La musique à Atlanta.
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La musique à Atlanta.
L A MUSIQUE À ATLANTA et article s’adresse au lecteur qui s’est davantage intéressé aux hauts faits sportifs de ces Jeux Olympiques du Centenaire qu’aux événements culturels. Et pourtant, la composante culturelle des Jeux supporte la comparaison avec le sport tant du point de vue du niveau élevé des difficultés et des risques que de celui du défi personnel qui est réel. Il suffit pour cela de prendre l’exemple des cérémonies d’ouverture et de clôture dont le monde entier est témoin. A travers elles. on cherche à représenter des cultures locales, régionales et nationales sous des formes artistiques. distrayantes. en tenant compte du contexte olympique plus vaste, puis de transmettre ce message aux publics du monde entier. Or, l’ambition des organisateurs dans ce domaine risque d’être mal prise et mal comprise. Même si la musique est probablement l’art le moins apte à transcrire des idées, sa capacité à susciter des émotions est utilisée par les organisateurs comme un support permettant aisément de franchir par Marnie Dilling* les frontières. Cependant, en raison même de son effet immédiat, la musique peut également manquer sa cible, voire contribuer à obscurcir ou à contredire le message tel qu’il était conçu. Pour ce qui est de la scène culturelle des cérémonies d’Atlanta, l’intention des organisateurs était de célébrer le centenaire des Jeux Olympiques de l’ère moderne, la jeunesse de notre temps ainsi que les facettes multiples du Sud des Etats-Unis. Aux cérémonies d’Atlanta, des facteurs tels que l’âge, la race, l’appartenance ethnique et les classes sociales ont à l’évidence été considérés comme des éléments constitutifs du goût musical, à la fois du public international et de la société locale. L’unique album sur le thème olympique publié il y a quatre ans, à savoir «Barcelona Gold», a eu une influence sur la décision de réaliser cinq albums dont chacun serait destiné à un public spécifique: amateurs de musique classique, de country, de rhythm and blues, L’orchestre dans le stade. 49 de musique populaire hispanophone et de jazz. (Le jamboree à la mode du Sud qui a marqué la cérémonie de clôture a également embrassé «cinq» genres pour symboliser les cinq anneaux, mais la musique classique a dans ce cas été remplacée par du rock). «Rhythm of the Games» (LaFace Records) est l’oeuvre d’artistes du rhythm and blues qui étaient également présents aux cérémonies: Kenneth «Babyface» Edmonds, co-compositeur du thème olympique «The Power of the Dream», Boyz II Men, le quatuor de gospel a capella qui a interprété en direct lors de la cérémonie de clôture leur version jazzy de «Star Spangled Banner». Toujours à la cérémonie de clôture, la star cubanoaméricaine Gloria Estefan a interprété en direct pour les athlètes «Reach», une chanson non officielle sur le thème olympique qu’elle a écrite avec Diane Warren. La version espagnole intitulée «Puedes Llegar», interprétée par Gloria Estefan et une palette de vedettes hispanophones, dont Julie Iglesias et Placido Domingo, est en tête des meilleures ventes de tous les disques «Voces Unidas» (EMI Latin). Sur ce même disque, Selena, elle-même future victime de la violence. donne libre cours à son impatience face aux problèmes du monde dans «No Quiero Stevie Wonder. Saber» (Je ne veux pas savoir). «One Voice» (MCA), un album de country de Nashville, Tennessee, fait également la part belle à des artistes ayant participé aux cérémonies: le violoniste anglo-américain Mark O’Connor et la chanteuse de country Tricia Yéarwood avec une adaptation sur le mode folk/country de l’hymne «The Flame» qui accompagne l’extinction de la flamme. Des cinq disques compacts. le plus connu des spectateurs présents aux cérémonies de même que des est l’album classique téléspectateurs «Summon the Heroes» (Sony) qui commence par le morceau du même titre qui a été commandé à John Williams pour Atlanta et qui inclut son propre album publié sous le titre «People Make the World Go Round» (MoJazz). Plusieurs noms célèbres du monde du jazz, dont Lionel Hampton, Herb Alpert et Herbie Hancock, ont apporté leur concours à cet album. Cependant, il s’agit en l’occurrence d’une sorte de puzzle, car les autres morceaux n’ont guère de rapport avec le jazz. En outre. ni les textes ni les indications sur la chemise ne font référence aux Jeux Olympiques: il y a une simple illustration sur la couverture (réflexion après coup?). Quant à établir des liens effectifs entre les Jeux Olympiques et la musique, le CI) classique «Summon the Heroes», com- posé d’ouvertures de festival. d‘oeuvres symphoniques commandées pour des Olympiades du passé et de partitions de films épiques, procède de manière strictement musicale