Poésie d`amour - Textes et lectures analytiques

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Poésie d`amour - Textes et lectures analytiques
A une Passante
Le poète décrit la vision fugitive d’une femme : C’est un poème de la séparation.
Problématique : Comment Baudelaire parvient-t-il à traduire le caractère éphémère de cette
rencontre ?
I – SITUATION DE COMMUNICATION :
Cette rencontre se réalise dans un contexte sonore. Celui-ci est souligné par son aspect
déplaisant. C'est tout le vacarme de la rue moderne qui est exprimé : le poème commence
lorsque le poète, caractérisé par le « je », déambule dans une ville qui l’agresse
(personnification de la ville [1]). Il croise dans la rue une femme (3) avec qui il se sent en
harmonie immédiate. Fasciné par elle, il la décrit puis la tutoie quand elle disparaît. Il est
important dès le premier vers de voir que si la rencontre entre le poète et la passante ne passe
que par le regard, c'est que la communication verbale est impossible
Tout son aspect physique touche le poète. L’agression auditive disparaît pour laisser
place à cette apparition majestueuse. Cette femme apparaît merveilleuse et parfaite en
harmonie avec son physique digne d’une statue. (lexique de la femme)
II – VERSIFICATION :
Tout le caractère éphémère de la rencontre, la séparation constitue le poème. En effet,
le sonnet (alexandrin) permet de différencier la rencontre de la séparation : les tercets mettent
en valeur le caractère rapide de l’instant de la rencontre.
Les rimes, dans ces tercets, mettent aussi en évidence deux aspects de la réalité du
poète : la beauté éternelle de la femme (9-11) et l’absence de vie, la solitude du poète (10-12).
III – STRUCTURE GRAMMATICALE :
Dès la rencontre, la phrase semble s’allonger comme pour indiquer que le temps
s’arrête pour le poète (3 phrases dans les quatrains). Cela change avec les tercets qui marquent
le retour à la réalité et l’éloignement de la femme. La présence exceptionnelle de la passante
est d'abord marquée par l'insistance que met le poète à souligner son allure par le rythme
ample de la phrase qui s'étend sur quatre vers et qui contient son portrait en mouvement. Le
vers 2 est ponctué de façon à délimiter des groupes de longueur croissante et précède la
régularité des vers 3 et 4. Dans le vers 4, les quatre groupes de trois syllabes impriment
rythmes et harmonies de la démarche. Quant au vers 5, il constitue du point de vue de la
structure une sorte d'enjambement sur le deuxième quatrain et surtout élargit le portrait en
apportant des éléments d'ordre moral. Ici, la beauté morale se joint à la grâce du corps et
aboutit à l'idéalisation de la beauté dans l'expression « avec sa jambe de statue ». Dans le 1er
quatrain, l'expression « en grand deuil » évoque la tristesse et le malheur. Pour Baudelaire, la
notion de tristesse accompagne celle de beauté.
Au contraire, les points de suspension (9), les points d’exclamation et les coupes des
vers 9, 12, 14 soulignent cette rupture déchirante (renforcée par la césure dans ces vers). Ils
soulignent de même l’opposition entre la lumière et sa disparition (9), l’éloignement du lieu
et du temps (12). Tout cet ensemble insiste sur le rapprochement impossible avec la passante,
accentuant l’idée de déchirement irrémédiable.
La rencontre fugitive est renforcée par le contre-rejet (2ème hémistiche du vers 9) et par
le chiasme du vers 13. L’apparition est caractérisée (10) dans une effet d’allongement et
d’insistance (sonorité « ai ») : c’est soudain. De même, le chiasme (13) avec le jeu des
pronoms et le parallélisme des verbes se rapporte à cette idée : l’impossibilité de rencontre
durable dans la ville. Le poète, par la structure de son poème, nous fait ressentir le
déchirement de la séparation.
IV – SIGNIFIE / SIGNIFIANT :
Face à cette beauté, le poète se sent transporté de bonheur (lexique des sentiments)
jusqu'à renaître à travers cette harmonie reconnue. Le narrateur, face à cette apparition, ne
peut être qu'un spectateur « paralysé », « fasciné », « médusé », souligné par le terme
« crispé » au vers 6. Le narrateur a une réaction émotionnelle incontrôlée. La comparaison au
vers 6 « comme un extravagant » souligne l'opposition des attitudes entre « elle » et « lui ».
