Le développement cognitif

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Le développement cognitif
Le développement cognitif
Le développement cognitif
Les transformations que l’on observe à l’adolescence sur la dimension physique ne s’opèrent pas en un jour; elles prennent un certain temps, de sorte que l’adolescent vit pendant
plusieurs années en quelque sorte «entre deux âges». D’autre part, ces transformations
sont préparées durant l’enfance et ne se comprennent réellement que si on les situe par
rapport à ce qui précède. Il en va de même sur le plan du développement cognitif aussi
appelé développement intellectuel.
Le développement cognitif selon Jean Piaget
Piaget (BIO) et ses collaborateurs sont sans conteste les auteurs qui ont le plus contribué
à notre compréhension du développement des capacités mentales durant l’enfance et
l’adolescence. Pour Piaget, le développement cognitif ne consiste pas en une simple
accumulation progressive de connaissances au gré des expériences successives qu’il
nous est donné de faire mais en une suite de réorganisations de ces connaissances dans
ce qu’il a appelé des structures cognitives ou structures mentales de plus en plus élaborées. Ces structures cognitives successives déterminent la façon dont les informations
que nous recevons, les données que nous recueillons et les situations auxquelles nous
sommes confrontés, sont interprétées et mentalement assimilées. Mais les difficultés que
nous rencontrons parfois à assimiler ces connaissances forcent petit à petit ces structures
cognitives à se modifier, à s’accommoder, comme dit Piaget, voire à se transformer en de
nouvelles structures mieux adaptées au traitement des réalités rencontrées. Au cours de
la vie, Piaget voit ainsi se succéder quatre de ces transformations majeures, transformations qui vont déterminer ce qu’il appelle quatre stades dans le développement cognitif.
Pour plus de détails, voir ce qu’il appelle : stades du développement cognitif (EXT) en
annexe.
Les stades du développement cognitif (selon Piaget)
jusqu’à 2 ans
entre 2 et 7 ans
entre 7 et 11 ans
à partir de 12 ans
Stade sensori-moteur
Stade préopératoire
Stade des opérations concrètes
Stade des opérations formelles
Au premier de ces stades, le stade sensori-moteur, le jeune enfant perçoit le monde et y
réagit au travers de la seule structure «intellectuelle» dont il dispose, la logique de l’action. Ce qu’il perçoit, que cela vienne de l’extérieur, comme la chaleur, la pression, un
objet ou une présence ou de son intérieur, comme la faim ou la douleur, appelle de sa part
une réaction immédiate.
Au second de ces stades, le stade préopératoire, l’enfant devient capable d’effectuer
mentalement certaines actions, de se représenter des actions non effectuées mais
effectuables, d’évoquer des événements qui ont eu lieu par le passé et donc de se libérer
en quelque sorte du réel pour agir. Mais ces actions ne sont pas encore totalement détachées du temps; le jeune enfant ne peut, par exemple, pas encore imaginer en même
temps une action et son inverse, pousser et tirer, avancer et reculer, allonger et raccourcir,
par exemple. C’est pourquoi Piaget dira qu’il continue à penser en termes d’actions, avec
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leur déroulement, même lorsqu’il n’est qu’imaginé mentalement, et pas en termes d’opérations mentales qui, elles, sont mentalement et directement réversibles, c’est-à-dire
annulables par une opération inverse, dont on sait par avance qu’elle permettra le retour
à l’état initial.
Ce n’est que dans un troisième stade que l’enfant devient capable d’envisager l’exécution
sur les objets de véritables opérations mentales, mais ces opérations, comme c’était déjà
le cas des actions au cours du stade sensori-moteur, ne peuvent encore être faites que
sur des objets visibles, présents dans la réalité qui l’entoure ou, à tout le moins, qui existent dans son champ de conscience immédiat. Il n’est pas encore capable de les appliquer à des objets virtuels, dont l’existence réclamerait elle aussi une opération mentale.
