Littérature – Corrigé du devoir 1 sur Ovide 2005-2006

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Littérature – Corrigé du devoir 1 sur Ovide 2005-2006
Littérature – Corrigé du devoir 1 sur Ovide 2005-2006
1. - Quelles sont les fonctions d’Orphée dans les livres X et XI des Métamorphoses ?
Des nombreux personnages évoqués par Ovide dans les livres X à XII des Métamorphoses, c’est
Orphée qui marquera le plus la mémoire des artistes et des poètes. Cette permanence est due à
l’importance d’Orphée dans les Métamorphoses où il occupe en effet une place privilégiée de plusieurs points
de vue : c’est un des rares personnages récurrents et on le trouve dans le livre X où sa voix se substitue à
celle d’Ovide, alors que sa fin est racontée au début du livre XI.
Le personnage d'Orphée a d’abord une fonction structurante au niveau de l’ensemble de l’œuvre :
son histoire se situe en effet après celle d'Iphis, personnage féminin qui, à la fin du livre IX, se livre à une
réflexion sur l’homosexualité qu’elle refuse et qui se trouve pour cette raison transformé en jeune homme
avant de se marier avec la jeune fille qu’on lui destine ; or, c'est en revenant des noces d'Iphis et Ianthé
qu'Hyménée, le dieu du mariage, va se rendre à celles d'Orphée et Eurydice et Ovide raconte, de façon
symétrique mais inverse au début du livre X comment, une fois Eurydice disparue définitivement, Orphée,
dans son deuil et sa fidélité posthume à son épouse, se détourne des femmes et va jusqu’à enseigner aux
hommes de Thrace l’amour des garçons dont il est devenu un adepte.
Suivant un procédé bien attesté dans le monde romain, l'histoire d'Orphée, qui est d’ordre
mythique, sert à expliquer l'origine d'une coutume ou d’une institution, ici celle d’un trait de mœurs bien
attesté dans le monde grec, notamment dans les dialogues de Platon, qui est l'amour des jeunes garçons,
en grec « pédérastie ». Cette acquisition de nouveaux goûts par Orphée en matière amoureuse peut d’autre
part être comparée à une métamorphose.
De plus, c’est Orphée également qui confère leur unité aux deux livres où il apparaît, car Ovide
met en œuvre le procédé de l’enchâssement et Orphée se substitue à lui pour raconter une série d'histoires
d’amour pour la plupart malheureuses, celles de Ganymède, de Hyacinthe, des Propétides et des Cérastes,
de Pygmalion, de Myrrha, de Vénus et Adonis. Il incarne ainsi la puissance de la parole du poète : au
moment d’épouser Eurydice, il appelle Hyménée le dieu du mariage et le fait venir par son chant ; il
charme jusqu’aux animaux et met les arbres en marche.
La voix du poète survit d’ailleurs à sa mort : « emportée au milieu du courant, sa lyre fait entendre
je ne sais quels accords plaintifs ; sa langue privée de sentiment murmure une plaintive mélodie et les rives
y répondent par de plaintifs échos. » Cette survie du poète à travers sa parole deviendra ensuite un grand
thème, cf. par exemple Ronsard dans le Sonnet pour Hélène.
En outre quand Orphée plaide sa cause devant les dieux des Enfers pour ramener Eurydice dans
le monde des vivants, Ovide montre la synthèse possible entre rhétorique et poésie, occasion pour lui de
se purger du débat de sa propre jeunesse, à l’époque où sa vocation poétique l’avait conduit à se révolter
contre son père qui le vouait à l’étude de la rhétorique, clef du « cursus honorum ».
Cette partie de l'histoire d'Orphée utilise d’ailleurs un « topos » épique, qui est la descente aux
Enfers, permettant à Ovide d’évoquer le séjour des morts et de se mesurer ainsi à ses devanciers Homère
qui relate la descente d'Ulysse aux Enfers dans l'Odyssée, et Virgile pour celle du héros éponyme dans
l'Énéide.
Enfin, la mort d'Orphée, qui se place lui-même sous le patronage d’Apollon et qui est déchiré par
les Ménades, compagnes de Bacchus-Dionysos, semble illustrer le conflit entre esprit apollinien et esprit
dionysiaque, tel qu’il sera défini par Friedrich Nietzsche dans son essai dédié à Wagner en 1872 Naissance
de la tragédie.
On mesurera l’originalité d’Ovide, qui donne une vision puissante et positive d’Orphée à l’image
négative qu’en donne Platon dans son Banquet en faisant parler Phèdre. Ce dernier stigmatise la lâcheté
d’Orphée, qui n’a pas osé suivre directement Eurydice aux Enfers en se donnant la mort. De même les
Métamorphoses se démarquent de la IVème Géorgique de Virgile où Eurydice accable son mari de reproches
après que celui-ci se soit retourné en la ramenant de chez les morts. De plus Ovide a fait du personnage
mythologique l’incarnation même du poète et de la toute puissance de son verbe.
