SONNETS EN ANGLAIS Philip Sidney (1544
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SONNETS EN ANGLAIS Philip Sidney (1544
SONNETS EN ANGLAIS Philip Sidney (1544-1586) Deux sonnets extraits d’Astrophel and Stella, recueil de sonnet probablement écrit dans les années 1580 et publié de façon posthume en 1591. La traduction en français de Gérard Gacon vient du volume Astrophil et Stella, Orphée, La Différence, 1994 44 My words I know do well so forth my mind. My mind bemones his sense on inward smart ; Such smart may pitie claime of any hart, Her heart, sweete heart, is of no Tygre’s kind : And yet she heaves, yet I no pitty find ; But more I crie, lesse grace she doth impart, Alas, what cause is there so overthwart, That Noblenesse it selfe makes thus unkind ? I much do guesse, yet find no truth save this, That when the breath of my complaints doth tuch Those daintie dores unto the Court of blisse The heav’nly nature of that place is such, That once come there, the sobs of mine annoyes Are metamorphosd straight to tunes of joyes. O happie Tems, that dids my Stella beare, I saw thy selfe with many a smiling line Upon thye cheerefull face, joye’s livery aware: While those faire planets on thy streames did shine. The bote for joy could not to daunce forbeare, While wanton winds with beauties so devine Ravish, staid not, till in her golden haire They did themselves (ô sweetest prison) twine. And faine those Æols’ youths there would their stay Have made, but forst by Nature still to flie, First did with puffing kisse those lockes display : She so discheveld, blusht; from window I With sight thereof cride out; ô faire disgrace, Let honor’ selfe to thee graunt highest place. Mes mots sont de mon esprit l’exact reflet; Mon esprit, lui déplore son élancement Semblable élancement de pitié est friand ; Son cœur, doux cœur, n’est point du Tigre le portrait : Elle entend, mais nulle pitié ne m’apparaît, Et plus je pleure et moins en grâce elle s’épand. Quel est donc hélas, ce si grand désagrément Par quoi la Noblesse à la rigueur se complaît ? Je conjecture, en n’en viens qu’à cette leçon : Quand l’haleine de mes lamentations approche La porte ouvrée de la Cour des Jubilations La nature du lieu du céleste est si proche Qu’une fois là, les sanglots de tous mes ennuis Sont métamorphosés en chants de joie subits. 103 Ô Tamise comblée de ma Stella porteuse, Je te vis te plissant de multiples souris Porter livrée de joie sur ta face radieuse : Et tes flots scintillaient sous ces astres exquis. La nef allait dansant, tant elle était joyeuse, Et les brises débridées, par tant d’harmonie Saisies, en ses cheveux d’or se faisaient danseuses S’enlaçant pour se prendre enfin (prison bénie !). Les troupes d’Éole s’y fussent installées, Mais par Nature obligées de passer chemin, Elles soufflèrent sur ces boucles un baiser : Du désordre elle rougit, ce voyant je tins, De ma fenêtre, ce discours : « Belle disgrâce, Puisse l’honneur te réserver la plus haute place. » John Donne (1572-1631). 2 Sonnets extraits des Holy Sonnets (posthume 1633). Traduction de Jean Fuzier et Yves Denis, Gallimard 1962 (Poésie/Gallimard 1991) IV Oh my blacke Soule! now art thou summoned Ores mon âme noire, entends la maladie By sicknesse, deaths herald, and champion; Qui t’appelle, héraut de la Mort, et champion. Thou art like a pilgrim, which abroad hath done Tu es le pèlerin qui commit trahison Treason, and durst not turne to whence hee is fled; En route, et n’ose plus regagner sa patrie ; Or like a thief, which till deaths doome be read, Ou le voleur, qui tant qu’on ne lui signifie Wisheth himselfe delivered from prison, Sa sentence de mort, exècre sa prison, But damn’d and hal’d to execution, Mais qui, lorsqu’on le traîne à l’exécution, Wisheth that still he might be imprisoned. Souhaite dans ses fers continuer sa vie. Yet grace, if thou repent, thou canst not lacke; Pourtant seras gracié si te veux repentir. But who shall give thee that grace to beginne? Mais qui de commencer te donnera la grâce ? Oh