Le verbe boire dénote l'avidité alors que le participe « crispé » indique que la paralysie de
l'attitude du poète est à la fois ardente et timide.
Cette femme belle et inconnue est une passante vue dans la rue : un regard, le bonheur
et c’est tout. Cet instant fugace a été un instant de bonheur intense, de vie. (indices de la
séparation). Ce poème nous montre la difficulté de rencontre durable dans la ville tout en
mettant en valeur la solitude du poète dans la foule.
Une allée du Luxembourg
L'intérêt de cette odelette réside dans l'évocation d’un coup de foudre, d’ une rencontre qui
ne se reproduira plus et qui mélange fantasme amoureux et regret du temps passé.
Problématique : Comment Nerval parvient-t-il à traduire le caractère éphémère de cette
rencontre ?
I – SITUATION DE COMMUNICATION :
Nerval évoque sans le décrire l'archétype féminin de la jeune fille. Tout est compris
dans cette façon générique de la nommer. Elle est bien plus qu' « une » jeune fille, puisque
l'article défini l’élève au rang de type universel. Dès lors, l'aura dont elle s'environne est tout
entière marquée par cette universelle nouveauté : sa vivacité et sa légèreté comparées à celles
de l'oiseau, la fleur symbolisant la beauté éphémère ou ce « refrain nouveau », tout aussi
indéfini, qui a pour charge de représenter le perpétuel recommencement de la nouveauté.
Face à cette grâce pleine de jeunesse, on devine en contraste, l'univers plus sévère de
l'homme âgé (énonciation et portrait) : « ma nuit profonde » est ainsi la métaphore d'un corps
ou d'un esprit tourmentés par quelque douleur physique. Plus que dans l'aveu, « ma jeunesse
est finie... », c'est dans le rythme entrecoupé du vers que l'on ressent tout le poids et toute la
tristesse de cette jeunesse envolée.
II – VERSIFICATION :
La forme choisie épouse ce parti-pris de jeunesse et de nouveauté. L'odelette, dans sa
simplicité, sa modestie même par rapport au sonnet, rencontre la présence irréelle de la jeune
femme. L'odelette est une forme légère qui s'apparente à la chanson populaire et convient
parfaitement ici au poète comme aux circonstances décrites : « une allée de Luxembourg ».
La brièveté de l'octosyllabe et sa rapidité, imitent de même la fascination du poète, la
succession rapide des émotions ressenties au passage de la jeune femme dont la « vivacité » et
la « prestance » sont tout entières reflétées par l'odelette.
Les rimes soulignent dans le premier quatrain, l’image de le jeune fille lumineuse,
tandis que dans le dernier quatrain, les rimes en ‘i’ montrent la fin (« finie », « fui »).
III – STRUCTURE GRAMMATICALE :
La temporalité du dernier vers résume tout le poème. Le brusque passage de l'imparfait
au passé composé (il délimite l'action et la parachève) conclut une série d'actions accomplies,
douloureusement envisagées comme déjà finies : « elle a passé » « doux rayon qui m'a lui ».
Au passé simple, Nerval préfère le passé composé afin de donner l'impression d'un événement
qui viendrait juste de se produire. Aussi est-il difficile d'établir si le portrait de la jeune fille,
le moment de son passage et les réflexions du poète sont simultanés ou successifs : tout arrive
dans une espèce de tourbillon atemporel, dont on sent qu'il n'a duré qu'un instant. Cette
brièveté n'exclut pas un fantasme élaboré. Le deuxième quatrain représente un surgissement
du rêve, lequel est signifié par l'emploi du conditionnel présent. « Peut-être » annonce l’espoir
de la découverte de l'âme sœur qui, pour n'être qu'une hypothèse, s'ancre immédiatement et
irrémédiablement dans un présent d'éternité : « C'est peut-être la seule au monde ».