A ce niveau également, l’enfant peut également raisonner sur des propriétés d’objets ou
sur des relations entre ces objets, et non plus seulement sur les objets pris comme entités. Il se montre ainsi capable de réaliser des classifications d’objets selon un puis même
plusieurs critères, de sérier des objets le long d’une dimension, d’effectuer des raisonnements transitifs sur des objets qu’on lui présente ou qu’il rencontre.
C’est pour marquer à la fois les progrès importants de ce stade mais également ses
limites que Piaget a proposé d’appeler celui-ci le stade des opérations concrètes. Ainsi,
s’il est parfaitement capable de ranger du plus petit au plus grand une série de bâtonnets
ou du plus léger au plus lourd une série de petites boîtes, identiques par la forme mais
différentes par le poids, l’enfant de ce stade n’arrive pas encore à maîtriser la même
opération lorsqu’elle porte, par exemple, sur des inégalités énoncées seulement verbalement, comme dans le célèbre problème suivant:
Lili est plus blonde que Suzanne
Lili est plus brune que Edith
Laquelle est la plus blonde des trois ?
Durant les quatre à cinq ans que durera ce stade, l’enfant devient de plus en plus habile
dans le maniement de ces opérations mentales. Il pourra les appliquer à des domaines de
plus en plus variés et les combiner entre elles de plus en plus souplement, mais, comme
le font remarquer Piaget et Inhelder (1973), «la forme logique des jugements et raisonnements ne s’organise alors qu’en liaison plus ou moins indissociable avec leurs contenus,
c’est-à-dire que les opérations fonctionnent seulement à propos de constatations ou de
représentations jugées vraies, et non pas à l’occasion de simples hypothèses.» (p. 104105).
De la pensée opératoire concrète à la logique formelle
Progressivement cependant, l’enfant parviendra à abstraire son raisonnement de la nature des objets sur lesquels il porte, à isoler la forme des contenus. Vers 11-12 ans alors,
cette différenciation est suffisamment établie pour lui permettre de raisonner sur de simples propositions et même sur des propositions auxquelles «il ne croit pas ou pas encore,
c’est-à-dire qu’il considère à titre de pures hypothèses: il devient donc capable de tirer les
conséquences nécessaires de vérités simplement possibles, ce qui constitue le début de
la pensée hypothético-déductive ou formelle.» (Piaget & Inhelder, 1973, p. 105).
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Le développement cognitif
Diverses «structures» de raisonnement qui jusqu’ici étaient encore inaccessibles faute
d’un détachement suffisant du réel vont alors devenir possibles au cours de ce quatrième
stade du développement cognitif, le stade des opérations formelles. Ce détachement ne
sera cependant pas d’emblée immédiat et général. Dans la logique de l’adolescent, on
assistera alors pendant un certain temps à un mélange des logiques, de raisonnements
concrets et formels, au même titre que dans le développement physique s’observent pendant plusieurs années côte à côte des caractéristiques et des comportements matures et
immatures. Cette phase est appelée phase de préparation du stade formel.
N.B. Si ces nouvelles structures commencent à apparaître dans son raisonnement à peu près au même
moment qu’il devient pubère, on n’a cependant jamais pu mettre en évidence de lien de cause à effet entre
les deux phénomènes. Piaget estime cependant que «l’essor affectif et social de l’adolescence» (avait
pour) «condition préalable et nécessaire (..) une transformation de la pensée, rendant possibles le maniement des hypothèses et le raisonnement sur des propositions détachées de la constatation concrète et
actuelle. (Piaget & Inhelder, 1973), p. 103.
En résumé, on admet généralement que trois caractéristiques majeures distinguent la
pensée formelle de celle du niveau précédent. Ce sont :
• le détachement du réel
• la possibilité de raisonner sur des hypothèses
•la possibilité de situer le réel dans un ensemble de possibilités
Principaux acquis de la pensée formelle
Grâce à cette nouvelle décentration qui permet au besoin de se dégager par la pensée
des contraintes de la réalité, des avancées significatives deviennent alors possibles sur
différents plans et dans différents domaines. Nous examinerons tour à tour la combinatoire (APP) et les permutations (APP) (ACT: les permutations), le groupe des deux réversibilités ou groupe INRC (APP) (ACT: la balance), les schèmes opératoires formels (APP)
et l’induction des lois (APP).
