Un extrait

Transcription

Un extrait
Eva
Eva, que je l’appelle.
Je sais bien que c’est plutôt Evelyne mais moi je préfère Eva.
Je crois bien que c’est à cause de EVA, le roman d’un certain
James Hadley Tchaise ou Chase, bref, un écrivain célèbre
inconnu au bataillon de mes connaissances, mais dont Clint
m’a parlé. Ce qui avait plu à mon pote, c’est que le héros de
l’histoire en prenait plein la tronche par l’héroïne. « J’suis un rien
maso », qu’il m’avait confié un jour où on faisait une virée sur
Madison Avenue à bord de sa Bentley Mark VI de 1947 4 x 240.
Ouaouhh ! A l’intersection au niveau de Central Park South on
s’était retrouvés à contresens. Le pied ! Presque aussi dingue
que ce dimanche où l’ami Burt m’avait contraint à m’asseoir
à ses côtés dans sa Chevy Bel Air-coupé de 1955 4 x 240 avec
l’interdiction de passer la ceinture de sécurité. « Bon pour les
traîne-soupapes », avait-il précisé avant de s’élancer à fond la
caisse sur Broadway. Couillu, Burty ! Ça s’était bien terminé car
les cops étaient mobilisés dans le Bronx, une affaire de messes
noires…
Ah oui ! Pourquoi Eva et pas Evelyne ? !
Un clin d’œil à un bouquin qui s’appelle pareil.
Moi je ne lis jamais. Enfin si, modérément mais j’ai des symptômes
d’incompréhension. De diction aussi. Je me débrouille pour le
principal, mon bagage basique à moi, des termes indispensables
pour exercer mon job, des mots tels que : fric, boss, gaffe, pure,
dose, enculé, pétard…, enfin le vocabulaire primordial pour
quand on est dealer-livreur.
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Pour en revenir à Eva…
Alors qu’il nous offrait une virée dans sa Bentley, le summum de
l’élégance britannique, Clint m’avait confié que cette môme Eva
l’avait chamboulé et qu’il souhaiterait se la trimbaler, elle, au lieu
d’un gus has been dans mon genre. Là il ne parlait plus du roman
de Machin Chase mais d’un film qui en avait été tiré. L’actrice
qui interprétait Eva, a priori une French Lady, se payait un cul
d’enfer et une bouche « fallait voir ça ». Dixit Clint, parole !
Affirmatif ! C’est en hommage à cette star décapsuleuse et aussi
en souvenir de mon poteau Clint, que j’ai surnommé Evelyne,
Eva.
J’ai eu des difficultés à lui imposer ma passion des bagnoles,
à ma femelle. Pourtant pas de la 2 CV Citroën même de 1951
5 x 156 ! Non, des sérieuses, des grosses, des puissantes, de la
Bugatti Royale Type 41 de 1929 4 x 240, chef-d’œuvre de design
et d’ingénierie avec son moteur de 300 ch, à la Chevrolet Camaro
Z/28 de 1969 4 x 240 avec sa grille à alvéoles, son spouiler
arrière, le V8 de 5l ! Bordel, son V8 de…
« Calmos Samo. »
Ouais, je m’appelle Samo.
Plus exactement ils me surnommaient Samo parce que j’avais
toujours la bougeotte à pied et la vitesse en voiture. Je traçais ! Et
on me balançait du « Samo, trace ! ». Les nuls, ceux de Brooklyn
qui me prenaient pour leur larbin en m’obligeant à fournir en
dope ceux du Queens. « Allez Samo, magne-toi, y a nos clients
qu’en manquent, tu sais pas c’que c’est qu’d’en manquer mec,
trace Samo ! », m’ordonnaient les nuls de Muray Hill lorsqu’ils
m’expédiaient livrer les accros de Greenwich Village ! Et j’en
oublie. Sûr. Y a tellement de nuls qu’on finit par en oublier, c’est
obligé, surtout pour un type comme moi qu’a des problèmes de
mémorisation, dixit Willys.
Lui le Wyllis, je l’avais à la bonne car lorsqu’il m’emmenait faire
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du rodéo dans Manhattan il n’essayait pas de m’en mettre plein
la vue, à mézigue le minus serial dealer. Il me ménageait, comme
il ménageait son coupé Jaguar Type E de 1961 rouge pur sang
4 x 195. Sa théorie à Will, je la respectais, c’était : « La vitesse fait
jouir qu’les pédales, le vrai mâle made in moi maîtrise l’érection,
écoute le moteur, rétrograde le désir… Pour faire court Samo,
je bande avec l’oreille, si tu vois ». Et je voyais.
Mais de tous les durs tendres qui m’ont exploité, c’est encore
Lee que j’aimais le plus. Bon, oui, ses expéditions nocturnes
sur Jackson Avenue c’était uniquement pour courir le risque de
se faire emboutir à chaque croisement avec sa Duesenberg J
Derham de 1930 4 x 240. Pas pour la griserie de la vitesse dans
ce bijou des années Caponé. Seulement pour la peur, le risque
d’accident !
Putain de copain, le Lee ! qui m’avait permis de me faire un
max de pognon en m’abandonnant un soir pour cause de décès.
Des Colombiens du cartel de Médellin, de passage à New York,
l’avaient exécuté en plein Chinatow. Du coup je m’étais retrouvé
à la tête d’une livraison entière de coke, c’est-à-dire deux sachets
de 500 gr. Merci mon vieux Lee ! Un kilo que j’avais un tantinet
mélangé à d’autres substances et qui s’était changé en un kilo et
demi. Ma liste des revendeurs et des clients m’avait permis de
rouler sur l’or.