make thy selfe with holy mourning blacke, Oh, d’un deuil noir et saint tâche à te revêtir ! And red with blushing, as thou art with sinne; Porte de ton péché le rouge sur ta face ! Or wash thee in Christs blood, which hath this might Ou bien, viens-t-en du Christ te laver dans le sang, That being red, it dyes red soules to white. Dont la rouge vertu teint l’âme rouge en blanc 1 SONNETS EN ANGLAIS XIV Batter my heart, three-person'd God, for you As yet but knock, breathe, shine, and seek to mend; That I may rise and stand, o'erthrow mee’, and bend Your force to break, blowe, burn, and make me new. I, like an usurp'd towne to another due, Labor to admit you, but Oh, to no end; Reason, your viceroy in mee, mee should defend, But is captiv'd, and proves weake or untrue. Yet dearely’I love you’, and would be loved faine, But am betroth'd unto your enemie; Divorce mee,’untie or breake that knot againe, Take mee to you, imprison mee, for I, Except you’enthrall mee, never shall be free, Nor ever chaste, except you ravish mee. Forcez mon cœur, Trin-un, qui jusqu’ici mon être Par chocs, souffles, rayons, tentiez de convertir ! Pour que je m’élève, il faut m’anéantir : Brisez, rasez, brûlez et me faites renaître ! Citadelle usurpée, alleu d’un autre maître, Je tente vainement les portes vous ouvrir ; Raison, votre Légat, me devrait garantir, Mais captif, tour à tour se montre faible, ou traître. Et pourtant je vous aime, et voudrais votre amour ! Mais à votre ennemi mon âme s’est promise. Lâchez, rompez ce nœud, venez à mon secours, Emparez-vous de moi, ôtez-moi de franchise ! Libre je ne serai que traînant vos boulets ; Non plus chaste jamais que si me violez. Shakespeare (1564-1616) Sonnets (1599-1609) 146 Poor soul, the centre of my sinful earth, [Why feed'st] these rebel powers that thee array1? Why dost thou pine within, and suffer dearth, Painting thy outward walls so costly gay? Why so large cost, having so short a lease, Dost thou upon thy fading mansion spend? Shall worms, inheritors of this excess, Eat up thy charge? is this thy body's end? Then soul, live thou upon thy servant's loss, And let that pine to aggravate thy store; Buy terms divine in selling hours of dross; Within be fed, without be rich no more: So shalt thou feed on Death, that feeds on men, And, Death once dead, there's no more dying then. Le deuxième vers est parfois noté ainsi : My sinful earth, these rebel powers that thee array Traduction de François Victor Hugo Pauvre âme, centre de ma terre pécheresse, jouet des puissances rebelles qui t’enveloppent, pourquoi pâtis-tu intérieurement et te laisses-tu dépérir, en peignant tes murs extérieurs de si coûteuses couleurs ? Pourquoi, ayant un loyer si court, fais-tu de si grandes dépenses pour ta demeure éphémère ? Est-ce pour que les vers, héritiers de ce superflu, mangent à tes frais ? La fin de ton corps est-elle la tienne ? Âme, vis donc aux dépens de ton esclave, et laisse-le languir pour augmenter tes trésors. Achète la durée divine en vendant des heures de poussière. Nourris-toi au dedans, et ne t’enrichis plus au dehors. Ainsi tu te nourriras de la mort qui se nourrit des hommes ; et, la mort une fois morte, tu n’auras plus rien de mortel. Traduction d’Henri Thomas (Le Club français du livre, 1965) Pauvre âme, centre de ma glèbe pécheresse, … Ces instincts rebelles qui te vêtent, Pourquoi cette langueur et famine au-dedans Et tes murs au-dehors si gaiement pavoisés ? Pour ta demeure défaillante à quoi bon faire Si vastes frais, alors que le bail est si court ? Vont-ils pas, héritiers de cet excès, les vers, N’en rien laisser ? N’est-ce pas là qu’en vient ton corps ? Vis donc, âme, sur la part de ton serviteur, Et qu’il languisse pour accroître ton trésor ; Achète un temps divin au prix de mornes heures ; Sois nourrie au-dedans, non plus riche en dehors : Lors tu consumeras la Mort qui nous consume, Et morte étant la Mort, il n’est plus de mourir. 