La controverse à propos du stade formel
A la différence des stades qui le précèdent, le stade formel est parfois remis en question
en tant que stade, parce qu’il n’apparaît ni général ni global. Tout le monde ne semble pas
capable de raisonnement formel et, même ceux qui y parviennent, font preuve, dans de
nombreux domaines, de raisonnements de niveaux inférieurs.
L’une des raisons de ce phénomène pourrait bien tenir à la spécificité des situations utilisées par Piaget et ses collaborateurs pour diagnostiquer la pensée formelle. Celles-ci
sont en effet presque toutes tirées du domaine des sciences physiques ou mathématiques, domaines à l’égard desquels le degré de préparation et l’intérêt des individus varie
considérablement (voir L’évolution des intérêts à l’adolescence). Ainsi, les adolescents
ayant suivi une scolarité davantage orientée vers l’étude des disciplines scientifiques ou
ceux qui ont opté pour des formations professionnelles les mettant davantage en contact
avec les connaissances physiques et mathématiques seront plus à même de raisonner
formellement dans les épreuves piagétiennes que ceux qui auront abrégé leur scolarité
ou choisi des carrières faisant de moins larges emprunts aux sciences physiques. Piaget
lui-même l’a reconnu. «En un mot, on peut bien conserver l’idée que les opérations for3
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melles se libèrent des attaches avec leur contenu concret mais à condition d’ajouter «à
aptitudes égales» ou «à intérêts vitaux comparables». « (Piaget, 1970, p. 154-155.) (EXT).
Une autre raison pourrait être que le stade formel connaît certainement une phase de
préparation plus longue que les autres stades, phase durant laquelle l’adolescent sera
capable de raisonnements formels si la situation l’exige absolument mais où il préfèrera
utiliser des raisonnements qu’il maîtrise mieux, la logique concrète notamment, lorsque
cela demeure possible (Stone & Day, 1978). Une étude intéressante, menée par Webb
(1974) sur des enfants spécialement intelligents (QI supérieur à 160), montre une réduction de la durée de cette phase de préparation chez les individus à niveau intellectuel
élevé, mais pas une accélération du passage du stade des opérations concrètes au stade
opératoire formel. L’intelligence favoriserait ainsi la généralisation de la structure formelle
à différents domaines mais pas sa construction initiale.
Enfin, si la généralisation de la pensée opératoire concrète procède dans le même ordre
chez tous les individus (le schème de la conservation, par exemple, étant d’abord maîtrisé
pour le nombre, puis pour la substance, puis pour le poids et enfin seulement pour le
volume), l’ordre dans lequel le raisonnement formel se propagera dans les différents domaines dépendra largement de la familiarité que chaque individu entretient avec le domaine en question.
Conséquences comportementales de la logique formelle
L’âge des théories
Les nouvelles possibilités que lui ouvre le développement de la pensée formelle, la capacité de raisonner sur le possible et l’impossible aussi bien que sur le réel, peuvent inciter
l’adolescent à exercer sa réflexion sur de multiples sujets, avec d’autant plus de plaisir
qu’ils sont plus complexes et plus abstraits. Des sujets nouveaux pour lui, comme la
politique, la philosophie, la psychologie ou la morale en particulier vont alors recueillir ses
faveurs et susciter son intérêt parce qu’ils se prêtent à l’exercice du raisonnement abstrait. L’adolescent prendra même souvent un malin plaisir à soutenir les points de vue les
plus invraisemblables, pour le plaisir de tester les limites de ses capacités argumentatives,
et les réactions que son esprit peut susciter chez son entourage. Il procèdera volontiers
de même sur des thèmes comme la sexualité, s’il ne parvient pas à répondre de manière
satisfaisante à l’émergence de ses nouveaux désirs. Anna Freud (1982) (BIO) y voit la
construction d’un mécanisme de défense particulier à l’adolescence, qu’elle nomme intellectualisation.
