8 ans et déjà au régime - Eki-Lib
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Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime 8 Ans et Déjà au Régime La dictature de la minceur ne s’exerce pas seulement sur les adultes. Sur les enfants aussi. Les régimes ne leur font pas peur, loin de là! Ils s’y adonnent de plus en plus tôt, même s’ils ont un poids tout à fait normal. Coup d’œil sur cet inquiétant phénomène. I l y a une vingtaine d’années, 80% des Américaines suivaient leur premier régime amaigrissant à l’âge de 14 ans. En 1987, une étude californienne révélait que 80% des fillettes de 9 ans en avaient déjà suivi au moins un! Les statistiques n’ont guère changé. On peut même croire que la situation s’est détériorée. Car il n’est pas rare de voir des enfants – majoritairement des filles – de 7 et 8 ans surveiller leur alimentation. Comme cette petite de 7 ans à qui j’offrais, il y a quelques années, un morceau de gâteau. Elle l’a poliment refusé parce qu’elle ne voulait pas engraisser! De quoi donner la chair de poule. « Déjà au primaire, les filles se transmettent des trucs pour maigrir », confirme Louise Mercure, psychologue spécialisée en troubles alimentaires. Bref, à l’instar de leurs aînées, les fillettes sont devenues les « Food Victims » d’une société obsédée par le culte de la minceur. Pourquoi cette obsession? Tout le monde s’accorde sur un point : à l’adolescence, l’image corporelle est cruciale. Les gars désirent un physique musclé; les filles souhaitent un corps svelte, voire filiforme. Or, le corps des filles se transforme à l’encontre de leur désir puisqu’il s’arrondit, alors que celui des garçons change selon leur souhait en devenant plus musclé. Angoisse et déception chez bien des adolescentes. Mais pourquoi donc des jeunes filles en santé rêvent-elles tant à un corps qu’elles ne pourront jamais avoir? par Jacqueline Simoneau Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime Le cinéma, la publicité, les magazines nous bombardent d’images de vedettes décharnées que les adolescentes prennent pour modèles. « Elles déduisent de ces images que succès égal minceur », soutient Josiane Gagnon, diététiste et intervenante à l’école secondaire Le Prélude de Mascouche. Dans un tel contexte, le miroir ne peut que leur renvoyer une image peu flatteuse d’elles-mêmes : elles sont grosses, laides, difformes. Et elles le croient! Selon Dominique Meilleur, psychologue à la Clinique de l’adolescence de l’hôpital Sainte-Justine, il y a plus encore. « L’attitude des parents joue un rôle capital dans le désir de maigrir des jeunes, précise-t-elle. Les mamans obsédées par leur apparence transmettent clairement le message du corps objet de culte. Les filles qui entendent, ne serait-ce qu’une ou deux fois par semaine, leur mère dire : « Je suis trop grosse »… « C’est terrible, je suis trop serrée dans mes vêtements »… « Il faut que je me mette au régime », finissent par adopter ce modèle. Et les pères qui s’entraînent vigoureusement, surveillent leur poids et leurs aliments? Eux également risquent de transmettre cette obsession à leurs enfants. Parfois aussi, certains commentaires des parents – « Tu deviens un peu ronde, il faudrait que tu maigrisses! » - mettent une pression énorme sur l’enfant, qui veut tout faire pour plaire. En plus, il n’est pas rare que des parents restreignent l’alimentation de leur enfant dont le poids est pourtant normal. » « À l’adolescence, après les modifications hormonales et le phénomène normal de développement, le pourcentage de gras passe de moins de 12% à 23%, précise Josiane Gagnon. Naturellement, le corps paraît plus enrobé. C’est souvent à ce moment que des parents décident de bannir certains aliments. En agissant ainsi, ils risquent de faire naître chez leur jeune un véritable problème par rapport à la nourriture. » Enfin, c’est un secret de polichinelle : les filles veulent maigrir pour séduire. Mais la maigreur séduit-elle vraiment les gars? En bien, non. C’est ce que démontre un petit test mené auprès de jeunes de deux écoles secondaires, l’une dans Lanaudière et l’autre sur la Rive-Sud (dans le cadre du programme « Bien dans sa tête, bien