2 SONNETS EN ANGLAIS Traduction de Pierre Jean Jouve (Mercure de France, 1969) Pauvre âme, centre de ma terre coupable, [reine de] ces rebelles puissances qui t’ont déroutée ! Pourquoi languistu au-dedans, souffres-tu pauvresse, en peignant tes murs au dehors par si luxueuse gaieté ? Pourquoi dépenser un tel luxe, ayant bail si court, sur ta demeure qui va disparaître ? Les vers, en héritiers de tels excès, mangeront-ils ton fonds ? Telle est la fin du corps ? Alors, âme, vis de la ruine de ton serviteur, et qu’il languisse afin d’augmenter tes avoirs ; achète des temps éternels en vendant tes heures de scories, sois au-dedans nourrie, et sois pauvre au dehors. Ainsi tu te nourriras de la Mort, qui d’homme se nourrit ; la mort une fois morte, rien ne sera plus mort. Traduction de Jean Malaplate (L’âge d’homme, 1992) Pauvre âme, point central de ma coupable terre, Les puissances du mal t’assignent ta maison. Pourquoi t’y tourmenter, peignant dans ta misère, De coûteuse gaîté les murs de ta prison ? À quoi bon tant de frais pour un bail qui ne dure ? Pour orner ton logis qui penche vers sa fin ? Les vers hériteraient, pour en faire pâture, Ce superflu ? Du corps est-ce là le destin ? Prends de ton serviteur la richesse à mains pleines, De ses tourments, mon âme, alourdis tes trésors ! Acquiers les jours du ciel contre des heures veines, Sois comblée au-dedans et pauvres du dehors, Traduction de Frédéric Langer (La Découverte, 1984) Pauvre âme, centre de ma Terre pécheresse – encerclée par ces forces rebelles en bataille – pourquoi te laisses-tu dépérir au-dedans tout en peignant à grands frais ta façade de couleurs gaies ? Pourquoi une telle dépense quand ton bail est si court dans cette demeure qui part en ruine peu à peu ? Espères-tu que des vers, seuls héritiers de cette prodigalité, mangeront ta dette ? Est-ce là la fin de ton corps ? Dans ce cas, mon âme, vis donc aux dépens de ton serviteur, laisse-le dépérir pour accroître ton bien, achète-toi une créance sur l’éternité en vendant tes heures de rebut, au-dedans, nourris-toi, au-dehors, délaisse la richesse : tu te nourriras ainsi de la Mort qui se nourrit des hommes, Et la Mort, une fois morte, il n’est plus de mourir. Traduction de Daniel et Geneviève Bournet, (Librairie Nizet, 1995) Pauvre âme, au centre en ma coupable terre, (…) tes rebelles pouvoirs d’atours, Pourquoi souffrir famine et langueur taire, Peignant d’un gai coûteux tes murs autour ? Pourquoi grand coût à si brève échéance Dans ton manoir croulant lors engloutir ? Vont-ils, les vers, héritiers de l’outrance, Manger ta charge ? et là ton corps finir ? Âme, vis donc sur ton servant en ruine, Que sa langueur aggrave ton surplus ; Termes divins paye en heures mesquines ; Nourri dedans, riches dehors n’aie plus. Nourris-toi de la mort nourrie des hommes, Et, la mort morte, on ne meurt plus en somme. Dévore ainsi la Mort qui les hommes dévore : Morte la mort, qui donc pourrait mourir encore ? 3 SONNETS EN ANGLAIS Traduction d’Yves Bonnefoy (Gallimard, 2007) Ma pauvre âme, le centre De ma glèbe coupable toute en révolte, Pourquoi souffrir en moi, de faim, de soif, Et au-dehors bâtir en couleurs si gaies ? Oui, pourquoi engager autant de frais, Si court le bail, pour ce logis qui croule ? Veux-tu que l’héritier de ta démesure, Le ver, dépense tout ? Qu’ainsi ton corps finisse ? Allons, mon âme ! Exploite ton serviteur, Qu’il jeûne pour accroître ta fortune ! Achète du temps céleste en soldant cette pacotille, Le temps mortel. Sois riche par-dedans, non plus par-dehors. Traduction de Robert Ellrodt (Actes Sud, 2007) Pauvre âme, centre même de ma terre corrompue - Ma terre gaste, ces instincts rebelles qui te vêtent -, Pourquoi, souffrant famine et langueur au-dedans, Peindre au-dehors tes murs de couleurs gaies et riches ? Pourquoi, à si grands frais, quand ton bail est si court Ornes-tu ton manoir qui va se délabrant ? Les vers, seuls héritiers, devront-ils consommer Tes excès ? Et ton corps n’a-t-il donc d’autre fin ? Vis donc, mon âme, de ce que perd ton serviteur ; Laisse-le dépérir pour accroître ton bien ; Signe ton bail au ciel au prix de