Le besoin d’explications logiques
Corrollairement, l’adolescent apprécie de moins en moins de la part des autres les explications qui ne lui paraissent pas basées sur la logique. Tout spécialement lorsque cellesci proviennent de ses parents, personnalités auxquelles il est tenté de se mesurer sur le
plan intellectuel également. Un certain nombre des discussions animées dans lesquelles
l’adolescent se lance avec eux proviennent alors ni plus ni moins de ce simple besoin de
justification logique des décisions qu’ils prennent à son égard.
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Le développement cognitif
Progrès dans la construction de son identité
Dans le chapitre consacré au développement de l’identité, on peut voir que celui-ci donne
volontiers lieu, durant l’adolescence, à ce qu’Erikson (1972)(BIO) a appelé une crise d’identité. Plusieurs auteurs estiment que l’accès au stade formel est capital pour une bonne
résolution de cette crise (Kalbaugh & Haviland, 1993; Wagner, 1987). La logique formelle
lui permet en effet d’imaginer de manière consistante un grand nombre d’alternatives
possibles, d’étudier de multiples projets d’existence, même sans les expérimenter directement; elle lui donne aussi la possibilité d’étudier de manière exhaustive différentes combinaisons de choix de carrière, d’idéologie et de rôle social. Mais cette capacité d’imaginer pour lui-même différents «scénarios de vie» va tout d’abord contribuer à faire monter
chez le jeune adolescent des sentiments de doute et d’inconfort à l’égard des choix qu’il
fait (Chandler, 1987). Ce n’est souvent que bien plus tard dans l’adolescence que l’analyse logique des alternatives qui lui sont ouvertes et l’adhésion à des valeurs raisonnées
lui permettra de faire redescendre cette inquiétude momentanément allumée par la montée en puissance du raisonnement formel.
Le raisonnement des adolescents en situation
La plupart des situations utilisées par Piaget (BIO) pour mettre en évidence les caractéristiques de la logique des adolescents et le stade formel (voir pour plus de détail le EXT)
visent avant tout la logique «pure»; elles ne présentent bien souvent qu’un minimum de
relations avec des situations de la vie de tous les jours. Des constatations analogues à
celles que Piaget a dégagé sur ces situations «factices» peuvent cependant être faites
dans l’observation courante des adolescents. Ainsi Keating (1990) relève, par exemple,
que la capacité de prendre des décisions adéquates dans la vie de tous les jours est bien
présente chez les adolescents mais qu’il faut peu pour qu’elle ne soit pas utilisée. Une
observation analogue peut cependant également être faite auprès d’adultes.
Le développement du raisonnement scientifique
Cauzinille-Marmèche, Matthieu et Weil-Bravais (1982) ont étudié la manière dont les
préadolescents formaient puis testaient leurs hypothèses en classes d’observation scientifique. Comme le remarquent ces auteurs, les phénomènes examinés dans ces enseignements (la combustion d’une bougie, la croissance des plantes, la moisissure du pain,
etc...) sont souvent complexes et «dépendent de nombreux facteurs, le plus souvent en
interaction, un certain nombre d’entre eux étant par ailleurs difficilement contrôlables,
surtout dans les conditions de réalisation de ces expériences en classe.» (p. 24).
Leurs analyses révèlent que la manière de procéder des préadolescents dépend grandement de la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des tests des hypothèses avancées. Lorsque ceux-ci sont difficiles à produire, par exemple parce qu’il faut du temps
pour savoir pourquoi le pain moisi ou comment les plantes germent, la moitié au moins
des sujets interrogés ont été capables d’élaborer des plans correspondant à une combinatoire sur plusieurs facteurs, c’est-à-dire un plan factoriel complet. Lorsque, par contre,
les tests ne sont pas coûteux, comme lorsqu’il s’agit de savoir pourquoi une bougie placée sous un verre s’éteint plus ou moins vite, les préadolescents tendent alors à ne tester
qu’un seul facteur à la fois, sans réel plan; on observe alors beaucoup de redondance
dans les essais, et un manque d’efficacité de la démarche de recherche, nombre d’informations déjà obtenues au cours d’un test précédent étant simplement testées à nouveau.
