L`IMPOSITION DES PLUSVALUES LATENTES SUR LES VALEURS
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L`IMPOSITION DES PLUSVALUES LATENTES SUR LES VALEURS
Revue Master 2 OFIS 1 Décembre 2012 L'IMPOSITION DES PLUSVALUES LATENTES SUR LES VALEURS MOBILIERES – L'EXIT TAX Le contexte de crise financière et économique a incité beaucoup de français à s’expatrier ces dernières années et la tendance ne devrait probablement pas s’inverser. Les faits divers récents en font l'illustration. On compte plus d’un million et demi de français qui vivent hors de France. Parmi eux, des exilés professionnels et fiscaux. En ces temps de disette budgétaire, il est un sujet qui fait l'unanimité chez les législateurs: l'impérieuse nécessité de lutter contre l'évasion fiscale. A cet effet, le législateur a établi une imposition des plusvalues latentes sur des valeurs mobilières en cas de départ à l'étranger appelée "exit tax". I – L'exit tax appliquée aux personnes physiques L'article 167 bis du code général des impôts (CGI)1 prévoit que le transfert du domicile fiscal hors de France entraîne l'imposition immédiate à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux des plusvalues latentes sur droits sociaux, valeurs, titres ou droits, sous condition tenant à l’importance des participations détenues, des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix et de certaines plusvalues en report d'imposition. Ce dispositif ne s'applique qu'en cas de transfert du domicile depuis le 3 mars 2011 et il a pour objet affiché de limiter l'évasion fiscale. Il vient en effet immédiatement, à l'examen des avantages fiscaux procurés par une domiciliation en Belgique, au RoyaumeUni ou en Suisse notamment, que des personnes physiques fortunées peuvent être tentées par un transfert dans ces pays de leur domicile fiscal afin d'y réaliser des plusvalues hors impôt. Soit, par exemple, une personne physique détenant la quasitotalité du capital d'une société anonyme française qu'elle est sur le point de céder. Si cette personne reste fiscalement résidente de France, les plusvalues latentes sont tout à la fois imposées au taux prévu au 2 de l'article 200A du CGI au titre de l'impôt sur le revenu soit, à ce jour, 19% et aux taux additionnés des prélèvements sociaux, à savoir 15,5% pour l'année 2012. Si, en revanche, cette personne transfère, au préalable, son domicile fiscal hors de France, ces mêmes plusvalues pouvaient être exonérées d'impôt, à la fois dans le nouvel Etat de résidence et dans notre pays. C'est pour éviter cette technique destinée à éluder l'impôt que le législateur français est intervenu avec la création de l'exit tax ou taxe de sortie dont le taux global s'élève actuellement à 34,5%. Le gouvernement a récemment dévoilé le détail de ses concessions relatives a la réforme de l'imposition des plusvalues sur les cessions d'entreprises qui avait provoqué la colère du mouvement des "pigeons". Selon l'amendement, les plusvalues réalisées en 2012 par un entrepreneur sur la cession de son entreprise ne seront pas soumises l'an prochain à l'impôt sur le revenu, mais imposables à un taux forfaitaire de 24%, contre 19% actuellement. 1 Issu de l'article 48 de la première loi de finances rectificative pour 2011 (n° 2011‐900 du 29 juillet 2011) Revue Master 2 OFIS 2 Décembre 2012 Les plusvalues réalisées à partir du 1er janvier 2013 seront intégrées dans le revenu imposable, mais, comme l'avait déjà annoncé le gouvernement, avec des exemptions et des abattements pour les entrepreneurs cédant leur entreprise après l'avoir euxmêmes développée, ou réinvestissant au moins la moitié de la plusvalue. En effet, le projet de loi de finances pour 2013 propose de tirer toutes les conséquences de cette reforme de l'imposition des plusvalues mobilières des particuliers. Il prévoit d'imposer ces plusvalues sur la base du barème de l'impôt sur le revenu, et non plus sur celle du taux forfaitaire de 19%. Aussi ce mécanisme atil été transposé à l'exit tax. Toutefois, le dispositif proposé devrait combler les lacunes en prévoyant notamment de modifier les modalités de calcul de l'exit tax et des garanties que doivent constituer les contribuables qui souhaitent bénéficier d'un sursis de paiement. Rappelons que les impositions discriminatoires sont susceptibles d'être déclarées incompatibles avec le droit de l'Union européenne en ce qu'elles violent les libertés de circulation. 