viles heures ; Au-dedans sois nourrie et non riche au-dehors. Ainsi te nourrira la Mort, nourrie des hommes Et la Mort enfin morte, nul n’a plus à mourir. Nourris-toi de la mort qui se nourrit de nous. Morte la mort, tu ne craindras plus de mourir. Traduction de William Cliff (Les Éditions du Hasard, 2010) Pauvre âme enfoncée dans la terre noire recouverte d’ornements décevants, pourquoi languir et n’avoir rien à boire au milieu de ces murs pourtant riants ? Pourquoi dépenser pour un bail si court tant d’argent à une maison qui sombre ? et tout le fruit de ton brillant parcours faudra-t-il qu’il soit mangé par la tombe ? Ô mon âme ! tes pertes te font vivre, ta soif agrandit ta propriété, tu gagneras en perdant tes scories et te nourriras de ta pauvreté : ainsi prenant ce que Mort ne peut prendre, tu prendras de quoi d’Elle te déprendre. Traduction de Frédéric Boyer (P.O.L, 2010) oh mon âme centre de ma terre criminelle ma terre criminelle puissances rebelles pourquoi souffrir en toi la faim le manque et peindre l’extérieur si riche si gai pourquoi ces richesses le temps est si court tant de dépenses pour ton vain château seuls héritiers de tes excès les vers qui mangeront tout et ton corps finira oh mon âme vis quand ton serviteur se perd qu’il s’affame tu y gagnes achète l’éternité contre des heures vides nourrie de l’intérieur pauvre à l’extérieur tu avales la mort qui avale les hommes et morte la mort personne ne meurt John Keats (1795-1821), traduction de Paul Gallimard (1910). Reprise dans John Keats, Poèmes et poésies, Poésie/Gallimard, 1996. (L’édition n’est pas bilingue) Bright star, would I were stedfast as thou art — Not in lone splendour hung aloft the night And watching, with eternal lids apart, Like nature's patient, sleepless Eremite, The moving waters at their priestlike task Of pure ablution round earth's human shores, Or gazing on the new soft-fallen mask Of snow upon the mountains and the moors — No — yet still stedfast, still unchangeable, Pillow'd upon my fair love's ripening breast, To feel for ever its soft fall and swell, Awake for ever in a sweet unrest, Still, still to hear her tender-taken breath, And so live ever — or else swoon to death. Astre brillant ! puissé-je, immobile comme tu l’es — Non pas, resplendir à l’écart suspendu dans la nuit, Et surveiller, les paupières éternellement redressées, Tel un forçat de la Nature, Ermite sans sommeil, Les eaux mouvantes, dans leur tâche lustrale, Purifiant de leur ablution les rivages des hommes. Ou contempler le masque floconneux, que, fraîchement tombée, La neige impose aux montagnes et aux bruyères, — Non, — mais, puissé-je, toujours immobile, toujours immuable, Posséder comme oreiller le sein mûrissant de ma bien-aimée, Pour le sentir à jamais doucement se soulever puis s’abaisser, Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie, Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration, Et vivre ainsi toujours — ou sinon m’évanouir dans la mort ! 4 SONNETS EN ANGLAIS William Wordsworth (1770-1850). Traduction française de François-René Daillie. Édition bilingue. Poésie/Gallimard, 2001. The world is too much with us; late and soon, Getting and spending, we lay waste our powers;— Little we see in Nature that is ours; We have given our hearts away, a sordid boon! Le monde est beaucoup trop avec nous ; épuisant Tôt ou tard nos moyens, dépensant sans mesure, Nous voyons peu qui soit nôtre dans la Nature Et nous avons vendu notre cœur à l’encan ! This Sea that bares her bosom to the moon; The winds that will be howling at all hours, And are up-gathered now like sleeping flowers; For this, for everything, we are out of tune; La mer qui se met toute nue devant la lune, Les vents qui sans cesse hurleront, mais à cette heure Sont recueillis dans le sommeil comme des fleurs, Ces choses, nous ne sommes plus avec aucune It moves us not. — Great God! I’d rather be A Pagan suckled in a creed outworn; So might I, standing on this pleasant lea, En accord, ni émus. — Grand Dieu ! J’aimerais