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Le développement cognitif
En ce qui concerne les conclusions que les préadolescents tirent des observations effectuées, Cauzinille-Marmèche, Matthieu et Weil-Bravais observent qu’ils se comportent volontiers dans les situations «naturelles» comme dans les cas de pures activités de classification; un seul test leur semble souvent suffire pour décider de la validité de telle ou telle
hypothèse, même dans des situations qui admettent pourtant des fluctuations importantes comme la durée de résistance d’une bougie à l’étouffement. D’autre part, ils n’utilisent
généralement, pour conclure à l’effet ou à l’absence d’effet d’un facteur, qu’une partie des
données disponibles, le plus souvent deux résultats seulement, sans tenir compte des
interactions possibles - et souvent présentes - entre facteurs dans les phénomènes naturels.
On remarquera toutefois que de telles lacunes de raisonnement s’observent aussi chez
nombre d’adultes; sur bien des points en effet, s’ils ne raisonnent pas encore comme des
experts des domaines étudiés, les adolescents sont souvent capables, en matière scientifique, de réfléchir à peu près aussi bien que ne le font les adultes non spécialistes du
domaine en question.
L’impact des connaissances spécifiques sur le raisonnement des adolescents
De nombreux travaux de recherche montrent que les erreurs de raisonnement qu’on peut
observer chez les adolescents sont davantage liées à la présence de connaissances
insuffisantes ou erronées des phénomènes ou des situations sur lesquels ils sont appelés
à se prononcer qu’à des erreurs de logique proprement dite. Des conceptions dites erronées (misconceptions en anglais) sont à cet âge encore particulièrement fréquentes dans
des matières scientifiques comme la physique ou la biologie. Ainsi, nombre d’adolescents
continuent par exemple à confondre poids et volume (Linn, 1983), température et chaleur
(Carey, 1986), ou à croire que les aliments sont réduits en molécules par la digestion puis
acheminés tels quels par le sang dans les différents organes (Giordan, 1983).
Un enseignement approprié de ces matières permet souvent d’améliorer sensiblement le
raisonnement des adolescents, prouvant que les erreurs qu’on y observe ne sont pas la
conséquence de structures intellectuelles insuffisamment développées mais de connaissances encore mal assurées. Des travaux de didactique des sciences montrent même
que certaines conceptions erronées que détiennent les adolescents dans les disciplines
scientifiques sont directement imputables aux enseignements reçus. Ainsi, Joshua et Dupin,
1989) montrent que les difficultés que l’on rencontre chez les étudiants dans leurs raisonnements à propos du courant électrique peuvent se trouver renforcées par des pratiques
pédagogiques visant à présenter le courant comme des wagons sur des rails ou de l’eau
circulant dans des tuyaux.
L’évolution des intérêts à l’adolescence
Toutes les nouvelles pistes que l’adolescent explore au niveau relationnel, tous les phénomènes nouveaux qu’il sent gronder en lui mobilisent une part importante de son énergie intellectuelle et entraînent un resserrement de ses intérêts.
Au niveau de la population adolescente, on assiste par contre à une diversification considérable de l’éventail des intérêts, même si certains domaines, comme la musique, le
cinéma ou l’argent de poche par exemple sont des sujets qui les préoccupent tous.
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Le développement cognitif
Evolution différenciée selon le sexe
L’intérêt pour et les compétences en mathématiques
L’observation commune comme les enquêtent l’attestent: les filles choisissent (encore?)
moins volontiers les carrières scientifiques que les garçons. On trouve également
significativement moins de filles dans les études scientifiques. A quoi faut-il attribuer ce
phénomène? Des différences d’intérêt pour voire de compétence en mathématiques existent-elles dès le début de la scolarité?
