cinquième section en fait
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CINQUIÈME SECTION Requête no 36769/08 présentée par Robert ASHBY DONALD et autres contre la France introduite le 31 juillet 2008 EXPOSÉ DES FAITS EN FAIT Les requérants, M. Robert Ashby Donald, de nationalité américaine, M. Marcio Madeira Moraes, de nationalité brésilienne, et M. Olivier Claisse de nationalité française, sont nés respectivement en 1958, 1952 et 1958 et résident respectivement à New York, Paris et Le Perreux-sur-Marne. Ils sont représentés devant la Cour par Me C. Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. A. Les circonstances de l'espèce Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Les trois requérants sont photographes de mode. En 2003, ils furent accrédités par la Fédération française de la couture (« la fédération ») pour prendre des photographies lors de défilés de mode qui eurent lieu entre les 6 et 10 mars 2003. Ce système d'accréditation, qui permet à la fédération de contrôler la saisie et la diffusion des images prises lors des défilés de mode, repose sur un double mécanisme. Dans un premier temps, la fédération choisit plusieurs médias auxquels elle fait signer un « engagement de presse » dans lequel l'organe de presse précise quelles personnes seront habilitées à prendre des photographies ou des films pour son compte. Ces personnes seront ensuite accréditées par la fédération. Dans un second temps, le média désigné doit en principe faire souscrire aux personnes qu'il a fait accréditer un « engagement d'exclusivité » qui les contraint à n'exploiter les images prises ou les films réalisés qu'avec le média qu'elles représentent et dans une certaine limite. 2 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – ASHBY DONALD ET AUTRES c. FRANCE Certaines des photographies prises par le troisième requérant lors des défilés de 2003 précités furent transmises à la société Z., gérée par le deuxième requérant. Cette société les transmit ensuite à la société V., gérée par les deux premiers requérants, qui les mit en ligne quelques heures après les défilés sur un site internet proposant à la consultation libre, à la consultation payante et à la vente, des photos et vidéos des défilés de mode. La fédération porta plainte au motif que la diffusion de ces images par la société V. venait en contravention avec les accréditations qu'elle leur avait accordées. Les trois requérants furent poursuivis pour contrefaçon devant le tribunal correctionnel de Paris, les deux premiers pour avoir diffusé les images sur internet et le troisième pour les avoir cédées aux deux premiers requérants. La fédération ainsi que douze maisons de couture se portèrent parties civiles. Par un jugement du 17 juin 2005, le tribunal correctionnel relaxa les requérants. Il constata que le système d'accréditation était défaillant puisqu'en pratique les médias ne faisaient plus souscrire par les photographes les engagements d'exclusivité et qu'un même photographe pouvait obtenir plusieurs accréditations. Il estima que dans la mesure où les requérants n'avaient officiellement reçu aucune notification précise quant à la diffusion des photographies qu'ils avaient été invités à prendre au cours des défilés, on ne pouvait caractériser à leur encontre l'élément intentionnel du délit qui leur était reproché. Les parties civiles et le ministère public interjetèrent appel. Par un arrêt du 17 janvier 2007, la cour d'appel de Paris infirma le jugement et reconnut les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés. La cour d'appel jugea que l'argument selon lequel la procédure d'engagement de presse serait inadaptée ou mal respectée en raison de la pluralité d'accréditations dont peut bénéficier un même photographe et de l'absence de contrôle efficace sur la signature des accords d'exclusivité est inopérant quant à la responsabilité personnelle des prévenus. Elle ajouta que les requérants, photographes professionnels de longue date, n'ignorant ni les règles des maisons de couture ni celles régissant leurs propres droits d'auteurs, savaient qu'ils n'étaient pas habilités à exploiter des photographies de modèles sur lesquelles ils n'avaient aucun droit, ni à leur donner une autre destination que celles autorisées par leur créateurs. Elle releva également que le deuxième requérant avait sollicité une accréditation auprès de la fédération pour la société V., sans succès. Sur l'action publique, la cour d'appel condamna les deux premiers requérants à une amende de 8 000 euros (EUR) et le troisième à une amende 3 000 EUR. Sur l'action civile, les trois requérant furent condamnés à payer solidairement la somme de 15 000 EUR à la fédération et 30 000 EUR à cinq des sociétés dont la constitution de partie civile a été jugée recevable. Les deux premiers requérants furent également condamnés à payer solidairement la somme de 30 000 EUR à deux autres maisons de couture. La cour d'appel ordonna également la publication par extraits de l'arrêt dans trois journaux professionnels au choix des parties civiles dans la limite de 5 000 EUR par publication. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils invoquèrent, conjointement à l'article 10 de la Convention, l'article L122-5 9 du code de la propriété intellectuelle prévoyant une exception au droit de l'auteur sur son œuvre EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – ASHBY DONALD ET AUTRES c. FRANCE 3 (voir la partie « droit interne pertinent »). Les requérants soutinrent que cette exception était applicable à la diffusion en ligne des photographies. Dans un arrêt du 5 février 2008, la Cour de cassation rejeta cet argument au motif que l'exception prévue par l'article L122-5 9o du code de la propriété intellectuelle n'est pas applicable aux créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure, protégées par l'article L112-2 dudit code. Sur le fond, la Cour de cassation rappela que les créations des défilés de mode sont des œuvres de l'esprit sur lesquelles les maisons de couture jouissent d'un droit de propriété protégé par le code de la propriété intellectuelle et considéra que la cour d'appel, procédant de son appréciation souveraine des faits, des éléments de preuve et des circonstances de la cause, avait justifié sa décision. Elle rejeta donc le pourvoi des requérants. B. Le droit et la pratique internes pertinents Le code de la propriété intellectuelle se lit comme suit : Article L112-1 « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. » Article L112-2 « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : (...) 14o Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l'habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d'ameublement. » Article L121-2 « L'auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. (...) il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci (...) » Article L122-3 « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte. Elle peut s'effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique (...) » Article L122-4 « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. » 4 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – ASHBY DONALD ET AUTRES c. FRANCE Article L122-5 « Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (...) 9o La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une œuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur. Le premier alinéa du présent 9o ne s'applique pas aux œuvres, notamment photographiques ou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l'information. (...) Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. (...) » Article L335-2 « Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. (...) » Article L335-3 « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi. » Article L335-6 « Les personnes physiques coupables de [contrefaçon] peuvent en outre être condamnées, à leurs frais, à retirer des circuits commerciaux les objets jugés contrefaisants et toute chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction. (...) [La juridiction] peut également ordonner, aux frais du condamné, l'affichage du jugement ou la diffusion du jugement prononçant la condamnation (...) » GRIEFS Les requérants se plaignent de ce que l'application de l'article L122-5 9 du code de la propriété intellectuelle par la Cour de cassation ne respecte pas le principe d'interprétation stricte de la loi pénale, corollaire du principe de légalité garanti par l'article 7 de la Convention. Ils estiment que ce principe, qui interdit au juge de faire une application extensive de la loi pénale, notamment par analogie, impose symétriquement une interprétation favorable – ou en tout état de cause non défavorable – des faits justificatifs EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – ASHBY DONALD ET AUTRES c. FRANCE 5 tels que ceux prévus par l'article L122-5 9o du code de la propriété intellectuelle. Invoquant l'article 10 de la Convention, les requérant se plaignent de ce que la condamnation prononcée à leur encontre constitue une ingérence injustifiée dans l'exercice de leur liberté d'expression. QUESTIONS AUX PARTIES La condamnation des requérants constitue-t-elle une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention ? Dans l'affirmative, cette ingérence est-elle « prévue par la loi », vise-t-elle un but légitime et est-elle « nécessaire dans une société démocratique » au sens du paragraphe 2 de l'article 10 ? En particulier, quelle est l'étendue de la marge d'appréciation dont dispose l'Etat défendeur en l'espèce ? Les créations des maisons de couture peuvent-elles être considérées comme un sujet d'intérêt général ?