mieux, Païen, m’être nourri aux plus vieilles légendes Et peut-être entrevoir sur cette belle lande Have glimpses that would make me less forlorn; Have sight of Proteus rising from the sea; Or hear old Triton blow his wreathèd horn. Protée sortant des flots, ou entendre le vieux Triton souffler dans sa conque de fleurs parée, Scènes dont j’aurais l’âme moins désespérée. William Butler Yeats (1865-1939). Un quatorzain extrait de The Wild Swans at Coole (1917). Traduction Jean-Yves Masson. Verdier, 1990 PRESENCES This night has been so strange that it seemed As if the hair stood up on my head. From going-down of the sun I have dreamed That women laughing, or timid or wild, In rustle of lace or silken stuff, Climbed up my creaking stair. They had read All I had rhymed of that monstrous thing Returned and yet unrequited love. They stood in the door and stood between My great wood lectern and the fire Till I could hear their hearts beating: One is a harlot, and one a child That never looked upon man with desire, And one, it may be, a queen. PRÉSENCES Cette nuit fut si étrange que c’était Comme si mes cheveux se dressaient sur ma tête. Depuis le coucher du soleil j’avais rêvé Que des femmes en riant, craintives ou féroces, Dans des froissements de dentelles ou d’étoffes soyeuses, Montaient l’escalier qui craquait. Elles avaient lu Tout ce que j’avais mis en vers sur cette chose monstrueuse : Un amour écouté mains non pas partagé. Elles se tinrent sur le seuil de ma porte et se tinrent Entre mon grand pupitre de bois et l’âtre Jusqu’à ce que je puisse entendre battre leurs cœurs : L’une était une catin, l’autre une enfant Qui jamais ne jeta sur un homme un regard de désir, Et une autre encore, qui sait, une reine. 5 SONNETS EN ANGLAIS Hart Crane (1899-1932). Traduction de François Tétreau. Édition bilingue. Key West et autres poèmes, Orphée, La Différence, 1989 To Shakespeare Through torrid entrances, past icy poles A hand moves on the page! Who shall again Engrave such hazards as they might controls — Conflicting, purposeful yet outcry vain Of all our days, being pilot, — tempest, too! Sheets that mock lust and thorns that scribble hate Are lifted from torn flesh with human rue, And laughter, burnished brighter than our fate Thou wieldest with such tears that every faction Swears high in Hamlet's throat, and devils throng Where angels beg for doom in ghast distraction — And fail, both! Yet thine Ariel holds his song: And that serenity that Prospero gains Is justice that has cancelled earthly chains. À Shakespeare Après les porches torrides , passés les pôles glacés Une main remue sur le feuillet ! Qui, dorénavant Gravera des périls pareils à ceux que ta puissance dirige — L’agitation, vaine et préméditée, la lutte Étant, de nos jours, le pilote — et la tempête ! Des linceuls moquant le stupre, des ronces gribouillant le fiel Sont extraits de la chair meurtrie par le remords de l’homme Et le sarcasme, fourbi, plus clair que notre destin Tu le manies avec de telles douleurs que toute faction Jure haut et fort par la gorge d’Hamlet et que les diables se rassemblent Où les anges invoquent la damnation pour se distraire en spectres — Puis faillissent ensemble ! Cependant que ton Ariel porte son chant : Et la sérénité que Prospéro gagne est certes Cette justice qui révoque les entraves terrestres. Vladimir Nabokov (1899-1977). Deux sonnets extraits de Poèmes et problems. Traduit du russe et de l’anglais par Hélène Henry. Gallimard, 1999. On Translating Eugene Onegin 1 What is translation? On a platter A poet’s pale and glaring head, A parrot’s screech, a monkey’s chatter, And profanation of the dead. The parasites you were so hard on Are pardoned if I have your pardon, O, Pushkin, for my stratagem: I traveled down your secret stem, And reached the root, and fed upon it; Then, in a language newly learned, I grew another stalk and turned Your stanza patterned on a sonnet, Into my honest roadside prose– All thorn, but cousin to your rose. En traduisant Eugène Onéguine 1 Qu’est-ce que