La réponse à ces questions est clairement négative. Une recherche de Sherman (1980)
résume bien les principales constatations que l’on peut faire à cet égard. L’auteur y conduit une double comparaison, à 15 et à 18 ans, des compétences et des attitudes des
filles et des garçons en mathématiques. Le tableau annexé présente les principaux résultats de cette recherche (EXT).
A 15 ans (degré 8), on n’observe pas de différences de compétences en mathématiques,
ni en matière de connaissance des concepts ni en résolution de problèmes; à 18 ans par
contre, les performances des garçons sont supérieures à celles des filles dans ces deux
domaines. Ces observations sont étayées par de très nombreuses recherches qui tendent à montrer que des différences de performances en mathématiques selon le sexe des
élèves ne s’établissent véritablement qu’aux alentours de la 10 ème année de scolarité,
donc au-delà de la scolarité obligatoire.
L’évolution des attitudes à l’égard des mathématiques évolue de manière sensiblement
identique. Entre 15 et 18 ans, le déclin des attitudes des filles est significatif, tant en
termes de confiance dans leurs propres capacités à apprendre les mathématiques (ligne
5 du tableau annexé), qu’à l’égard des mathématiques et de leur utilité (ligne 3 du tableau
annexé). Chez les garçons, par contre, si le déclin de leur confiance en eux-mêmes à
l’égard des mathématiques est également réel entre 15 et 18 ans, leur attitude à l’égard
des mathématiques et de leur utilité s’améliore entre 15 et 18 ans.
Le travail de Sherman montre également que la perception qu’ont les filles des mathématiques en 8ème prédit de manière significative les évolutions ultérieures. Ainsi, plus elles
considèrent les mathématiques comme un domaine pour garçons, en 8ème, plus leurs
performances en mathématiques en 11ème tendront à être faibles et plus leur confiance
dans leurs capacités à apprendre les mathématiques sera basse. Une étude de Xin Ma
(1995) permet de constater que la légère différence qui apparaît au secondaire supérieur
entre les filles et les garçons en mathématiques, ne concerne véritablement que les performances en géométrie, alors que les niveaux atteints en algèbre (EXT) demeurent équivalents entre les sexes, même à ce niveau de scolarité.
Ces recherches, ainsi que les nombreuses autres recherches conduites sur cette question, montrent donc à l’évidence :
- qu’il n’y a pas de différence génétique de capacités en mathématiques imputable
au sexe
- les différences qui apparaissent à l’adolescence tardive ne concernent que certains secteurs bien spécifiques des mathématiques, la géométrie en particulier.
- ces différences reposent essentiellement sur des différences d’attitudes et d’intérêts à l’égard des disciplines et des carrières mathématiques.
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Différentes recherches montrent que l’entourage des adolescents pourrait bien exercer
également une certaine influence sur l’émergence de ces différences d’attitudes et d’intérêts pour les mathématiques à l’adolescence. Ainsi, les attentes de réussite dans les disciplines scientifiques de la part des parents et des maîtres sont en effet généralement plus
importantes envers les garçons qu’envers les filles. Parallèlement, les pères de garçons
estiment les mathématiques moins difficiles pour leurs enfants que les pères de filles;
enfin, si les mères assistent volontiers leurs enfants dans leurs devoirs quelle que soit la
matière durant l’école élémentaire, ce sont les pères qui le plus souvent aident leurs
enfants dans leurs devoirs de mathématiques durant leur scolarité secondaire (Ernest,
1976).
Les capacités spatiales des filles et des garçons
On vient de le voir, l’apparition d’un avantage en mathématiques en faveur des garçons
vers la fin de l’adolescence tient principalement à une supériorité des garçons en matière
d’aptitudes spatiales. Y aurait-il là une différence génétique défavorisant les filles et les
rendant moins aptes à embrasser certaines carrières dans lesquelles les aptitudes à raisonner sur l’espace sont déterminantes?