tout en associant des idéaux olympiques. Les textes des chansons populaires de «Rhythm of the Games», «One Voice» et “Voces Unidas» traduisent l’esprit olympique en ce sens qu’ils évoquent l’effort individuel. la victoire par la force de caractère, le pouvoir des efforts collectifs en faveur de la paix mondiale et traduisent de différentes manières la thématique de rêve des Jeux Olympiques dans la ville natale de Martin Luther King. Un homme originaire du Texas, mais qui vit actuellement à Los Angeles, Don Mischer, producteur exécutif et directeur des cérémonies, a eu une vision tout à fait claire de son mandat: créer deux grands spectacles qui devaient à la fois distraire. être porteurs de sens. joyeux, interculturellement traduisibles, inciter le Al Green et les Pointer Sisters. 50 public présent dans le stade à participer et, en plus, être capables d’émouvoir les téléspectateurs du monde entier dont le nombre a été estimé à 3,5 milliards de personnes. Dans l’accomplissement de sa mission, Don Mischer était animé de la ferme conviction que le rituel constitue le centre et le coeur symboliques de toute cérémonie olympique, ceci d’autant plus dès lors qu’il s‘agit de célébrer le centième anniversaire des Jeux de l’ère moderne. Selon Mischer «rien ne captive autant l’attention du monde que les cérémonies d’ouverture et rien n’incite davantage une communauté ou un pays à s’interroger sur lui-même et sur son image qu’une cérémonie d’ouverture.» Le directeur musical de la cérémonie, Mark Watters, a composé «Athens to Atlanta-A Run Through Time» et, plus important encore, le chant final interprété par Jessye Norman sur un texte de Lorraine Feather (fille du célèbre critique de jazz Leonard Feather) inspiré de la devise olympique «Citius, Altius, Fortius». Feather a transposé «l’antique appel» de l’abstrait dans le concret en exhortant dans le refrain les athlètes à «courir plus vite, viser plus haut. être plus forts». Sur le plan musical. Watters a souligné cette exhortation par des passages dans des tonalités supérieures et en intensifiant et accélérant l’émotion par une alternance de crescendo et diminuendo jusqu'au point culminant. Jessye Norman, dans un style lyrique et une exécution vocale au meilleur de son art. a lancé une invitation passionnée aux athlètes pour qu’ils cherchent à se surpasser. ment les parties protocolaires des cérémonies, les Comités Nationaux Olympiques et leurs musiciens attitrés ont à choisir entre commander des oeuvres inédites (originales mais coûteuses et incertaines) et utiliser des musiques existantes qui symbolisent le lieu et le thème (trop connues des gens du pays ou trop Wynton Marsalis. Placé intentionnellement à l’avant-dernier moment entre festivités et compétitions, le chant a rappelé l’objectif rituel de la cérémonie: «The Games have now begun». Le Morhouse Glee Club a réinterprété le refrain «Faster, Higher, Stronger» lors de la cérémonie de clôture alors qu‘une couronne de laurier géante a ceint l’ensemble des athlètes en reconnaissance de leurs efforts. On a pu illustrer la beauté physique, la grâce. la musique et l’avenir du Sud, sans les concepts et les problèmes. Ce rôle est revenu à la scène centrale de la cérémonie d’ouverture «Summertime» qui a passé de la beauté naturelle («Southern Summer Night» et «The River») à la crise («The Storm») pour finalement aboutir à la renaissance («Rebirth» and «Celebration»). Pour trouver sa forme achevée, la parttion musicale a suivi son propre parcours dramatique, des projets aux crises pour finalement déboucher sur la solution. En dehors du menu standard composé de fanfares, hymnes et marches qui ryth- peu connues des étrangers). entre l’art avec un grand A (chic mais potentiellement hermétique) et les modes populaires (accessibles mais trop communes). Mickey Hart du groupe rock des «Grateful Dead», célébrité mondiale de la musique Little Richard. 5 1 «beat», a choisi pour les cérémonies un éventail musical aussi vaste que le monde dès les premiers sons de «Spirits of the Ring» aux cinq couleurs. pour revenir à m-chemin à l’appel de Coubertin demandant la rénovation des Jeux et finir avec les «Tribes of the Rings» qui encerclent les athlètes. Parmi les voix identifiables des «esprits», certaines venaient directement d’Asie centrale (Touva), d’Afrique, du Moyen-Orient. Quant au groupe de batteurs des «tribus» qui leur donnaient la réplique, il comptait en son sein des percussionnistes aussi prestigieux que le Nigérian Babatunde Olatunji et l’Indien Zakir Hussain. Ensemble. ils ont concocté un rythme suffisamment riche en éléments de samba afro-cubaine pour nous rappeler à travers les sculptures des percussions et les danseurs bigarrés que, du point de vue musical. le «Sud» de l’Amérique se prolonge jusqu’à la