traduire ? C’est, sur un plat Du poète la face pâle aux yeux fixes, C’est le cri du perroquet, le singe qui jacasse, Et la profanation des morts. Les parasites honnis de toi Sont pardonnés si tu pardonnes, Ô Pouchkine, mon stratagème : J’ai voyagé le long de ta tige secrète, J’ai atteint la racine et je m’en suis nourri ; Puis, de ce langage nouvellement appris, J’ai fait surgir un rameau neuf, Et la strophe née du sonnet, J’en ai fait une honnête prose, Ronce cousine de ta rose. 2 Reflected words can only shiver Like elongated lights that twist In the black mirror of a river Between the city and the mist. Elusive Pushkin! Persevering, I still pick up Tatiana’s earring, Still travel with your sullen rake. I find another man’s mistake, I analyze alliterations That grace your feasts and haunt the great Fourth stanza of your Canto Eight. This is my task–a poet’s patience And scholastic passion blent: Dove-droppings on your monument. 1955 2 Les mots-reflets vont frissonnant Comme se tordent les lumières Au miroir noir d’une rivière Entre la ville et le brouillard. Pouchkine insaisissable ! Je ramasse encore La boucle perdue par Tatiana, Je fais route encore avec ton Triste Sire, Je repère les erreurs des confrères, Scrutant les allitérations, Qui ornent tes fêtes et hantent la grande Strophe quatre de ton Chant huitième. Telle est ma tâche : patience de poète Et passion de scholiaste : Sous ta statue chiures de colombe 1955 6 SONNETS EN ANGLAIS Stephen Spender (1909-1995) Un sonnet extrait des Spiritual explorations. Traduction de Jean Migrenne. Un regard. Édition bilingue. Orphée La Différence, 1990 II You were born, must die; were loved, must love; Born naked, were clothed; yet naked walk Under cloth flesh; ghosts move Hollow, hollow, hollow, under clock-talk, star-talk Time and space upon you feed; Upon your eyes, their far horizons; Upon your heart, their searing need; Upon your death, empty significance. There is one fate beneath that ignorance, All humanity, of wich you are part, O Self of flesh and thought and breath: Chalk-faced, diamonded harlequin, it Strums on your gut such songs and pleasant dances, Amor, O solitude, O seldom death. Aimé, tu aimeras ; né, il faut que tu meures ; Nu, tu naquis pour être vêtu ; sous ta chair Cependant tu vas nu et des fantômes errent, Échos creux sous l’écho des astres et des heures. Le temps et l’espace se repaissent de toi ; Tes yeux sont rongés par leurs horizons lointains ; Ton cœur du feu de leur désir est dévoré, Ta mort, du vide signifiant est la proie. Sous cette ignorance se cache un seul destin, L’humanité, à laquelle tu appartiens, Ô Personne de chair, de souffle, de pensée ; Arlequin enfariné, tout endiamanté, Il tire de tes entrailles, ses villanelles, Ô solitude, Amour, trépas exceptionnel. Kathleen Raine (1908-2003). Traduction de François Xavier Jaujard. In Le Royaume invisible. Anthologie. Orphée. La Différence, 1991 NOCTURNE Night comes, an angel stands measuring out the time of stars, still are the winds, and still the hours. It would be peace to lie still in the still hours at the angel's feet, upon a star hung in a starry sky, but hearts another measure beat. Each body, wingless as it lies, sends out its butterfly of night with delicate wings, and jewelled eyes. And some upon day's shores are cast, and some in darkness lost in waves beyond the world, where float somewhere the islands of the blest. NOCTURNE La nuit vient, un ange est là qui mesure le temps des étoiles, les vents sont immobiles, immobiles les heures. La paix serait d’être étendu immobile à travers les heures immobiles, aux pieds de l’ange, sur une étoile en suspens dans le ciel étoilé mais le cœur bat à un autre rythme. Chaque corps étendu, même dépourvu d’ailes, fait naître et s’envoler un papillon de nuit aux ailes délicates, aux yeux de pierrerie. Certains sont jetés sur les rives du jour et d’autres se perdent dans l’obscurité, sous les vagues, au-delà du monde, là où affleurent très loin les îles des élus. from Stone and Flower (1943) 7