dans sa peau », qui est destiné à promouvoir en milieu scolaire une image corporelle saine en éveillant le sens critique des jeunes devant les messages ambiants, en les aidant à mieux résister à la pression des pairs et des médias et en adoptant de meilleures habitudes de vie). Il s’agissait d’identifier, à partir des images présentées (en ordre croissant de grosseur), la silhouette idéale. Les résultats ont démontré par Jacqueline Simoneau Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime un écart certain entre la silhouette que beaucoup de filles souhaitent et celle que préfèrent les garçons. En effet, les garçons ont choisi majoritairement (65%) une silhouette bien en chair sans être grosse, alors que la silhouette retenue par les filles n’attirait que 13% des garçons. Autre constatation : seulement 26% des filles souhaitaient conserver leur silhouette, comparativement à 40% des garçons. C’est tout dire LES CONSÉQUENCES DE L’AMAIGRISSEMENT Les fluctuations de poids entraînent des effets peu enviables. D’abord, l’organisme lésé dans ses besoins de calories met au point une sorte de défense et s’habitue à en consommer de moins en moins. Mais à l’arrêt d’une diète, il se met à les emmagasiner sous forme de graisse. Les régimes provoquent par ailleurs une diminution du métabolisme basal, celui qui assure les fonctions vitales (battements du cœur, fonctionnement du système respiratoire et digestif, maintien de la température du corps et de l’activité cellulaire) d’un individu au repos. Pour s’activer rondement, ce métabolisme doit utiliser environ 75% de l’énergie ingérée dans une journée. Les autres 25% servent aux différentes activités de la journée. Le hic, c’est qu’en suivant une diète, on diminue l’apport énergétique. Or, l’énergie employée pour les activités quotidiennes étant immuable, c’est le métabolisme basal qui écope. Il doit fonctionner avec mois d’énergie. Résultats : cœur au ralenti, cerveau moins bien irrigué, système immunitaire affaibli. La personne au régime devient forcément fatiguée, irritable, moins performante. Enfin, on note des répercussions sur la formation des os qui, à l’adolescence, sont en pleine croissance : environ 45% de la masse squelettique se forme à cet âge. Les adolescents ont absolument besoin de grandes quantités de calcium et de vitamine D. Et, bien entendu, une diète entraîne non seulement une perte du gras, mais aussi du tissu musculaire. par Jacqueline Simoneau Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime Le plan minceur des jeunes À la poursuite de l’idéal physique, les adolescentes mettent à leur programme quotidien des repas incomplets ou irréguliers, sinon carrément escamotés – particulièrement le petit déjeuner. « Mon mari et moi quittons la maison tôt le matin, juste après le réveil de Maude, raconte Julie. Je croyais qu’elle prenait le temps de déjeuner avant son départ pour l’école, du moins c’est ce qu’elle disait. Mais un jour je l’ai entendue dire à une amie qu’elle ne déjeunait jamais et, pire, qu’elle donnait une partie de son lunch à un copain. Heureusement qu’elle s’alimente bien au souper… » Le cas n’est pas rare. En fait, pour perdre du poids, les adolescentes sélectionnent avec soin leurs aliments. Fruits et légumes constituent souvent leurs aliments fétiches. « À cause des fibres qu’ils renferment, ils agissent un peu comme un laxatif », me raconte Stéphanie, une ado de 14 ans. Le yogourt léger trouve également preneuse. Bref, d’excellents aliments en soi, mais qui sont nettement insuffisants pour combler tous les besoins nutritifs quotidiens de nos ados. Parfois aussi, les choix s’avèrent moins heureux. « Souvent je me contente d’une boisson gazeuse et d’un sac de chips », affirme Sarah, 12 ans. Évidemment, l’alimentation restreinte n’est qu’une première étape dans la quête de la minceur. De plus en plus d’adolescentes s’adonnent à des sports très intenses afin de perdre davantage de poids. La pratique de certaines disciplines peut également accentuer chez elles le désir d’être filiformes. Il n’y a qu’à penser à la gymnastique, au patinage artistique, à la natation et à la danse, toutes des activités où l’apparence