candidats. Ce
questionnement est renforcé chez certains ce qu’ils considèrent comme une faible
disponibilité des assistants sociaux employés par l’ACC. D’autres parents pensent cependant
qu’il est important de disposer d’un second avis afin de pouvoir contrebalancer l’avis de
l’OAA si besoin est.
Certaines initiatives prises par des assistantes sociales de l’ACC ont dérangé des parents qui
les ont trouvées inopportunes. C’est notamment le cas lorsque l’une d’elles juge indispensable
d’associer les enfants au projet d’adoption, qu’une autre demande de libérer sans attendre la
pièce dans laquelle ils envisagent de placer leur futur enfant, mais aussi chaque fois qu’elles
manquent de tact, qu’elles renvoient les gens après quelques minutes, qu’elles ne prennent
aucune note…
Mais de telles expériences ne sont pas la majorité. D’autres parents racontent au contraire
avoir été impressionnés par la qualité des échanges qu’ils ont eus avec les professionnels
rencontrés lors de ces séances de sensibilisation.
Ces évaluations diversifiées se retrouvent en ce qui concerne le rapport d’enquête sociale : la
plupart des parents rencontrés sont ravis de la manière dont leurs propos ont été transcrits ;
alors que plusieurs participants ont eu le sentiment que leurs propos avaient été trahis.
Beaucoup considèrent que les critères utilisés par les professionnels pour rédiger les rapports
qui composent l’enquête sociale sont flous et certains pensent que la possibilité devrait être
laissée aux candidats parents de discuter et réagir à ces rapports.
f. Le jugement
Les temps d’attente du jugement d’aptitude semblent très variables, brefs ici, extrêmement
longs là-bas. Les évaluations du passage au tribunal sont aussi contrastées : certains regrettent
qu’on ne les ait pas suffisamment préparés en vue de cette étape, d’autres le vivent comme
une opportunité pour repréciser leur démarche. De même le jugement, pour certains,
n’apporte rien, sûrs qu’ils sont de leurs compétences parentales, alors qu’il est signe, pour
d’autres, d’une sécurité.
18
Plusieurs participants ont fait part de leur déception lorsqu’ils ont réalisé que cette étape,
qu’ils pensaient décisive, ne garantissait en rien le succès de leur projet. Un certain nombre
d’entre eux avaient cru que le jugement d’aptitude leur donnait droit à adopter un enfant et
sont tombés des nues lorsque l’organisme auquel ils se sont adressés a refusé d’encadrer leur
projet. D’autres ont été surpris de se voir imposer des critères restrictifs à un projet qui,
pensaient-ils, ne pouvait plus être questionné.
La durée de validité du jugement a elle aussi été critiquée. Confrontés à des délais d’attente
qui ne cessent de s’allonger, certains se demandent s’il ne serait pas opportun de prolonger la
durée légale de validité du jugement. A été questionné, également, le caractère restrictif de
certains jugements qui imposent aux parents des critères précis relatifs à l’âge des enfants
qu’ils pourront adopter, leur nombre, leur pays d’origine, etc.
g. Procédures en vue d’une seconde adoption
Plusieurs parents qui ont entamé une seconde procédure d’adoption ont critiqué le fait que les
professionnels (tant de l’ACC que des OAA) leur imposent un délai de carence avant de
pouvoir entamer ces nouvelles démarches, alors que chacun sait combien la procédure, avant
d’aboutir, sera longue.
Le fait que les parents adoptifs soient contraints de recommencer un parcours de préparation
en vue d’une seconde adoption a lui aussi fait l’objet de vives critiques. Et si, en définitive, les
séances de préparation semblent avoir été bien vécues par la plupart c’est parce qu’elles
offrent aux parents l’occasion d’échanger avec les autres participants autour de l’expérience
de leur première adoption. Certains participants ont cependant regretté que ces rencontres de
sensibilisation ne soient pas plus riches en contenu.
4. L’apparentement – procédure internationale
a. La phase d’adéquation
Une fois que les candidats ont reçu leur jugement d’aptitude, ils peuvent s’adresser à
l’organisme d’adoption de leur choix pour finaliser le projet d’adoption : celui auprès duquel
ils ont entamé la sensibilisation individuelle ou un autre. En cas d’échec auprès d’un
organisme, ils sont libres de s’adresser à un autre. Prendre contact avec un OAA représente
une épreuve pour certains candidats qui ont connu de mauvaises expériences. Rapidement, en
effet, les candidats se rendent compte que l’organisme auquel ils s’adressent a la liberté de
refuser leur projet. Cette situation est d’autant plus difficile à vivre que les critères des OAA
ne sont pas explicités et semblent variables d’un OAA à l’autre. Le caractère mystérieux des
critères utilisés par les OAA les fait paraître, aux yeux de certains candidats, comme toutpuissant. Certains attendent de l’ACC qu’elle joue un rôle de coordination à ce niveau.
Il était évident pour les parents que nous avons rencontrés que la sélection la plus forte se fait
au niveau des organismes encadrant l’adoption interne. Le caractère aléatoire des « listes »
s’ouvrant et se fermant en fonction de paramètres inconnus des candidats a fait l’objet de
discussions amères.
Les OAA ont été également vivement critiqués pour la manière dont ils informent les
candidats de leur décision… particulièrement lorsqu’elle est négative. Des candidats
adoptants se retrouvent alors en plein désarroi, au moment où ils auraient besoin d’être
soutenus. Arrêtés à ce stade du parcours, après avoir déjà dépensé beaucoup de temps,
d’énergie et d’argent, des parents ont le sentiment d’avoir été floués.
b. La phase d’élaboration
L’affinement du projet d’adoption est une étape qui, parfois, s’avère elle aussi délicate.