pointe extrême du Chili. C’est des salles de concert de l’Europe et de sa tradition orchestrale que sont issus les marches et hymnes nationaux (la première moitié au moins du nouvel hymne d’Afrique du Sud, joué à la cérémonie du marathon. reflète des modes indigènes). les fanfares et ouvertures de festival qui sous-tendent une composition de John Williams, ou encore les allusions à l’opéra (la reine en lamé argenté des sports extrêmes n’était pas sans rappeler Madame Butterfly). Les racines européennes de l’hymne de Shaker «Simple Gifts», dont Aaron Copland s’est servi pour sa mélodie «Appalachian Spring» sont évidentes. Les traditions anglo-américaines (Angleterre, Irlande, Ecosse) se retrouvent dans les pas et les bras tendus des danseurs en sabots de la scène de bienvenue, dans la danse villageoise américaine («hoedown») et les contredanses réorchestrées pour «The River» et enfin, dans certains souvenirs des îles qui survivent dans les monts Appalaches, par exemple dans la façon de jouer du violon («Olympia Reel» de Mark O’Connor), de même que dans les chansons et les inflexions vocaliques de chanteurs de country comme Faith Hill («Will the Circle Be Unbroken») ou Tricia Yearwood («The Flame») lors de la cérémonie de clôture. Les chansons francocanadiennes des Cajuns de Louisiane se trouvaient mêlées au rhythm and blues afro-américain pour donner naissance au gumbo de Zydeco, exécuté par l‘accordéoniste Buckwheat Zydeco qui a ajouté «Jambalaya» aux trépidations du stade à l’occasion du jamboree du Sud. La tradition écrite de la musique populaire américaine a trouvé à s’exprimer dans des extraits de la comédie musicale de George Gershwin «Porgy and Bess» (il suffit des trois premières notes de «Summertime» ou des quatre premières de «Old Man River» pour que les plus âgés se souviennent de ce spectacle); mais les allusions habituelles à l’idée que l’Amérique blanche se faisait de l’Amérique noire rappellent, tout comme les musiciens vaudevillesques à la figure noircie qui suivent le bateau à vapeur dans la scène «The River», la ségrégation qui avait cours à l’époque dans le Sud. Les chansons «Georgia on my Mind» de Hoagy Carmichael et «Imagine» de John Lennon devaient illustrer la musique populaire entre 1930 et les années 60 des Beatles, voire au-delà. Nombreux furent les athlètes américains à pouvoir joindre leur voix à celle de Stevie Wonder. L’avenir seul dira si «Power of the Dream», «Reach» ou «The Flame» avec leur musique pop destinée aux marchés de l’amateur moyen de musique américaine, latino et country dureront aussi longtemps. A l’occasion des cérémonies, on a pu entendre un chant spirituel («Wade in the Water» dans la scène de la rivière) ainsi qu’un gospel («Alleluia» dans «Rebirth and Celebration». L’ambassadeur du blues classique était BB King avec «Let the Good Times roll». Al Green et les Pointer Sisters ont démontré le lien qui existe entre la musique soul issue du gospel et les racines cubaines de la musique latino. Le trompettiste de l’orchestre symphonique d’Atlanta a pris la place de Wynton Marsalis pour exécuter un solo de jazz classique (écrit par Steven Taylor) dans la reprise de «Celebration» de la séquence «Summertime». Marsalis en personne, mais en se référant au trompettiste de jazz Louis Armstrong, a interprété le chant funèbre accompagnant le cortège qui s’est rendu au cimetière de la Nouvelle Orléans après l’extinction de la flamme – ce fut un moment particulièrement poignant après l’hommage rendu aux victimes des actes de terrorisme qui ont endeuillé les Jeux Olympiques – puis, sur des notes de «The Saints», le cortège a repris le chemin pour rentrer en ville. La fusion actuelle entre traditions blanche et Gloria Estefan. 52 noire dans la musique rock a démontré toute sa puissance lorsque le rythme de Little Richard a irrésistiblement propulsé les athlètes, qui attendaient dans les gradins, sur le terrain pour danser dix minutes avant le moment prévu. Le concert donné par ces musiciens légendaires était une seule longue improvisation. directement inspirée des pratiques des églises noires lorsque les fidèles font appel à l’Esprit Saint. A ce stade, les esprits, saints ou non, étaient enlacés comme les cinq couleurs de la roue de l’Appel aux nations, comme autant de pièces du patchwork musical final, et comme ce processus musical qui a intégré la musique du Sud. En conclusion. on constate que les musiciens des cérémonies ont souligné les thèmes des Jeux d’Atlanta en ornant les événements du centenaire d’oeuvres dignes, qui ont privilégié les goûts de la jeunesse et. en ce qui concerne les évocations du Sud, veillé au respect d’un équilibre entre oeuvres connues et de caractère général et compositions originales. *Ethnomusicologue, Université de Californie, San Diego.