2. - Unité et diversité dans les livres X à XII des Métamorphoses d’Ovide.
Au premier regard les Métamorphoses apparaissent comme une compilation de récits mythologiques
où Ovide se serait contenté de mettre bout à bout des éléments hétérogènes qui n’ont pour point commun
que leur caractère merveilleux. Mais est-il possible qu’un poète aussi raffiné et aussi savant que lui, au fait
des techniques de la poésie et de la rhétorique, auteur déjà glorieux, ait laissé échapper un pareil arlequin ?
La multiplicité des sujets, des genres et des registres, telle qu’on la constate dans les livres X à XII ne
cache-t-elle pas une réelle unité ?
Ces trois livres des Métamorphoses témoignent en effet du plus grand disparate par leurs sujets : aux
amours de Jupiter avec Ganymède ou d’Apollon avec Hyacinthe succède l’histoire absurde des Cérastes,
puis au livre XI, après avoir raconté comment un loup dévore les taureaux de Pélée, le poète chante la
tragique union de Céyx et Alcyone ; le livre XII évoque la guerre de Troie et continue avec le combat des
Lapithes et des Centaures, qui est sans rapport avec elle.
Les personnages évoqués dans ces récits n’ont pas plus d’unité : ils appartiennent à tous les ordres
et on rencontre aussi bien des dieux comme Apollon, Vénus ou Mercure, que des nymphes comme la
dryade Eurydice ou la néréide Thétis, voire des animaux comme le cerf de Cyparissus, le loup de Pélée,
des serpents, celui qui mord Eurydice ou celui qui dévore des oisillons dans un arbre à Aulis, de pures
jeunes filles comme Chioné et des créatures aussi peu recommandables que les Propétides, ou, à l’opposé,
des héros comme Hercule, Thésée ou Achille.
Unités de temps et de lieu sont également absentes : l’aventure d’Orphée et bien d’autres
appartiennent au temps du mythe, alors que le livre XII amène le poème à la lisière des temps historiques
avec les récits liés à la guerre de Troie ; les lieux évoqués ou simplement nommés sont eux-mêmes
innombrables ; les toponymes recouvrent toute la partie nord-est du bassin de la Méditerranée ; Ovide
décrit aussi les Enfers avec la descente d’Orphée et les séjours respectifs du Sommeil et de la Renommée.
Enfin, pour aggraver cette impression d’incohérence, le poète se plaît à cultiver le mélange des
genres : à la limite de l’idylle pour l’histoire de Cyparissus ou les amours de Vénus et Adonis, il passe par
la tragédie avec l’épisode de Myrrha, l’apologue et la farce avec celui de Midas et aboutit à l’épopée quand
il s’agit de chanter Achille.
Mais, derrière cette variété assumée à tous les niveaux, on peut déceler des facteurs de cohésion
qui garantissent à l’œuvre sa profonde unité.
D’abord, justifiant son titre, la métamorphose est omniprésente et tous les récits aboutissent à
elle, qu’elle soit consolation comme celle de Myrrha en balsamier ou celle de Hyacinthe en fleur, punition
comme celle des Propétides en pierres ou d’Atalante et Hippomène en lions. Un autre point commun de
ces récits qui, pour la plupart, évoquent des amours est de finir de façon malheureuse : Céyx périt en mer
malgré les mises en garde de son épouse Alcyone, Adonis est tué par un sanglier en dépit des
avertissements de Vénus, Hyacinthe par le disque de son amant Apollon.
Un autre facteur d’homogénéité des livres X à XII est paradoxalement d’ordre géographique et
historique : majoritairement les récits se déroulent sur les franges de « l’empire gréco-romain1 », en Thrace
et en Asie mineure, dans une zone incertaine où tout est possible ; de même ces trois livres se placent dans
le temps sur la lisière entre les temps mythiques, dont la fin est marquée par la mort d’Orphée, et les
temps historiques dont la guerre de Troie annonce le début, puisque c’est de Troie que partira Énée,
l’ancêtre des Romains.
Mais ce qui fait surtout l’unité des Métamorphoses réside dans l’écriture elle-même d’Ovide. Celle-ci
est en effet homogène d’un bout à l’autre de l’œuvre, mêlant discours et parties narratives, alternant
locuteurs et narrateurs. De plus le poète a su lier l’ensemble des récits par un art consommé de la
transition ou « junctura », qui fait qu’on passe insensiblement d’une histoire à l’autre, la narration subissant
elle-même une sorte de métamorphose qui met en abîme dans l’écriture le thème même du poème.
Les Métamorphoses sont donc une œuvre où le poète a réussi cette gageure de créer par les moyens
les plus subtils de la rhétorique une unité qui se dissimule sous la mosaïque des récits et des genres.
1
Titre d’un livre de l’historien Paul Veyne paru en 2005.