Certains participants nous ont dit avoir eu le sentiment de recommencer inutilement un
19
cheminement qui dans leur esprit avait déjà eu lieu. Certains participants ont insisté sur le
caractère éprouvant et critique des contacts qu’ils ont eus avec l’OAA. D’autres, au contraire,
ont beaucoup apprécié l’accompagnement dont ils ont bénéficié à ce stade. Ils n’ont pas eu le
sentiment de subir un examen, mais de traverser une évaluation légitime et constructive.
La poursuite des démarches implique que les candidats signent ensuite avec leur OAA une
convention. Celle-ci représente un investissement financier sans garantie d’aboutissement.
Des critiques ont été formulées par les participants à l’égard des nombreuses démarches
administratives auxquelles ils doivent se soumettre à ce stade et des coûts que celles-ci
entraînent. A ce stade, certains estiment qu’ils se sont retrouvés seuls face à des démarches
qui auraient pu être gérées collectivement.
Une fois que le dossier d’un (couple) candidat a été envoyé par l’OAA dans un pays, débute
alors une nouvelle période d’attente. Sauf exception, cette attente s’étire en général sur
plusieurs années. Beaucoup de parents se plaignent d’avoir reçu peu de soutien de leur OAA
durant cette période. Beaucoup se sentent abandonnés.
L’attente place les candidats dans une situation particulière. Certains s’interdisent de partir en
vacances, de prendre des engagements, de crainte de rater un appel fort attendu. Le temps,
pour eux, est suspendu. Pour d’autres, le rythme de l’attente est nettement moins régulier,
alternant des temps d’urgence et des temps durant lesquels rien ne semble se passer. Pour
d’autres encore, l’attente prend des proportions dramatiques : ils ont attendu en vain durant de
longues années sans jamais voir aboutir leur dossier. La majorité des participants à cette
recherche se sont plaints de n’avoir eu aucune démarche proactive de l’organisme à leur
égard. Tous les candidats n’ont cependant pas eu ce vécu d’abandon. Certains estiment avoir
bénéficié de l’accompagnement dont ils avaient besoin.
Parmi les candidats qui attendent une proposition d’enfant certains se posent énormément de
questions et aimeraient pouvoir anticiper l’arrivée de l’enfant pour pouvoir se préparer de
manière appropriée. Plusieurs candidats ont regretté que des rencontres avec des parents qui
ont adopté ne soient pas organisées par leur OAA. D’autres saluent les initiatives de ce type
de leur OAA.
A défaut de trouver les réponses à leurs questions du côté de leur OAA, internet a permis à
certains de créer un véritable réseau d’entraide entre parents orientés vers un même pays.
D’autres ont trouvé ce soutien parmi les candidats avec lesquels ils ont vécu les séances de
sensibilisation collective. Derrière ces initiatives, ce qui est souligné à chaque fois, c’est
l’opportunité d’échanger avec d’autres personnes qui partagent une même réalité. Plusieurs
participants se sont demandé si l’ACC ne pourrait pas jouer un rôle à ce niveau en proposant
des activités – facultatives – qui soient ouvertes à tous.
c. La proposition d’enfant
Des participants qui avaient des enfants biologiques au moment où ils ont adopté ont discuté
des conditions d’âge respectif des enfants qu’on leur a imposées. Cette discussion a démontré
le caractère variable de ces conditions. Pour l’adoption interne, les participants ont discuté des
critères formulés par les mères biologiques elles-mêmes quant au type de familles par lequel
elles souhaitent que leur enfant soit adopté ; la légitimité de ces attentes était interrogée. La
question de la durée de la période avant de pouvoir aller chercher l’enfant qui leur est déjà
attribué a aussi été soulevé par certains.
Plusieurs participants n’ont pas tari d’éloges sur l’enfant qu’on leur a proposé au terme de ce
processus. Ce n’est cependant pas l’expérience de tous les parents. Plusieurs témoignages
proviennent de parents auxquels on a proposé des enfants à particularités alors que cela ne
correspondait pas à leur projet de départ. Certains, qui avaient opté pour un enfant à
20
particularités, ont eu le sentiment que leurs limites n’avaient pas été respectées. Des parents,
fâchés, avaient le sentiment de ne pas avoir été respectés ni soutenus.
d. La phase de reconnaissance
Lorsque le projet se concrétise, les candidats peuvent enfin aller chercher l’enfant. Cette
étape, elle non plus, n’est pas toujours de tout repos, ni exempte de surprises : enfant
fortement malade ou handicapé alors que rien n’avait été communiqué en ce sens ; difficulté
face à l’absence de protection médicale des enfants adoptés durant cette période de transition ;
solitude face à démarches administratives complexes ; manque de soutien à l’étranger de
l’ACC, des OAA, des ambassades et des autorités belges. Heureusement, tous les
témoignages ne sont pas aussi négatifs : plusieurs participants à la recherche sont ravis de
l’accompagnement dont ils ont bénéficié sur place.
e. Le suivi post-adoptif
Une fois que les parents sont rentrés chez eux avec l’enfant tant attendu, d’autres difficultés
apparaissent. Tous les parents rencontrés disent avoir rencontré des difficultés pour régler le
statut administratif de leur enfant. Plusieurs participants ont évoqué les longs délais requis
pour que l’enfant soit couvert par la mutuelle. D’autres ont insisté sur l’impossibilité à
laquelle ils se sont trouvés confrontés de pouvoir bénéficier du congé d’adoption. La durée de
ce congé a elle aussi été questionnée.
Indépendamment de ces situations questions, le quotidien des familles adoptives n’est pas
sans surprises et compte lui aussi son lot de difficultés. Plusieurs participants à la recherche
ont rappelé l’importance du suivi post-adoptif. Certains sont ravis de l’accompagnement qui
leur a été proposé. À en croire certains témoignages, les parents qui ont adopté en interne
seraient particulièrement gâtés. Et manifestement, tous les parents ne bénéficient pas de la
même qualité de suivi. Des participants ont regretté de ne pas être davantage informés de
l’ensemble des services spécialisés travaillant dans le domaine de l’adoption.