La question est plus complexe qu’il n’y paraît et les résultats expérimentaux montrent qu’il
faut distinguer, à l’intérieur des capacités spatiales, des habiletés plus spécifiques encore, la perception spatiale, la rotation mentale et la visualisation spatiale.
La perception spatiale est la capacité de percevoir et d’utiliser des repères spatiaux absolus comme l’horizontale ou la verticale, quelle que soit sa propre position dans l’espace.
La rotation mentale (ACT) recouvre la capacité de manipuler mentalement un objet dans
l’espace, (2 ou 3 dimensions), de se représenter l’allure qu’aurait un certain objet dans
une autre position ou vu sous un autre angle. Enfin, la visualisation spatiale est la capacité de traiter des représentations spatiales, telles que cartes, schémas ou photos et d’analyser le contenu d’une image en termes de relations spatiales entre les objets représentés.
Linn et Petersen (1985) ont étudié la littérature relatant des différences entre les filles et
les garçons en termes d’aptitudes spatiales et ont distingué les travaux selon l’habileté
spécifique qu’ils étudient. Les analyses donnent alors les résultats suivants:
Il existe une différence de performance en faveur des garçons en matière de perception
spatiale mais celle-ci n’apparaît pas d’emblée; Block et Block (1982) observent même un
avantage en faveur des filles à 4 ans. La différence se fait ensuite progressivement, mais
elle n’est significative que vers 11 ans; à 18 ans, l’écart représente un tiers d’écart-type.
Liben et Goldbeck (1984) ont cependant montré que l’instruction peut réduire voire faire
disparaître cette différence entre les sexes.
Une différence persistante existe par contre en matière de rotation mentale. Son importance ne semble pas dépendre ici de l’âge des sujets; elle est en effet présente dès que la
notion peut être mesurée, soit vers 10-11 ans. Une analyse plus fine montre cependant
que cette différence tient davantage à une différence d’attitude à l’égard de l’activité qu’à
une différence de capacité proprement dite. Le taux d’erreur dans les réponses est en
effet assez semblable entre les filles et les garçons mais c’est le plus grand délai que les
filles s’octroient avant de répondre qui fait qu’elles complètent moins d’items que les gar8
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çons dans un même temps. C’est donc en termes de différence d’attitude par rapport à la
prise de risque et d’acceptation de l’erreur, plutôt qu’en termes de différence de capacité
intrinsèque, qu’il faut comprendre ici encore la différence filles-garçons dans les épreuves
de rotation mentale.
En ce qui concerne la capacité de visualisation spatiale, aucune différence significative
n’a pu être mise en évidence entre les filles et les garçons. Reprenant 32 études comparatives, Maccoby et Jacklin (1974) constatent que 24 d’entre elles ne dégagent aucune
différence alors que sur les 8 études restantes, 5 sont en faveur des garçons et 3 en
faveur des filles. Aucune évolution systématique avec l’âge de la différence de performance entre les filles et les garçons n’a pu être mis en évidence non plus, même dans les
études longitudinales (Block & Block, 1982).
En conclusion, on retiendra ici qu’il n’y a que peu de différences entre les filles et les
garçons en matière de compétences spatiales (on estime que le sexe n’est responsable
que de 1 à 5% de la variabilité des performances), et que les quelques différences observées pourraient bien être dues à des différences d’attitudes (cf rotation mentale) ou d’entraînement et non pas d’aptitudes à traiter ou à utiliser l’espace (cf perception spatiale).
Sexe, personnalité et apprentissage d’une langue seconde
Au contraire des mathématiques, les résultats en langues et dans les disciplines littéraires
sont à l’avantage des filles. Les langues étant avant tout un moyen de communication
entre les individus, un effet du type de personnalité est également visible à ce niveau.
Ainsi, les personnalités extraverties obtiennent en effet de meilleurs résultats dans les
tests de langue que les personnalités introverties.
Psychologie pédagogie : l’adolescent
Cours du Prof. Jean-Luc Gurtner
Université de Fribourg (Suisse)
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