et le poids sont très importants. On s’en doute : les ados risquent de compromettre leur développement par une consommation réduite de calories et une alimentation peu variée, qui les privent d’éléments essentiels à leur croissance. Plus encore, après une période de privation, le corps se charge d’emmagasiner davantage de graisses afin de se protéger contre une nouvelle baisse. Résultat : une prise de poids un peu plus importante après chaque diète. Nos filles le savent-elles? par Jacqueline Simoneau Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime Obsédées jusqu’à la maladie L’obsession du corps conduit parfois à des troubles alimentaires très sérieux, comme l’anorexie, qui consiste à se priver très sérieusement de nourriture. Si votre adolescente maigrit beaucoup et souffre d’aménorrhée (arrêt des menstruations), il faut consulter sans tarder. « L’anorexique type est une jeune fille (9 filles pour un garçon!) âgée de 14 ans, précise Dominique Meilleur. Elle réussit très bien à l’école, dans ses activités culturelles et sportives, et elle est perfectionniste. Aux yeux des parents, c’est souvent l’enfant modèle. » Comme elle recherche le corps parfait et la perfection en tout, l’anorexique cadre parfaitement dans les milieux scolaires fortement axés sur la performance. « La personne qui restreint son alimentation perd beaucoup de poids et de tissu adipeux, ce qui entraîne l’arrêt des menstruations et augmente en plus les risques d’ostéoporose », mentionne Marie-Paule Gaudreault, infirmière à la Clinique de l’adolescence de l’hôpital Sainte-Justine. Autres signes cliniques de l’anorexie : une diminution du rythme cardiaque, de la tension artérielle et de la température corporelle, ainsi que l’apparition d’un fin duvet sur la peau. Avoir l’œil ouvert Il existe un très grand nombre d’approches pour traiter l’anorexie. Mais la plus efficace, et celle qui offre les meilleurs résultats à long terme, semble être la psychothérapie combinée avec un suivi médical et nutritionnel régulier. Le processus de guérison peut s’étendre sur des mois, souvent même sur des années. On a donc intérêt à ne pas fermer les yeux devant le phénomène de la minceur à tout prix. D’autant plus que, selon Josiane Gagnon, les garçons – désormais plus conscients de leur image corporelle et influencés par les stars du cinéma et les mannequins – emboîtent le pas et rêvent à leur tour d’un corps plus mince. La belle affaire! par Jacqueline Simoneau Société - Novembre 1999 8 ans et déjà au régime Conseils aux parents * Entretenir d’abord une relation positive avec son propre corps et avec les aliments. L’obsession de la minceur chez les jeunes filles provient souvent de l’insatisfaction de la mère quant à son apparence. * Discuter avec les enfants de la perception de leur image corporelle. Les informer également des subterfuges utilisés par la publicité et le cinéma : images habilement retouchées, utilisation de doublures prépubères, etc. * Renseigner les jeunes sur les aliments les plus énergisants et les plus bénéfiques pour leur corps, sans pour autant interdire les autres. * Éviter les aliments récompenses (barre de chocolat, croustilles, etc.) après une activité sportive, un travail satisfaisant… * Bannir les commentaires désobligeants sur l’apparence. * Encourager les activités physiques plaisantes. * Établir un horaire de repas structuré, à heures fixes. * Aider ses enfants à acquérir et à conserver une bonne estime d’eux-mêmes c’est connu, les adolescentes qui n’aiment pas leur corps ont une faible estime d’elles-mêmes. Voir à ce qu’ils aient divers intérêts dans la vie. * Valoriser ses enfants le plus souvent possible. * Respecter la morphologie – programmée génétiquement – des enfants. Il en existe trois types : l’ectomorphe (Kate Moss), le mésomorphe (Marilyn Monroe) et l’endomorphe (Francine Ruel), et aucun régime ne peut rien y changer. Des ressources -Clinique de l’adolescence de l’hôpital Sainte-Justine, (514) 345-4721. -Collectif action alternative en obésité (CAO), (514) 270-3779. -Association d’aide aux personnes souffrant d’anorexie et de boulimie, (514) 671-6131. -Le CLSC de sa région par Jacqueline Simoneau