Réparation du préjudice consécutif à la disqualification de la faute

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Réparation du préjudice consécutif à la disqualification de la faute
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Réparation du préjudice consécutif à la disqualification
de la faute grave
le 7 mai 2015
SOCIAL | Rupture du contrat de travail
Lorsque la faute grave, privative du préavis, n’est pas caractérisée, le préjudice qui résulte de la
perte d’un droit consécutif à l’inexécution de ce préavis doit être réparé.
Soc. 15 avr. 2015, FS-P+B, n° 13-22.044
La faute grave arguée par l’employeur à l’encontre du salarié à l’appui de sa décision de licencier
ce dernier est, en principe, privative non seulement du préavis, entraînant ainsi la rupture
immédiate du contrat de travail, mais encore de l’indemnité idoine (C. trav., art. L. 1234-1 et L.
1234-5). Les juges du fond sont, néanmoins, tenus de rechercher si les faits invoqués par
l’employeur pour justifier de la commission d’une faute grave, à défaut de caractériser une telle
faute, ne constituent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement (V. Soc. 26 juin 1991, n°
90-41.219, Bull. civ. V, n° 329 ; 2 juin 1993, n° 91-45.668, Dalloz jurisprudence). La Cour de
cassation est venue encadrer cette faculté de disqualification : les juges restent tenus par le
caractère disciplinaire du motif de licenciement avancé par l’employeur ; aussi, la faute grave ne
peut être disqualifiée qu’en faute sérieuse (V. Soc. 9 mai 2000, n° 97-45.163, Bull. civ. V, n° 170 ;
27 oct. 2004, n° 02-41.187, Bull. civ. V, n° 268 ; Dr. soc. 2005. 107, obs. J. Savatier ). La mise à
l’écart de la faute grave permet au salarié de recouvrer l’ensemble des droits afférents à
l’exécution d’un préavis, dont les indemnités compensatrices de préavis et de congés payés (V.
Soc. 13 juin 1991, n° 89-45.798, Bull. civ. V, n° 297).
Cela vaut-il, pour autant, pour l’ensemble des droits qui auraient bénéficié au salarié durant le
préavis dont il a été privé en raison de la faute grave alléguée par l’employeur ?
La Cour de cassation a dû se pencher sur ce problème. L’affaire qui se présentait à elle concernait
un salarié dont les ayants droit bénéficiaient d’un contrat d’assurance décès, souscrit par
l’employeur auprès d’un assureur et conditionné à la présence du salarié dans l’entreprise au
moment du décès. Le salarié fut licencié pour faute grave mais décéda au cours du préavis qu’il
aurait dû effectuer. Les ayants droit prétendirent que la faute commise par le défunt n’était pas une
faute grave et que, par conséquent, l’assureur devait leur verser le capital dû en exécution du
contrat d’assurance. Après avoir essuyé un refus, ils agirent contre l’employeur pour tenter
d’engager sa responsabilité civile et obtinrent gain de cause en appel.
Allant dans le même sens, la Cour de cassation considère qu’ayant, d’une part, constaté que
l’employeur avait souscrit une assurance décès au bénéfice des ayants droit de ses salariés
présents dans les effectifs de l’entreprise au moment de leur décès, avait licencié pour faute grave
le salarié, décédé douze jours plus tard, et, d’autre part, retenu que la faute grave n’était pas
caractérisée de sorte que le salarié avait été privé du bénéfice du préavis et ainsi d’être présent
dans les effectifs de l’entreprise à la date de son décès, la cour d’appel en a exactement déduit que
l’employeur devait réparer le préjudice subi.
La disqualification de la faute grave a donc pour effet de faire recouvrer au salarié les droits dont il
a été privé en raison de la qualification initiale des faits par l’employeur que ce dernier lui
reprochait. L’arrêt prolonge, par conséquent, ceux rendus à propos de l’octroi des indemnités de
préavis et de congés payés (V. Soc. 13 juin 1991, préc.) en élargissant, sans toutefois l’affirmer
expressément, l’application de la règle qui était alors perceptible à tout droit même lorsque les
bénéficiaires directs sont des ayants droit du salarié décédé. Les procédés tendant au
rétablissement de la véritable qualification, tout du moins celle que les juges estiment comme telle,
justifient la position retenue par la chambre sociale. Qu’il s’agisse de la requalification, dont le but
est de substituer à la qualification retenue par le ou les auteurs de l’acte juridique celle retenue par
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le juge en application de la loi et des pouvoirs que celle-ci lui confère en ce sens, ou de la
disqualification, espèce de requalification consistant à retenir une faute moins grave ou à faire
perdre à un acte sa qualification, ces deux techniques opèrent de manière rétroactive, c’est-à-dire
à compter de la manifestation de volonté(s) faisant naître l’acte juridique requalifié ou, plus
spécifiquement, disqualifié. Ainsi, si les juges font tomber la qualification de faute grave, conduisant
à ce que le licenciement soit dépourvu de cause réelle et sérieuse, ou substituent à la qualification
de faute grave la faute, de moindre gravité, qu’est la faute sérieuse, le salarié est présumé, de
manière irréfragable, avoir été présent dans l’entreprise tout du long du préavis et, de ce fait, avoir
bénéficié des droits dont l’acte de licencier l’a privé en l’excluant immédiatement de l’entreprise.