IV – SIGNIFIE / SIGNIFIANT :
Si la déploration est encore sensible dans les métaphores opposées de l'obscurité et de
la clarté (v. 7 et 8), si le vers 9 résonne bien comme une lamentation, le reste de l'odelette n'en
est pas moins enlevée. Elle est d'ailleurs rythmée non par les soupirs du poète, mais par la
marche « vive et preste » de la jeune fille qui semble imprimer un balancement binaire à tout
le poème dès lors que le premier vers a donné le tempo : « Elle a passé, la jeune fille. » Ici, le
vers est parfaitement symétrique rythmiquement (4/4) et thématiquement puisqu’il met deux
fois en valeur le personnage féminin. Ce balancement binaire se retrouve dans le couple
d'adjectifs au vers suivant et dans la structure anaphorique des vers 3 et 4 : « A la main.../A la
bouche... ». C'est « l'harmonie » même sur laquelle s'extasie le poète au vers 11 ; de fait, c'est
le pas de la jeune fille qui ordonne et rythme en parfaite symétrie la composition du premier
quatrain.
La spontanéité des images évoquées participe de ce tourbillon sentimental : au vers 11,
la syntaxe est abandonnée au profit d'une succession d'expressions nominales « Parfum, jeune
fille, harmonie... » Tout rapport logique banni, ces trois termes créent une cadence rythmique
ternaire, signe d'un dernier abandon au fantasme avant la sentence finale qui elle, renoue avec
un rythme binaire. Dans cette soudaine bouffée onirique, on perçoit ensemble la sensualité du
parfum, la figure idéale de la jeune fille, une abstraction : intuition d'une harmonie, dont on ne
sait si elle est musicale, sentimentale (le thème de l'âme sœur ayant été évoqué) ou spirituelle.
Elle est le « bonheur » incarné.
Mon rêve familier
Mon rêve familier est l'occasion pour Verlaine d'évoquer la dure condition de poète
meurtri par son hyper sensibilité et de parler de lui même. Verlaine s'est caché derrière la
femme pour nous faire connaître son drame intérieur.
Problématique : Comment Verlaine évoque-t-il une femme consolatrice et sécurisante tout en
la rendant irréelle ?
I – SITUATION DE COMMUNICATION :
Le « je » de l'auteur s'adresse à un « tu » inconnu qui pourrait aussi bien être lui même
(soliloque). Il s'oppose au « elle » qui introduit le récit du rêve. Verlaine reprend le « je » qui
rappelle le mal-être du poète, pour nous suggérer peut-être que seul un être idéal pourrait
déchiffrer son cœur. Verlaine accentue sa présence à travers les multiples adjectifs possessifs
à la première personne, « mon front », « mon cœur ». Ces adjectifs renforcent l'idée que le
poète est bien le principal personnage du texte aussi indéfini, qui a pour charge de représenter
le perpétuel recommencement de la nouveauté.
Il n'est pas question d'une femme (lexique de la femme) en particulier mais de la
femme en général. Elle n'est pas nommée parce qu'elle n'a pas d'identité, parce qu'elle reste
floue. La figure féminine ne revêt pas mille visages successifs mais il s'opère des variations
légères d'un rêve à l'autre « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Verlaine a enfin
trouvé dans son rêve l'harmonie faite d'amour, de douceur et de compréhension « et qui
m'aime » « elle me comprend » (lexique des sentiments). C'est un stéréotype de femme mère
et de femme-femme soumise et pleine de compassion.
II – VERSIFICATION :
La forme choisie, le sonnet, met en évidence l’ambiguïté sur l’existence de la femme.
Les quatrains évoquent son rôle apaisant : les verbes aimer et comprendre dévoilent à quel
point la condition du poète est difficile et combien il a besoin d'être compris et aimé. Cette
quête de la réciprocité devient l'axe du poème. Les tercets, eux, insistent sur le rêve créateur,
sur l’incertitude. En réalité, Verlaine souhaite une femme idéale dont l’apparence physique
importe peu, parce ce qui compte est son rôle (amour, consolation, compréhension, douceur).
Verlaine n'a pas trouvé dans sa vie la femme qu'il cherche. Son existence est onirique,
elle est immatérielle. Verlaine ne se souvient même pas de son physique. Si au fil de la
progression, on observe la femme en tant que terme constant du poème, elle passe dans le vers
2 du rôle de « femme inconnue » à celui d'un sujet d'amour « que j'aime » puis d'un sujet
aimant « qui m'aime ». Dans le dernier tercet, elle s'éloigne complètement : « des voix qui se
sont tues ».