5. L’apparentement – procédure interne
Pour les participants à la recherche qui ont adopté par la procédure nationale, le parcours
semble nettement plus léger. La grande majorité des adoptants inscrits dans une procédure
d’adoption interne qui ont participé à la recherche ne tarissent pas d’éloges à l’égard de
l’organisme qui encadre ou qui a encadré leur parcours d’adoption. Bien sûr, il y a des
bémols.
Des parents reprochent la lourdeur et la longueur des démarches qu’ils ont dû entamer au
début de leur procédure, d’autres la longue attente qui suit la phase de préparation et où les
informations communiquées sont rares. A l’opposé certains relatent une expérience
différente : attente très brève, accompagnement de qualité.
Plusieurs participants ont évoqué des situations embarrassantes dans lesquelles ils se sont
trouvés après que l’enfant leur ait été confié, jusqu’au moment où l’adoption plénière fut
prononcée. Sont particulièrement pointés : l’impossibilité de changer le nom de l’enfant dès
qu’il arrive entraîne des difficultés administratives (mutuelle, caisse de sécurité sociale…) ; le
manque de statut des candidats adoptants tant que l’adoption n’a pas été prononcée ; la
difficulté pour faire valoir leur droit au congé d’adoption ; le stress et les incompréhensions
suscitées par l’enquête sociale et la procédure judiciaire dans laquelle elle s’inscrit.
Cependant plusieurs participants à la recherche ont dit au contraire avoir traversé cette étape
sans difficulté, estimant avoir été très bien accompagnés par leur organisme pour les questions
administratives
21
IV. Conclusion et recommandations
Avant de conclure, il importe de rappeler les limites de cette recherche. Telle qu’elle a été
conçue, elle a permis d’évaluer la satisfaction des parents adoptifs et des candidats adoptants à
l’égard des procédures d’adoption qui furent mises en place suite à la réforme. On peut
raisonnablement faire l’hypothèse que le degré de satisfaction se situe entre la mesure très
positive qu’en donnent les questionnaires produit par l’ACC et l’image plus sévère qui, sur
certains points, transparaît de la recherche qualitative.
Cette recherche ne permet pas de réaliser une évaluation de la réforme en tant que telle,
encore moins de son efficacité en regard des objectifs qui étaient les siens. Rien ne permet en
effet, au terme de cette recherche, d’énoncer quoi que ce soit quant à l’efficacité des
procédures actuelles sur le plan de la protection de l’intérêt de l’enfant. Pour évaluer celle-ci,
il aurait fallu étudier (1) les besoins spécifiques des enfants à adopter, (2) les compétences
parentales nécessaires pour pouvoir y répondre, et (3) la manière dont la préparation proposée
par l’ACC permet d’évaluer si les candidats adoptants possèdent ou non ces compétences et,
le cas échéant, de remédier aux manques éventuels.
Quand bien même la question de l’intérêt de l’enfant eu été au centre de la démarche, la
validité de cette recherche aurait été limitée en raison du caractère récent de la réforme : les
difficultés liées à l’adoption surviennent surtout à l’adolescence, or les enfants adoptés depuis
la réforme sont en majorité plus jeunes. Dès lors, il est trop tôt pour pouvoir évaluer
l’efficacité des procédures d’adoption sur le bien-être à long terme des enfants adoptés et de
leurs familles.
Il convient aussi de souligner que la présente recherche ne permet nullement de faire une
analyse globale du fonctionnement des divers organismes impliqués (ACC, OAA, mutuelles,
ambassades, administrations communales…) ou d’un acteur individuel. Les candidats
adoptants et les parents adoptifs rencontrent ces services et leurs professionnels de façon
ponctuelle et dans une perspective très spécifique, ils n’ont dès lors qu’une vue très partielle
de leurs activités et ne connaissent généralement ni les ressources ni les contraintes qui sont
les leurs.
Enfin, rappelons que la majeure partie de cette recherche fut réalisée selon une approche
qualitative, c’est-à-dire une approche dans laquelle la part de subjectivité des chercheurs est
plus visible qu’elle ne l’est dans une démarche basée sur des données chiffrées. La récolte et
l’analyse des données ont suivi un canevas scientifique rigoureux. Et cependant, elles restent
tributaires du regard particulier qu’ont posé sur elles chacun des chercheurs en fonction de
leur expérience propre et de leur sensibilité.
Comme en attestent les témoignages recueillis dans le cadre de cette recherche, le vécu de
l’adoption n’est pas toujours rose. Et ce, en dépit du fait que ce secteur a la chance de pouvoir
compter sur des professionnels qui s’y investissent avec un enthousiasme et une créativité
remarquables. Certes, les critiques portent bien davantage sur les procédures relatives à
l’adoption internationale que sur celles relative à l’adoption interne ; il n’empêche, l’analyse
des témoignages récoltés dans le cadre de cette recherche a mis en évidence l’existence de
nombreux mécontentements des candidats adoptants, et ce à de nombreux niveaux.
L’enseignement principal de cette recherche est bien celui-là : nombre de candidats
adoptants et de parents adoptifs ont vécu la procédure comme une situation de
dépendance face à un système bureaucratique. Certains, globalement satisfaits de la façon
dont les choses se sont passées, évoquent juste l’incompréhension face à la façon dont leur
situation fut ponctuellement traitée tantôt par l’ACC, tantôt par un OAA, tantôt encore par
une ambassade, une administration communale ou une mutuelle ; d’autres par contre, avec
22
des formules extrêmement dures, évoquent la maltraitance infligée par une machine
inhumaine disposant d’un pouvoir absolu.