Enfin presque, puisque je suis que dans une Porsche 356 B
Speedster de 1955 4 x 195 ! Mais en compagnie d’Eva. Je crois
que j’ai déjà expliqué pourquoi Eva…
La môme Capsule. C’est le surnom que j’ai donné à son surnom
d’Eva. A Evelyne, donc.
Ma Capsule chérie s’est mise à adorer ma voiture, une chance
pour moi, le représentant roulant. Elle m’accompagne sans
broncher, toujours la première à m’ouvrir la route.
Quel bol j’ai eu quand je l’ai découverte. Elle est hyper foutue,
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ce qui n’est pas négligeable pour un mec tel que moi qu’est pas
terrible au niveau du physique. Côté mental je me suis toujours
débrouillé, la preuve !… Eva la Capsule est presque aussi bien
roulée qu’une bagnole. Si je devais la comparer à la mécanique,
je choisirais peut-être le Ford Quadricycle de 1896 10 x 190
pour les fines attaches de son cou et de ses bras, et la Chevrolet
Impala SS de 1963 4 x 240 pour son corps racé, ses…
Dire que par ma faute, une embrouille à la con, à force de faire
cavalier seul et de truander les méganuls de Soho, j’avais failli
perdre ma star. La crainte ! Le gars Harisson m’avait monté un
traquenard et je m’étais retrouvé face à ses porte-flingue, sans
arme et sans défense, à la merci d’acheteurs-revendeurs qui
n’appréciaient pas du tout de se faire entuber par un rival que
moi j’entubais. En clair ils voulaient savoir d’où me venait la
cocaïne, la pure, pas la merde frelatée que je fourguais. Et j’avais
parlé, sinon ils auraient buté mon Eva. Pas d’une balle dans la
nuque, les fumiers, mais en la travaillant à la scie à métaux. Et
moi Samo, voir mon Eva au sol, en morceaux, ça je n’aurais pas
supporté.
Alors j’ai tout craché. Mon besoin de fric. La folie des bagnoles.
La provenance de la dope…
Tout…
*
- Oh ! Le sieur Samo ! Ça pionce là-dedans ?
Je n’avais même pas entendu taper dans la lourde, glisser le
judas, et ouvrir.
- Hum…
- Tu parles tout seul, Roger Picard de Levallois-Perret ? Et on est
pas aux USA, ici c’est la prison de la Santé, Paris 13ème !
- Ah…
Ce maton, je ne le remets pas. Ce n’est pas celui qui est sympa
avec moi, celui qui me laisse un espace de liberté dans ma cellule,
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trois millimètres, d’accord, mais c’est quand même de l’espace.
- Ben ouais, j’suis pas Raymond, il est en grève illimitée, faudra
faire avec moi, Marcel… Allez, debout… Dis-donc Picard, t’es
pas sorti de l’auberge, il sourit en regardant les traits rougeâtres
sur le mur à côté de mon plumard, des bâtons tracés avec le sang
de mes gencives que je râpe tous les matins du bout de l’ongle.
Combien au jus, encore ?
Je m’en tape de ce gardien, alors je ricane :
- 5843 sur les 7300…
- Vingt piges ! ? Pas cher payé pour avoir écrabouillé cinq
demoiselles en moins de trois mois avec ta Clio ! Ça aurait
fait classe d’entendre dire à la téloche : le serial killer à la RollsRoyce…
Je ne l’écoute pas, ce naze. Tout en me levant, je récapitule une
fois encore mon bilan.
- … avec les remises de peine, bonne conduite, à moins que…
- J’espère pour toi que d’ici-là le gréviste Raymond aura repris
son turf car en attendant la bonne volonté de Monsieur le
Ministre, moi Marcel, je vais t’en faire baver.
J’ai soudain une illumination.
- Votre Rolls-Royce, si c’est la Silver Ghost de 1925 avec pour
emblème à l’avant la Victoire de Samothrace comme Samo, c’est
4 x 240, 960 balles payables en 4 mensualités de 240, chez…
- C’est quoi ce délire ? Vrai que mon tueur de femmes est aussi
signalé collectionneur de bagnoles miniatures ! Moi celle qui
me botte, c’est la Ford Mustang, mais dommage y a qu’un seul
bourrin, ah ! ah ! Tu pourrais rigoler par politesse… Au fait
Picard, depuis qu’t’es au gnouf, dehors on est passé à l’euro et…
C’est quoi ce bidule qu’est au barreau de ta fenêtre ?
Je lui avoue à ce nul ? Il risque de me le confisquer, malgré que
c’est Raymond qui a bien voulu que je le conserve avec moi.
Non, c’est mon secret, je ne lui dis rien…
- Ah ! Tu veux jouer au plus malin, okay, gueule Marcel en
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trifouillant du bout de sa matraque l’objet solidement scotché à un
des barreaux de fenêtre, dans l’axe du lit et du morceau de ciel…
Au-delà du pare-brise.
J’ai envie de bondir sur ce maton pourri, de le… Je dois me tenir
tranquille… Alors je hurle :
- Non ! Vous n’avez pas le droit. Pas Eva !
Marcel l’Empaffé a déjà balancé ma gonzesse sur le sol de ma
cellule. Il la piétine avec ses croquenots, en remarquant :
- Y lui manque que la parole, à ton bouchon de radiateur !
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