1 Champ d'application personnel Les personnes assujetties à l'imposition des plusvalues sur biens meubles incorporels sont les contribuables qui ont été fiscalement domiciliés en France pendant au moins six des dix dernières années précédant le transfert de leur domicile fiscal hors de France. Exemple : un contribuable transfère son domicile fiscal hors de France le 1er décembre 2012. Il était fiscalement domicilié en France depuis le 1er octobre 2006. Au titre de 2006, il est domicilié en France 92 jours. Il est ensuite domicilié durant cinq années, soit de 2007 à 2011. En 2012, il est domicilié en France 335 jours. Soit un total supérieur à six années. Il sera donc assujetti à l'imposition de ses plusvalues latentes. 2 Champ d'application matériel L'assiette de l'exit tax a été profondément modifiée par l'assemblée nationale dans le cadre de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011. L'exit tax s'applique aux contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France, sur les droits sociaux ou valeurs mobilières détenues dans les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent dans lesquelles l'ensemble des membres du foyer fiscal du contribuable disposent de plusieurs participations, directes ou indirectes, aux bénéfices sociaux d'une société d'au moins 1% ou dont l'ensemble des participations détenues dans différentes sociétés dont la valeur excède 1,3 million d'euros lors de ce transfert. Ainsi se trouvent soumis à l'exit tax les contribuables dont les participations cumulées dans des sociétés sont supérieures, en valeur, à 1,3 million d'euros. L'article 6 du projet de loi de finances pour 2013 a également prévu que, dans certaines conditions et sur option du contribuable, l'imposition proportionnelle des plusvalues au taux de 19 % serait maintenue pour les créateurs d'entreprises (supra "le mouvement des pigeons"). C'est la raison pour laquelle il propose l'insertion d'un 2 bis dans l'article 200 A du CGI. Les conditions devant être réunies pour bénéficier de l'imposition proportionnelle seraient les suivantes : la société dont les titres ou droits sont cédés exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l'exclusion des activités procurant des revenus garantis en raison de l'existence d'un tarif réglementé de rachat de la production, des activités financières, des activités de gestion de patrimoine mobilier et Revue Master 2 OFIS 3 Décembre 2012 des activités immobilières. les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs, doivent avoir été détenus de manière continue au cours des cinq années précédant la cession ; les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs, doivent avoir représenté, de manière continue pendant au moins deux ans au cours des dix années précédant la cession des titres ou droits, au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; ces mêmes titres et droits doivent représenter au moins 2 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés à la date de la cession ; enfin, le contribuable doit avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue au cours des cinq années précédant la cession en tant que, soit gérant nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, soit associé en nom d'une société de personnes, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions. Ce contribuable pourrait également avoir exercé une activité salariée au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés. En outre, le présent article prévoit que lorsque l'exit tax devient exigible, si les conditions décrites par l'article 200 A du CGI n'étaient pas remplies lors du transfert du domicile hors de France mais qu'elles le sont devenues, il est appliqué le taux de 19 %. II .– Le régime de l'exit tax appliqué aux personnes morales En application du 2 de l’article 221 du CGI, le transfert à l’étranger du siège ou d’un établissement d’une entreprise redevable de l’impôt sur les sociétés entraîne (à l’instar de la dissolution de la société ou de la création d’une personne morale nouvelle) les conséquences fiscales de la cessation d’entreprise. Il en résulte que les bénéfices qui n’ont pas encore été imposés le sont immédiatement, par une forme d’exit tax, afin d’assurer au Trésor public le recouvrement de l’impôt, qui pourrait à défaut être menacé par la disparition de l’entreprise. 