Résumé de l`arrêt Winterstein et autres c. France (req. n°27013/07

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Résumé de l`arrêt Winterstein et autres c. France (req. n°27013/07
Résumé de l’arrêt Winterstein et autres c. France (req. n°27013/07) rendu par la CEDH
le 17 octobre 2013
Dans l’arrêt Winterstein et autres c. France (req. n°27013/07) du 17 octobre 2013, la
Cour européenne des droits de l’homme conclut à la violation de l’article 8 (droit au
respect de la vie privée et familiale et du domicile) de la Convention européenne des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La requête à l’origine de l’affaire a été déposée par vingt-cinq ressortissants français et par
l’association ATD Quart-Monde. Les requérants individuels, installés depuis de très
nombreuses années dans des caravanes, bungalows ou cabanes situés sur un terrain de la
commune d’Herblay (Val d’Oise), furent assignés par la commune, en mai 2004, devant le
juge des référés du TGI de Pontoise afin que celui-ci constate l’occupation interdite des lieux
et ordonne aux requérants d’évacuer les lieux sans délai. Par ordonnance du 2 juillet 2004, le
juge des référés a rejeté le recours pour défaut d’urgence et absence de trouble manifestement
illicite. En septembre 2004, la commune d’Herblay fit assigner quarante personnes, dont les
requérants, devant le TGI de Pontoise, en formulant les mêmes demandes que devant le juge
des référés. Par jugement du 22 novembre 2004, le tribunal, constatant que les défendeurs
avaient enfreint le plan d’occupation des sols (POS), fit droit aux demandes de la commune et
ordonna aux défendeurs d’évacuer tous véhicules et caravanes et d’enlever toutes
constructions du terrain qu’ils occupaient dans un délai de trois mois et sous astreinte.
Trente-six des intéressées, dont les requérants, firent appel du jugement devant la Cour
d’appel de Versailles. Par arrêt du 13 octobre 2005, celle-ci confirma le jugement. Les
requérants, en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs, ainsi que l’association requérante
formèrent une demande d’aide juridictionnelle auprès du bureau d’aide juridictionnelle (BAJ)
près la Cour de cassation afin de se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 13 octobre 2005.
Les 4 et 5 juillet, le BAJ rendit une série de décisions rejetant leurs demandes au motif
qu’aucun moyen de cassation ne pouvait être relevé contre la décision critiquée. Le 23
novembre 2006, par une série d’ordonnances à la formulation identique, le magistrat délégué
par le premier président de la Cour de cassation rejeta leurs recours contre ces décisions.
Sur la recevabilité de la requête : la Cour européenne des droits de l’homme estime que le
Mouvement ATD Quart Monde ne peut être regardé comme ayant la qualité de victime au
sens de l’article 34 de la Convention. La requête est incompatible ratione personae avec les
dispositions de la Convention et doit, dès lors, être rejetée en tant qu’elle a été introduite par
l’association requérante. S’agissant des requérants individuels, la Cour considère que ceux-ci
peuvent être regardés comme victimes au sens de l’article 34 de la Convention. Elle constate,
par ailleurs, que les requérants, malgré leur désistement en cassation, ont bien épuisé les voies
de recours internes avant de saisir la Cour et déclare, dès lors, la requête recevable.
Sur l’invocation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale et du
domicile) : les requérants demandent à la Cour européenne de constater qu’il y a eu une
ingérence de l’Etat dans leur droit au respect de la vie privée et familiale et de leur domicile et
que celle-ci est manifestement disproportionnée. La Cour rappelle que la qualification de
« domicile », au sens de l’article 8, dépend des circonstances factuelles, notamment de
l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé. La Cour, constatant
l’ancienneté de l’installation des requérants, considère que les habitations des requérants
constituent bien leurs domiciles. Elle estime, par ailleurs, que la présente affaire met en jeu le
droit des requérants au respect de la vie privée et familiale dès lors que la vie en caravane fait
partie intégrante de l’identité des gens du voyage. La Cour considère que l’obligation faite
aux requérants, sous astreinte, d’évacuer le terrain et d’enlever toutes constructions constitue
une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile. Elle
estime que, si cette ingérence est légale et qu’elle vise le but légitime que constitue la défense
des droits d’autrui par le biais de la défense de l’environnement, elle ne peut être regardée
comme « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 de la Convention.
En effet, la Cour considère que les juridictions internes ont accordé une importance
prépondérante à la non-conformité de la présence des requérants au POS, sans la mettre en
balance avec les arguments invoqués par les requérants, notamment avec l’ancienneté de leur
occupation (Yordanova et autres c. Bulgarie, no 25446/06, 24 avril 2012). Elle conclut qu’il y
a eu, en ce qui concerne l’ensemble des requérants, violation de l’article 8 de la Convention
dans la mesure où ils n’ont pas bénéficié, dans le cadre de la procédure d’expulsion, d’un
examen de la proportionnalité de l’ingérence conforme aux exigences de cet article. En outre,
elle conclut qu’il y a également eu violation de l’article 8, pour ceux des requérants qui
avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux, en raison de l’absence de prise en
compte suffisante de leurs besoins.
Sur l’invocation de l’article 14 de la Convention (principe de non-discrimination)
combiné avec l’article 8 : les requérants soutiennent que la mesure d’expulsion dont ils ont
fait l’objet constitue un traitement discriminatoire au sens de l’article 14 combiné avec
l’article 8. La Cour estime toutefois, eu égard au constat relatif à l’article 8 de la Convention
auquel elle est parvenue, qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14
combiné avec l’article 8 et qu’il n’y a, dès lors, pas lieu d’examiner ce moyen.
Sur l’invocation de l’article 3 de la Convention (interdiction de la torture et des
traitements inhumains ou dégradants) : les requérants soutiennent avoir été victimes
d’actes et comportements contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour observe que les
requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes à cet égard, notamment dans le cadre
d’un recours en responsabilité de l’Etat. Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de
l’article 3 doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de
l’article 35 § §1 et 4 de la Convention.
Sur l’invocation de l’article 1 (respect des biens) et 2 (droit à l’instruction) du Protocole
n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme : Invoquant l’article 1 du Protocole
n°1, les requérants dénoncent une violation du droit au respect des biens de ceux d’entre eux
qui ont quitté le terrain où ils vivaient, dans la mesure où ils ont dû laisser sur place certains
biens qui ont ensuite été détruits ou volés. La Cour observe que les requérants n’ont pas
soulevé ce grief devant les juridictions internes et que celui-ci doit, en conséquence, être
rejeté pour non-épuisement des voies de recours interne. Dans leurs observations, les
requérants, invoquant l’article 2 du Protocole n°1, se plaignent de la déscolarisation de leurs
enfants. La Cour observe toutefois que ce grief a été soulevé en dehors du délai de six mois
prévu par l’article 35 § 1 et doit, dès lors, être rejeté.
La Cour européenne des droits de l’homme cite, dans cet arrêt, les travaux de la CNCDH
relatifs à la situation des Roms en France, notamment l’étude de 2008 sur la situation des
Roms et des gens du voyage en France, ainsi que l’avis de 2012 sur le respect des droits des
« gens du voyage » et des Roms migrants.