Au-delà de l’expression des émotions, rapport de pouvoir et logique administrative sont
ainsi les deux éléments qui émergent de la façon la plus massive pour qualifier le vécu du
processus d’adoption. Dans une certaine mesure, et la formule est ici importante, ces deux
éléments sont inhérents à tout processus de gestion centralisée des demandes quelles qu’elles
soient. Nombre de difficultés institutionnelles sont liées aux structures et non à ceux et celles
qui y travaillent. Dans le cas particulier qui nous occupe, les acteurs concernés, en ce compris
l’ACC, sont, de plus, dépendants d’un cadre législatif extrêmement complexe dont une part
importante s’impose à eux sans qu’ils n’aient prise sur elle parce qu’elle se définit ailleurs, au
niveau fédéral par exemple.
Cela étant, les candidats adoptants sont effectivement dépendants d’une multitude de
décisions prises par des acteurs variés (assistants sociaux, psychologues, juges, responsables
d’OAA ou de l’ACC, fonctionnaires d’administrations diverses) ; étant en demande d’enfants,
le rapport de force leur est défavorable, et ce d’autant plus que la demande d’enfants est
nettement supérieure au nombre d’enfants adoptables et que, en ce sens, ce qu’ils ont à offrir
perd une part de sa valeur. L’amour, l’attention, l’éducation… qu’ils sont prêts à offrir à un
enfant paraît comme dévalué en raison du simple fait que de nombreux autres candidats à
l’adoption sont également désireux de l’apporter.
Par ailleurs, depuis les travaux de Michel Crozier, on sait que l’administration, en tant que
mode d’organisation, est inductrice d’un certain nombre de dysfonctionnements. Le
développement du modèle bureaucratique est lié à la standardisation des modes de gestion et
de traitement des situations. Et le fait de gérer de nombreux dossiers implique des logiques de
fonctionnement qui, partout et toujours, empêchent de pouvoir apporter aux situations
individuelles l’attention qu’elles seraient en droit de revendiquer. Or, la gestion de nombreux
dossiers concerne non seulement l’ACC mais aussi les OAA. Tous ces acteurs, à des degrés
variables, font face à des contraintes liées au nombre important de situations dans lesquelles
ils sont, à un titre ou à un autre, impliqués. Tous, par conséquent, sont contraints de suivre des
procédures et d’imposer des règles qui, par définition, ne tiennent pas entièrement compte des
spécificités de certaines situations.
Dans une certaine mesure, les tensions « pouvoir versus dépendance » et « gestion
administrative bureaucratisée versus gestion au cas par cas » sont inévitables. Et les différents
intervenants-acteurs d’un tel système devraient pouvoir assumer la position qui est la leur, ce
qui ne semble pas toujours le cas. Mais au-delà de ce « structurellement inévitable », il n’en
reste pas moins que les situations où le pouvoir est perçu comme pouvoir absolu et la
logique bureaucratique comme totalement inhumaine posent questions. On peut à cet
endroit parler de dysfonctionnement. Il convient de repérer ces lieux de dysfonctionnement
pour leur chercher des solutions appropriées. Nombre de critiques exprimées par les parents
adoptants concernent des questions d’organisation ; c’est à ce niveau, dès lors, que nombre de
solutions doivent être recherchées. C’est dans cet esprit qu’ont été formulées les
recommandations qui suivent.
1. Quelques recommandations d’ordre général
1.1. Mise en place d’un système de suivi
L’analyse des avis formulés par les participants à l’égard des formulaires d’évaluation et
autres questionnaires qui leur furent distribués par l’ACC à différents moments de la
procédure a permis de mesurer à quel point les informations récoltées par ce biais sont
maigres. Certes, les évaluations globalement très positives sont encourageantes, et l’on peut
penser que si les situations problématiques étaient la règle cela se traduirait déjà lors de ces
23
évaluations. Cependant, mobilisés comme ils le sont actuellement, ces questionnaires sont
d’une utilité limitée comme outils de monitoring de la procédure d’adoption, comme outils de
suivi pour évaluer de manière régulière la pertinence et l’efficacité des activités dont l’ACC a
la responsabilité. Ces outils devraient être (re)pensés en tenant compte de l’état de
dépendance dans lequel se trouvent les candidats à l’égard de l’administration à chaque étape
de la procédure. La question du responsable de ces évaluations gagnerait aussi à être étudiée :
sa gestion par un service indépendant de l’administration permettrait d’assurer la
confidentialité des informations récoltées dans ce cadre… avec le risque cependant d’ajouter
encore un acteur dans un processus déjà bien complexe. Ad minima, un certain nombre de
précautions devraient être respectées :
-
Séparer temporellement et spatialement la distribution des formulaires des lieux et des
moments réservés pour la préparation ;
-
Permettre aux candidats de remettre ces formulaires directement au service de suivi en
évitant le recours à des intermédiaires ;
-
Pour l’évaluation des séances de sensibilisation et d’information, distribuer les
formulaires d’évaluation à un stade plus avancé de la procédure et non à l’issue des
dites séances, afin que les candidats puissent tenir compte dans leur évaluation de la
manière dont les connaissances reçues lors de la préparation ont pu les soutenir dans
leur projet d’adoption, à plus long terme.
1.2. Un meilleur partage des informations
a. Accès au dossier
De nombreux candidats adoptants se plaignent de ne pas être suffisamment informés de la
progression de leur dossier. Les questions qu’ils posent et les angoisses qu’elles engendrent
les amènent à douter de la bonne volonté ou de la compétence des professionnels impliqués.
Cette absence de communication nourrit aussi leur sentiment de dépendance dans le sens où
ils se considèrent comme « dépossédés » de leur propre dossier. Communiquer sur l’état
d’avancement de la démarche peut donc remplir une double fonction : celle de rendre le
processus davantage transparent et celle de permettre aux candidats à l’adoption de se le
réapproprier au moins partiellement.