III – STRUCTURE GRAMMATICALE :
La temporalité du poème illustre cette recherche. Le temps présent avec l’adverbe
« souvent » et l’adjectif « familier » actualise et insiste sur la réalité habituelle du poète. Mais
les temps du passé (11 et 14) à la fin de chaque tercet, indiquent le souvenir : « je me
souviens », les souvenirs de Verlaine semblent s'être estompés avec le temps. Il ne se rappelle
plus du nom mais simplement de sa sonorité « doux et sonore ».
IV – SIGNIFIE / SIGNIFIANT :
Les répétitions (et anaphores) produisent un effet d'envoûtement pour mieux nous faire
pénétrer le charme de la parole (pouvoir magique de la voix du poète, de la voix de la femme
dans le dernier tercet). La conjonction « et » qui apparaît 6 fois dans la première strophe crée
l'effet d'une berceuse rythmique. La seconde répétition « elle seule » dans le second quatrain
connote à la fois le soulagement et le regret, soulagement pour Verlaine d'avoir trouvé même
si ce n'est qu'en rêve l'harmonie faite d'amour, de douceur et de compréhension, mais aussi
regret qu'il n'en existe qu'une seule qui puisse l'aimer et le comprendre.
Cette femme rêvée apparaît dans les vers 11 à 14 sous le signe de la mort « étrange et
pénétrant ». En effet ce rêve ne se déroule pas de façon classique, superficielle sur l'écran des
nuits de Verlaine mais poursuit le poète au delà du rêve et s'installe en lui au point de
l'envahir. L'idée de mort, des défunts n'est que suggérée, atténuée par l'euphémisme du
silence, les « aimés que la vie exila » et « des voix qui se sont tues ».
Par l'exclamation « hélas », Verlaine déplore peut-être qu'une seule personne et qui
plus est appartenant au monde du rêve puisse l'aimer et le comprendre. Il peut également
déplorer que cette femme appartient au royaume des morts, et dans ce cas sa créature de rêve
ressemble plus à un ange. Les deux interrogations nous le confirment. Il ne s'agit pas du rêve
d'une rencontre possible mais au contraire de celui d'une rencontre impossible. La femme de
Verlaine manque de précision, elle est envisagée d'une façon globale et abstraite. Mais le rêve
et la réalité se rejoignent sur l’important : par la répétition de ce rêve, le femme en devient
presque réelle.
Poème à Yvonne
Dans un de ses premiers poèmes (1903), Apollinaire évoque une mystérieuse jeune fille,
seulement aperçue à sa fenêtre ou en promenade.
Problématique : Comment Apollinaire transforme la vision fugitive d’une femme en une
rêverie lyrique ?
I – SITUATION DE COMMUNICATION :
Le poème d’Apollinaire est un poème d’amour marqué par le sceau de l’anonymat.
L’énonciation sépare les deux êtres : le pronom « vous » marque une distance entre la jeune
fille et le poète qui, pour elle, est aussi un inconnu. A aucun moment, la « voisine » ne le
regarde. La quasi-absence du « je » souligne que le poète est comme physiquement absent du
poème. Il est inexistant pour elle.
Cette distance et cet effacement permettent à Apollinaire de s’adresser à elle
directement : il l’invoque (« ô ») comme si sa « voisine » était une sorte de divinité, un être
inaccessible, un être de rêve. « Mélusine », « fée », « voisine » sont ainsi les trois mots répétés
le plus souvent dans ce poème. Femme mystérieuse, féerique, elle semble être la femme
idéale pour le poète : l’invoquer, c’est se rapprocher d’elle.
II – VERSIFICATION :
La forme choisie est classique : quatre quintils en alexandrins. C’est plus
l’organisation qui donne un sens à ce poème. Sur les 20 vers, 9 rimes finissent par le même
son : « ine », la voisine. Cela donne au poème une musicalité tendre.
Les rimes soulignent à la fois la proximité (le rêve) et la distance (la réalité) de leur
relation. En effet, la structure des deux premières strophes est identique (ABBAA). Cette
régularité, axant les rimes autour du son doux et musical « ine » indique la joie, le plaisir,
l’harmonie qu’il ressent en la regardant. Au contraire, les deux dernières strophes ont une
structure irrégulière (CDCAC ; DDCAA). Le rêve de la proximité est brisé : elle est
inaccessible. Le dernier vers se hache en trois parties comme s’il montrait l’interrogation,
l’incertitude du poète. Il ne sait pas vraiment qui elle est.