1– L’exception du transfert dans un autre État membre Afin de mettre la législation française en conformité avec le droit de l’Union européenne, le dernier alinéa du 2 de l’article 221 dispose que « le transfert de siège dans un autre État membre de la Communauté européenne, qu’il s’accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n’emporte pas les conséquences de la cessation d’entreprise ». Cette exception au principe de la cessation d’entreprise ne s’applique que dans la mesure où le transfert de siège d’une société française dans un autre État membre ne s’accompagne pas du transfert total des actifs. Revue Master 2 OFIS 4 Décembre 2012 Le transfert total des actifs entraîne donc, en l’état du droit en vigueur, l’imposition immédiate : – des bénéfices d’exploitation dégagés depuis la date d’ouverture de l’exercice en cours ; – des bénéfices en sursis d’imposition (notamment les provisions constituées en franchise d’impôt et les plusvalues issues de fusions antérieures) ; – des plusvalues latentes afférentes aux éléments d’actif immobilisé. 2 – Un mécanisme remis en cause par la Cour de Justice de l'Union Européenne La taxation immédiate des plusvalues latentes en cas de transfert d’actifs au sein de l’Union européenne a récemment été remise en cause par la jurisprudence. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a en effet jugé que le régime de taxation néerlandais portait une atteinte disproportionnée au principe de liberté d’établissement posé par l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (29 novembre 2011, National Grind Indus BV, affaire C371/10). Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle tracée par l’arrêt Lasteyrie du Saillant du 11 mars 2004 (affaire C9/02), dans lequel la même Cour a déclaré contraire à la liberté d’établissement l’exit tax qui frappait, en application de l’article 167 bis du CGI, les plusvalues latentes sur les droits sociaux des personnes physiques transférant leur domicile fiscal hors de France. Par application d’une jurisprudence constante, une restriction à la liberté d’établissement peut cependant être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, en vertu du principe de proportionnalité (CJUE, 13 décembre 2005, Marks & Spencer, affaire C446/03). En conséquence, la jurisprudence communautaire a reconnu aux Etats membres la faculté d'imposer les plusvalues latentes afférentes aux actifs de sociétés résidentes qui transfèrent leurs actifs dans un autre Etat membre de l'Union européenne sous réserve que cette restriction à la liberté d'établissement soit proportionnée à l'objectif légitime de juste répartition de la matière imposable entre Etats membres. Un paiement fractionné de l’imposition sur plusieurs années permet selon la Cour2 de concilier la liberté d’établissement et l’objectif de juste répartition de la matière 2 seul un dispositif optionnel a été jugé par la Cour conforme au principe de proportionnalité, dans les termes suivants : « une réglementation nationale offrant le choix à la société qui transfère […] entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’imposition, qui crée un désavantage en matière de trésorerie pour cette société mais la dispense de charges administratives ultérieures, et, d’autre part, le paiement différé du montant de ladite imposition, […] qui est nécessairement accompagné d’une charge administrative pour la société concernée, liée au suivi des actifs transférés, constituerait une mesure qui, tout en étant propre à garantir la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, serait moins attentatoire à la liberté d’établissement que la mesure en cause au principal » . Revue Master 2 OFIS 5 Décembre 2012 imposable entre Etats membres. La Cour a eu l’occasion de confirmer la jurisprudence ainsi bâtie dans un arrêt récent Commission contre Portugal du 6 septembre 2012 (affaire C38/10). Elle en a étendu la portée à l’imposition des plusvalues latentes afférentes au transfert des actifs d’un établissement stable d’un État membre vers un autre État membre (sans que ce transfert s’accompagne nécessairement du transfert du siège). L’exit tax française, qui impose automatiquement les plusvalues latentes au moment de leur transfert, serait donc vraisemblablement jugée contraire au droit de l’Union en cas de contentieux. Ainsi l'article 16 du projet de loi de finances rectificative pour 2012 précise les modalités d'impositions en cas de transfert de siège ou d'établissement stable hors e France. Il prévoit une possibilité d’étalement de l’imposition afférente aux plusvalues latentes ainsi qu’aux plusvalues en report ou en sursis d’imposition sur les éléments de l’actif immobilisé transférés. Cette faculté est ouverte sur option expresse. Natacha Popowski