La solution, bien que totalement nouvelle au regard de la jurisprudence de la chambre sociale,
vient apparemment s’opposer à celle découlant d’un arrêt de la deuxième chambre civile. De la
même manière, dans cette affaire, l’employeur avait souscrit au profit de l’un de ses salariés et, par
voie de conséquence, de ses ayants droit un contrat d’assurance décès subordonné à une clause de
présence. Le salarié a été licencié, puis s’est marié, juste avant de décéder. La veuve pouvait-elle
engager la responsabilité civile délictuelle de l’employeur pour avoir licencié sans cause réelle et
sérieuse le défunt et lui avoir ainsi fait perdre le bénéfice de l’assurance décès ? Là, au contraire, la
deuxième chambre civile refuse à l’ayant droit la faculté d’invoquer l’article 1382 du code civil.
Suivant les constatations des juges du fond, lesquels avaient remarqué que, lors de son décès, le
défunt n’était plus salarié et que l’irrégularité et l’absence de cause réelle et sérieuse de son
licenciement n’avaient pas entraîné la nullité de celui-ci, la deuxième chambre décidait que la faute
commise par l’employeur dans l’exercice de son droit de licencier était sans lien de causalité avec
le préjudice invoqué par la veuve (V. Civ. 2e, 8 nov. 2007, n° 06-19.655, Bull. civ. II, n° 246 ; BICC 1
er
mars 2008, n° 351 ; D. 2007. 2952 ; ibid. 2008. 648, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; RTD
civ. 2008. 307, obs. P. Jourdain ).
Pourtant, deux différences majeures subsistent. La première tient au fait que, contrairement au
prononcé de la nullité de la rupture ou encore à la disqualification de la faute grave, déclarer le
licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entraîne aucun effet rétroactif. La rupture est
consommée et la sanction seulement indemnitaire. La seconde différence tient à la caractérisation
de certaines des conditions de la responsabilité civile de l’employeur. Dans l’arrêt du 8 novembre
2007, le lien de causalité, comme l’a expressément indiqué la deuxième chambre civile, aurait fait
défaut. La perte de qualité du salarié, qui a justifié le non-versement du capital décès, était la
conséquence directe du licenciement qui n’était pas en lui-même, peu important qu’il fût dépourvu
de cause réelle et sérieuse, un manquement contractuel susceptible d’être qualifié de faute
délictuelle (V. J.-M. Sommer et C. Nicoletis, préc.). Et, quand bien même le recours à l’équivalence
des conditions aurait permis d’envisager que, sans le faute commise par l’employeur, le défunt
aurait toujours été salarié de l’entreprise au moment de son décès, l’intervention d’une
circonstance causale entre le fait générateur initial et le dommage aurait interrompu la continuité
de la relation causale, empêchant ainsi la caractérisation d’un lien de causalité : il en était ainsi du
mariage du défunt qui avait eu lieu postérieurement au licenciement et avait conduit la veuve à se
prévaloir de la perte d’un droit après que le fait initialement générateur du dommage s’était produit
(P. Jourdain, préc.). Surtout, ce sont les conditions nécessaires à l’existence d’un préjudice
réparable qui ne semblaient pas réunies. Car, si le défunt n’avait pas été licencié, rien n’aurait
permis d’affirmer avec certitude qu’il ne l’aurait pas été avant son décès, lequel est survenu près
de six mois après la rupture de son contrat de travail (V. J.-M. Sommer et C. Nicoletis, préc.). En
outre, le mariage ayant été célébré postérieurement au licenciement, l’ayant droit ne disposait
d’aucun droit éventuel au jour de la rupture (P. Jourdain, préc.). Ce n’est que si la veuve avait été
mariée lors du licenciement qu’elle aurait pu prétendre à une perte de chance (V. J.-M. Sommer et
C. Nicoletis, préc. ; P. Jourdain, préc.). Dans le présent arrêt, rien de tel. Aucune circonstance
n’interfère dans la chaîne de causalité entre le licenciement pour faute grave et la perte du droit
invoquée par les ayants droit et la rétroactivité de la disqualification de la faute grave confère au
préjudice résultant de la perte du bénéfice du capital décès un caractère certain.
Les deux arrêts s’avèrent, en réalité, complémentaires. Les ayants droit peuvent être ainsi amenés
à bénéficier d’un droit, lié notamment au bénéfice d’une assurance décès et dont ils ont été privés
en raison du licenciement du salarié défunt, mais à condition que l’irrégularité qui entache la
rupture soit pourvue d’une sanction aux effets rétroactifs et que la qualité d’ayant droit préexiste
au licenciement.
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par Bertrand Ines
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