Aujourd’hui, la technologie offre énormément de possibilités en matière de gestion de
l’information, notamment par le biais d’internet. De nombreuses administrations déjà ont mis
à la disposition du public des interfaces virtuelles permettant aux individus de suivre et
contribuer en ligne à l’état d’avancement de leur dossier. La création d’une telle interface au
niveau de l’ACC pourrait faciliter la communication non seulement entre l’administration et
les candidats adoptants, mais aussi entre les différents professionnels impliqués dans un
même dossier.
Ce dossier, dont une partie serait accessible au candidat et l’autre aux professionnels,
regrouperait des informations telles que :
-
la liste des documents qu’il contient (attestations, rapports…) ;
-
le nom et les coordonnées des professionnels qui y sont intervenus ;
-
les dates auxquelles le dossier a été transmis à (et/ou reçu par) d’autres acteurs, en
Belgique et à l’étranger ;
-
la liste des étapes administratives franchies avec leurs dates ;
-
la liste des étapes restant à mener et les documents requis ;
-
le délai envisagé avant l’aboutissement du dossier ;
24
-
le nom et les coordonnées d’une personne auxquelles les candidats peuvent s’adresser
pour avoir des informations sur leur situation.
b. Instaurer un système de référent unique
L’accès à un e-dossier seul ne résoudrait cependant pas toutes les questions. Malgré son
intérêt, il est probable qu’à un moment ou un autre un tel système soit confronté à l’incapacité
de tenir compte des spécificités de toutes les situations. Par ailleurs, il ne répond pas
davantage à la critique d’inhumanité de l’administration. La désignation d’un professionnel
chargé de suivre en particulier chaque dossier pourrait être une formule complémentaire à un
tel système. Cette personne serait la même du début jusqu’à l’aboutissement de la procédure
d’adoption. Elle aurait pour fonction de rassembler l’ensemble des informations liées à un
dossier précis. Ainsi, les candidats adoptants auraient un interlocuteur attitré. Les coordonnées
de cet interlocuteur, ainsi que les moments durant lesquels il peut être contacté, leur seraient
communiqués. En cas de conflit, un autre interlocuteur pourrait être désigné.
c. Accompagner les notifications de décisions des critères utilisés et les motiver
Presque tous les parents qui ont vécu un refus (…) regrettent l’absence de communication, le
caractère arbitraire et surtout le manque de soutien après la communication de l’avis négatif.
À défaut d’une instance pour assurer un soutien à ces personnes, la formation initiale devrait
à tout le moins aborder et munir les participants d’une possibilité de recadrage lors d’un tel
événement. (Laffineur et al., 2000, p. 42)
L’extrait ci-dessus est issu d’une recherche réalisée en 2000 sur les procédures d’adoption en
Communauté française de Belgique. Dix ans plus tard, cette remarque est toujours
d’actualité ! Comme en attestent les témoignages récoltés dans le cadre de la présente
recherche, aujourd’hui encore de nombreux candidats adoptants sont meurtris par des
décisions qui leur ont été communiquées de manière abrupte, sans informations quant aux
motivations sous-jacentes. Pour pouvoir intégrer psychiquement une réalité, tout individu a
besoin de pouvoir lui donner sens. Cela vaut, a fortiori, lorsque cette réalité est décevante et
oblige l’individu à entamer un véritable processus de deuil. Des décisions négatives non
motivées confrontent les candidats à de réelles difficultés car elles ne leur donnent pas les
moyens de tourner la page pour pouvoir rebondir. L’incapacité dans laquelle ils se trouvent à
pouvoir donner sens à leur situation les expose au risque de ne pas pouvoir traverser cette
épreuve : incapable d’accepter une réalité, l’individu se retrouve à ressasser encore et encore
l’événement qui l’a meurtri sans pouvoir avancer. Et au-delà du vécu psychique, de tels
événements renforcent le sentiment de dépendre du bon vouloir du Prince qui peut décider
seul sans même avoir à se justifier. A partir de là, la confiance se rompt et la relation se
charge de non-dits et de dissimulation afin d’être certain de ne pas donner des arguments qui
pourraient se retourner contre soi à cet Autre perçu comme Tout-Puissant.
Sans doute serait-il souhaitable que les professionnels de l’adoption adaptent leur pratique de
manière à pouvoir prendre en compte ce besoin de sens que rencontrent tous les candidats
adoptants et à maintenir la relation de confiance avec eux, indispensable pour un exercice
efficace de leurs fonctions. Des explications de vive voix permettraient cela. À défaut, il est
souhaitable que chaque décision par écrit soit assortie d’une argumentation et accompagnée
d’un numéro de contact auquel les personnes qui le souhaitent peuvent s’adresser pour obtenir
davantage d’informations.
d. Associer les candidats aux décisions qui les concernent
Quel que soit le domaine dans lequel elle est réalisée, et quel que soit le public concerné, une
évaluation peut être menée de différentes façons. Depuis les années soixante, les pédagogues
insistent sur l’utilité, lorsqu’on travaille avec des adultes, de les associer aux évaluations qui
les concernent. Leurs recommandations ont donné lieu, dans le champ de la pédagogie
25
d’adultes (par exemple en promotion sociale), à diverses méthodes d’évaluation participative.
Celles-ci sont devenues la référence dans certains domaines comme le champ de
l’intervention humanitaire, où toutes sortes d’outils ont été conçus afin d’associer les
populations cibles aux évaluations de projets (que ce soit au stade de l’analyse des besoins ou
celui de l’évaluation de l’impact). Associer les populations aux évaluations qui les concernent
ne répond pas qu’à un souci éthique. Cela permet également d’intégrer l’évaluation à un
processus formatif dans lequel les personnes évaluées sont informées des objectifs à atteindre
et responsabilisées.