III – STRUCTURE GRAMMATICALE :
La temporalité renforce cette dualité du poème : si le présent est lié aux deux
premières strophes, on trouve l’imparfait dans les deux dernières. Ainsi, le présent s’associe
au pronom « vous » et à des verbes qui décrivent la voisine telle qu’il la perçoit. Au contraire,
l’imparfait s’associe au seul verbe conjugué de la deuxième partie. Ils semblent traduire
(« s’appelait ») un effet terminé (renforcé par l’adverbe « autrefois ») comme si le rêve s’était
heurté à la réalité. En même temps, le pronom « vous » disparaît. Avec la réapparition de ce
pronom, une certaine mélancolie ressort de ce poème. Cette mélancolie est confirmée dans la
dernière strophe : le vers 17 (« feuilles mortes » ; « après les vendanges ») donne la sensation
de l’écoulement brutal du temps avec beaucoup de nostalgie.
Le rejet du vers 12 sur le mot « lointains » traduit l’éloignement effectif.
IV – SIGNIFIE / SIGNIFIANT :
Mais ce qui donne toute la force à ce poème d’amour, c’est l’évocation de la jeune
femme à travers un réseau d’images variées et riches. L’ « oiselle » est d’abord comparée à
une fleur (métaphore végétale). Elle aussi la femme-saison. Elle représente la tendresse, un
résumé de la vie (jeunesse et maturité). Elle prend ainsi l’aspect de la Madone qu’on
respecte, qu’on adore : la figure de la mère.
Elle est aussi une femme se métamorphosant (métaphore animale) : femme oiseau,
femme serpent, elle semble être pour le poète quelqu’un d’indescriptible (seule sa bouche est
décrite). Si elle est capable d’être aussi ensorceleuse, c’est qu’elle serait donc la « fée
Mélusine », belle à damner tous les saints (métaphore féerique). Elle prend une dimension
sensuelle, serpentine, mi-démone, mi-humaine. Le poète lui donne ainsi l’image de la femme
fabuleuse qu’on aime : la figure de l’amante.
Madone ou Mélusine, telle est la jeune femme. Le poète transcrit la dualité de chaque
femme : mère et maîtresse (une seule lettre, le « M »). Deux couleurs ressortent de ce poème
comme pour confirmer cette dualité : le vert de Mélusine (v. 6), couleur humaine, naturelle,
(image sensuelle, séductrice) ; le bleu-pâlissant (v. 8), couleur plus froide, irréelle, pure,
inaccessible (image religieuse, de dévotion). A travers ce poème d’amour, Apollinaire donne
à cette femme juste entraperçue, une dimension légendaire et divine, source de toutes les
interprétations poétiques. Elle symbolise l’être féerique et divin qui fait perdre la raison à
l’homme, au poète.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
Tableaux Parisiens, XCIII (1861)
A Une Passante
Gérard de Nerval
Odelettes
(1853)
Une allée du Luxembourg
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
C'est peut-être la seule au monde
Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait !
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Mais non, ma jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, il a fui !
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais.
Paul VERLAINE
Poèmes saturniens
Guillaume APOLLINAIRE,
Œuvres poétiques
(1866)
(1903)
Mon Rêve familier
Poème à Yvonne
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
5
Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine
Mince comme une abeille ô fée apparaissant
Parfois à la fenêtre et quelquefois glissant
Serpentine onduleuse à damner ô voisine
Et pourtant sœur des fleurs ô grappe de glycine
10
En robe verte vous rappelez Mélusine
Et vous marchez à petits pas comme dansant
Et quand vous êtes en robe bleu-pâlissant
Vous semblez Notre-Dame des fleurs ô voisine
Madone dont la bouche est une capucine
15
Sinueuse comme une chaîne de monts bleus
Et lointains délicate et longue comme un ange
Fille d'enchantements mirage fabuleux
Une fée autrefois s'appelait Mélusine
Ô songe de mensonge avril miraculeux
20
Tremblante et sautillante ô vous l'oiselle étrange
Vos cheveux feuilles mortes après la vendange
Madone d'automne et des printemps fabuleux
Une fée autrefois s'appelait Mélusine
Êtes-vous Mélusine ô fée ô ma voisine
Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.