Perquisition et saisies au Midi libre jugées

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Perquisition et saisies au Midi libre jugées
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Perquisition et saisies au Midi libre jugées contraires à
la liberté d’expression
le 26 avril 2012
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Pénal
PÉNAL | Instruction | Presse et communication
Par un arrêt du 12 avril 2012, la Cour européenne des droits de l’homme juge contraires à l’article
10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme la
perquisition et les saisies effectuées dans les locaux du Midi libre pour rechercher la preuve d’un
recel de violation du secret professionnel.
CEDH 12 avr. 2012, Martin et a. c. France, req. n° 30002/08
En 2005, le Midi libre publia plusieurs articles traitant d’un rapport provisoire de la chambre
régionale des comptes du Languedoc-Roussillon mettant en cause la gestion de la région par son
ancien président, M. B… Ce dernier déposa une plainte avec constitution de partie civile pour
violation du secret professionnel et recel. Une perquisition fut menée dans les locaux du journal.
Divers documents furent saisis, dont une copie du rapport en cause, mais l’enquête ne permit pas
d’identifier la personne à l’origine de sa divulgation. Quatre journalistes furent mis en examen pour
recel de violation du secret de l’instruction. Excipant du secret des sources, ils sollicitèrent, au nom
du droit à la liberté d’expression, l’annulation de la perquisition et des saisies. La chambre de
l’instruction puis la Cour de cassation rejetèrent leur demande au motif que la loi avait été
respectée. Toutefois, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu, constatant qu’il
n’avait pu être établi que la personne à l’origine de la « fuite » fût tenue au secret professionnel.
Devant la Cour de Strasbourg, les requérants prétendaient que les investigations avaient été
menées en violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv.
EDH), qui garantit notamment la liberté des journalistes de recevoir et de communiquer des
informations.
Dans sa décision, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelle qu’elle a déjà qualifié
d’atteintes aux droits résultant de l’article 10, § 1, les perquisitions menées au domicile ou sur les
lieux de travail de journalistes aux fins d’identifier les personnes ayant livré des informations
protégées (V. cités par la Cour, CEDH 25 févr. 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg, req. no
51772/99, Rec. CEDH 2003-IV, § 47 ; AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 2271, obs. N.
o
Fricero ; RSC 2004. 130, obs. J. Francillon ; 15 juill. 2003, Ernst et a. c. Belgique, req. n
o
33400/96, § 94 ; 27 nov. 2007, Tillack c. Belgique, req. n 20477/05, § 56 ; 14 sept. 2010, Sanoma
Uitgevers B. V. c. Pays-Bas [GC], req. no 38224/03, § 61, RSC 2011. 223, obs. J.-P. Marguénaud ), le
caractère infructueux de ces recherches ne suffisant pas à leur ôter leur finalité, à savoir
l’identification de la source journalistique (Roemen et Shmit, préc. § 57). Ainsi, il y a bien eu, en
l’espèce, ingérence dans la liberté des requérants de recevoir ou de communiquer des informations
au sens de l’article 10, § 1er, et il appartient à la CEDH d’analyser si celle-ci était justifiée au regard
des critères énoncés au paragraphe 2 de cette disposition.
Sur ce point, la CEDH note d’abord que la mesure était prévue par la loi et qu’elle visait plusieurs
objectifs : « empêcher la divulgation d’informations confidentielles, […] protéger la réputation
d’autrui et, notamment, la présomption d’innocence » (§ 75). Sur la nécessité de l’ingérence dans
une société démocratique, ensuite, elle analyse le contenu et la nature des informations divulguées
: ainsi, les articles en cause traitaient « d’un sujet d’intérêt général pour la collectivité locale, que
les requérants avaient le droit de faire connaître au public à travers la presse » (§ 79 ; V. déjà,
CEDH 17 déc. 2004, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], req. no 33348/96, Rec. CEDH 2004-XI, §
95 ; AJDA 2005. 541, chron. J.-F. Flauss ). À l’argument du gouvernement faisant état du caractère
provisoire du rapport en question, la Cour rétorque : 1 - que « le rôle des journalistes d’investigation
est, précisément, d’informer et d’alerter le public sur des phénomènes indésirables dans la société,
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dès que les informations entrent en leur possession » et que la « lecture des articles fait apparaître
qu’à la date de sa rédaction, les requérants avaient connaissance sinon du rapport définitif […] au
moins de sa version initiale » (§ 80) ; 2 - que les articles ont bien fait état de la précarité des
observations relayées, les requérants ayant « démontré ainsi leur bonne foi et un souci de respect
de la déontologie de leur profession » (§ 81). On rappellera que, pour la Cour, l’article 10, « par
essence, laisse aux journalistes le soin de décider s’il est nécessaire ou non de reproduire le
support de leurs informations », et protège leur droit à la libre expression « dès lors qu’ils
s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations “fiables et
précises” dans le respect de l’éthique journalistique » (CEDH 21 janv. 1999, Fressoz et Roire c.
France, req. no 29183/95, Rec. CEDH 1999-I, § 54 ; D. 1999. 272, obs. N. Fricero ; RSC 1999. 631,
obs. F. Massias ; RTD civ. 1999. 359, obs. J. Hauser ; ibid. 909, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD com.
1999. 783, obs. F. Deboissy ).
Sur la perquisition elle-même, la Cour note qu’elle avait « pour but la recherche des auteurs
potentiels d’une violation du secret professionnel et de l’éventuelle illégalité subséquemment
commise par les requérants dans l’exercice de leurs fonctions » et tombait donc dans le domaine
de la protection des sources (§ 85 ; Comp. Roemen et Schmit, préc., § 52), « l’une des pierres
angulaires de la liberté de la presse » (CEDH 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, req. no
17488/90, Rec. CEDH 1996-II, § 39 ; AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; D. 1997. 211, obs. N.
Fricero ; RTD civ. 1996. 1026, obs. J.-P. Marguénaud ). Elle conteste alors le caractère
indispensable de la perquisition pour rechercher la preuve de l’infraction (de violation du secret
professionnel) : il lui apparaît que « procéder à d’autres actes d’instruction avant la perquisition
n’était pas une priorité pour les magistrats chargés de superviser l’instruction » (§ 86). Pour elle, «
le gouvernement n’a pas démontré que la balance des intérêts en présence, à savoir, d’une part, la
protection des sources et, de l’autre, la prévention et la répression d’infractions, a été préservée »
(§ 87 ; énonçant que la balance des intérêts doit pencher en faveur de la liberté de la presse, V.
Goodwin c. Royaume-Uni, préc., § 45). Les motifs invoqués, pouvant passer pour « pertinents », ne
peuvent être jugés « suffisants » pour justifier la perquisition incriminée (§ 88). Cette mesure
apparaît donc disproportionnée et attentatoire à l’article 10 (§ 89).
Site de la Cour européenne des droits de l’homme
par S. Lavric
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