L’évaluation des aptitudes des candidats à adopter, telle qu’elle est menée actuellement tant
par l’ACC que par les OAA, s’inscrit dans une conception de l’évaluation qui est en porte-àfaux avec les tendances actuelles : les candidats adoptants ne sont pas informés des critères
utilisés pour les évaluer et ne sont pas associés à la rédaction du rapport. La conclusion de
l’évaluation leur est signifiée sous une forme indirecte – par courrier – et n’est pas toujours
argumentée. D’un point de vue pédagogique, on ne peut que regretter que les évaluations, à
quelque niveau que ce soit – qu’il s’agisse d’évaluer les aptitudes pédagogiques d’un candidat
(enquête sociale), de vérifier s’il répond aux conditions fixées par des pays d’origine (phase
d’adéquation), de décider si son projet pourra ou non être pris en charge par un OAA (phase
d’élaboration), etc. – ne fassent pas l’objet d’un échange avec les candidats concernés, et ce
de manière systématique quelle qu’en soit la conclusion.
Dans le cas du rapport d’enquête sociale réalisé en vue d’une adoption internationale, étant
donné l’incidence de ce rapport sur la suite de la procédure (dès lorsqu’il sera transmis aux
autorités des pays d’origine), on peut s’étonner que les candidats adoptants n’aient pas la
possibilité d’y introduire des commentaires éventuels. On pourrait imaginer que lorsqu’ils
prennent connaissance du rapport au greffe du tribunal concerné, la possibilité leur soit offerte
d’y inclure des commentaires visant à corriger ou nuancer son contenu.
1.3. Créer des espaces neutres
En écoutant les participants à la recherche, en entendant leurs griefs, leurs frustrations, et
parfois leur colère, nous avons pu mesurer à quel point l’adoption est un parcours lourd en
émotions. Des émotions que les parents n’ont pas toujours l’occasion d’exprimer et qui
retombent, dès lors, sur les professionnels chargés de les accompagner. La création de lieux
où les parents auraient la possibilité de s’exprimer sur les difficultés qu’ils rencontrent dans le
parcours d’adoption apparaît nécessaire. Afin de permettre aux candidats adoptants de s’y
livrer sans craindre que leurs paroles n’affectent leur dossier, ces lieux devraient cependant
être indépendants de l’administration et des organismes d’adoption.
Nous reprenons ici une proposition qui avait déjà été formulée dans le cadre de la recherche
réalisée par Jean-Yves Laffineur et Jean-Claude Chalon (2000). Différentes formules peuvent
être imaginées pour remplir cette fonction, notamment la création d’un service d’ombudsman,
ou encore la mise sur pied d’un service téléphonique d’écoute dans le respect de l’anonymat.
De tels lieux, ou des formules d’inter- et supervisions, seraient probablement également utiles
pour les professionnels chargés d’accompagner les candidats adoptants et les familles
adoptives. Eux aussi sont confrontés quotidiennement à des situations délicates et à leur lot
d’émotions. Plusieurs personnes rencontrées lors de cette recherche pensent d’ailleurs pouvoir
interpréter les silences des différents intervenants comme leur incapacité à dire que rien ne
bouge, à annoncer une mauvaise nouvelle, bref à assumer cette part de responsabilité qui est
la leur. Pour ces intervenants qui sont amenés à intervenir dans des dossiers parfois délicats et
qui reçoivent en première ligne les émotions des parents, des temps et des lieux d’échanges
avec des professionnels indépendants, lorsqu’ils n’existent pas déjà, pourraient être utiles.
26
2. La préparation
2.1. Parler concret
Il semble que si les professionnels ont compris l’importance de doter les candidats adoptants
d’outils conceptuels leur permettant d’envisager les enjeux spécifiques liés à l’adoption, ils
aient peut-être sous-estimé les interrogations des candidats sur le plan concret : que dire à
l’enfant lorsqu’il est là ? Comment gérer son agressivité ? Mais aussi, que faire à telle et telle
étape du processus d’adoption : à qui s’adresser, à quel moment, avec quels documents ? Le
matériau récolté pour cette recherche montre que les candidats adoptants valorisent fortement
les séances d’entretiens individuels et les témoignages de parents adoptifs, c’est-à-dire deux
modes de communications où ils ont le sentiment d’être au centre du dispositif : d’un côté ils
peuvent vraiment expliciter leur démarche personnelle, sans être un numéro parmi de
nombreux candidats, et de l’autre, ce sont des parents « comme eux » qui viennent témoigner
et tiennent leur crédibilité du fait qu’eux aussi « sont passés par là ».
Pour communiquer ces informations réclamées, différentes formules peuvent être envisagées.
Plusieurs participants à la recherche ont suggéré que soient réalisés des guides-mémos
pratiques, complémentaires au classeur (très apprécié) distribué dans le cadre de la
préparation. Mais la question d’une place accrue pour des parents adoptifs ainsi que d’adoptés
devenus adultes, et ce à différents stades de la procédure, mérite d’être posée.
2.2. Dissocier sensibilisation et évaluation
Les professionnels avaient déjà soulevé ce point, les participants à la recherche l’ont
confirmé : le fait que dans les procédures actuelles la sensibilisation individuelle contribue –
par l’intermédiaire du volet C – au rapport sur base duquel s’appuiera le jugement d’aptitude
ne lui permet pas de jouer pleinement son rôle. Les candidats adoptants ont été on ne peut
plus clairs à cet égard : sachant que leurs propos allaient être pris en compte dans le cadre du
rapport social, nombre d’entre eux ont contrôlé leurs propos de manière à éviter que leurs
doutes éventuels ne mettent en danger leur projet d’adoption. Et pourtant, comme en attestent
les témoignages de ceux et celles qui ont joué le jeu de la sensibilisation, un temps de
réflexion et de maturation du projet d’adoption a effectivement toute sa place à cette étape de
la préparation. Cependant, pour qu’il puisse remplir son rôle, il semble indispensable de
repenser la manière dont il est organisé.
Dans cette perspective, dissocier les étapes de sensibilisation et d’évaluation (jugement) est
une condition sine qua non. Cela requiert de garantir une réelle confidentialité des propos
énoncés dans le cadre des séances de sensibilisation individuelle. La question de la nécessaire
impartialité des personnes qui seront amenées à évaluer les aptitudes à adopter des candidats
ne peut être évacuée. Tout en ayant à l’esprit le risque de complexification du dispositif et de
multiplication des acteurs, elle implique, peut-être, d’envisager que cette évaluation soit au
moins partiellement confiée à des professionnels indépendants de l’administration comme des
organismes d’adoption. Notons à ce propos que si l’administration se déchargeait des tâches
d’évaluation qu’elle assume actuellement au niveau de l’enquête sociale, cela lui permettrait
d’assumer à l’égard des candidats adoptants une position de neutralité qui fort probablement
simplifierait et faciliterait les contacts qu’elle a avec ceux-ci.
3. L’apparentement
3.1. Vers une harmonisation des critères légaux et des critères utilisés lors de
l’apparentement ?
En Belgique, au départ, peu de conditions sont imposées aux personnes qui souhaitent
adopter. Célibataires et couples, qu’ils soient mariés ou non, qu’ils aient ou non déjà d’autres
enfants, et qu’ils soient plus ou moins âgés (avec un minimum fixé à 25 ans) ont en principe
27
tous le droit d’adopter ̶ pour autant, bien entendu, qu’ils obtiennent le Jugement d’aptitudes
requis par la loi.
Cette apparente ouverture cache, dans les faits, une autre réalité. Le décalage entre le nombre
de candidats et le nombre d’enfants qui sont proposés à l’adoption en Belgique chaque année
est tel qu’après l’étape du jugement d’aptitude, une autre sélection est réalisée : les OAA, qui
ont l’embarras du choix, sont libres de choisir les candidats qu’ils accompagneront. Cette
seconde sélection, à laquelle les candidats ne s’attendent pas, est d’autant plus mal vécue que
les critères en fonction desquels elle est réalisée semblent laissés au libre choix des
organismes d’adoption. En fonction de leurs valeurs et de la manière dont ils se représentent
l’intérêt de l’enfant à adopter, ceux-ci vont établir des critères qui leur sont propres pour juger
du caractère opportun des projets d’adoption qui leur sont adressés. À en croire les
témoignages recueillis dans le cadre de cette recherche, certains OAA refusent
systématiquement d’accompagner les projets de célibataires et/ou de couples homosexuels.
D’autres fixent des limites d’âge, etc.
À cette seconde sélection opérée par l’OAA, succède bien souvent une troisième évaluation :
les pays auxquels s’adressent les candidats à l’adoption inscrits dans une procédure
d’adoption internationale, et les parents biologiques des enfants proposés à l’adoption interne,
vont à leur tour avoir quelque chose à dire quant aux types de projet d’adoption qu’ils
accepteront de soutenir. Certains pays imposent aux candidats adoptants un certain nombre
d’années de mariage. La Chine refuse les candidats en surpoids. Le Maroc n’accepte que les
candidats musulmans. D’autres pays encore refusent les parents qui ont déjà des enfants
biologiques…
Les projets d’adoption s’avèrent en réalité soumis à des critères bien plus nombreux et variés
que ceux énoncés dans la loi. Dès lors qu’il n’est pas souhaitable de créer de faux espoirs chez
des candidats qui, dans l’état actuel des procédures ont très peu, voire aucune chance de voir
aboutir leur projet, il conviendrait de ne pas les laisser s’enliser dans des procédures vaines
qui mobiliseront leur temps, leurs émotions, leur argent, et ce parfois durant de longues
années. Certains candidats à l’adoption arrêtent alors parfois après plusieurs années de vaines
attentes avec le sentiment d’avoir été floués car ils prennent conscience que leurs chances de
recevoir un enfant étaient nulles depuis le début. Même si les solutions alternatives –
l’accueil, le parrainage d’enfants, et d’autres formules – ne sont pas nécessairement acceptées
par les candidats à l’adoption, ce point devrait être clarifié. Assumer sereinement un rapport
de pouvoir, c’est aussi pour celui qui est en position de force assumer la responsabilité de
rappeler ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
La diversité des critères mobilisés par les acteurs qui sont impliqués dans une procédure
d’adoption pose elle aussi question. Plus spécifiquement, la diversité des critères utilisés par
les différents OAA en matière d’apparentement, dans la mesure où elle incite les candidats à
s’adresser successivement à différents OAA, ne contribue pas à réduire la surcharge des
organismes concernés. Par ailleurs, se plaçant sur le plan légal, certains s’interrogent quant au
fait que des organismes puissent se permettre de recourir à des critères plus stricts que ceux
imposés par la loi sans être sanctionnés et réclament une harmonisation des critères utilisés
par les différents OAA pour procéder à l’apparentement. Au minimum, il apparaît souhaitable
que cette question soit clarifiée et que les candidats adoptants puissent avoir une vision claire
des possibilités qui s’offrent à eux par une publicité des critères mobilisés par les divers
acteurs du champ de l’adoption, faute de quoi la règle de l’arbitraire semble être de mise.
3.2. Valoriser et humaniser l’attente
L’attente, nous l’avons vu, confronte la plupart des candidats, principalement pour l’adoption
internationale, à de longues périodes durant lesquelles rien ou pas grand-chose ne leur est
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proposé. Les témoignages recueillis montrent à quel point ces périodes sont difficiles à vivre
pour les candidats et combien les groupes de soutien jouent un rôle important. Des formes
d’encouragement et de soutien à la création de tels réseaux de solidarité en mettant à la
disposition des candidats des espaces de rencontres et d’échanges, qu’ils soient réels – espace
ouvert dans lequel les candidats pourraient venir boire un verre et rencontrer d’autres
candidats, activités diverses – ou virtuels – forums de discussion thématiques, par exemple
organisés par pays, devraient être étudiées. Il va de soi que pour que ces lieux puissent remplir
le rôle qui est le leur, la confidentialité des informations qui seront échangées dans ce cadre
doit être garantie. Des formules informelles – sans animateur – seraient à cet égard
probablement plus utiles que des rencontres placées sous la supervision d’animateurs. On
s’inscrit ici dans la perspective dessinée par les espaces neutres évoqués plus avant.
3.3. Mieux prendre en compte les limites des candidats adoptants
Plusieurs participants à la recherche ont expliqué avoir eu le sentiment que l’organisme
auquel ils s’étaient adressés avait tenté d’orienter leur choix vers certaines catégories
d’enfants (enfants à particularités, enfants originaires de certains pays, enfants plus âgés…).
D’autres participants ont raconté que l’enfant qu’on leur a proposé ne correspondait pas aux
limites qu’ils avaient clairement formulées.
De telles situations sont problématiques à plusieurs égards. Elles posent tout d’abord la
question du respect de l’adoptant et des droits qui sont les siens : quels recours sont proposés
aux parents confrontés à de telles situations ? Ces situations posent également question du
point de vue de l’enfant adopté : il n’est pas dans l’intérêt d’un enfant d’être adopté par des
parents qui ne se sentent pas capables d’assumer sa particularité, quelle qu’elle soit. À fortiori
lorsque les adoptants sont amenés à revoir leur option de départ en quelques heures seulement
et que l’imminence d’une réponse enfin positive peut les pousser à mettre entre parenthèses
des réserves qu’ils avaient pourtant mûrement réfléchies et exprimées.
On peut faire l’hypothèse que de telles situations sont révélatrices du dilemme dans lequel se
trouvent pris les professionnels confrontés à de nombreux parents « en panne d’enfants »
d’une part, et à certaines catégories d’enfants « en panne d’adoptants », d’autre part. Ils
seraient alors tentés de faire coïncider ces deux réalités. Peut-être, cependant, est-il
indispensable de faire respecter à ce niveau un certain nombre de garanties afin d’éviter de
créer des situations inappropriées.
3.4. Faciliter les démarches administratives
Les nombreuses critiques adressées par les participants inscrits dans la procédure d’adoption
internationale à l’égard des difficultés administratives auxquelles ils se sont trouvés
confrontés, tant dans le pays d’origine de l’enfant qu’à leur retour en Belgique (lorsqu’il
s’agit d’inscrire celui-ci à l’administration communale et d’obtenir pour lui une couverture de
la mutuelle, notamment), indiquent à quel point il reste là à mener un important travail de
sensibilisation et de formation des administrations concernées.
Cela vaut également pour ce qui concerne le congé d’adoption : manifestement, telle qu’elle
est formulée actuellement, la législation en la matière n’est pas toujours applicable. Il serait
probablement opportun de réviser le cadre définissant les modalités du congé en question. Un
allongement des délais légaux pour rentrer les justificatifs requis semble le minimum. Un
allongement de la durée du congé elle-même pour certaines catégories d’enfants (enfants
handicapés, enfants plus âgés…) mériterait également, à en croire les parents, d’être étudiée.
Par ailleurs, il pourrait être utile également de mettre en place en parallèle des procédures qui
faciliteront l’obtention de ce congé par les parents concernés. Cela pourrait par exemple
prendre la forme d’attestations qui seraient remises de manière systématique aux parents
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adoptifs par l’ACC, et qui viendraient compléter ou remplacer à titre temporaire d’autres
documents administratifs requis.
3.5. Repenser le temps de l’évaluation dans le cadre de l’adoption interne
Dans le cadre de l’adoption interne, l’enquête sociale évaluant les aptitudes à adopter des
candidats adoptants intervient après que l’enfant leur ait été confié. Les témoignages recueillis
dans le cadre de cette recherche ont mis en évidence à quel point ce moment est, pour les
familles adoptives, un moment délicat et parfois éprouvant. On peut se demander s’il ne
serait-il pas opportun de revoir l’organisation générale de la procédure de manière à ce que
pour l’essentiel cette évaluation intervienne en amont.
Les témoignages de parents adoptifs qui ont été bloqués dans la procédure d’adoption parce
que la mère biologique tardait à donner son consentement indiquent qu’à ce niveau,
également, la procédure mérite d’être repensée. Est-il pertinent de confier à des candidats
adoptants un enfant tant que la mère biologique de celui-ci n’a pas encore légalement renoncé
à exercer vis-à-vis de lui son rôle de mère ? Le délai, peut-être, pourrait être allongé.
4. L’après adoption
4.1. Multiplier, diversifier et communaliser les aides aux familles adoptives
L’adoption est un projet de vie. Les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les parents
adoptifs, et plus généralement les familles adoptives, ne s’arrêtent pas le jour de l’arrivée de
l’enfant adopté. Les témoignages recueillis dans le cadre de cette recherche ont rappelé
l’utilité du suivi post-adoptif à cet égard, et souligné les inégalités entre OAA de ce point de
vue. Nombre de parents disent ne pas connaître les services spécialisés ou ne pas y avoir
accès parce que ceux-ci sont coûteux, loin de leur domicile, ou parce que faute de place ils ne
peuvent y obtenir de rendez-vous avant plusieurs mois. Diverses solutions peuvent être
envisagées pour remédier à cette situation :
-
-
Réaliser à l’attention des parents adoptifs une brochure informative répertoriant
l’ensemble des professionnels et services spécialisés en matière d’adoption, répartis
par province ;
Inciter les OAA à rendre les activités qu’ils proposent aux familles adoptives
accessibles à l’ensemble des familles concernées, indépendamment de l’organisme
avec lequel elles ont collaboré. La communalisation des ressources permettrait de les
diversifier et de concevoir des activités adaptées à des problématiques particulières
liées à des catégories d’âge (les adolescents…), des pays d’origine, des
problématiques (enfants à particularités, troubles de l’attachement, agressivité…), etc.
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